Le souci avec les courants anti-musulmans actuels, c'est qu'ils sont tout simplement racistes, de la même manière que l'ont été – et le sont toujours – les idéologies qui, désignés par le concept polémique et incohérent d'« antisémitisme », visent les citoyens juifs. Le pire dans cette histoire, c'est qu'une partie des polémistes qui ciblent actuellement les citoyens musulmans revendiquent eux-mêmes une « origine » juive : or, à la première occasion, ils pourraient à nouveau être touchés par l'incendie qu'ils contribuent à alimenter.
Dans cet ordre d'idées, la formule selon laquelle l'Europe aurait des racines judéo-chrétiennes est parfaitement hypocrite. Les populations stigmatisées comme juives ont toujours été persécutées sous les prétextes les plus fallacieux (« peuple déicide ») et voici soixante-dix ans seulement – à peine une vie d'homme – des citoyens parfaitement assimilés périssaient encore à cause d'une prétendue « origine » dans les camps d'extermination.
Le racisme est sans doute l'un des maux les mieux partagés au monde. À peu près toutes les populations unies par quelque lien plus ou moins arbitraire ou artificiel ont leurs bêtes noires, leurs boucs émissaires, et les arguments ne manquent jamais pour discréditer tel groupe humain dans le but de renforcer l'unité précaire de tel autre.
Le problème est que les groupes humains discrédités, persécutés sont « déshumanisés », transformés en abstractions : ainsi, les pilotes des bombardiers de Dresde et de Hiroshima, ou ceux qui ont jeté le zyklon B dans les chambres de la mort ont pratiqué l'assassinat en masse sur une entité abstraite avec laquelle il ne fallait surtout pas avoir de relation concrète, personnelle, humaine. La persécution et l'assassinat systématique des « Juifs » par les « Allemands » entre 1933 et 1945 – pour mémoire : ashkénaze veut dire allemand en hébreu ! – pourrait alors être le cas extrême d'une compulsion de répétition meurtrière qui concerne l'ensemble de l'espèce humaine, dont les racistes en particulier fournissent l'outillage théorique : la "rationalisation" des violences, des exactions, des monstruosités passées, présentes et à venir, que les persécutés d'hier envoient comme une arme de destruction massive à la figure des persécutés d'aujourd'hui visant déjà ceux qui, dès demain, entreront dans la ronde macabre.
Je crains qu'il faille s'y résigner : les êtres humains n'apprendront jamais rien de leurs erreurs. Puisque même - et surtout - les plus intelligents d'entre eux viennent nous expliquer qu'il faut s'habituer à l'horreur humaine, en désignant toujours de nouveaux coupables à persécuter, à « éliminer » : coupables à l'origine, coupables par essence, coupables de toute éternité. Alors qu'en réalité, il n'y en a qu'un, seul et unique survivant du genre homo : l'auto-proclamé sapiens qui réussit, de génération en génération, de civilisation en civilisation, à transformer la vie en enfer et ses semblables en anges exterminateurs ou en « bêtes » sacrificielles.