vendredi 25 mai 2018

Nous sommes cernés !

Après l’avènement de Donald Trump outre-atlantique et le très probable "Brexit" à l'Ouest, l'évolution vers des régimes autoritaires en Pologne et en Hongrie, ainsi que l'état de suspension délétère en Tchéquie à l'Est, sans oublier la situation difficile, virtuellement explosive en Ukraine, deux nouveaux gouvernements potentiellement "eurosceptiques" et certainement "populistes" se mettent en place au Centre et au Sud-Est de l'Union :
  • En Autriche, la coalition entre les conservateurs de l'ÖVP (Österreichische Volkspartei) de Sebastian Kurz (actuel chancelier) et les populistes du FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs) de Heinz-Christian Strache (dirigé naguère par Jörg Haider) en décembre 2017.
  • En Italie, le "contrat" entre deux mouvements populistes a priori incompatibles, la Lega Nord réputée d'extrême-droite et le Movimento 5 Stelle (M5S), parti "anti-système" fondé par l'humoriste Beppo Grillo en 2009 qui vient d'imposer Giuseppe Conte à la tête du gouvernement italien (ce 23 mai 2018 > Le Monde) (*)
À cela, il faut ajouter les situations que l'on pourrait qualifier de "pat politique" des deux côtés du Rhin :
  • Lors de l'élection présidentielle française, la débâcle de la droite et de la gauche dites "parlementaires" au premier tour (23 avril 2017) a conduit à une situation comparable à la "catastrophe de 2002" avec la présence de Marine Le Pen au second tour (7 mai 2017). Deux éléments nouveaux cependant : D'une part la candidate du Front National a pu - malgré un désastreux débat télévisé de l'entre-deux-tours - sensiblement augmenter son score du premier tour (7.678.491 voix, soit 21,30 % des suffrages exprimés) en passant à 33,90 % (10,638.475 voix), un "exploit" que son père n'avait pas réussi face à Jacques Chirac en 2002 (17,79 % au second contre 16,86 % au premier tour). - D'autre part, on note la présence d'un "homme nouveau", qui avait certes occupé une fonction ministérielle sous la présidence de François Hollande, mais qui ne "représentait" aucun courant politique traditionnel ou "établi", et dont la candidature, puis l'accession au second tour, étaient déjà l'expression d'une désorientation considérable de l'électorat français après le désistement du Président Hollande et l'éclatement du Parti Socialiste, qui est également dû à la montée de l'extrême-gauche de Jean-Luc Mélenchon, et après les déboires de François Fillon, candidat des "Républicains" (Ex-UMP), qui a contribué à l'effondrement de ce parti de la droite parlementaire, si bien établi en France depuis la constitution de la 5e République en 1958.
  • L'élection du Bundestag allemand (24 septembre 2017) a également donné lieu à une situation inédite. La Grande Coalition sortante ("Große Koalition", "GroKo") entre les sociaux-démocrates (SPD) de Sigmar Gabriel et l'Union chrétienne-démocrate (CDU) d'Angela Merkel avait clairement régressé (le SPD passant de 193 sièges en 2013 à 153 en 2017 et l'Union de 311 à 246 sièges, la "GroKo" ne réunissant donc plus que 53,4% des voix contre 67,2% en 2013). De plus, l'AfD (Alternative für Deutschland), parti populiste de droite voire d'extrême-droite, fait une entrée fracassante au parlement allemand avec 94 sièges sur 709 (soit 13,3%). Sous la conduite éphémère de Martin Schulz, le SPD refuse une nouvelle "GroKo" après l'échec de septembre 2017, et une coalition entre Les Verts, les Libéraux du FDP (qui fait également son retour au Bundestag) et la CDU est discutée pendant de longs mois pour finalement être mise en échec par la "sortie" de Christian Lindner (FDP). Dans la foulée, le Président fédéral Frank-Walter Steinmeier lance un appel aux chefs de parti afin d'éviter de nouvelles élections ; Martin Schulz abandonne alors la direction du SPD, et un nouveau contrat de "Grande Coalition" est négocié puis voté par la base du SPD et de la CDU / CSU (le "parti frère" de la CDU en Bavière). Après une période de "pat politique", l'Allemagne fédérale retrouve donc un gouvernement le 14 mars 2018 - soit tout de même presque 6 mois après l'élection du Bundestag ! - avec la réélection peu enthousiasmante d'Angela Merkel au poste de Chancelière fédérale (364 voix favorables sur 688 exprimées).
Il serait vain de vouloir expliquer une fois pour toutes la montée des mouvements populistes au sein de l'Union Européenne. Voici cependant quatre facteurs qui devraient y contribuer :
  • La "crise des migrants". - L'arrivée massive de personnes en provenance des pays pauvres et des zones de guerre inquiète en particulier les Européens les plus "démunis" qui craignent que le système d'aides et d'assurances sociales, dont ils bénéficient, soit pris d'assaut et mis à mal par les nouveaux-venus et que la situation de l'emploi et des logements déjà difficile à supporter se dégrade davantage. On peut y ajouter la scolarisation des enfants de migrants, qui amplifie le problème général que connaît l'enseignement dans les "quartiers". - L'un des arguments en partie fondé des populistes de droite est que ceux qui prônent la "culture de bienvenue" (la "Willkommenskultur" chère à Mme Merkel en 2015) n'en assument que très peu les conséquences.
  • L'Europe libérale et le "diktat de Bruxelles". -  Les nations européennes sont censées protéger leurs ressortissants contre la "concurrence étrangère", tout en leur donnant une "identité", à la fois linguistique et culturelle, qui permet la "reconnaissance" des membres d'une "communauté nationale" et l'exclusion de ceux qui n'en font pas partie ; or, aux yeux d'un certain nombre de gens - comme par exemple les "laissés pour compte", les actifs dans certaines filières professionnelles "sinistrées", les adeptes des mouvements "identitaires" - considèrent que l'Europe libérale - au sens du Traité de Lisbonne - ne protège plus de l'économie "mondialisée" - comme naguère la Nation - et crée la menace d'une "perte d'identité", qui s'exprime notamment par la peur du "multiculturalisme" et de l'"islamisation de l'Occident" (mot d'ordre du mouvement allemand "Pegida": Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes).
  • L'impuissance des politiques. - Elle est avérée puisqu'il semble impossible de combattre politiquement la mainmise des spéculateurs et des grands groupes internationaux sur l'économie ; à la fin des "Trente Glorieuses", la "crise" s'est installée en Occident : le chômage n'a cessé de progresser, les acquis sociaux piétinent ou régressent tandis que les profits augmentent pour les "happy few", parfois d'une façon indécente en regard de la paupérisation croissante du plus grand nombre ; dans le même temps, les scènes de guerre s'éternisent, une bonne moitié de l'humanité est maintenue dans un état de dénuement à la limite du supportable, les espèces vivantes et les espaces naturels sont détruits à un rythme effréné ; il semble évident que devant ces malaises considérables, qui ne cessent de se rappeler à nous, et l'impossibilité d'y remédier sur le plan politique, les bonimenteurs et harangueurs de toute sorte ont le jeu facile : puisque les discours politiques officiels ne sont faits que de "belles promesses" jamais tenues, la porte est ouverte aux utopies et aux projets les plus fantaisistes puisque leur faisabilité n'entre plus en ligne de compte.
  • Désocialisation et désorientation. - Ces deux phénomènes demanderaient une analyse en profondeur qui ne saurait être développée dans le cadre présent. Simplement ceci : l'arrivée des "nouveaux médias", où les anciens - presse, radio, TV, ainsi que les publicitaires et les commerciaux omniprésents - prennent également une place importante, bouleverse la vie des individus et des groupes sociaux en y ajoutant une "dimension virtuelle", où tout semble désormais possible. Des "réseaux sociaux" tels que Facebook permettent d'avoir des "amis", de former des "groupes" ou des "communautés" et de "se tenir au courant", les forums spécialisés de discuter de ses centres d'intérêt avec d'autres adeptes et d'échanger des combines ou du matériel, les sites de rencontre de "draguer", les sites pornographiques de pratiquer le voyeurisme, les sites commerciaux de faire ses emplettes, les sites de jeux de se divertir, les sites de presse de s'informer, les blogs (comme celui-ci) d'ajouter son grain de sel à la logorrhée planétaire etc. Du coup, l'individu moderne vit dans une bulle cybernétique - à la façon d'un quasi-autiste et à l'image de l'automobiliste dans sa bulle de tôle - où tout est basé sur l'absence réelle (des amis, des amoureux, des pairs et des partenaires, des vendeurs, des "objets", des "communicants" etc.), à laquelle on substitue une présence virtuelle, indéfiniment reproductible et disponible en permanence, confortant les "utilisateurs" dans leur solitude, détrompant leur ennui. - L'impératif de "nouveauté" et l'actualité permanente, qui dominent la scène virtuelle, donnent lieu à une désorientation considérable en admettant que l'on a tendance à chercher ses repères dans l'expérience qui a "fait ses preuves", les traditions, les "origines", bref : dans le "passé", du côte des "anciens". Or, nous nous trouvons aujourd'hui dans une phase de rupture radicale avec notre histoire collective, avec la famille et les ancêtres - rupture dont les "nouveaux médias" sont peut-être moins la cause que l'effet ultime, car si nous n'avions pas déjà perdu cet ancrage historique, à la fois personnel et collectif, ils n'auraient probablement aucune prise véritable sur notre vie présente. En effet, la déliquescence de la famille occidentale et le rejet des anciens, qui constituent d'énormes pertes de repères, notamment pour les plus jeunes, ne sont pas nouveaux puisque les premiers "symptômes" apparaissent dès le début du 20e Siècle, et il est possible de faire une lecture de l’œuvre de Sigmund Freud (1856-1939) qui va dans le sens de la désorientation croissante des individus en réaction à cette perte de repères familiaux, ancestraux et finalement sociaux.
Si l'extrême-gauche prône la "révolution", l'expropriation des "riches" et le pouvoir au "peuple", nous connaissons également les remèdes de l'extrême-droite, sur le modèle de la devise officielle du gouvernement de Vichy - "travail, famille, patrie" - autrement dit : le retour à un passé fantasmatique où tout fonctionnait à merveille, où l'Occidental était privilégié et le "maître" ou le "chef de famille" respecté, où "tout travail méritait salaire" et où "la patrie protégeait ses enfants". Passés sous silence : les enfants de la patrie transformés en "chair à canon", l'exploitation sans vergogne des "indigènes" et des "travailleurs", l'autoritarisme arbitraire du patriarche qui battait ses enfants et condamnait sa femme aux tâches domestiques ou au rôle de faire-valoir mondain. - Le fascisme allemand était une tentative particulièrement meurtrière de revenir à un tel passé quasi-mythique, par un procédé que l'historien britannique Eric Hobsbawm (1917-2012) a appelé "l'invention de la tradition" (cf. son article en ligne au format PDF) : mythologie "germanique" bricolée de toutes pièces, délire d'une race pure qui n'a jamais existé, entraînant l'assassinant en masse d'une certaine catégorie de citoyens allemands parfaitement assimilés au prétexte d'une "origine différente", utopie d'une société sans conflits politiques en éliminant systématiquement tous les opposants, idéologie sans aucun fondement scientifique ou philosophique sérieux à l'image du livre "Mein Kampf", censé remplacer la bible dans les foyers allemands (10,9 millions d'exemplaires diffusés jusqu'en 1944), discours guerriers et harangues sans gêne des officiels, radiodiffusées grâce aux postes bon marché (appelés "Volksempfänger", "récepteurs du peuple") dont un grand nombre de ménages allemands étaient équipés (16 millions de personnes ayant payé la redevance en 1943).



Il est entendu que ce bref rappel du passé - qui est tout de même assez récent pour continuer de nous interroger - ne rend pas justice à la situation présente, où la question essentielle reste celle-ci : est-ce que l'Europe libérale pourra résister longtemps à la montée des populismes dits "eurosceptiques"? Deux questions subsidiaires : quelles sont les motivations profondes de ces mouvements ? et quels sont les arguments qui permettraient de défendre l'Europe actuelle ?



Il est également entendu que ces mouvements, qui sévissent actuellement en Europe, sont moins dangereux que ne l'étaient les mouvements fascistes et stalinistes du 20e Siècle. Or, s'ils réussissaient à mettre en échec le "projet européen", il serait à craindre qu'un tout autre visage apparaisse, qui rassemblerait bien davantage aux monstres hideux du passé récent. C'est un argument en faveur de l'Europe. Et surtout une bonne raison de se méfier des airs de respectabilité et des velléités de "dédiabolisation", propres à voiler une face obscure qui s'enracine dans la barbarie humaine.



Il est enfin entendu que l'Europe actuelle doit se réformer. Tant que ce ne sera pas fait, les mouvements populistes continueront d'avoir la voix au chapitre et constitueront une alternative sérieuse à l'Union. Car ils doivent une grande partie de leur succès à l'échec possible - ou aux prémisses d'un échec réel - de cette "construction européenne" qui, pour l'heure, n'est pas moins spéculative que les discours adressés au "peuple" par ceux qui se voient en nouveaux dirigeants, s'ils ne le sont pas déjà, certains d'une "popularité" indéfectible, puisque le but de tout mouvement politique est de prendre et de conserver le pouvoir, même et surtout à une époque où la politique semble condamnée à l'impuissance.




SK, 27 mai 2018




[à suivre] 





  Source > Le Parisien, 11 mars 2018 (**)





NOTES





(*) Ce 27 mai, on apprend que le ministre-président
désigné Giuseppe Conte renonce à prendre ses fonctions après le veto du
Président italien Sergio Mattarella (chrétien-démocrate) sur la nomination de l'eurosceptique déclaré Paolo Savona (81 ans) au ministère des Finances, mais peut-être aussi rattrapé par la présentation fantaisiste de son parcours universitaire. Selon l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, "de nouvelles élections menacent". - Le 31 mai au soir, il semble que l'on soit tout de même arrivé à un accord gouvernemental de type "populiste" en Italie.


(**) En dépit du résultat indiqué sur l'illustration, l'UKIP britannique fut l'un des principaux artisans du vote favorable au "Brexit". Le débat sur la présence des "Insoumis" français et du "Podemos" espagnol sur ce tableau du Parisien reste ouvert ; en tout cas, la simple juxtaposition des formations d'extrême-droite et d'extrême-gauche est discutable et relève d'une procédure comparable à celle des "populistes" eux-mêmes, qui mettent tous les partis démocratiques dans le même sac labellisé "système" (sur le modèle de l'"UMPS" cher au FN).


COMMENTAIRES


Anonyme27 mai 2018 à 20:53

Salut SK,

Un premier commentaire avant les suivants.
Je trouve que dans l'ensemble de constat que vous faites des causes de la montée de ce que vous appelez les populismes est correct, avec comme points fondamentaux une crise identitaire et une crise sociale, les deux parfois se confondant. Et force est de constater que l'Europe, je ne sais pas comment l'appeler, politique serait trop d'honneur, alors disons libérale, non seulement n'est pas en mesure de combattre ces crises, elle n'a pas été conçue pour cela, mais structurellement les aggrave. Les offres alternatives, au mieux eurosceptiques, au pire séparatistes, vont donc sans doute continuer à prospérer et finir par l'emporter dans un des pays majeurs de l'union. D'ailleurs on peut considérer qu'avec l'Italie c'est déjà le cas, même si cette union de la carpe et du lapin ne devrait, à mon avis, pas tenir très longtemps, ne serait-ce que pour des raisons d'égo liés au pouvoir.
Mais sans doute l'avenir nous gratifiera-t-il de coalitions bien plus cohérentes, comme en Autriche par exemple. Je crois qu'il y a une vraie tentation en France, et surtout au niveau de la base, militants et sympathisants. A cet égard, la jeune Marion Maréchal semble avoir tout compris, du moins compris que l'accession au pouvoir passait par là quand n se revendique de droite, souverainiste j'entends. Peut-être pas dans 4 ans, mais dans 9 après le second mandat de Macron dont on imagine qu'il ne peut pas perdre face à une opposition aussi éclatée et médiocre que celle existant actuellement. Mais derrière Macron, il n'y a pas de Pompidou en vue. De fait la France a été épargnée par son système présidentiel, et son mode de scrutin. Imaginez juste un système à l'allemande avec des législatives sans cette personnalisation, et c'est bel et bien le FN qui pourrait être à la tête d'une coalition actuellement. Et je parle pas évidemment de cette opération médiatico-judiciaire ayant permis d'écarter Fillon. Les juges auraient pu au moins faire semblant de continuer leur instruction après l'élection pour continuer de tenter de nous persuader qu'il était tellement urgent de mettre le favori en examen. Traitement spécial dont ont été exemptés Penicaud et Ferrand. De fait, et c'est là un point fondamental à mon sens, toutes ces choses posent le problème de l'état de notre démocratie dont je crains qu'elle ne soit pas davantage en meilleure forme que dans les pays "livrées aux populistes... néanmoins élus".

à suivre

Anonyme27 mai 2018 à 20:55

suite

Sans doute pensez-vous à une digression, ou même un hors-sujet, mais le fond du problème, celui de l'Europe et de sa perception par les peuples, ou du moins un de ses aspects se trouve là dans cet antagonisme qui existe entre Etat de droit et démocratie. En un certain sens l'Europe fonctionne un peu comme la France et réciproquement, avec un pouvoir légal s'appuyant sur une technostructure qui se bétonne par le droit avec un zeste de moraline injecté par les médias, et un peuple, ou des peuples en ce qui concerne l'Europe (une des raisons qui fait aussi que ça ne peut pas fonctionner), qui n'adhère pas majoritairement aux décisions de ce(s) pouvoir(s) mais ne trouve pas une alternative crédible sans en manquer de non crédibles. A noter d'ailleurs que même une alternative crédible dans un pays serait menacée par la force du droit, quitte à en produire de façon ad hoc, comme cette idée (macronienne je crois) de sanctionner financièrement les pays de l'UE qui ne respecteraient pas les valeurs européennes (donc essentiellement la Hongrie et la Pologne qui, paradoxalement, mais peut-être peut-on aussi y trouver une vérité, sont persuadées de protéger ces valeurs, notamment en se protégeant de l'immigration musulmane). C'est quand même compliqué de construire quelque chose quand on n'a pas un peuple mais des peuples, et que les valeurs qui seules pourraient permettre de construire un ensemble visant à la cohérence ne sont même pas partagées.

J'essaierai de poursuivre demain. Il y a tant à dire.

Bonne soirée
Alain

Anonyme29 mai 2018 à 18:12

Je reprends mes commentaires en m'arrêtant sur les ajours sur la crise italienne et la pertinence du tableau des populismes européens.

Sur l'Italie.
En fait quand j'écrivais mes premiers commentaires l'affaire était en train de ses jouer déjouant mes pronostics d'un écroulement interne de la coalition destinée à gouverner. Tout ça est le fruit d'une erreur, à mon avis du président italien, je vais revenir là-dessus, puisque les prochaines élections qui auront vraisemblablement lieu en automne vont sans doute renforcer les partis hostiles à l'Europe et peut-être donner à la Ligue un poids inespéré. C'est donc un "répit" de quelques mois, si on se place au niveau de Bruxelles et au sien, qu'offre le chef de l'Etat italien à son pays. Mais la chute risque d'en être plus violente ensuite.
Car que ressort-il de cette histoire, sinon ce que j'exprimais déjà dans un commentaire précédent : c'est qu'au nom de l'UE et de ses intérêts, en fait les intérêts de qui?, les peuples "qui votent mal" se font renvoyer dans leurs buts, parfois sèchement comme ce fut le cas pour les Français après le référendum de 2005, ou les Grecs après le référendum initié par Tsipras et trahi dès le lendemain par lui-même, sous pressions évidemment, parfois en leur tendant un tube de vaseline, soit en les faisant revoter autant de fois qu'il le faut. Depuis Maastricht certains sont des habitués de cela. Et Mattarella est dans cette ligne, interprétant la lettre de la Constitution italienne et en trahissant incontestablement l’esprit s'agissant d'un régime parlementaire.
En gros, c'est "pas d'alternatives!". Attali s'en est vanté, précisant que tout avait été fait pour rendre une sortie impossible (et on comprend pourquoi le brexit doit mal se terminer pour les Britanniques qui ont dérogé à la règle, s'il a lieu, ce qui n'est pas sûr), Juncker l'a affirmé en déclarant que des élections nationales (et démocratiques) ne pouvaient en aucun cas remettre en cause les traités européens. C'est pas un peu la définition d'une dictature, certes pouvant apparaitre douce? Disons que ça aurait pu marcher, peut-être, si les peuples avaient perçu des effets positifs, avaient conscience de vivre mieux, en sécurité, avaient confiance dans l'avenir. Rien que les taux de démographie indiquent qu'on est loin de ce sentiment de confiance et que pour beaucoup, l'avenir ne peut guère aller plus loin que l'espérance de garder son boulot. Et ça peut être pire. Et donc on trouvera ans doute chez Jaurès quelques explications à certains votes déviant : "A celui qui n'a rien, la patrie est son seul bien."
A.


Anonyme29 mai 2018 à 19:02

Sur la pertinence de l'appartenance de certains partis politiques au tableau des populistes.
Disons que la manière dont est posée cette question m'a amusé, laissant supposer que le populisme pourrait être essentiellement une tare de droite et même d'extrême-droite. Mais certains partis ne me semblent pas l'être vraiment dans la liste en question, et peut-être même aucun, tout dépendant des critères choisis pour définir l'ED, géographiques, cad plus à droite que la droite dite de pouvoir soupçonnée elle-même de certaines tentations qui pourraient la faire basculer dans le camp du mal, ou d'autres critères se mesurant à la tolérance du migrant ou de pratiques idéologico-religieuses, où à l'attachement à ce qu'on appelle l'identité. Bon en tout cas, aucun des partis en question, accusé du pire ne refuse les élections, ne rejette la démocratie (j'allais dire la république, mais avec les Pays-Bas, l'Espagne et la GB ça ne collerait plus), ne dispose de milices, ne commet d'attentats,… Ils sont quand même bien calmes, plus en tout cas que certains groupuscules se revendiquant d'extrême-gauche dont on "salue" les exploits depuis quelques années déjà.
On pourrait aussi s'interroger sur la présence dans cette liste des partis qui sont au pouvoir dans leurs pays respectifs et dont certains le sont depuis déjà pas mal de temps, je pense notamment au Fidesz qui attaque son troisième mandat. Est-ce que dans ce cas le populisme serait un retour du balancier du côté de la volonté du peuple au détriment de ce qu'on appelle l'Etat de droit qui limite les possibilités de traduction de cette volonté parce que les conventions, les traités, les lois, les juges administratif pénal, constitutionnel. Si Orban avait cédé à l'UE et avait accueilli des migrants, aurait-il été approuvé par le peuple hongrois? Pas sûr. A-t-il refusé pour être réélu ou parce que telle est la volonté du peuple, that's the question? Trahit-il les valeurs européennes? Il prétend au contraire les défendre en protégeant la civilisation européenne. En fait on pourrait s'interroger et se serait sans doute plus utile que de classer d'un côté les populistes, avec exemptions pour ceux évidemment "progressistes" parce que de gauche, et ceux qui ont tout compris à la marche de l'histoire, même si elle mène pas mal de monde dans le mur, sur cette différence de fond et de vision de l'Europe qui existe entre les PECO, en gros les résidus de l'empire austro-hongrois, et l'Europe de l'ouest marshalisée, et sur finalement la progression des idées de l'Est à l'Ouest. Ou pourquoi le populisme, enfin ce qu'on nomme ainsi, et qui prospère à l'Est, gagne-t-il du terrain à l'Ouest.
Après refuser de mettre sur la même liste les Insoumis, Podémos, le Fidesz, le FN et les autres, c'est indiquer une préférence, ce qui peut sembler paradoxal si on mesure le degré d'éloignement de l'UE des uns et des autres, ou encore c'est indiquer une autre forme d'alternative à la voie de l'Europe. Mais les ressorts utilisés ne paraissent pas davantage crédibles, et en tout cas séduisent moins les laissés-pour-compte (retour à Jaurès).

Bonne soirée
Alain

Réponses

sk31 mai 2018 à 11:58

Salut Alain et merci pour vos commentaires.

En vrac :

Je me suis rendu compte en me relisant que d'une part je n'avais pas défini le "populisme" et que de l'autre, comme vous le soulignez, je l'ai implicitement mis sur le compte exclusif de l'extrême-droite. L’hésitation droite / extrême-droite pour les cas de l’AfD et du FN par exemple, et les possibles alliances futures que vous pronostiquez, pointent une ambivalence : il y a les dirigeants en quête de « respectabilité » et les militants de base ou certains responsables et idéologues (comme Björn Höcke pour l’AfD), qui ne cachent pas leur jeu : retour à une nation « épurée », aux frontières réelles et idéelles bien définies, sans jamais – et c’est caractéristique – remettre en question les rapports de force économiques ; en effet, ces rapports et la misère actuelle des gens est invariablement attribuée à l’économie « mondialisée » ; il suffirait donc de la replacer sous l’autorité de la nation (monnaie nationale, taxation des produits étrangers etc.) pour remédier aux abus, ce qui est ou bien très naïf ou bien très hypocrite. Quand vous considérez que la faillite des systèmes basées sur l’économie d’État (« communiste ») est en grande partie due à l’avancée de la mondialisation contemporaine (qui, à l’ère moderne, progresse en fait depuis la Renaissance), vous reconnaîtrez l’utopie d’un tel désir d’autonomie (autarcie) nationale. Ce qui ne veut absolument pas dire que la mondialisation est souhaitable : elle est tout simplement réelle, et ses effets désastreux ne pourraient être résolus qu’au niveau mondial (ou peut-être européen) et non à l’échelle d’une nation seule qui risquerait immédiatement d’être mise en faillite (dévalorisation de la monnaie nationale, balance commerciale déficitaire etc.)…

En France, Jean-Luc Mélenchon a réussi – au moins temporairement – à fédérer l’extrême-gauche avec des accents sans aucun doute « populistes ». S’il prône – comme les « communistes » de naguère – l’internationalisme, sa naïveté – et celle de ses camarades et électeurs – est tout aussi consternante que l’hypocrisie et le repli sur la nation de l’extrême-droite. Le « socialisme réellement existant » (comme on disait en RDA) a trahi toutes les valeurs des premiers mouvements ouvriers du 19e Siècle en portant et en maintenant au pouvoir – à grand renfort de massacres, puis en instituant un système réellement insidieux de surveillance – une classe bureaucratique qui ne se distinguait pas foncièrement de celle qui « gérait » les atrocités et les délires du national-socialisme entre 1933 et 45 (on sait d’ailleurs que – contrairement à ce que croyait la population – beaucoup d’anciens nazis ont retrouvé des postes de cadres en RDA).

Mais il n’empêche que le « populisme » contemporain reste à définir : l’action pour le bien du « peuple » (autre terme non défini) me semble particulièrement hypocrite pour les uns (extrême-droite), qui sont souvent issus des classes aisées (les dirigeants et idéologues, pas les militants de base), et totalement utopique pour les autres (extrême-gauche), qui font preuve d’une naïveté consternante et d’un refus obstiné d’apprendre des erreurs du passé. Même si j’ai tendance à ne pas mettre « dans le même sac » fascisme et « communisme », il y a un grand nombre de points communs à la fois dans la mise en œuvre des systèmes respectifs (massacres, goulags, camps d’internement nazis destinés aux opposants dès 1933, « fonctionnaires » au pouvoir, les castes supérieures s’appelant « Prominenz » chez les uns, « Nomenklatura » chez les autres, etc.), et dans la façon actuelle de « mobiliser » les foules (le « peuple ») avec des mensonges et des faux espoirs.

Le pire mensonge est de faire croire au peuple (aux fameux « gens ordinaires », au proverbial « homme de la rue ») non pas que la source des problèmes d’inégalité, de pauvreté etc. soit extrinsèque – ce qu’elle est certainement aussi – mais que ces problèmes peuvent être résolus à l’intérieur d’un système clos.

SK

Anonyme1 juin 2018 à 11:28

Salut SK,

je deviens désespéré en vous lisant, comprenant très bien, au moins partageons nous ce diagnostic, que le repli sur soi n'est pas la solution, pas davantage que le grand soir, mais qu'il existerait une espèce de fatalité avec la mondialisation mais que nous pourrions influencer seulement au niveau mondial, donc en faisant encore davantage de mondialisation en adoptant ce qu'on appelle une gouvernance commune.

Que répondre à ça, sinon que vous avez peut-être raison, et que dans ce cas la mondialisation n'est pas une intégration mais son contraire, donc une atomisation des sociétés jusqu'au fractionnement ultime qui ne ferait de nous que des individus peuplent un monde sans âme, avec en corolaire la disparition complète de l'idée de nature.
On pourrait en effet penser qu’anthropologiquement les hommes se sont regroupés initialement pour lutter mieux contre une nature fondamentalement hostile qu'ils n'ont eu de cesse de vouloir maitriser. Il en est resté des sociétés humaines, et non une société humaine, qui ont perdu le sens de leurs origines, se sont fourvoyées-même en s'opposant les unes aux autres. Et donc le processus de mondialisation, dont on peut quand même rappeler qu'il n'est pas nouveau et date même de quelques siècles, mais peut désormais s'appuyer sur des vecteurs de diffusion puissants, techniques et idéologiques (médiatiques), est finalement un bienfait puisqu'il va remédier à cette guerre des hommes qui dure depuis si longtemps. On pourra juste éventuellement lui demander de préserver certains aspects folkloriques, mais avec modération pour que les nostalgiques n'en profitent pas trop, pour nos distractions.
Evidemment tout cela mériterait d'être amplement développé et argumenté. Et même aussi nuancé en insistant sur le fait que la mondialisation est un processus sans doute davantage violent que bénéfique pour l'homme, et n'hésite pas à recourir à la guerre pour s'imposer ou simplement pour disposer des ressources qui lui sont nécessaires.

Cela dit, et peut-être trouverons-nous là une réponse quant aux origines profondes du populisme, si la nature à réussi à créer des groupes humains pour faire face à ses dangers, ceux de la mondialisation peuvent sans doute générer le même processus, avec donc une résurgence du sentiment national, où la promotion défensive de sa culture ou de sa civilisation. D'autres irons chercher leurs solidarités ailleurs, chez Marx par exemple.

Parce que si, comme vous le dites avec raison, la mondialisation est une réalité, les sociétés humaines bien plus anciennes, avec leurs cultures et les valeurs qui les accompagnent en sont une également. Et ça aussi il faut le prendre en compte et ne pas considérer l’homme comme une unité économique de valeur variable, cette valeur n'étant par ailleurs non corrélée à son utilité pour le groupe, mais à son compte en banque.
La mondialisation ne peut pas fonctionner, sauf à se maintenir sous une forme autoritaire, même si ça ne se sent pas, même sans KZ ou goulag. Et ce à quoi nous assistons n'est rien d'autre qu'une révolte (récupérée souvent par des imposteurs), certes sans issue, immédiate du moins, comme l'étaient les jacqueries sous l'ancien régime, mais une révolte quand même.

A.

 

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