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mardi 27 mars 2018

Un billet pour rien (fin mars 2018)

J'ai déjà utilisé ce titre pour un blog sur L'Obs ("bad good old times"). Ce désenchantement tient à la fois de l'entropie et donc de l'invisibilité croissantes sur les réseaux et - conséquence ultime de l'entropie - du tarissement de la parole. Or, j'écris : à force de la pratiquer, l'écriture est devenue un moyen d'expression per se, qui réclame son dû même si l'on a rien à dire, ce qui d'ailleurs se constate un peu partout. Ce n'est pas qu'on n'a pas envie de parler de l'essentiel, c'est l'existentiel qui nous accapare entièrement.

News

L'Allemagne a donc un gouvernement. La belle affaire. On a passé des semaines, des mois, des tonneaux d'encre sur le sujet. Qu'est-ce qui reste à dire dans la logorrhée ambiante : que Merkel succède à Merkel ? - Et l'affaire de Trèbes au carrefour du Minervois ? Honneur au représentant de l'ordre : un héros contemporain. Mais les héros sont légion dans l'histoire humaine, ce qui n'enlève rien, bien sûr, à l'acte héroïque de cet officier. Or, paradoxalement, l'autre aussi est considéré comme un héros : par les "siens", ceux qui l'ont embrigadé, ce Carcassonnais paumé entre les quartiers pourris du centre ville et la belle Cité. - Et la guerre commerciale qui apparemment s'annonce : est-ce encore l'un des emberlificotages chers au "real Trump" ? - Sans oublier que Poutine succède à Poutine. Et Sissi à Sissi... 

Les news nous harcèlent de toutes parts, font parler, "couler de l'encre". Et il n'y a pas que la politique et l'économie. Il y a aussi les faits divers et les sports. J'aurais dû être pigiste pour L'Équipe, journal extrêmement bien écrit, j'aurais au moins appris quelque chose. Mais je n'écris pas seulement dans l'anonymat, j'aigris dans les regrets aussi. La pire des choses qui puisse arriver au scribaillon : l'aigriture !

Le Salon du Livre

Soyons donc optimistes et allons de l'avant puisque le futur nous appelle, à en croire ingénieurs, chercheurs, développeurs et publicitaires. Mais je me souviens maintenant : je voulais parler du Salon du Livre de Paris. Comparé à Francfort, il périclite sérieusement. Les Russes étaient à l'honneur cette année. Mais le groupe Hachette (Fayard, Grasset, Stock...) ou L'Archipel et d'autres n'exposent plus, et les indépendants ne sont pas regroupés comme à Francfort, ils sont d'ailleurs les premiers à s'en plaindre, même si certains n'ont pas encore pris conscience des avantages pour le visiteur et donc pour l'exposant. En plus ce serait peut-être moins cher au prix de groupe...

Le marché du livre est une énorme machine, extrêmement sophistiquée, à multiples niveaux et plate-formes, dont à Francfort le salon des agents fermé au public. Et les rendez-vous des responsables des Foreign Rights y sont pris à l'avance et d'une durée maximale de 15 minutes pour le tout-venant. Il y a également les stars qui, comme dans les autres disciplines, ne méritent pas forcément leur place. Sur le plan strictement littéraire, s'entend. D'autres y excellent incontestablement. Et il y a les spécialistes qui présentent en direct les bouquins aux médias et en particulier à la TV, comme Denis Scheck en Allemagne.


La partie émergée de cette affaire ce sont les listes de best-sellers, les hit-parades des bouquins. Parfois ce ne sont pas les plus connus qui vendent le mieux : le marché des thrillers par exemple est énorme. Et gore à souhait : ça vous amène dans les profondeurs cauchemardesques de l'esprit humain, et il paraît que les meufs plus encore que les mecs sont fanas de ce genre...

La démocratie sous influence

Mais pour revenir aux "informations" :  le scandale des Big Data de Facebook via Cambridge Analytica semble également s'étendre à l'influence considérable sur le vote du Brexit que l'utilisation frauduleuse (sans consentement) des données personnelles a pu exercer en faveur du leave, selon un certain Christopher Wylie, whistleblower de son état. Il s'agit - aux USA et en UK - du contraire de l'information : la fameuse "fake news" chère à Trump, ou la "désinformation" en termes plus classiques. Or ce n'est que la moitié du menu : l'autre est servie par les "influenceurs", créateurs de tendances et d'opinions (publiques), qui travaillent ici sur la politique comme on travaille la pub d'une marque : à coups de "préparation de cervelle" (P. LeLay 2004) ! - Si les informations de Christopher Wylie, ancien Directeur de Recherches à Cambridge Analytica, données le 26 mars 2018 dans une interview à Libération (*), puis ce 27 mars 2018 devant les Législateurs du Royaume-Uni (UK Lawmakers - vidéo ci-dessous en anglais) correspondent aux faits, les conséquences seraient extrêmement graves pour la crédibilité et la pertinence d'un référendum populaire comme le vote du Brexit, qui se jouait à 2 pourcents avec une participation de 72,2% ...

(*) Voici un extrait significatif de l'interview donné entre autres à Libération (ainsi qu'à Die Welt, Der Spiegel, El País, NRC, Polska, le Monde) > "Sans Cambridge Analytica, il n'y aurait pas eu de Brexit"
Q. - Est-ce que le vote en faveur du Brexit aurait eu lieu sans Cambridge Analytica ?

C.W. - Non, ils ont joué un rôle crucial, j’en suis sûr. Il y a deux aspects dans le scandale. D’une part, Cambridge Analytica a admis la semaine dernière avoir effectivement travaillé avec le groupe de campagne «Leave.EU». L’autre aspect, c’est que AggregateIQ [une entreprise canadienne issue de Cambridge Analytica, ndlr] a aussi travaillé avec Cambridge Analytica sur un système qui a permis à Leave.EU de dépasser son plafond de dépenses, et d’utiliser près d’un million de livres pour cibler la population. Sans AggregateIQ, le camp du «Leave» n’aurait pas pu gagner le référendum, qui s’est joué à moins de 2% des votes. Or, 40% du budget de «Vote Leave» est allé à AggregateIQ, c’est beaucoup. Cette entreprise a joué un rôle pivot dans le référendum. Elle a travaillé main dans la main avec Cambridge Analytica. Si vous ciblez un petit nombre spécifique de personnes avec des milliards de publicité, cela peut suffire à gagner suffisamment d’électeurs.

Q. - Cela pourrait, mais ce n’est pas sûr ? Qui peut dire que cela a vraiment fait basculer le vote sur le Brexit ?

C.W. - Mais tout est là. Ce vote est terriblement important pour ce pays, pour l’Europe. Les électeurs doivent avoir confiance dans leurs institutions démocratiques. Tricher, c’est tricher. C’est comme avec un médaillé d’or aux Jeux olympiques qui perd son titre après un contrôle antidopage positif : qui peut dire qu’il n’aurait pas gagné la médaille d’or sans se doper ? Personne. Mais la médaille lui est retirée, parce qu’il a triché. Parce que cela remet en question l’intégrité de tout le processus. Ce que je dis, c’est qu’il s’agit ici de l’intégrité du processus. Il doit y avoir une enquête sur tout le processus du référendum. Il ne s’agit pas d’une petite élection locale, il s’agit de l’avenir du pays.


[à suivre]


mardi 14 avril 2015

Günter Grass (1927-2015)

Nécro plus ultra

Au lendemain de la mort de Günter Grass, les nécros envahissent les colonnes de la presse allemande. Comme je ne suis pas spécialiste en la matière, je me contente de vous traduire deux extraits pondus par les pros pour marquer cette disparition d'un homme hors du commun qui avait outre-Rhin la dimension d'un Sartre ou d'un Camus en France. - Le Spiegel écrit [ici] :

L'histoire de Günter Grass est également l'histoire de la République Fédérale d'Allemagne. Et l'histoire de la République Fédérale est celle de Günter Grass.

À l'image de la République, qui pendant longtemps a refoulé le suivisme nazi de larges parties de sa population, Grass s'est tu sur sa période à la Waffen-SS. Lorsque dans les années cinquante après la Seconde guerre mondiale le pays se tourna vers le voisin français, lorsque Konrad Adenauer et Charles de Gaulle œuvrèrent à la réconciliation, Grass habitait à Paris. Lorsque dans les années soixante la majorité politique se décala vers la gauche, Grass fit la promotion du SPD et aida sa tête de liste Willy Brandt dans la campagne pour l'élection du Bundestag. À la fin de la décennie, il se battait avec les soixante-huitards contre les lois d'exception.

Au milieu des années soixante-dix, Grass se retira de la politique – la « nouvelle intériorité » dominait le sentiment existentiel des intellectuels de l'époque – pour ensuite, au début des années quatre-vingt, manifester au sein du mouvement pour la paix contre le surarmement de l'Otan. En 1990 il critiqua la réunification, puis la réforme du droit d’asile, qui le fit quitter le SPD. Le capitalisme, il le critiqua de toute façon. Et bien sûr aussi l'énergie atomique.

Dès que le mainstream de la gauche libérale – appelé « rouge-vert » à présent  – défendait une cause, Günter Grass en était. « Assieds-toi sur ton cul et écris un nouveau livre au lieu de coller ton nom sur des milliers de manifestes », l'avait un jour engueulé Fritz J. Raddatz, le grand éditorialiste culturel de cette époque.

Mais il serait faux de conclure que Günter Grass était un opportuniste, un faiseur d'opinion sans opinion personnelle, qu'il suivait les modes politiques.



De gauche à droite : Grass, l'acteur David Bennent et le réalisateur Volker Schlöndorf
sur le tournage du Tambour en 1979 (photo dpa in Der Spiegel)

samedi 4 janvier 2014

Ernst Jünger et les commémorations 1914/2014

La boue, la mitraille (maintes fois Jünger note qu'il pleut littéralement du métal), les hommes qui tombent autour de lui: curieusement, le lieutenant Jünger, dont l'héroïsme fou lui vaudra de recevoir la plus haute décoration allemande (la croix pour le Mérite), promène un regard presque indifférent sur l'horreur absolue dont il est le témoin. - Car la guerre est, chez lui, comme un jeu vidéo avec des balles réelles. But du jeu? Tuer le plus d'ennemis possible sans cependant les haïr.

C'est ce qu'écrit Didier Jacob - l'excellent critique littéraire du Nouvel Observateur qui y tient également un blog- à l'occasion de la sortie française des Carnets de guerre 1914-1918 de l'écrivain allemand Ernst Jünger. - Ma première réaction, plutôt viscérale, s'est matérialisée dans un commentaire sous cet article de présentation :

Jünger était un apologète de la violence et, s'il n'était pas nazi, il a toutefois joué les idiots utiles du régime, notamment sous l'occupation en France. On ressort ses carnets de guerre à l'occasion de ces macabres commémorations 1914/2014 qui nous attendent : un acte commercial et nauséabond. Après le nazi avéré Heidegger, la France est la terre d'accueil du militariste Jünger. - Avec tout ce qui se passe par ailleurs, on est en droit de se poser des questions...

Je le reconnais volontiers : ce n'est pas un commentaire de haute volée, mais il exprime sous forme de raccourci le fond de ma pensée. - Pour vous dire : Der Spiegel commence cette semaine une série sur la Première guerre mondiale.

samedi 5 octobre 2013

Point d'interrogation

Je ne sais pas si cela vous arrive : Se remettre soi-même en question, interroger ses certitudes. Se dire au besoin : Mais qui est ce personnage que j'incarne ? D'où m'est-il venu ? Pourquoi faut-il que je joue toujours le même rôle ?


Heureux acteurs : Ils changent de peau à loisir ! Et, lorsqu'ils sont très demandés, ils choisissent leurs rôles ! Et, lorsqu'ils sont très bons, ils choisissent des rôles très différents.


Par rapport à eux, nous ne sommes que de pauvres emplois.


Rilke écrit [je traduis] :


L’ai-je déjà dit ? J’apprends à voir - oui, je commence. Ça fonctionne encore mal. Mais je compte bien utiliser mon temps.
Et
je n’ai, par exemple, jamais pris conscience du nombre de visages qui existent. Il y a un grand nombre de gens, mais bien plus de visages encore, car chacun en possède plusieurs. Voilà des gens qui portent un visage des années durant ; il s’use bien sûr, il se salit, il se casse au creux des rides, il s’élargit comme un gant que l’on a porté au cours d'un voyage. Ce sont des gens simples, économes ; ils n’en changent pas, ils ne le font même pas nettoyer. Il fait l’affaire, assurent-ils, et qui peut leur prouver le contraire ? Comme ils ont plusieurs visages, la question se pose cependant : que font-ils des autres ? Ils les conservent. Leurs enfants doivent les porter. Mais il arrive également que leurs chiens sortent avec eux. Et pourquoi pas ? Un visage est un visage.
D’autres gens enfilent leurs visages incroyablement vite, l’un après l’autre, et ils les usent. D’abord, il leur semble qu’ils les possèdent pour toujours, mais ils ont à peine quarante ans qu'ils en sont déjà au dernier. Bien entendu, cela ne va pas sans un certain tragique. Ils ne sont pas habitués à ménager les visages ; leur dernier est cuit en huit jours, il a des trous, en de nombreux endroits il est fin comme du papier, et peu à peu le support se révèle, le non-visage, et ils se promènent avec ça.


Rainer Maria Rilke : Les Carnets de Malte Laurids Brigge (1910)

mardi 25 février 2003

Nécro (2003)

Billet écrit le 25 février 2003

"Nécro"


- T’as entendu ? il est mort !
- Qui ça ?
- Blanchot.
- Connais pas...
- Quoi? tu connais pas? t’as pas lu L’Arrêt de Mort ?

Etc. Un dialogue de nécrophiles. De préférence sur une tombe du Père Lachaise...

- T’as vu, on est sur Balzac !
 - ...?!?

Puis nos deux nécrophiles se retrouvent dans une brasserie devant leurs bières, et le dialogue se poursuit:

 - ...Alors, ils m’ont collé la nécro de Blanchot...!
- C’est qui ça...?
- Je viens de t’en parler, sur Balzac...

Mais prenons plutôt deux critiques littéraires pour poursuivre ce dialogue. Ils se vouvoient. C’est l’usage. Cherchez la femme...

- ...La nécro de Blanchot...? Vous l’avez connu...?
 - Très peu... Et je l’ai très peu lu, surtout...
- Alors comment vous allez faire...?

 - J’ai demandé à un camarade...

Deux cigarettes plus tard:

- C’est dur de mourir...
À quatre-vingt-quinze piges ?
-  À propos de piges, je voulais vous demander : Jean-Pierre Miquel, vous l’avez bien connu...?