mercredi 18 mai 2011

Le feuilleton DSK

Alors que Dominique Strauss-Kahn passe ses journées et ses nuits dans le complexe pénitentiaire de Rikers à New-York, on commence à réclamer sa démission du FMI et à faire son deuil au PS. - Quelle que soit l'issue de la bataille judiciaire qui s'annonce, l'homme ne se relèvera sans doute jamais de cette épreuve. - Mais que s'est-il donc passé ? Devant l'ignorance qui est la nôtre, nous ne pouvons que spéculer : DSK a voulu "s'amuser" et le jeu a mal tourné ? On ne sait rien, ou presque, de celle que l'on appelle la "victime présumée" : employée depuis quelques années au Sofitel de New-York, Nafissatou Diallo, âgée de 32 ans, serait d'origine guinéenne (ou sénégalaise) et aurait une fille de neuf (ou quinze) ans, qu'elle élèverait seule dans le quartier populaire du Bronx. Si les avocats de la défense vont s'acharner à trouver des failles dans sa vie, on n'entend pour l'instant que les voix qui disent du bien d'elle. - À l'heure qu'il est, elle serait "effondrée" : non seulement à cause de l'agression sexuelle dont elle dit avoir été l'objet, mais sans doute aussi en raison de la dimension que prend l'affaire. La voilà hébergée dans un lieu "sûr", sous protection policière, dans l'incapacité de se rendre à son travail et donc de gagner de l'argent. La voilà dans le rôle de celle qui fait chuter l'un des hommes les plus puissants de la planète. Et la voilà donc avec plein de gens qui lui en veulent ou qui a harcèlent pour obtenir une "interview exclusive" avec une photo qui fera la Une de tous les journaux et magazines du monde...

En admettant que sa version des faits, qui a été retenue par le procureur, corresponde à cette fameuse vérité judiciaire dont on attend encore la "manifestation", la jeune femme est évidemment "dépassée par les événements". Lorsqu'elle s'est réfugiée auprès de ses collègues du Sofitel en disant que le Monsieur de la suite 2806 l'a agressé sexuellement, elle ne s'attendait pas à un tel raz-de-marée médiatico-politique. Aurait-elle réagi de la même façon en connaissant les conséquences ? A-t-elle peut-être exagéré les faits ?


Bien sûr, il y a les "théories du complot", les "machinations" et "manipulations" que l'opinion n'a pas manqué de colporter. Quelles sont-elles ?  "Quelqu'un" a voulu "abattre" Dominique Strauss-Kahn en plaçant sur sa route cette femme de chambre, évidemment complice et grassement payée, qui aurait invité le Monsieur de la suite 2806 à l'un de ces jeux sexuels dont il raffole, pour ensuite, après l'avoir griffé, s'enfuir en criant au viol. - On cherchera le coupable ou bien dans la finance internationale ou bien sur la scène politique française. - Mais, si tant est qu'elle a menti, la femme de chambre a très bien pu agir pour son compte personnel en espérant une compensation financière de la part du riche Monsieur de la suite 2806.


Or, jusqu'à preuve du contraire, elle a pu tout simplement dire la vérité. Elle ne s'est pas laissée faire et n'a pas voulu qu'une telle agression reste impunie. Ou alors, si ses intentions étaient moins pures mais tout aussi humaines, elle a tout de suite pensé aux avantages matériels qu'une plainte lui procurerait. Et puis il y a eu les "conséquences" : braquage de projecteurs, médiatisation globalisée, protection du témoin, incarcération d'un homme avec "rang de chef d'État"...



Et M. Strauss-Kahn, s'il a effectivement commis les faits qui lui sont reprochés, a-t-il pensé un instant à ces conséquences ? Démission honteuse du FMI, fin abrupte d'une carrière politique si prometteuse en France... S'agissait-il, comme on l'entend dire, d'un "acte manqué", d'une réponse inconsciente au choix impossible entre la direction du FMI et la candidature à la primaire socialiste ?


La médiatisation de l'affaire donne également à penser : S'il est dans les habitudes américaines de montrer les images des prévenus, menottes aux poignets ou face au juge au cours de l'audience préliminaire, de telles images sont proscrites en France. Pourtant les médias français n'ont pas hésité à les faire tourner en boucle. Dès lors, cette position humiliante de Dominique Strauss-Kahn ne peut plus être effacée des réseaux et des mémoires, au cas où il serait innocenté par la justice.


Cette médiatisation procède du "choc" - ou, comme on l'affirme aussi, du "traumatisme" - que l'arrestation de M. Strauss-Kahn à New-York a pu générer chez le grand public, suscitant du même coup un engouement considérable pour cette affaire. Et il y a le chef d'inculpation qui sied si peu à un homme de la stature de DSK : une tentative de viol ! - Le Point a traduit l'acte d'accusation [ici] où l'on peut lire ceci : l'accusé 1) a fermé la porte de la pièce et a empêché la plaignante de quitter cette pièce ; 2) s'est saisi de la poitrine de la plaignante sans son consentement ; 3) a tenté de retirer de force le collant de cette personne et de toucher ses parties génitales de force ; 4) a forcé la bouche de la plaignante à toucher son pénis à deux reprises ; 5) a pu commettre ces actes en utilisant sa force physique.


lundi 16 mai 2011

DSK : Les sondeurs ont l'air fins


Depuis des mois, les sondages pronostiquaient la victoire de Dominique Strauss-Kahn aux élections présidentielles de 2012. Ce matin encore, on peut entendre sur France Inter que DSK ne va pas pouvoir "maintenir sa candidature". Faut-il rappeler qu'il n'est pas - et ne sera probablement jamais - candidat à cette élection ?

Lorsque la réalité rattrape la démocratie virtuelle qui nous est quotidiennement assénée, les commentateurs se réveillent souvent en "catastrophe". Et, dans le cas présent, il n'y a pas l'ombre d'un mea culpa. On fait "profil bas" : ce sont des "impondérables", des "aléas". Pourtant, combien de pages, de commentaires, de spéculations sont aujourd'hui effacés par un simple "fait divers" ?

De plus, le crime n'est que "présumé". Une fois encore, on ne sait rien, ou si peu, de cette affaire. De deux choses l'une : ou bien DSK a commis les faits qui lui sont reprochés, ou bien la femme de chambre qui l'accuse est une affabulatrice, voire le maillon d'une machination visant à faire tomber, au choix, le directeur du FMI ou le candidat potentiel à la présidentielle française.

Ce soir on saura si M. Strauss-Kahn sera libéré sous caution. Il pourra alors donner sa version de l'histoire. - La procédure judiciaire devrait prendre "quelques mois". Si DSK est blanchi, les socialistes pourront encore l'intégrer dans leurs primaires dont le calendrier serait alors revu. Et d'ici là, il sera sans doute remplacé à la tête du FMI. D'ailleurs, il l'est déjà, ce matin, par son second, John Lipsky, qui n'en demandait pas tant puisqu'il avait prévu d'arrêter le job de vice en août prochain.

Ajoutons que la France a une propension à l'égocentrisme que cette affaire révèle une fois de plus : si "machination" ou "manipulation" il y a, c'est bien sûr pour empêcher DSK d'être le candidat attendu à la présidentielle. Jamais on ne pense que la finance internationale a pu vouloir dégommer un socialiste à l'origine des plans d'aide aux pays européens pris dans la "crise de la dette" ?

Ce soir, on apprend que, contrairement à la remise en liberté sous caution que l'on attendait, M. Strauss-Kahn est maintenu en détention sur décision de la juge, Mme Melissa Jackson, qui présidait son audition préliminare, et ce jusqu'au 20 mai prochain, date à laquelle il comparaîtra devant un jury populaire qui, comme le veut un adage new-yorkais, serait capable "d'inculper un sandwich". L'Express nous en dit plus [ici] : Cette chambre d'accusation doit se réunir dans les trois jours, selon le professeur de droit Randolph Jonakait, de l'école de droit de New York. Composé de 16 à 23 jurés populaires, le grand jury se réunira en l'absence d'un juge, pour entendre les éléments de preuve de l'accusation, et potentiellement le témoignage de la victime. "Si la femme témoigne", il y aura inculpation, ajoute le professeur de droit.  - "Ce n'est pas comme un procès, il n'y a pas d'interrogatoires croisés, [l'accusé] ne peut pas citer de témoins", explique-t-il. Ni Dominique Strauss-Kahn, ni son avocat ne seront présents, à moins qu'ils le demandent. Il peut témoigner, son avocat peut être présent, mais ce dernier ne peut pas s'exprimer. - Si le grand jury inculpe formellement DSK, c'est devant un magistrat d'une juridiction plus élevée, la "New York Supreme Court", qu'il devra comparaître pour se faire signifier officiellement son inculpation. C'est là que "le procureur doit livrer plusieurs éléments de preuve à la défense", et que chaque partie commence à bâtir un dossier.  - "Normalement le procès serait organisé dans un délai de trois mois à un an", a précisé Randolph Jonakait.

dimanche 15 mai 2011

DSK arrêté pour agression sexuelle

Le Wall Street Journal [here] nous apprend que "M. Strauss-Kahn a été arrêté samedi à New York pour une agression sexuelle présumée sur une femme de chambre dans un hôtel de Manhattan, selon les autorités. D'après un officiel de la Justice, M. Strauss-Kahn aurait forcé une femme de ménage dans son lit et l'aurait agressée sexuellement vers 13 heures samedi [heure locale] dans sa chambre de l'hôtel Sofitel près de Times Square."

Associated Press [here] donne d'autres détails (je traduis) : "Dominique Strauss-Kahn a été extrait d'un vol Air France à l'aéroport international John F. Kennedy par des officiers des autorités [aéro]portuaires de New York et New Jersey et il a été remis à la police pour une audition samedi après-midi, a déclaré Paul J. Browne,  porte-parole du New York Police Department [NYPD]. - Strauss-Kahn a été placé en détention dimanche à 2h15 du matin [heure locale], inculpé d'un acte sexuel criminel [sic], de tentative de viol et de séquestration illégale [sic], en attendant son audition préliminaire [par un juge], a ajouté la police. - Son avocat, Benjamin Brafman, n'a pas pour l'instant répondu au téléphone ou aux e-mails envoyés par Associated Press pour solliciter ses commentaires. - La femme de 32 ans a déclaré aux autorités qu'elle est entrée vers 13 heures, heure locale, dans la suite de Strauss-Kahn... et qu'il l'a assaillie, a dit Browne. Elle affirme qu'on lui a demandé de faire le ménage dans la vaste suite à 3000 dollars la nuit, dont on a affirmé qu'elle serait vide. - Selon la déposition de la femme à la police, Strauss-Kahn, nu, a émergé de la salle de bains, l'a poursuivie dans le couloir et l'a entraînée dans une chambre à coucher, où il a commencé à l'assaillir sexuellement. Elle a ajouté qu'elle a réussi à se défaire, puis il l'a entraînée dans la salle de bains, où il l'a forcée à pratiquer un rapport oral, tout en essayant de lui ôter ses sous-vêtements. La femme a réussi à se libérer une fois de plus, s'est enfuie de la suite et a dit au personnel de l'hôtel ce qui s'était passé, selon les autorités. On a alors appelé la police. Quant les détectives de la police de New York City sont arrivés sur place quelque temps après, Strauss-Kahn avait déjà quitté l'hôtel, en oubliant son téléphone, a dit Browne : 'Il semble qu'il est parti dans la précipitation', a-t-il ajouté. - Le NYPD a découvert qu'il se trouvait à l'aéroport et a contacté les autorités [aéro] portuaires, qui ont extrait [Strauss-]Kahn de la première classe du vol Air France dont le départ était prévu à 16h40 [heure locale] et qui se préparait à quitter la porte d'embarquement. - La femme de chambre a été emmenée à l'hôpital où elle a été traitée pour des blessures mineures. John Sheehan, un porte-parole de l'hôtel, a déclaré que son personnel collaborait à l'enquête."

Si cette accusation s'avérait fondée, ce n'est pas seulement la crédibilité de DSK comme directeur du FMI, mais également sa participation aux primaires socialistes qui seraient fortement compromises. Une liaison du politicien avec une collaboratrice du Fonds Monétaire International avait déjà entaché sa réputation et donné lieu à une enquête pour "abus de pouvoir" en octobre 2008. - Très récemment, les accusations plutôt anecdotiques de porter des costumes à 30.000 dollars et de profiter de la Porsche d'un ami ont fait réagir l'intéressé, qui a porté plainte contre France-Soir, le journal ayant diffusé ces informations.

Interrogé par Europe 1 ce dimanche,  l'ancien conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali, s'est risqué au pronostic suivant : "La situation politique internationale va changer. Le Fonds monétaire international va devoir au moins avoir un directeur général intérimaire et je ne pense pas, sauf manipulation dans cette affaire, que DSK soit candidat à la présidentielle" [ici].

Manipulation ? - Vous avez dit manipulation ?

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Ce qui se présente comme une (nouvelle) "Affaire DSK" n'a pas manqué de faire les choux gras de la presse nationale et internationale en ce dimanche, habituellement consacré au repos et aux déjeuners en famille. On imagine, comme l'affirme la femme de chambre qui déclare avoir été agressée sexuellement par l'homme politique, Dominique Strauss-Kahn surgissant tout nu de la salle de bains pour se jeter sur cette pauvre fille venue faire le ménage dans cette suite à 3000 dollars la nuit, comme s'empresse de le préciser AP : tout en haut de la pyramide de notre belle civilisation occidentale, cet homme serait donc aux prises avec une pulsion sexuelle animale, bestiale, incapable de contrôler ses instincts à la manière d'un satyre en rut.

Les commentaires n'ont cessé de pleuvoir depuis l'annonce en début de matinée de l'arrestation du présumé violeur par la police new-yorkaise. - Par la bouche de son avocat joint par l'AFP [ici], on apprend en début d'après-midi que l 'intéressé nie les faits et plaidera "non-coupable" lors de sa présentation à un juge dans la journée. Le site de France 2 propose un choix de réactions qualifiées de "prudentes" [ici] : - Martine Aubry s'est dite "stupéfaite" par ce "coup de tonnerre", et la première secrétaire du PS en appelle à la "présomption d'innocence". - Pour le député UMP Bernard Debré, DSK est un "homme peu recommandable" : "C'est humilier la France que d'avoir un homme qui soit comme lui, qui se vautre dans le sexe, et ça se sait depuis fort longtemps" - Marine Le Pen : "Les faits qui sont reprochés à Dominique Strauss-Kahn, s'ils sont avérés, sont d'une très grande gravité. Il est définitivement discrédité comme candidat à la plus haute fonction de l'État". François Bayrou : "Tout cela est confondant, navrant et infiniment troublant". - Pierre Moscovici, proche de DSK : "Je pense qu'il faut faire preuve de retenue ... Attendons la version des faits de DSK. Je le connais depuis 30 ans, cela ne ressemble pas à ce que je connais de lui".

Il y a fort à parier que ce feuilleton médiatique risque de s'étaler pendant un temps indéfini sur les Unes de nos quotidiens. Les théories fuseront : Voulait-on "abattre" DSK ? Qui a intérêt à faire une chose pareille ("suivez mon regard") ? Il est certain que, pour l'heure, la procédure judiciaire qui s'annonce n'est basée que sur les dires de la femme de chambre du Sofitel new-yorkais : c'est donc la parole de l'une contre celle de l'autre. Le combat s'annonce inégal, étant donné l'avantage en termes d'assistance juridique que possède à priori un directeur du FMI sur une petite femme de ménage. Mais d'aucuns se proposeront sans doute de pallier à ce déséquilibre ...