dimanche 30 janvier 2011

[Égypte 2011] ÉPISODE 3

Silence sur l'Égypte

(30 janvier 2011)

image : DPA - Spiegel

Ce dimanche matin (30-01-2011), on apprend que la chaîne d'information qatarie Al Jazeera, qui assurait depuis quelques jours la couverture des événements en direct et en continu, a été interdite en Égypte. Après la suspension d'Internet et de la téléphonie mobile, elle était devenue la principale source de renseignements dans le pays.

Parmi d'autres organes de presse, Le Monde continue de proposer un fil d'actualités, de même que le quotidien britannique Guardian, qui reprend les dépêches de l'agence Reuters, ainsi que l'hebdomadaire allemand Der Spiegel.

À 12:00, heure locale, Al Jazeera reprend pourtant ses reportages en direct du Caire : sur un plan fixe, on aperçoit des tanks barrant une avenue, sur un autre on constate que le trafic est apparemment normal en ce premier jour ouvrable de la semaine : business as usual ? - Or, l'émission se poursuit à présent en studio et les correspondants utilisent le téléphone. - Le Monde rapporte que la réception de la chaîne est bloquée à travers le pays.

 image : al jazeera

Le Spiegel rapporte que la Bourse égyptienne restera fermée aujourd'hui et lundi. - De même, la frontière avec la bande de Gaza est bouclée. - Par ailleurs, le journal signale que l'armée a fait son entrée à Charm el-Cheikh, haut-lieu du tourisme égyptien.

[13:00] (*) Le Monde rapporte la présence massive de l'armée et l'absence quasi totale des forces de police. au Caire. Peu de manifestants pour l'heure : les manifestations auraient lieu cet après-midi. - Selon Reuters,  la prison de Wadi el-Natroun, à 120 km au Nord-Ouest du Caire  a été prise d'assaut : plusieurs milliers de détenus auraient été libérés dont 34 membres des Frères Musulmans, parmi eux 7 leaders de l'organisation (source : Mohamed Osama, responsable du bureau des Frères Musulmans).

Dans une interview au quotidien berlinois Der Tagesspiegel, la directrice du Musée Égyptien du Caire, Wafaa al-Saddik, accuse gardiens et policiers de vol et de saccage : "C'étaient les gardiens du musée, notre propre personnel !" Certains policiers auraient apparemment tombé leurs vestes "pour ne pas être identifiables". Un second groupe serait entré par le toit. Les destructions ont toutes été perpétrés au premier étage, où se trouve le célèbre trésor de Toutankhamon : "Beaucoup de statues ont été jetées par terre et détruites, parmi elles des représentations de divinités appartenant au trésor de Toutankhamon." Les pillards ont volé plusieurs bijoux et parures pharaoniques. Deux momies ont été gravement endommagées lors de l'effraction.

[14:00] Sur Al Jazeera, on s'interroge : "Que va faire l'armée ?" - Selon des chaînes d'information arabes, non nommées par le Spiegel, on parle maintenant de 150 morts au moins depuis la journée meurtrière de vendredi, après plusieurs actions dans la nuit contre des prisons situées à l'extérieur du Caire.



[14:30] Le Guardian met en ligne cette vidéo d'Associated Press qui rend compte des "manifestations pacifiques" de la matinée.


[15:00] Al Jazeera et le Spiegel annoncent le rassemblement de plusieurs milliers de protestataires place de la Libération au Caire. - Malgré l'interdiction qui la frappe, la chaîne qatarie est en mesure de diffuser quelques images en direct de la place, où l'on aperçoit une foule grandissante. - Aucune violence n'est rapportée pour l'instant. - Selon Peter Beaumont, des "chars US-américains modernes" ont été déployées au Caire. Le journaliste en a compté sept. Cela semble confirmer la rumeur selon laquelle certaines troupes d'élite stationnées dans le désert rejoignent la capitale (in Guardian). - Selon le Spiegel, beaucoup d'États évacuent leurs citoyens d'Égypte, notamment la Jordanie, le Qatar, le Koweït,  l'Arabie Saoudite et les émirats du Golfe. Un grand nombre d'US-Américains, de Turcs et d'Italiens attendent également leurs avions : il y aurait  une "bousculade terrible" à l'aéroport du Caire. Par ailleurs, les États-Unis proposent au personnel d'ambassade de rentrer à la maison : tous ceux qui ne participent pas directement aux affaires courantes sont autorisés à quitter le pays.

[15:45] Un responsable des Frères Musulmans prend la parole sur Al Jazeera (par téléphone) : il demande la démission du gouvernement et déclare soutenir l'organisation de Mohamed El Baradei, l'Association pour un Changement Politique, pour la formation d'un "gouvernement de salut national". - Des milliers de protestataires se rassemblent sur la place Tahrir, au centre du Caire.- La présence militaire au centre du Caire reste massive, un hélicoptère de l'armée tourne au-dessus de la place Tahrir, pas d'affrontement entre manifestants et soldats pour l'heure. Al Jazeera parle d'avions de combat  qui volent en basse altitude au-dessus du centre-ville. Selon une correspondante au téléphone, il s'agirait de faire peur au gens : "Mais les gens n'ont pas peur", ajoute-t-telle. À l'antenne, on entend la clameur impressionnante de la foule entrecoupée du vrombissement des avions à réaction.

[16:00] C'est en principe le début du couvre-feu, décrété hier à cette heure de la journée. Et, en effet, la TV d'État confirme la mesure gouvernementale. Or, la foule des manifestants est de plus en plus dense. - Tout porte à croire que le gouvernement Moubarak tente un coup de force (désespéré). L'évacuation des ressortissants étrangers et l'arrivée de forces spéciales, rapportée au conditionnel par Peter Beaumont, pourraient être interprétées dans ce sens. - Au téléphone, une correspondante d'Al Jazeera, qui paraît assez angoissée, dit également qu'une escalade se préparerait.

[17:30]  Des fausses rumeurs sur la chute de Moubarak ont été accueillies par des acclamations et des embrassades place Tahrir, selon Peter Beaumont, qui rapporte de possibles préparatifs de l'armée en vue d'une intervention : les canons à eau sont apparus et les chars ont été rangés en double colonne (in Guardian). - Sur CNN, Mohamed El Baradei a réclamé le départ immédiat du président Moubarak. L'opposant dit qu'il a été mandaté par les organisateurs du mouvement de protestation pour négocier un gouvernement d'union nationale avec le pouvoir : "J'espère entrer rapidement en contact avec les militaires. Nous devons travailler ensemble" (in Spiegel).

[18:00] Peu à peu, la nuit enveloppe Le Caire. - Le Spiegel rapporte que "l'élite égyptienne quitte le pays" : 45 jets privés ont décollé de l'aéroport du Caire contre 19 la veille, emmenant des entrepreneurs, des diplomates et des artistes (!). D'autres passagers privés attendent le départ dans un terminal spécial, selon l'administration de l'aéroport. - Mohammed El Baradei serait en route pour rejoindre les protestataires de la place Tahrir. Certains commentateurs pensent qu'il serait en train de faire le "pitch" pour devenir le chef du gouvernement d'union nationale qu'il réclame (in Guardian).

[18:15] Au téléphone, un correspondant d'Al Jazeera place Tahrir dit que l'arrivée de M. El Baradei serait imminente. - La chaîne qatarie annonce que l'armée a arrêté 3200 personnes depuis les pillages d'hier soir,  la plupart seraient des criminels et des prisonniers évadés.

[18:30] Le correspondant Jack Shenkers rapporte que M. El Baradei est arrivé place Tahrir ; selon le journaliste, "les gens sentent que la chute du régime est imminente" (in Guardian). Al Jazeera confirme l'arrivée du prix Nobel de la paix.

[18:45] Selon des témoins, quelque 7000 protestataires bravent le couvre-feu sur la place Tahrir. La foule scande : "Il [Moubarak] s'en va, nous pas !" (in Spiegel)


[19:15] Sans donner de précisions, Al Jazeera mentionne d'autres mobilisations à travers le pays ce soir. - Les téléspectateurs égyptiens ne peuvent pas voir les images de M. El Baradei sur la place Tahrir diffusées par Al Jazeera puisque la chaîne continue d'être bannie des écrans nationaux  (in Guardian). Normalement, on la capte via le satellite Nilesat, où elle a été bloquée. En principe, elle devrait toujours être accessible par Hotbird  et Astra (il suffit de réorienter la parabole !).

[19:30] Reuters annonce que la police serait de retour demain pour régler la circulation et combattre la criminalité, mais non pour intervenir contre les manifestants (source : sécurité égyptienne).

[19:45] Sur Al Jazeera, un observateur dit que "c'est un mouvement politique" ; peu de gens auraient réclamé du pain ou du travail, la plupart ont scandé : "à bas le régime, à bas Moubarak".  - Sur son fil d'actualités, Al Jazeera annnonce que des dizaines de milliers de protestataires demandent le départ du président Moubarak à Mansoura (située à 120 km au Nord-Est du Caire).

[20:00] À travers un mégaphone, M. El Baradei s'est adressé aux manifestants : "Vous avez récupéré vos droits et ce qui a été commencé ne peut être repris... Nous demandons... la fin du régime et le début d'une nouvelle ère, d'une nouvelle Égypte... Je vous demande de la patience, le changement va intervenir dans peu de jours." - Des milliers de protestataires sont signalés en Alexandrie (Al Jazeera).

Mohamed El Baradei, place Tahrir, ce soir (image : al jazeera)

Le journaliste Simon Tisdall du Guardian donne les précisions suivantes : Des centaines de membres des Frères Musulmans étaient parmi les milliers de prisonniers qui se sont échappés lors d'évasions massives de quatre prisons égyptiennes la nuit dernière. Des bandes armées ont profité du chaos qui régnait au Caire et dans d'autres villes pour libérer les prisonniers, mettre le feu et engager des fusillades avec les gardiens. Un certain nombre de détenus ont été tués, d'autres ont été repris (source : sécurité égyptienne).

Le Caire, place Tahrir, ce soir (image : DPA - Der Spiegel)

[20:45] Al Jazeera rapporte qu'un char militaire a rejoint la marche des protestataires à travers la ville d'Alexandrie. Le commandant du tank dit que l'armée "n'a pas l'intention de mettre fin à la manifestation". - La chaîne qatarie signale que le fils du président, Gamal Moubarak, aurait été vu à Knightsbridge (Londres), où il possède une résidence.

Selon le Spiegel, la chancelière allemande Angela Merkel a téléphoné dans l'après-midi à Hosni Moubarak  pour lui dire de mettre en œuvre les réformes annoncées et de renoncer à la violence. De plus, elle lui a demandé d'établir un dialogue avec la population et de "répondre favorablement à ses exigences légitimes" (source : gouvernement fédéral).

[21.00] Il semble que les forces de police pourraient refaire leur entrée dans la ville du Caire dès ce soir . Pour l'instant, aucune présence policière n'a été signalée au centre-ville (Al Jazeera).  - Le journal de France 2 montre un reportage sur les comités d'auto-défense des citoyens qui, armés de bâtons ou de sabres, établissent des barrages un peu partout dans la capitale, qui compte 20 millions d'habitants. - D'après le commentaire, les magasins et les stations service commencent à se vider et des problèmes d'approvisionnement seraient à prévoir. - Le correspondant de la chaîne publique parle de pressions exercées sur les médias après la fermeture du bureau cairote d'Al Jazeera. Puis une brève séquence montre le président Sarkozy qui déclare : "La violence n'est jamais une solution. La violence appelle toujours la violence". Enfin, la mention obligatoire des problèmes touristiques. Et rideau sur l'Égypte vue de France !

[21:30] Dans la ville côtière d'Alexandrie, les funérailles des victimes de la violence ont donné lieu à des actions de protestation : plusieurs commissariats ont déjà été incendiés et les manifestants continuent de braver le couvre-feu qui, selon une annonce de la TV d'État, prendra effet dès 15:00 à partir de lundi (Al Jazeera).

Dans la journée, le président Moubarak est apparu à la télévision en compagnie de son nouveau vice-président, Omar Suleiman, et de l'actuel ministre de la Défense Mohammed Hussein Tantawi. Il visitait un centre opérationnel de l'armée et, selon le commentaire d'Ian Black du Guardian, "écoutait les briefings comme s'il commandait une bataille".

[21:45] Selon le Guardian, le président Obama a téléphoné aux chefs d'État de Turquie, d'Israël, d'Arabie Saoudite et de Grande Bretagne, appelant à la modération et aux droits universels, dont le rassemblement pacifique et la liberté d'expression. Il s'est également opposé à la violence et a souhaité la formation d'un gouvernement de transition en accord avec les aspirations du peuple égyptien (source : Maison Blanche).

[22:00] Heba Fatma Morayef de l'organisation Human Rights Watch se trouve sur la place Tahrir. Elle raconte : "Plusieurs milliers de personnes sont restées sur la place Tahrir, beaucoup disent qu'elles y passeront la nuit et resteront jusqu'à la démission de Moubarak. Il y eut une vague d'enthousiasme quand on a entendu que Mohamed El Baradei arrivait, mais malheureusement la plupart d'entre nous n'avons pas pu écouter ce qu'il disait - pas de hauts-parleurs, apparemment. - La place s'est vidée depuis cet après-midi, mais il y a toujours une ambiance géniale, un sens de la solidarité ; les gens se comportent très bien - ils sont assis autour de feux de joie ou se promènent en ramassant les détritus. Les groupes qui tombent sur un pillard occasionnel l'attrapent et le remettent aux militaires. Et pas de harcèlement sexuel - ce qui n'est pas la norme au centre-ville, notamment les jours de grande affluence ! On est contents de manger du kushari - heureusement que les vendeurs ambulants proposent encore de la nourriture, parce qu'on meurt de faim." (in Guardian)

[22.30] Selon un reporter de la BBC, des douzaines de juges se trouveraient parmi les manifestants de la place Tahrir. L'un deux accuse la police de corruption et de destruction de matériel compromettant (in Spiegel). - Sur place, Peter Beaumont rapporte des "coups de feu qui proviennent apparemment de l'Est de la ville [du Caire]. Les balles traçantes de gros calibre suggèrent qu'il pourrait s'agir de militaires. Des explosions du côté de l'aéroport et d'Héliopolis, où se trouve le palais présidentiel. Des chars semblent se diriger rapidement vers l'Est." (in Guardian)

[22:45] Un journaliste d'Al Jazeera signale que, malgré la censure d'Internet, le site de micro-blogging Twitter fait apparaître une grande activité en Égypte. De même, beaucoup de vidéos d'actualité seraient mises en ligne sur YouTube.

Ce matin sur la chaîne d'information i>Télé, Tariq Ramadan, d'origine égyptienne et petit-fils du fondateur des Frères Musulmans, s'exprimait sur la situation du pays. Son interlocuteur est Robert Ménard, le fondateur et secrétaire général (jusqu'en 2008) de l'association Reporters Sans Frontières.

[23:00] Al Jazeera annonce que les forces de police ont fait leur apparition dans les rues d'Égypte.

[23:30] Une correspondante de la chaîne qatarie au Caire signale des coups de feu qui durent depuis une heure maintenant. Elle dit aussi que les pillages ne sont pas dans les habitudes égyptiennes, qu'il pourrait s'agir de pauvres qui profitent de la situation. - Les États-Unis annoncent l'évacuation de milliers de ressortissants qui veulent quitter l'Égypte. L'opération débuterait lundi et nécessiterait un grand nombre de vols, selon la secrétaire d'État adjointe Janice Jacobs (in Guardian)

[00:00] 1500 protestataires peuplent encore la vaste place Tahrir au centre du Caire. D'autres manifestants sont signalés à Suez, Mansoura et Alexandrie. - Aucune violence n'a été rapportée...

~ Silence sur l'Égypte - Fin de l'épisode ~


(*) Heure du Caire

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