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jeudi 1 octobre 2015

Race ? Vous avez dit "race" ?

Race signifie également course en anglais (déformation professionnelle). - J'ai déjà publié une ou deux notes sur le sujet, bien que la vie m'ait appris qu'il est vain de vouloir "ramener à la raison" un raciste convaincu en usant d'arguments scientifiques, notamment biogénétiques. En ce sens, le racisme relève bien de la doxa, de l'opinion, de la conviction, de l'idéologie, voire de la foi.

Mais dites à un religieux que son dieu est une invention humaine, destinée à servir - justifier, légitimer - un pouvoir politique, résolument terrestre : vous allez entendre parler du pays ! - Et dites à un raciste invétéré que les races humaines sont des inventions pour asseoir la supériorité d'un clan, d'une tribu, d'une ethnie. d'un peuple, d'une nation sur d'autres, vous aurez gagné votre journée !


mardi 15 septembre 2015

Bien-pensance

De toute évidence, le sens actuel de la « bien-pensance » n'englobe pas celui de « bien penser ». Car ceux qui utilisent cette expression polémique pour fustiger les  « bien-pensants » sont eux-mêmes convaincus de bien penser. En conséquence, ils pensent également que les autres pensent mal. – Je ne sais pas si le concept de « mal-pensance » existe. Si oui, il ne devrait pas non plus avoir le sens de « mal penser », mais bien celui de penser du mal des « bien-pensants ». – En revanche, les «  bien-pensants » pourront toujours se référer à une devise qui, ne datant pas d'hier, rassurera au moins les traditionalistes : « Hon[n]i soit qui mal y pense. » [ici p.ex.]

En feuilletant l'encyclopédie Wikipédia, on est surpris de lire ceci : « L'expression apparaît en 1931, sous la plume de l'écrivain catholique et royaliste Georges Bernanos, à l'époque ouvertement antisémite, dans l'ouvrage La Grande Peur des bien-pensants. Les "bien-pensants" désignaient les démocrates libéraux, coupables selon lui d'intégrer des citoyens d'origine juive et de diluer l'identité française. » Et l'article se poursuit ainsi : « Lors de la 2ème guerre mondiale, Georges Bernanos décide cependant de rejoindre la Résistance estimant que "Hitler a déshonoré l’antisémitisme" ». Si, avec cette précision hors sujet dans un article sur la bien-pensance, le rédacteur cherche à excuser l'écrivain, je dirais que c'est plutôt raté. Et quand bien même  : tout publiciste, surtout lorsque son œuvre est appréciée du grand public, a une certaine influence sur le formatage de l'opinion et donc, indirectement, sur le cours des événements. L'irresponsabilité et la « viscéralité » – bref : la « mal-pensance » ! – risquent alors de se transformer rapidement en poison mortel.


Mais bon. Apparemment, de l'eau aurait coulé sous les ponts. Aujourd'hui notre expression fait référence au « politiquement correct » ou encore à la « pensée unique », qui seraient avant tout imputables à « la gauche ». Et comme il s'agit d'un concept polémique, nous ne sommes pas étonnés de constater qu'il est surtout utilisé par ceux qui se réclament de « la droite ». – Mais en regardant de plus près, on s’aperçoit que la controverse actuelle mélange un certain nombre de choses, si tant est, bien sûr, que les mots aient encore un sens. En parlant de « pensée unique », je suppose qu'on fait implicitement référence aux systèmes totalitaires alors que, pour l'instant, nous vivons encore dans un pays libre où toutes les opinions sont permises (et où le racisme n'est pas une opinion mais un délit). Il s'agit alors d'un emploi délibérément abusif. – Quant au « politiquement correct », sérieusement, j'ai du mal à repérer de la « correction » dans ce registre, quand les politiciens professionnels de tous bords démontrent au quotidien que tous les coups – même les plus bas – sont permis. Mais peut-être la bien-pensance n'a-t-elle rien à voir avec la politique ? Dès lors, que viennent faire la « droite » et la « gauche » dans cette galère ?

En effet – et il s'agit d'une autre utilisation détournée – le politiquement correct consiste, selon la définition de Wikipédia, « à adoucir excessivement ou changer des formulations qui pourraient heurter un public catégoriel, en particulier en matière d'ethnies, de cultures, de religions, de sexes, d'infirmités, de classes sociales ou de préférences sexuelles. » Dans un entretien intitulé Le bien-pensant, c’est toujours l’autre, la médiatique Natacha Polony va plus loin [ici] :  « Il faudrait déjà rappeler qu’au départ, le politiquement correct désigne une façon d’édulcorer le langage pour éviter de nommer les choses parce que cette dénomination pourrait choquer. Derrière ce terme, il y a l’idée que le réel est violent et qu’on va l’adoucir en niant ou en contournant les problèmes. » – J'ignore cependant si la journaliste s'est rendue compte d'une méprise : ce ne sont pas tant les « choses » que les personnes, et plus précisément les minorités, qu'il s'agit de désigner avec « correction », avec respect. Que l'hypocrisie et le ridicule soient ici de la partie, cela ne fait aucun doute. Mais préfère-t-on vraiment revenir aux insultes et aux brimades d'un passé encore récent ?

***

En Allemagne, le mot « Gutmensch » – littéralement « homme bon » (plutôt que bonhomme)  ou « homme de bien » – possède à peu près le même emploi que l'expression « bien-pensant » en France. Le Duden, dictionnaire de référence, définit comme suit ce mot, en précisant son emploi « en général péjoratif ou ironique » : « Homme [naïf] dont le comportement et l'engagement, perçus comme crédules, exagérés, énervants etc., relèvent du politiquement correct. » – Wikipedia confirme l'affinité entre Gutmensch et bien-pensant, puisque les articles correspondants sont interconnectés. La version allemande valide la tendance française : « Dans la rhétorique politique des conservateurs et de gens de droite, Gutmensch est utilisé comme un concept militant. » – Or, le 23 mars 2015, le quotidien Die Welt propose ce titre surprenant pour un journal libéral-conservateur du groupe Springer : Qui dit Gutmensch mérite sa vague d'indignation [Shitstorm]. Le chapeau résume l'article : « La longue route vers la droite : Ancien patronyme originaire de Moravie, Gutmensch s'est transformé en une expression de haine. Aujourd'hui, il n'est plus possible de l'utiliser. Mais il y en a qui ne s'en sont pas encore aperçus. » Et Matthias Heine d'amorcer sa chronique : « Aujourd'hui, Gutmensch est une expression sarcastique. Une de celles qu'une personne responsable n'utilise plus. Son emploi excessif par les mauvaises personnes l'a rendue inutilisable. Il n'y a plus que les nazis et les idiots sans finesse linguistique pour dire Gutmensch. Et parfois – encore et toujours – des gens qui portent une pince sur le nez et ne sentent pas l'odeur nauséabonde. »


dimanche 12 avril 2015

Quelques mots sur le racisme

Le souci avec les courants anti-musulmans actuels, c'est qu'ils sont tout simplement racistes, de la même manière que l'ont été – et le sont toujours – les idéologies qui, désignés par le concept polémique et incohérent d'« antisémitisme », visent les citoyens juifs. Le pire dans cette histoire, c'est qu'une partie des polémistes qui ciblent actuellement les citoyens musulmans revendiquent eux-mêmes une « origine » juive : or, à la première occasion, ils pourraient à nouveau être touchés par l'incendie qu'ils contribuent à alimenter.

Dans cet ordre d'idées, la formule selon laquelle l'Europe aurait des racines judéo-chrétiennes est parfaitement hypocrite. Les populations stigmatisées comme juives ont toujours été persécutées sous les prétextes les plus fallacieux (« peuple déicide ») et voici soixante-dix ans seulement – à peine une vie d'homme – des citoyens parfaitement assimilés périssaient encore à cause d'une prétendue « origine » dans les camps d'extermination.

Le racisme est sans doute l'un des maux les mieux partagés au monde. À peu près toutes les populations unies par quelque lien plus ou moins arbitraire ou artificiel ont leurs bêtes noires, leurs boucs émissaires, et les arguments ne manquent jamais pour discréditer tel groupe humain dans le but de renforcer l'unité précaire de tel autre.

Le problème est que les groupes humains discrédités, persécutés sont « déshumanisés », transformés en abstractions : ainsi, les pilotes des bombardiers de Dresde et de Hiroshima, ou ceux qui ont jeté le zyklon B dans les chambres de la mort ont pratiqué l'assassinat en masse sur une entité abstraite avec laquelle il ne fallait surtout pas avoir de relation concrète, personnelle, humaine. La persécution et l'assassinat systématique des « Juifs » par les « Allemands » entre 1933 et 1945 – pour mémoire : ashkénaze veut dire allemand en hébreu ! – pourrait alors être le cas extrême d'une compulsion de répétition meurtrière qui concerne l'ensemble de l'espèce humaine, dont les racistes en particulier fournissent l'outillage théorique : la "rationalisation" des violences, des exactions, des monstruosités passées, présentes et à venir, que les persécutés d'hier envoient comme une arme de destruction massive à la figure des persécutés d'aujourd'hui visant déjà ceux qui, dès demain, entreront dans la ronde macabre.

Je crains qu'il faille s'y résigner : les êtres humains n'apprendront jamais rien de leurs erreurs. Puisque même - et surtout - les plus intelligents d'entre eux viennent nous expliquer qu'il faut s'habituer à l'horreur humaine, en désignant toujours de nouveaux coupables à persécuter, à « éliminer » : coupables à l'origine, coupables par essence, coupables de toute éternité. Alors qu'en réalité, il n'y en a qu'un, seul et unique survivant du genre homo : l'auto-proclamé sapiens qui réussit, de génération en génération, de civilisation en civilisation, à transformer la vie en enfer et ses semblables en anges exterminateurs ou en « bêtes » sacrificielles.

samedi 4 octobre 2014

L'argument de la bienpensance

J'ai laissé aujourd'hui un commentaire chez une voisine dont j'apprécie par ailleurs les notes qui touchent à l'art, mais puisque la chose a également été reprise par une autre sympathique voisine dans un contexte différent, je voudrais développer un peu mon argument :

Il ne faudrait pas surestimer notre plate-forme. Je ne pense pas qu'elle soit le reflet de l'opinion publique qui me paraît de plus en plus le résultat d'une manipulation savante sur laquelle je ne m'étendrai pas, mais dont nous sommes tous les victimes, à des degrés divers. Ceux qui s'expriment ici se convainquent peut-être à leurs moments perdus qu'ils peuvent avoir une influence quelconque sur l'opinion des autres ou, pour les plus hardis, sur l'opinion publique en général. Ce que je constate au contraire, un peu comme tout le monde, c'est qu'à de rares exceptions et tentatives de dialogue près, il n'y a que deux réactions patentes : l'assentiment sans réserve et le désaccord le plus profond.

Cette constellation binaire donne lieu à des positions caricaturales, en supposant à l'autre - considéré comme "ennemi à combattre" - une certaine "pensée" inaltérable, toujours identique à elle-même, à l'image de cette fameuse "bienpensance" (*), invariablement attribuée aux gens dits de "gauche" en utilisant, comme une massue, ce signifiant sociologisant qu'est le "bobo", dont on ne sait plus très bien quel genre de personnes il désigne au juste, puisque de toute évidence il ne s'agit plus du "bourgeois bohème", ni d'ailleurs du bourgeois en général, ce qui est plutôt significatif, car on se souviendra peut-être d'une autre expression coup de poing, apparemment passée de mode aujourd'hui : la fameuse "pensée bourgeoise", dont la plupart des "ironiseurs" de la bienpensance conservent de beaux restes.

Dans la sphère où nous exerçons, l'un des problèmes à mon sens peu évoqué est celui-ci : lorsque vous caricaturez la pensée de l'autre pour asseoir la vôtre en contre-point, vous devenez vous-même une caricature ! - Car en assignant à l'autre, dans sa "différence" présumée essentielle, un caractère immuable, statique, vous ne lui interdisez pas seulement d'évoluer et - pourquoi pas ? - d'adhérer à votre point de vue, mais vous focalisez, vous arrêtez votre propre pensée sur le différend postulé, ce qui vous oblige vous aussi à endosser une identité rigide et vous condamne finalement à la stagnation.

Avec les fabricants du consensus, on assiste parallèlement à un nouvel essor des créateurs de dissension et en cela, notre plate-forme est en effet dans l'air du temps : paradoxalement, avec les principes d'identité et de non-contradiction, hérités de la logique formelle, il faut aujourd'hui être en désaccord permanent avec l'autre - camp, parti, clan etc. - que l'on a pris soin de réduire à sa "plus simple expression", dont on guette les moments où il ne serait pas en phase avec ses "principes", déclarés ou supputés, avec l'identité qu'on lui assigne ou qu'il s'octroie lui-même.

Il ne faut pas croire : les consensus sont bien plus larges qu'il n'y paraît. Pour ne prendre que ces exemples : faute de choix, nous avons tous plus ou moins accepté un système basé sur l'argent et les rapports marchands qu'il implique, nous utilisons pratiquement tous les "moyens de communication modernes" et nous consommons sans trop manifester notre désapprobation de la publicité à tous les étages. Toute critique semble ici vouée à l'échec : elle serait d'une trivialité consternante, n'est-ce pas ?

De même : certaines dissensions sont manifestement fictives puisque peu d'entre nous souhaitent, par exemple, que les massacres, qui enflamment à nouveau le monde, se poursuivent éternellement. Et pourtant, nous trouvons le moyen d'utiliser l'horreur ambiante pour nous invectiver copieusement. - De même : la grande majorité de gens trouve que les politiciens au pouvoir se valent par leur incapacité à résoudre la crise de l'hyper-capitalisme, qui frise actuellement la quarantaine, mais il faut continuer à marquer le "camp opposé" à la culotte alors que, dans le contexte présent, un consensus a minima serait requis. Or, puisque tout accord semble condamné d'avance, le maintien du status quo est assuré, et le tour est joué !
***

Petite conclusion personnelle : en essayant de prendre une part active à cet espace d'expression depuis l'été 2013, j'avais espéré des discussions à bâtons rompus sur ce qui s'appelle les "choses mêmes" car je reste convaincu que la pensée est une affaire collective. Mais j'ai assez vite compris ma douleur. On vous somme de vous engager, c'est-à-dire de choisir un camp, de vous ranger vous-même dans un tiroir qui servira ensuite à vous cataloguer, à vous "calculer", à jouer la carte maîtresse de la personnalisation. Les "choses mêmes" n'ayant alors plus guère d'importance, les polémiques ajoutent rapidement au chaos doxologique actuel où les mots n'ont qu'une fonction rhétorique ou pragmatique. - Et puis : lorsque vous essayez de préserver une certaine rigueur intellectuelle dans vos contributions, vous risquez d'être taxé - ouvertement ou plus sournoisement - de prétentieux, de "professoral", ou je ne sais quoi encore. Ce qui veut dire qu'il vous est fortement suggéré de niveler vers le bas, de renoncer à envisager les êtres, les choses, le monde, dans leur complexité, leur nature paradoxale, et finalement de "bétonner", de "fermer toutes les portes", comme diraient les criminalistes. - Enfin : publiant sur Internet depuis plus de dix ans, je savais qu'en venant ici, il ne fallait donner qu'un minimum d'informations personnelles pour ne pas risquer leur détournement abusif. Or, si j'avais parlé de mes origines, des expériences de mes parents et grands-parents, de ma propre vie, présente et passée, cela aurait peut-être clarifié certaines choses, levé quelques ambiguïtés, mais je ne crois pas que cela aurait permis de transformer un solide ressentiment en un début de bienveillance. Et quand bien même : peu importe le corps, l'incarnation, l'expérience que nous voudrions faire valoir dans ce cadre, nous y mènerons toujours une existence résolument cérébrale. - Indéfiniment !

L'homme n'est qu'un roseau le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue ; parce qu'il sait qu'il meurt ; et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien. - Ainsi toute notre dignité consiste dans la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée. Travaillons donc à bien penser. Voilà le principe de la morale.  [Blaise Pascal, Pensées, 3e édition, Paris 1671, XXIII, Grandeur de l'Homme, pp. 171 ssq.]