dimanche 10 décembre 2017

Johnny d'O

Je prends le train en retard. Johnny d'O est mort. Les nécros sont faites, les hommages rendus, les larmes séchées. Le week-end se termine...

Je me souviendrai de Johnny d'O comme d'un personnage hautement médiatique : il était ce bon client qui fédérait les audiences, assurait le spectacle, savait le fin mot...

Johnny d'O était un phénomène transgénérationnel, omniprésent, sur tous les écrans, terrains et scènes, entre le mots, entre les lignes, et sous le fard d'un serment maquillé qui s'en va faire sa nuit...

Johnny d'O était devenu immortel bien avant de mourir : grâce à lui, nous avons nous aussi été délivrés de notre condition de mortels, nous aussi trouvé refuge sous la Coupole, nous aussi gravi le mont Olympia...

Et pourtant c'était un gars bien de chez nous, Johnny d'O, un peu bourge, un peu prolo, un peu sélect, un peu populo : un savant mélange où tout le monde se retrouvait, où il y avait à boire et à manger, à lire et à chanter...

Mais qu'allons-nous devenir désormais ? Qui nous donnera nos variétés quotidiennes ? Qui, tel un grand frère renommé, nous divertira de notre petite histoire anonyme ?

Certes, pour être le nouveau Johnny d'O, ça se bouscule déjà au portillon : il y a les vieux briscards et les jeunes loups, les prétendants au trône qui cherchent eux aussi à reconcilier une nation déchirée, à réunir la foule des petites gens et les grands de ce monde ; mais savent-ils que pour être immortel, il faut que l'artiste soit mort bien avant de recevoir les hommages présidentiels aux Invalides et de défiler sur les Champs-Élysées dans un cercueil doré ?




vendredi 24 novembre 2017

GroKo-Deal ?



Après le "non" catégorique de Martin Schulz (SPD) à une réédition de la Grande Coalition (GroKo) avec l'Union (CDU/CSU) d'Angela Merkel et celui de Christian Lindner (FDP) à une Jamaika-Koalition avec l'Union et les Verts, l'Allemagne fédérale se voit confrontée à l'une de ces situations inattendues qui se sont multipliées ces derniers temps : Brexit, Trump, Macron...

Si le Nein de M. Lindner reste à ce jour difficile à comprendre, M. Schulz ne pouvait qu'opter pour l'opposition devant la chute libre des sociaux-démocrates en septembre 2017 après quatre ans de "collaboration" avec Mme Merkel...

Or, l'entretien de ce jeudi avec le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, a apparemment "fait bouger les lignes", comme dirait l'autre : Papa Schulz est désormais prêt à discuter avec Maman Merkel pour une éventuelle annulation du divorce annoncé...

En effet, les deux autres solutions pour sortir de l'impasse semblent peu convaincantes : d'un côté, un gouvernement Merkel minoritaire, qui resterait très instable et peu efficace ; de l'autre, de nouvelles élections, qui risqueraient de confirmer le résultat de septembre ou en tout cas de ne pas dégager une majorité claire de droite (CDU/CSU/FDP) ou de gauche (SPD/Les Verts/Die Linke)...

Alors il faudra bien - je suppose que les camarades Schulz et Steinmeier se seront mis d'accord sur ce point - mettre un mouchoir sur ses convictions profondes et faire le meilleur deal possible avec la chancelière - tant pis si le SPD y laisse encore des plumes : l'important, dit-on, c'est la stabilité du futur gouvernement allemand, mais aussi la nécessaire réforme européenne, défendue, semble-t-il, par le nouveau président français, qui se retrouve actuellement un peu seul avec ses belles déclarations d'intention...

Pourtant, le tour n'est pas joué, et les négociations s'annoncent longues et ardues : d'abord - Martin Schulz l'a déclaré - la base du SPD sera appelée à voter pour ou contre une nouvelle participation sociale-démocrate au gouvernement, et à ce jeu-là on ne gagne plus à tous les coups ; et puis - si négociations il y a - elles ne commenceront sans doute qu'après les assises du parti prévues le 7 décembre 2017 où - tous les camarades interrogés s'accordent à le dire - M. Schulz sera confirmé à la tête du SPD, même si le doute a pu subsister à ce sujet...

***

Pour expliquer la situation présente, il y a un paramètre que les uns et les autres préfèrent apparemment ignorer au possible : le surprenant résultat des populistes de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) qui, au Bundestag, occupent actuellement 94 sièges sur 709 (avec 12,6% des voix contre 4,7% en 2013). - Si, pour simplifier les calculs, on enlevait ces sièges en supposant que les populistes n'aient pas, comme en 2013, franchi la barre des 5% des voix nécessaires pour entrer au parlement, la majorité serait à 308 sièges : assez pour une coalition Union / Libéraux (326), mais également pour une alliance Union / Les Verts (316).

Mais pourquoi cette ascension fulgurante des populistes dans un pays qui a connu douze ans de dictature barbare et meurtrière ? - Est-ce parce que les partis dits "de gouvernement" se ressemblent trop ? Est-ce donc la conséquence d'alliances "contre nature", comme cette coalition entre sociaux-démocrates et chrétiens-démocrates ? Et puis la politique d'immigration d'Angela Merkel en 2015 - avec sa fameuse déclaration : "Nous y arriverons" ("Wir schaffen das") - n'a-t-elle pas contribué à cet essor formidable du repli sur soi, de la xénophobie, de l'hostilité au projet européen, savamment alimentés par les harangues d'idéologues surgis du passé le plus sombre de l'Allemagne ? - Car, de l'autre côté de la barrière, les problèmes des pauvres - "les plus démunis", comme on aime à dire - et des travailleurs précaires ne sont pas - loin s'en faut - résolus par l'introduction du salaire minimum, imposé par le SPD au 1er janvier 2015 en République fédérale. Beaucoup d'autres mesures seraient nécessaires pour sortir les gens de la précarité, et elles seraient réalisables car, dans l'Allemagne actuelle, le chômage est au plus bas et les caisses de l'État sont pleines...

Devant ce genre de problèmes purement économiques et sociaux - qui réclameraient donc la réduction de la précarité, c'est-à-dire entre autres : des logements abordables, l'amélioration des conditions de travail et le renforcement de la protection sociale pour redonner confiance aux "couches laborieuses" qui, en fin de compte, produisent "nos" richesses ou, au choix, font "tourner la baraque" - les histoires d'intégration et d'insécurité fonctionnent comme un paravent, un "écran total" : de faux problèmes appelés à masquer le démantèlement progressif de l'État social qui, seul, serait à même d'assurer et de maintenir la cohésion de nos sociétés. - Le reste n'est que de la très mauvaise littérature à l'intention de pauvres gens abrutis par un travail stupide, des minima sociaux honteux, des bonimenteurs sans vergogne et une industrie du divertissement à la limite de l'analphabétisme...

Dans cette perspective sociale-démocrate esquissée à l'instant, une nouvelle grande coalition n'est en effet souhaitable qu'avec beaucoup de réserves. Car jusqu'où Angela Merkel pourra-t-elle "aller trop loin" pour se maintenir au pouvoir, et jusqu'à quel point Martin Schulz devra-t-il céder en risquant que le SPD se fasse définitivement broyer pour finir par ressembler au PS français après le passage du rouleau-compresseur Macron ?

C'est ce que les JuSos - les comités de travail des jeunes du SPD qui comptent 70.000 membres et représentent "l'avenir du parti" - ont dû se dire ce vendredi soir à Sarrebruck, où Martin Schulz est venu tenir un discours difficile : "No more GroKo", ont-ils scandé, tandis que le patron avait tout le mal du monde à contenir leur fougue, qui n'était pas seulement le fait de la jeunesse...


[à suivre]

mardi 21 novembre 2017

Jamaïque, c'est fini (et dire que c'était l'île de mon premier amour)


Jamaika - Nein ! - Et apparemment, les nouvelles élections ne sont pas non plus pour demain ! Du coup, l'Allemagne n'a plus de gouvernement capable d'agir et de participer aux débats européens ou climatiques, par exemple : entourée des ministres de la grande coalition  (CDU/SPD) désormais révolue, Angela Merkel reste certes chancelière "par intérim" pour administrer, gérer ou expédier les affaires courantes, mais sans majorité au Bundestag, elle ne dispose plus du pouvoir décisionnel et législatif nécessaire pour effectivement gouverner le pays.

Une situation inédite en Allemagne fédérale...

La balle est maintenant dans le camp du président de la République, Frank-Walter Steinmeier, qui - malgré son appartenance au SPD - est tenu à une stricte neutralité. En effet, sa fonction cesse aujourd'hui d'être simplement "honorifique" ou "représentative", car il lui appartient de dissoudre le parlement et de convoquer de nouvelles élections. Mais, selon un sondage récent qui ne tient pas encore compte de l'échec de Jamaika, celles-ci donneraient actuellement un résultat proche de celui de septembre 2017, même si les choses risquent de changer au cours des prochaines semaines. - Or, le président vient d'annoncer clairement qu'il n'est pas partisan d'un nouveau vote et qu'il va donc réunir cette semaine les chefs des partis pour les sommer de respecter le choix des électeurs. Ce n'est pas gagné car, après l'échec des consultations "jamaïcaines", Martin Schulz déclare de son côté que le "SPD n'est (toujours) pas disponible pour une (réédition de la) grande coalition" et qu'il "ne craint pas de nouvelles élections".

Trois solutions :

1. - Frank-Walter Steinmeier réussit à convaincre les chefs des partis concernés par la Jamaika-Koalition - CDU/CSU/FDP/Les Verts - de reprendre les négociations - et notamment Christian Lindner (FDP) qui, contre toute attente, vient de claquer la porte, alors que Les Verts et l'Union (CDU/CSU) déclarent avoir été "proches d'un accord" après quelque sept semaines (!) de consultations - ou bien il parvient à décider son ex-camarade Martin Schulz de prendre ses responsabilités en revenant sur sa décision et en négociant un nouveau contrat de coalition avec la CDU/CSU.

2. - Si lors de l'élection du chancelier / de la chancelière, Angela Merkel n'obtient qu'une majorité "relative" au Bundestag, le président peut tout de même la nommer chancelière : elle a alors la possibilité de former un gouvernement minoritaire - une option qu'elle refuse actuellement, arguant que "l'Allemagne a besoin d'un gouvernement stable".

3. - Le président dissout le parlement et convoque de nouvelles élections (ce qu'il est seul habilité à faire) en suivant une procédure fixée par la Constitution. Si cette décision est prise, un délai de soixante jours suivant l'annonce doit être respecté avant un nouveau passage aux urnes, qui aurait alors lieu en février ou mars 2018.


D'ici là, le bruit avec la bouche, les harangues et les reproches vont s'amplifier au parlement - dont les séances ont repris ce mardi 21 novembre 2017 sous la direction de Wolfgang Schäuble (CDU), le nouveau président du Bundestag - jusqu'à ce que les "messages" et les "discours" deviennent inaudibles pour les citoyens "ordinaires", ce qui risque une fois encore de favoriser le vote des extrêmes, alors que de toute évidence il s'agit pour les uns et les autres de faire des compromis et de travailler ensemble pour tenter de résoudre les problèmes importants et de plus en plus urgents, non seulement en Allemagne, mais en Europe et en dernier ressort dans le monde entier (guerres et conflits interminables, pauvreté, inégalités des termes de l'échange, paradis fiscaux, changement climatique ...).

[suite]


De g. à dr. : Lindner (FDP) - Merkel (CDU) - Seehofer (CSU) - Özdemir (Les Verts) - Schulz (SPD)

lundi 13 novembre 2017

D'Allemagne


Bundestag 2017 - Est-ce que la Jamaika-Koalition va libérer la marie-jeanne ? - Plus sérieusement : s'ils n'arrivaient pas à s'entendre, la CDU de Frau Mutti, la CSU choucroute-saucisse, le FDP beau gosse et les Verts gentrifiés, il y aurait de nouvelles élections. Du coup, on affiche le sourire sur le balcon exposé en permanence aux caméras de la TV publique qui suit les consultations quadripartites, mais ça doit discuter sec - avec quelques épisodes de soupe à la grimace - à l'intérieur, dans les salons particuliers, où l'on devine les canapés, les berlinoiseries à volonté, et peut-être un fumoir pour ces messieurs du cigare ? - Plus sérieusement (deuxième tentative) : la Bundesrepublik est actuellement sans réel gouvernement, Frau Mutti est certes encore chancelière, mais le trône vacille un brin... Et une chose est sûre : personne ne peut plus prévoir grand-chose en politique, avec les totally imprévus Mr. Trump et Mrs. Brexit, pour ne citer que ceux-là. - Mais si vous tenez quand-même à faire des paris, Madame Maman a encore toutes ses chances (et de beaux restes, comme qui dirait). Quant à Papa Schulz, le Rhénan bourru, bouquiniste comme Wilsberg à Münster, ou libraire comme on dit à Paris, il profiterait certainement de nouvelles élections en cas d'échec jamaïcain car, en dépit des sempiternels sondages médiatisés à donf, cet homme est quand même ce que le SPD a fait de mieux, ces derniers années ou décennies, quand on considère les Ziggy Gabriel et autres Peer "Gros-Doigt" Steinbrück. Beaucoup d'anciens du SPD ne restent d'ailleurs au parti qu'en mémoire de Willy "Le Rouge" Brandt ou peut-être encore de Schmidt-Schnauze, mais certainement pas de Gasprom Schröder. 

Ah ! la politique au pays du polar et des polit-talks, ce n'est pas une mince affaire. Surtout vue de France où, habituellement, on a le droit de se tromper avec Sartre et d'avoir raison avec Aron. En même temps ou à tour de rôle, c'est au choix ! - Faut dire que les Allemands, après des débuts longs et douloureux, sont également devenus des experts en politique, avec une affection particulière pour la correction : si, en France, on se rentre dedans comme le taureau fonçant sur la muleta rouge, en Allemagne on laisse dire - même le politiquement pas du tout correct du nouveau parti à droite toute de Papi Gauland et de son roquet Höcke. On laisse dire parce qu'on est persuadé que ce n'est que du bruit avec la bouche, même si ça prend par moments des proportions inquiétantes au pays du foot et des bagnoles - comme au pays des huîtres et du champagne, d'ailleurs.  Et puis vue de France, la politique allemande comporte toujours ce petit reste de refoulé, que l'on peut étudier à merveille par l'absurde dans des films comme "La 7e Compagnie" avec son prodigieux non-dit (comme qui dirait). Eh oui ! ces années de peste brune et de têtes de mort, ça marque son époque, et apparemment ça n'en finit pas de marquer la nôtre aussi.

En parlant de polars : je pense que les problèmes de communication entre les filles de Charlemagne proviennent d'abord d'un grand manque d'information - ce qui laisse beaucoup de place à la désinformation et la manipulation. Les polars allemands actuels par exemple sont pratiquement inconnus en France, tout comme un certain cinéma d'auteur à tendance "multi-culturelle" (attention, muleta !), sans oublier une littérature et une pensée contemporaines tout de même assez riches et variées. Or, l'inverse n'est pas vrai puisque la création française actuelle s'exporte plutôt bien en Allemagne. C'est donc ici qu'il conviendrait de rétablir l'équilibre en programmant par exemple les derniers Tatort, Wilsberg ou Spreewaldkrimis - dans une bonne adaptation de post-synchro, s'il vous plaît, en évitant de s'asseoir sur le job comme pour Derrick, paradoxalement rediffusé ad nauseam à la TV française (en ce moment on s'acharne sur Rex). De leur côté, les profs d'université et les directeurs littéraires, les fameux "germanistes professionnels", qui sévissent depuis des lustres avec leurs programmes éditoriaux et leurs traductions dilettantes, devraient peut-être laisser la place à la nouvelle génération, plus à même de transmettre au public francophone le côté laboratoire de l'Allemagne contemporaine et de Berlin en particulier - de ce point de vue, ARTE est un vrai bienfait, malheureusement beaucoup trop élitiste aux yeux du grand public..

Et en parlant de polit-talk, les débatteurs français pourraient apprendre de leurs collègues allemands comment on arrive à dire les choses sans se rentrer dans le lard : en effet, quand on laisse parler les autres et qu'on les traite avec courtoisie, on réussit à imposer un certain niveau au débat, un peu d'argumentation sérieuse, d'attachement à un certain caractère objectif des faits et de la vérité, ce qu'un philosophe avait appelé, voici plus d'un siècle déjà, le "retour aux choses-mêmes"...




dimanche 24 septembre 2017

Bundestag 2017 - Nouvelle donne

 

Les milieux autorisés parlent d'une catastrophe au pays de la bière et de la viande en sauce : les populistes de l'AfD (Alternative pour l'Allemagne) font une entrée fracassante au parlement avec plus de 90 sièges et 13% des voix exprimées (env. 75% des inscrits sont allés voter ce dimanche). - En prenant au sérieux la déclaration surprenante du nouveau patron du SPD, Martin Schulz (149 sièges / 20,6%), la GroKo entre l'Union chrétienne-démocrate de la chancelière et les sociaux-démocrates a vécu : le SPD serait alors la première force d'opposition au Bundestag et Martin Schulz espère ainsi redorer le blason du SPD en vue des élections de 2021, où il serait à nouveau candidat. - Dès lors, une seule option reste à Angela Merkel : la fameuse Jamaika-Koalition (noir / vert / jaune) entre la CDU/CSU, les libéraux du FDP et les Verts (Die Grünen) - une sorte de grand écart entre diesel et moteur électrique, éolienne et charbon, saucisse industrielle et cochon heureux - grand écart entre les exigences d'une économie hyper-libérale exclusivement basée sur le profit et celles d'une écologie plus ou moins malthusienne avec une touche d'anti-capitalisme bon chic bon genre ...

Ce qui est assez surréaliste, comme on aime à dire chez les réalistes forcenés, c'est que la coalition jamaïcaine, qui hier encore relevait de l'utopie, est aujourd'hui la seule échappatoire qui reste à Maman Merkel pour rester au pouvoir. Si elle n'y parvenait pas parce que les leaders de ses deux partenaires de coalition potentiels, Christian Lindner (FDP) et Katrin Göring-Eckardt (Die Grünen), sourient trop jaune ou s'expliquent trop vertement, ce serait à Papa Schulz de constituer une coalition majoritaire, autrement dit : mission impossible !

On attend donc de voir avec curiosité pour les uns et nervosité pour les autres ce que les négociations des semaines à venir vont donner. Mais une chose est déjà sure : l'entrée au parlement d'une formation politique qui ne renie pas les discours d'extrême-droite tenus par certains de ses responsables et militants est une très mauvaise nouvelle pour un pays qui n'a pas remisé la schlague, les bottes et les uniformes depuis si longtemps ...

[suite]

[*]  Rectificatif (26/9/17) - Contrairement à ce que j'ai affirmé au soir de l'élection, une coalition Union (CDU/CSU) + AfD - d'ailleurs refusée d'office par Angela Merkel -  ne serait pas majoritaire. - Il faut ajouter que le Bundestag 2017 ne comptera plus 690 mais 709 Sièges. Voici le nouveau tableau de répartition :


samedi 9 septembre 2017

GroKo, dernière

D'un côté, les hardliners du Brexit et l'outrecuidant Donald Trump sont passés comme une lettre à la poste, de l'autre la débandade des partis traditionnels et le dégonflement télévisé de la baudruche walkyrienne en France ont fait élire Macron les doigts dans le nez, et voilà que nous assistons à une non-campagne électorale en Allemagne : le "duel TV" entre Maman Merkel et son "challenger" Papa Schulz s'est fait à coups de "là, je donne raison à Mme Merkel" et de "comme l'a dit M. Schulz", pour se terminer en rafales de sourires couillemollesques ...

Sur les bords, nous avons à la gauche de Martin Schulz (SPD) les révolutionnaires de salon de Die Linke et les écologistes gentrifiés de Die Grünen, à la droite de Mme Merkel (CDU) les réactionnaires bavarois tendance bière-saucisse de la CSU et les fafs en voie de dédiabolisation de l'AfD. Au centre, le néo-libéral Christian Lindner (FDP) fait son beau gosse, mais comme il vient de déclarer qu'il n'a "pas assez d'imagination" pour une coalition avec Les Verts (CDU/FDP/Die Grünen, la "Jamaika-Koalition" : noir, jaune, vert) et comme par ailleurs la cheftaine de Die Linke, Sahra Wagenknecht, Mme Oskar Lafontaine à la ville, est en train de nécrophiliser une possible coalition rouge-rouge-verte (Die Linke/SPD/Les Verts), la seule perspective réaliste pour la législature 2017/2021 reste le replay de la GroKo sortante (la Große Koalition CDU/SPD), même si Martin Schulz s'y est expressément refusé, mais comment pourrait-il dès à présent accepter de passer ces quatre prochaines années à comater comme junior partner de Mutti Merkel quand la campagne électorale bat encore son plein en brassant déjà du vide ?



"Heute Show" (8/9/2017), la satire politique hebdomadaire du ZDF
Appréciez la chanson, qui souligne le "Duel Câlin" de dimanche dernier
Toute l'émission (45 min. / Deutsch) sur la page FB de skenligne

lundi 28 août 2017

Danger de guerre

 PENSÉES EN VRAC

Il ne faut pas être un expert des affaires militaires pour comprendre que l'achat d'armement inclut la possibilité de s'en servir en cas de conflit armé. Ce que, soit dit en passant, les fabricants et vendeurs d'armes ne sont pas non plus censés ignorer.

Cette vérité aussi triviale que fatale énoncée, qu'en est-il de l'armement nucléaire ?

Après le largage des deux bombes nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945, les bons prophètes se voulaient rassurants : cette funeste action aurait réveillé les consciences et considérablement réduit le risque d'un conflit atomique entre les deux superpuissances qui allaient s'affronter pendant plus de quarante ans dans le cadre pétrifié de la "guerre froide".

Les historiens des temps futurs analyseront la suite : l'effondrement du bloc de l'Est, l’émergence économique de la Chine, autre grande puissance nucléaire, ou celle des pays producteurs d'énergies fossiles, les crises financières ou les grandes migrations des populations frappées par la misère et les conflits interminables.

Lors du démembrement de l'Union Soviétique, les experts se sont déjà demandé si les armes nucléaires stockées dans les anciens pays membres désormais indépendants ne risquaient pas de se retrouver aux mains des terroristes. Mais l'équilibre entre les puissances détenant la bombe ne semblait pas menacé. - Les choses ont changé avec les joutes verbales actuellement échangées entre le nouveau président américain et le junior dictator de Corée du Nord. Les deux autres géants atomiques - Chine et Russie - semblent pour l'instant vouloir se retenir. Mais cela aussi peut changer ...


***


L'immense capacité de nuisance de l'être humain risque à nouveau de devenir ingérable. Ce qui tient aussi à l'absence d'une haute autorité internationale de contrôle qui aurait les moyens d'intervenir dans des situations "explosives" comme celles que Donald Trump et Kim Jong-un imposent actuellement à la planète. L'ONU a certes le mérite d'exister, mais dans la plupart des conflits récents - dits "conventionnels" avec un prodigieux cynisme involontaire - cette institution a montré son impuissance à mener des actions de pacification, empêcher les escalades et mettre fin aux guerres qui ont engendré et engendrent encore des catastrophes de grande ampleur.

On sait pourtant - et les militaires sont les premiers à le dire - que les guerres n'ont jamais rien résolu. Elles déplacent les frontières et les pouvoirs, redistribuent les zones d'influence et les richesses, mais ne résolvent aucun problème majeur de façon durable : les destructions se poursuivent de plus belle, les haines ancestrales semblent vouloir se perpétuer au-delà de toute argumentation raisonnable, les progrès de l'humanité sont invariablement flanqués de régressions dans des sphères "primitives" que l'on croyait à jamais dépassées par les mouvements "éclectiques" de l'histoire moderne.

Or, il n'en est rien et ce sont les mouvements guerriers - fondées sur une agressivité que l'on doit probablement appeler "génétique" ou "phylogénétique", une barbarie irrationnelle venant sans cesse s'immiscer dans les essais de civilisation humaine - qui témoignent de cette régression apparemment inexpugnable ...


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Sans transition : j'ai entendu ces jours-ci la procureure (ou sa porte-parole) en charge du procès actuellement mené contre le jeune homme, réputé d'extrême-droite, qui a vendu l'arme à un autre jeune homme, réputé de même et responsable, lui, de l'assassinat en masse de neuf jeunes gens à Munich en juillet 2016. Elle disait à propos du vendeur, qui risque une lourde peine pour commerce illégal d'armes apparemment aggravé par une inculpation pour "homicide involontaire", que l'on peut partir du principe que toute arme vendue va servir. À tuer par exemple, ce qu'elle n'a pas explicitement dit mais fortement sous-entendu. - Cette histoire m'a fait penser à l'industrie de l'armement qui a un intérêt tout à fait commercial à ce que les armes servent, afin de pouvoir en vendre d'autres. Sans parler de l'obsolescence toujours plus rapide... Et je me suis demandé s'il n'y avait pas là aussi matière à inculpation, manière d'échanger un peu les sempiternels problèmes éthiques des belles âmes contre un bon procès pour homicide involontaire en masse. Mais la procureure qui devrait l'instruire attend encore la constitution d'un collectif dont elle défendrait les intérêts. Si elle possède déjà un tribunal (La Haye) et une instance supranationale (l'ONU), en principe dévoués à la cause humanitaire, ces institutions auront vite fait de se déclarer incompétentes devant l'ampleur d'une telle affaire.

Sans transition encore : l'autre jour, en repensant au film M le maudit (Fritz Lang, 1931), où l'organisation des voleurs menée par un chef impitoyable (Gustaf Gründgens) finit par coincer et juger le tueur en série (Peter Lorre) dont les agissements étaient mauvais pour les affaires des malfrats gênés par les descentes de police et les razzias, je me suis dit qu'il suffirait de demander les services des différentes mafias pour éradiquer à coup sûr les tueries en masse et en série du terrorisme international. Mais l'ami à qui je faisais part de cette idée saugrenue a rétorqué que ce genre d'agissements n'étaient pas compatibles avec l’État de droit. Ce qui n'est sans doute pas faux.


***

À propos de "terrorisme" : dans son numéro de la semaine (35/2017), l'hebdomadaire d'information Der Spiegel revient sur l'"Automne Allemand", dont on commémore actuellement le quarantenaire et qui s'est soldé - après l'enlèvement de Hanns-Martin Schleyer, patron des patrons allemand, par la "Fraction Armée Rouge" (RAF) et le détournement de l'avion de ligne "Landshut" ralliant Palma à Francfort par un commando palestinien (PLFP), qui fut ensuite neutralisé par la troupe d'élite allemande du GSG 9 à Mogadiscio - par le suicide collectif des leaders historiques de la RAF, Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Jan-Carl Raspe dans leur prison de Stuttgart-Stammheim, suivi en guise de "représailles" par l'assassinat de Schleyer, retrouvé mort dans un coffre de voiture en Alsace (1). - Quarante ans plus tard, le monde occidental est de plus belle en proie aux actions terroristes, conduites cette fois par le groupe auto-proclamé "État Islamique" (IS). Comme un grand nombre d'observateurs, les rédacteurs du Spiegel ne voient pas vraiment de lien entre les deux "guerres". Or, la cible est la même : le monde libéral, démocratique, capitaliste. Et la RAF comme l'IS ont été ou sont soutenus par de puissants groupes d'intérêt, et ce n'est pas un hasard que cette première cesse définitivement ses activités peu après la chute du mur de Berlin rendu possible par l'effondrement de l'Union soviétique (2). Quasi simultanément, on assiste à la fondation du groupe terroriste Al-Qaïda : une idéologie anti-occidentale remplace l'autre et le fonctionnement sectaire est le même. En effet, dans le numéro cité du Spiegel, l'interview de l'ancien membre de la RAF, Peter-Jürgen Boock qui a participé à l'enlèvement meurtrier de Schleyer au cours duquel quatre policiers ont été tués, est éloquent sur ce point : arrogance, folie des grandeurs, endoctrinement, absence de pensée critique etc. Comme pour Al-Qaïda, ces qualificatifs restent pertinents pour l'IS, son successeur incontestable. - Il ne fait plus de doute que l'effondrement du bloc de l'Est a laissé un vide idéologique considérable : en conséquence, tout mouvement de contestation résolument "anti-capitaliste" devient orphelin, puisque non seulement les soutiens financiers mais également l'image ou le modèle de ce que l'on appelait à l'Est le "socialisme réellement existant" ont disparu.- Il y aurait ici beaucoup à dire, mais la question est ailleurs : après les catastrophes et traumatismes majeurs des deux guerres mondiales, que l'on a tendance à oublier dans ce contexte, notre "monde occidental" n'utilise-t-il pas cette "nouvelle guerre" dite "non conventionnelle" pour parfaire un système de surveillance planétaire dont la tendance totalitaire n'est que trop évidente ? L'opportunité et le prétexte viennent à point nommé pour la mise en place d'un tel système orwellien grâce notamment à la prolifération des "nouvelles technologies" où l'homme contemporain est appelé à surveiller son prochain comme soi-même ! Cette critique a d'ailleurs été adressée dès la fin des années 1960 aux mouvements terroristes d'extrême-gauche, puisqu'ils ont contribué au renforcement de l'État policier qu'ils prétendaient combattre.


[en cours]

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(1) L'action réussie du GSG 9, puis le suicide collectif des chefs de la RAF et enfin l'assassinat de Schleyer se sont tous trois produits le 18 octobre 1977 (Ulrike Meinhof ayant été retrouvée pendue le 9 mai 1976 dans sa cellule du même quartier de haute sécurité de Stuttgart-Stammheim). -  L’Allemagne en automne (Deutschland im Herbst) est le titre d'un film à épisodes, qui thématise cette "nuit sanglante" de Stammheim, ses antécédents et ses conséquences immédiates, à partir des différentes perspectives des contributeurs, dont l'écrivain Heinrich Böll, les réalisateurs Rainer Werner Fassbinder, Edgar Reitz, Alexander Kluge, Volker Schlöndorff et bien d'autres. Le film, tantôt documentaire tantôt scénarisé, est sorti en mars 1978. - Voici la version originale :


(sous-titres portugais [Brésil] en cliquant sur cc en bas à droite après la mise en route de la vidéo)

(2) Entre 1980 et 1982, dix membres de la RAF se sont réfugiés en RDA. On suppose ou on sait qu'avant et après ces dates, d'autres soutiens ont été apportés aux terroristes allemands : l'aéroport de Schönefeld à Berlin-Est était à leur disposition pour rejoindre le Liban ou l'Irak, tout comme certains renseignements très utiles et confidentiels de la police politique (Stasi) et des services secrets est-allemands, à quoi l'on peut ajouter des fausses pièces d'identité, des logements provisoires et des subsides matériels. - On suppose ou on sait aussi que l'IS dispose d'un soutien matériel et logistique similaire dans certaines monarchies ou émirats du Golfe, mais sans doute aussi dans deux ou trois pays d'Asie. La question est de savoir quels sont les intérêts réels de ces puissants soutiens : sont-ils économiques, idéologiques, géopolitiques... ? - Dans ce contexte, on pourrait se demander pourquoi la Turquie d'Erdoğan cherche aujourd'hui à exercer une telle influence sur l'Occident, notamment par l'intermédiaire de ses ressortissants résidant en Europe et surtout en Allemagne, mais aussi en jouant sur la bombe à retardement de la "crise des migrants" qui met en péril la "construction européenne" et qui est en partie à l'origine du vote britannique en faveur du "leave". Par ailleurs, la situation irako-syrienne semble insoluble : avec les factions qui s'affrontent - sunnites et chiites, Russes et Américains, partisans de Bachar al Assad et anciens de Saddam Hussein, Kurdes et Turcs, Iraniens et Saoudiens etc. - la guerre qui y est menée ressemble de plus en plus à la guerre de Trente Ans (1618/48) qui a mis l'Europe centrale à feu et à sang. À l'époque déjà, la majorité des victimes était constituée de civils, notamment de ruraux. Et si les différends confessionnels entre protestants et catholiques avaient déjà joué un rôle important dans cette longue guerre meurtrière, les véritables motifs des puissances impliquées sont - comme aujourd'hui ! - à chercher ailleurs ...

vendredi 2 juin 2017

Bien-pensance (correct thinking)




Il y a quelque chose dans cette expression qui la rend éminemment suspecte quand on considère la sanction qui fut appliquée aux écrivains indésirables sous le régime nazi : il arrivait quelquefois qu’on les laisse vivre, mais on les frappait alors de « Schreibverbot », littéralement : d’« interdiction d’écrire ». Or, il s’agissait bien d’une mise à l’index et donc d’une interdiction de publier. En effet, personne ne peut raisonnablement empêcher un écrivain d’écrire : sans papier, encre et plume, il continuera d’écrire dans sa tête. Il en va de même pour la « bien-pensance » : en fait, il s’agit de « correct talking », de « parler correctement ». En principe, ce ne sont donc pas les « pensées » mais bien leurs expressions publiques, leurs publications qui sont mis en cause. Mais alors, les adversaires déclarés de la « bien-pensance » pensent-ils sérieusement que le « discours correct » des uns et des autres exprime le « fond » de leur pensée ? Ou bien veulent-ils réellement frapper de Denkverbot, d’« interdiction de penser » les cibles de leur vindicte ?

lundi 15 mai 2017

Ephémère effet Schulz

 
Martin Schulz, photo : Reuters

3:0 s’exclame la presse au pays du football, puisque les sociaux-démocrates allemands (SPD) ont perdu les trois élections « régionales » (Landtagswahlen) de l’année en cours dans la Sarre, le Schleswig-Holstein et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW), cette dernière ayant eu lieu ce dimanche 14 mai 2017 dans le Land le plus peuplé du pays (quelque 18 millions d’habitants sur un peu plus de 82 millions, soit environ 22 % de la population de RFA) qui, surtout, a été le bastion quasi imprenable du SPD depuis les années 1960.

Pourtant, voici quelques mois encore, l’arrivée de Martin Schulz à la tête de la social-démocratie allemande a provoqué un sursaut dans les sondages qui a propulsé l’homme de Bruxelles au rang de vrai challenger de Mme Merkel : « Der Schulz-Effekt », s’exclame la presse au pays de la bière et du « Polit-Talk ». - En effet, et contrairement à ce que l’on pouvait croire ou craindre, le président du Parlement européen (2012-2017) a fait place à un authentique social-démocrate, ancré dans sa Rhénanie natale et son milieu populaire d’origine. De surcroît, le prestige de sa fonction précédente lui apporte une forme de crédibilité grâce à son expérience et sa notoriété à l'échelle de l’Europe, qui n’a rien à envier à celle de Mme Merkel.

Et voilà que Hannelore Kraft (SPD), la ministre-présidente sortante de NRW, qui gouvernait le Land en coalition avec Les Verts depuis 2010, y encaisse une sévère défaite en dépit du « Schulz-Effekt », faisant sérieusement revoir à la baisse des pronostics plutôt optimistes pour l’élection du Bundestag en septembre 2017.

Mais le Rhénan bourru en costume bruxellois n’a peut-être pas dit son dernier mot. En éclaireur dévoué, Sigmar Gabriel (SPD), l’actuel vice-chancelier « GroKo »* et ministre des Affaires Étrangères, s'est d'ailleurs précipité à l’aéroport ce lundi 15 mai 2017 pour accueillir le nouveau président français et – à ce qu’il paraît – l’entretenir d’une Europe plus politique et sociale, ou en tout cas un peu moins « merkelisée ». Plus tard, la conférence de presse des deux chefs d’État après le sempiternel passage en revue des troupes suivi d’une heure de « causerie », s’en est un brin – un brin seulement – ressentie. À la séance de pose pour les photographes, il y eut un bref flottement dû à la déconcentration momentanée du nouveau président français où le spectateur averti a pu se souvenir du récent denied handshake à la Maison Blanche. Puis, avec un sourire résolument photogénique, Emmanuel Macron a accepté la main tendue de Mutti pour la serrer chaleureusement dans la plus pure tradition de « l'amitié franco-allemande ». Cependant, on aura peut-être également perçu l'ombre d'un doute dans son regard : éphémère, l'effet Schulz ? - Et, dans la perspective des élections de juin en France, ce doute a très certainement été partagé.



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* GroKo = Große Koalition : la Grande Coalition CDU/SPD dirigée par Angela Merkel

samedi 13 mai 2017

Parlementaires

En juin 2017, les citoyens français sont appelés à élire leur parlement. Une seule question se pose : veulent-ils, ou non, donner une majorité au Président élu ? La réponse des électeurs d’extrême-gauche et d’extrême-droite est clairement « non ». Or, le système électoral français fait qu’en l’absence d’accord avec les autres partis, ils ne pourront espérer que peu d’élus alors qu’ils ont réuni tous courants confondus plus de 45 % des suffrages exprimés au premier tour. De ce côté-là, le jeu paraît donc déjà faussé. Reste à savoir comment cet électorat se comportera au second tour des Législatives.

Pour les électeurs des partis traditionnels dits « de gouvernement », la situation n’est pas moins compliquée. Cette fois, la question se pose d’abord aux candidats en lice : entendent-ils, ou non, soutenir le Président élu ? En tenant compte de la récente « colère » exprimée par M. Juppé face à l’annonce d’un « accord » avec M. Macron, la réponse de la droite parlementaire risque également d’être « non ». Quant au Parti Socialiste, la question n’est même pas à l’ordre du jour. C’est d’ailleurs probablement ce qui motive « Les Républicains » : devant la déconfiture du PS (6,36 % pour M. Hamon au Premier tour de la Présidentielle contre 19,58 % pour M. Mélenchon), ils peuvent espérer faire le plein de députés, constituer une majorité à l’Assemblée Nationale et imposer l’une de ces fameuses « cohabitations » dont la démocratie française a le secret. Mais la question reste posée d’une autre manière : combien de candidats issus des partis de gouvernement vont-ils « virer leur cuti » en se présentant sous les couleurs du nouveau parti présidentiel (« La République En Marche ») ?

Et les électeurs traditionnels de la droite, du centre et de la gauche « modérés » qui au Premier tour de la Présidentielle n’ont guère représenté plus de 50 % des suffrages exprimés, dont 24 % seulement se sont portés sur la candidature de M. Macron : ne risquent-ils pas d’être en proie à la confusion la plus totale ? Le Président élu peut-il espérer former une majorité dans ces conditions ? Il me semble que la réponse devrait une fois encore être « non » (*). Portée par l’espoir d’arriver à nouveau au pouvoir, la campagne de la droite parlementaire risque en effet d’être « musclée », et les défections prévisibles ne pèseront probablement pas très lourd dans la balance.

Il y a une proposition de M. Macron qui mériterait d’être très largement mise en œuvre : pour la bonne santé de la démocratie française, il est impératif que le parlement reflète au possible l’opinion publique du pays, ce qui ne sera toujours pas le cas en juin 2017. - Et que l’on cesse enfin d’agiter le spectre de la Quatrième République quand il saute aux yeux du plus dépolitisé des citoyens que la Cinquième est au bout du rouleau...

(*) Cette hypothèse, également énoncée ci-dessous, ne s'est pas vérifiée.

Résultats officiels > ici

Extrême gauche 0
Parti communiste français 10
La France insoumise 17
Parti socialiste 30
Parti radical de gauche 3
Divers gauche 12
Ecologiste 1
Divers 3
Régionaliste 5
La République en marche 308
Modem 42
Union des Démocrates et Indépendants 18
Les Républicains 112
Divers droite 6
Debout la France 1
Front National 8
Extrême droite 1

lundi 8 mai 2017

Bref commentaire sur la Présidentielle française de 2017

Les résultats du Front National, qui dans certains départements frôlent les 50% - et les dépassent dans deux ! - sont stupéfiants : quelque 11 millions d'électeurs (sur un peu plus de 47,5 millions d'inscrits) ont accordé leur suffrage à Marine Le Pen, malgré sa prestation plutôt consternante à l'occasion du débat télévisé de l'entre-deux-tours, un tiers des électeurs ne s'étant pas rendus aux urnes s'ils n'ont pas voté blanc ou nul : la candidate du FN réunit donc 34,2% des voix exprimées contre 65,8% pour Emmanuel Macron (estimation du 7 mai 2017 à 23h30) et un peu moins de 25% des inscrits.

Les élections législatives devant se tenir les dimanches 11 et 18 juin 2017, cette histoire n'est pas finie : en cas de victoire de la droite parlementaire, dont les députés sont tout de même bien installés dans leurs circonscriptions, le projet d'Emmanuel Macron risquerait d'être compromis car "Les Républicains", si tant est qu'ils soient majoritaires à l'Assemblée Nationale en juin, feront probablement tout pour obtenir un gouvernement de "cohabitation" et court-circuiter le Président élu (*).


Le problème majeur posé autour de cette élection est la question de l'Europe : si - à en croire, non le premier, mais ce second tour - une majorité d'électeurs souhaite que la France continue d'en faire partie, il s'agit de savoir de quelle Europe nous parlons. Or, cette question a déjà été mal posée lors du Référendum de 2005 où il ne fallait pas se prononcer pour ou contre l'Europe (et encore moins pour ou contre le Président Chirac !) mais pour ou contre l'Europe libérale actée par le Traité de Lisbonne.

Cette question est une fois encore passée à la trappe, alors que notre survie dépend de la mise en œuvre d'une Europe politique et surtout sociale. Or, on ne l'obtiendra pas sans mettre sur la table une révision du Traité de Lisbonne à l'échelle continentale, c'est-à-dire en impliquant tous les pays de l'Union. Pourtant, à ma connaissance, aucun des programmes présentés au cours de cette élection française ne formule cette exigence de façon réaliste dans le cadre d'une négociation pan-européenne qui s'annonce longue et difficile. - Convaincus ou désespérés, onze millions de citoyens français ont voté en faveur d'un repli sur la "Nation". Et sept millions d'"Insoumis" n'ont pas vraiment compris - ou feignent de ne pas comprendre dans l'euphorie des fêtes populaires - que le plus important dans cette affaire est la négociation avec toutes les parties impliquées et - n'en déplaise à M. Mélenchon - l'Europe ne s'appelle pas seulement France et Deutschland, mais également Ἑλλάς, España, Portugal, Italia, Österreich, Česko, Polska, Magyarország, Belgique (ou België), Nederland, Danmark, Sverige, Irland etc.
Et il y a ici un vrai problème car si l'on fait la somme des résultats du premier tour de cette présidentielle, deux camps semblent - je dis bien semblent ! - s'opposer en France : celui des "euro-sceptiques" et celui des "euro-libéraux". M. Mélenchon, qui revendique une révision du Traité de Lisbonne et une Europe sociale, a été très clair : si ses propositions de réforme radicale n'étaient pas acceptées, il tournerait le dos à l'Europe. Or, avec la façon musclée et intransigeante dont il présente ces réformes qui semblent ne souffrir aucun compromis, celles-ci n'ont aucune chance d'être acceptées par nos partenaires européens : il fait donc partie du premier camp qui, avec Mme Le Pen et M. Dupont-Aignan, taquine les 50% des suffrages exprimés au premier tour. Quant aux défenseurs de l'Europe libérale, ils visent le maintien du statu quo à tout prix, en continuant de sacrifier au court terme, malgré le naufrage prévisible ou déjà manifeste. À moins que dans un élan gorbatchevien, M. Macron et Mme Merkel - qui, selon les estimations actuelles, risque fort de battre M. Schulz (SPD) en septembre -  se rendent à cette évidence : l'Europe sera politique et sociale ou ne sera plus !

Or, les élections du Parlement qui vont suivre - comme celles du Bundestag en septembre 2017 - se joueront très certainement une fois encore sur des enjeux nationaux. Sans parler des Européennes de 2019 qui, avec la façon dont elles sont organisées et présentées, seront à nouveau considérées comme des élections sans importance, tout juste bonnes à assurer une planque à Bruxelles pour tel ou tel apparatchik. Afin de pouvoir d'autant mieux déplorer une Europe "technocratique". Car les cheftaines et chefs nationaux ou locaux n'ont aucune intention d’œuvrer à leur propre suppression et celle des structures qui leur confèrent le pouvoir et les honneurs qu'ils convoitent depuis la nuit des temps ...

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Résultats officiels (8 mai 2017 à 2h15) sur le site du ministère de l'Intérieur

France Entière

"Résultats incomplets calculés sur la base de 99.99% des inscrits reçus" (sic !)

Résultats au 2d tour de l'élection présidentielle 2017

Liste des candidatsVoix% Inscrits% Exprimés
M. Emmanuel MACRON20 703 69443,6366,06
Mme Marine LE PEN10 637 12022,4233,94


Nombre% Inscrits% Votants
Inscrits47 448 929
Abstentions12 041 31325,38
Votants35 407 61674,62
Blancs3 006 1066,348,49
Nuls1 060 6962,243,00
Exprimés31 340 81466,0588,51

("En raison des arrondis à la deuxième décimale, la somme des pourcentages peut ne pas être égale à 100%")

(*) Devant le raz-de-marée du parti présidentiel - "La République En Marche" (LREM) - avec son nombre élevé de "ralliements" venus de la droite et de la gauche, l'hypothèse d'une cohabitation ne s'est pas vérifiée (voir également ci-dessus) [juin 2017].

dimanche 30 avril 2017

Le moment républicain

La présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2017 est annoncée depuis longtemps, au plus tard depuis le succès du Front National aux élections régionales de décembre 2015 où ce parti d’extrême-droite avait obtenu 6.820.477 voix, soit 27,10 % des suffrages au second tour. C’est peut-être le moment de surprise qui aura permis la constitution plus ou moins spontanée d’un « front républicain » lorsque, contre toute attente, le fondateur du Front National, Jean-Marie Le Pen, accédait au second tour de l’élection présidentielle de 2002 avec à peine 16,86 % des suffrages, devançant le candidat social-démocrate Lionel Jospin (16,18 %) de 194.600 voix seulement.

Un cas de figure analogue semble se produire ces jours-ci. Or, la situation a changé. Si en 2002, Jean-Marie Le Pen n’avait pas pu significativement améliorer son score face à Jacques Chirac – 17,79 % contre 82,21 % (!) des suffrages exprimés au second tour –, sa fille Marine Le Pen (1er tour : 21,30 % soit 7.678.491 voix) fera certainement mieux face au favori Emmanuel Macron (1er tour : 24,01 % ou 8.656.346 voix). Car, d’une part, il n’y aura pas de « moment républicain » cette fois-ci, le dernier en date ayant eu lieu les 10 et 11 janvier 2015, où quelque 4 millions de personnes avaient défilé en France après les attentats contre Charlie-Hebdo et le supermarché casher : on se souviendra des critiques acerbes et des diatribes fielleuses qui ont suivi cette vague (quasi mondiale) de solidarité. – Si, d’autre part, les partis dits de gouvernement ont appelé à voter Macron pour « faire barrage au Front National », Jean-Luc Mélenchon (« La France Insoumise », 1er tour : 19,58 % soit 7.059.951 voix) n’a pas donné de consigne de vote. Par ailleurs, Nicolas Dupont-Aignan (« Debout la France », 1er tour : 4,70 % soit 1.695.000 voix) vient de rallier Marine Le Pen qui, de son côté, s’est « mise en congé » du Front National et semble insister un peu moins sur la fameuse « sortie de l’euro » (et donc de l’Europe), qui effraye un certain nombre de ses électeurs potentiels.

Emmanuel Macron vient, quant à lui, de commettre une erreur stratégique en refusant le principe d’une coalition gouvernementale avec les partis de la droite et de la gauche parlementaires. Du coup, aucun des deux prétendants ne semble pouvoir constituer une majorité à l’Assemblée Nationale les 11 et 18 juin 2017. En effet, le mode de scrutin étant ce qu’il est, il y a fort à parier que le droite libérale fera un carton plein aux législatives : si tant est qu’il respecte la Constitution, le président de la République prédit par les sondages devra alors nommer un Premier ministre issu de la majorité fraîchement élue, inaugurant ainsi une nouvelle période de « cohabitation ».

Mais si, contre toute attente, Marine Le Pen accède à la présidence de la République, elle peut également essayer de changer le mode de scrutin en introduisant une dose suffisante de proportionnelle pour faire le plein de députés à l’Assemblée Nationale. Il y a ici un risque dont l’électorat français n’a peut-être pas pris la mesure : lorsqu’on laisse entrer un loup de cette espèce dans la bergerie démocratique, tout peut arriver. En un rien de temps, le système est verrouillé, les différents organes de l’État sont « mis au pas » et la démocratie française a vécu. – De leur côté, les mouvements à prétention révolutionnaire se plaisent à y voir une chance de mobiliser les foules et de renverser l’ordre établi. Le problème est que personne ne semble avoir tiré les leçons de l’Histoire car, d’une part, il est bien plus difficile de renverser un ordre autoritaire qui, de plus, vient de se mettre en place et, de l’autre, il est impossible de changer par la magie de l’instant les petits-bourgeois indifférents, qui sous nos latitudes constituent la majorité dite « silencieuse », en révolutionnaires au grand cœur. De ce côté-là, on utilisera donc également la force et l’histoire contemporaine nous livre un certain nombre d’exemples édifiants en matière d’« éducation du peuple ».

En effet, si l’on peut adhérer à certaines idées généreuses habilement propagées par Jean-Luc Mélenchon, leur mise en œuvre pose un certain nombre de questions qui restent nécessairement sans réponse car à l’heure actuelle, les problèmes importants ne peuvent être résolus qu’à l’échelle mondiale, où le leader de la « France Insoumise » n’a qu’un pouvoir extrêmement limité : dérèglement climatique, destruction des espèces et des espaces naturels, désertification de la planète, inégalité des termes de l’échange, délocalisations et bas salaires, « monnaies de singe », spéculations de la finance internationale et paradis fiscaux, pour ne citer que quelques-unes des horreurs vécues au quotidien par l’immense majorité de l’humanité. Et, à l’échelle continentale, le plus urgent serait de créer enfin une Europe sociale : vu l’actuelle constellation des pouvoirs, cela passera nécessairement par une longue série de négociations que la jeunesse, qui aujourd’hui sillonne les routes et les villes européennes, aura peut-être envie de mener pour préserver sa mobilité et sa belle « auberge espagnole », et non par les fanfaronnades de vieux animaux politiques usant de figures rhétoriques pour masquer leur impuissance réelle.

Mais revenons un instant à notre belle France. Dans un monde où le « Brexit », l’élection de Donald Trump et le coup de force de Recep Tayyip Erdoğan, basés sur les fausses promesses et la désinformation massive, passent comme une lettre à la poste, la présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2017 est extrêmement inquiétante. Or, ce qui l'est davantage, c’est l’aspect de « normalité » de cette « montée de l’extrême-droite » au pays du vin et du fromage dû à l’absence de réaction forte de ces « Français » qui se font interpeller à longueur d’antenne par les politiciens professionnels en période électorale. Au fond d’eux-mêmes, la plupart d’entre eux sont sûrement consternés, mais ils n’en laissent (plus) rien paraître. Pourquoi ? A-t-on réussi une fois de plus à les diviser ? Puisque les uns se complaisent dans l’« insoumission », les autres sont-ils devenus « dociles » ou restent-ils simplement figés dans leur indifférence habituelle ? Dans la « société de communication », est-on parvenu à réduire une nouvelle fois la majorité au silence en la privant de son « moment républicain » ?

dimanche 16 avril 2017

À propos du système électoral français

Dès la "catastrophe" de 2002, le système électoral français aurait dû être sérieusement amendé : il n'est pas possible qu'une bonne partie de l'électorat d'un grand pays démocratique soit exclu du vote capital qui désigne le chef de l'État pour les 5 ans à venir, compte tenu de l'immense pouvoir politique que lui accorde la Constitution de la 5e République, où l'on peut s'interroger sur l'utilité du Parlement qui, faute de proportionnelle, ne représente absolument pas l'opinion publique. Dès avant le second tour de 2002, les épisodes de "cohabitation" avaient déjà montré les limites de ce régime, et le fait d'avoir fait coïncider les élections présidentielle et législative n'ont arrangé les choses que pour la forme.

On peut être sérieusement inquiet pour la démocratie française, où la menace d'un second tour des extrêmes (et donc de l'exclusion de la majorité que constitue l'électorat "modéré") se profile. Et quand bien même elle ne se réalise pas, la présence annoncée de l'extrême-droite au second tour suffit à fausser complètement le jeu démocratique. - D'ailleurs : quel a été l'effet d'exclure les extrêmes du parlement, sinon de favoriser à la fois le "vote sanction", le succès des bonimenteurs et le mépris croissant de la politique ?
 
Le système électoral allemand a été conçu pour que la catastrophe de 1932 ne puisse pas se reproduire : on élit le parlement et chaque électeur dispose de deux voix, l'une pour le député de sa circonscription et l'autre, plus importante, pour le parti de son choix. Pour qu'un parti puisse entrer au parlement, il doit réaliser au moins 5% des suffrages exprimés. Une fois le décompte des sièges fait (députés élus directement et députés mandatés grâce aux "secondes voix"), le parti arrivé en tête propose un chef de gouvernement qui, si son parti n'a pas la majorité absolue, doit négocier un contrat de coalition avec un ou plusieurs autres partis, ce qui en principe exclut les extrêmes ou en tout cas ceux qui ne veulent négocier avec personne. - Si, et c'est le point capital, le chef de gouvernement n'a plus, pour une raison ou une autre, la confiance de sa majorité, un vote de défiance peut le destituer, et provoquer soit l'élection d'un successeur soit la dissolution du parlement et de nouvelles élections législatives. - Or, cela n'arrive pratiquement jamais, mais cette simple possibilité fait que le chef de gouvernement se "tient à carreau". Ce serait trop long à développer ici, mais le seul fait que dans l'actuel Bundestag, une alliance rouge-rouge-vert (Die Linke/SPD/Les Verts) posséderait une courte majorité d'un siège explique certaines mesures "sociales" de Mme Merkel.

Il ne s'agit pas pour la France d'adopter le système électoral allemand (où les Länder ont également leur mot à dire), mais il faut absolument se creuser la tête pour arrêter le massacre actuel à une époque où les populismes triomphent un peu partout et où les citoyens sont de plus en plus dégoûtés par la politique.

Parmi les quatre candidats qui ont apparemment une chance d'accéder au second tour, il n'y a aucun social-démocrate, le candidat de droite a une moralité extrêmement douteuse et un sens des privilèges assez prononcé (alors qu'il demande des "efforts" aux plus "modestes") tandis que le candidat du centre n'est absolument pas crédible ni pour les électeurs de gauche ni pour ceux de droite, sa seule chance est de réunir suffisamment de "votes utiles", étant donnée la menace des extrêmes, le caractère douteux du candidat de droite et l'échec prévisible (en tout cas prévu par les sondages) du social-démocrate. Dans cette constellation désastreuse (aucun candidat "modéré" qui aurait une certaine crédibilité, qui serait suffisamment honnête et un brin charismatique), les deux extrémistes ont en effet toutes leurs chances ...

jeudi 16 février 2017

Brèves élucubrations de l'homme qui s'arrachait les cheveux ...

Devant l’état actuel du monde, l’impitoyable gouvernance globalisée des pouvoirs économico-financiers, la corruption des politiques et l’indécrottable naïveté des électorats pseudo-démocrates, devant la résurgence des vieilles idéologies et la manipulation technologique des masses, devant les argumentations fallacieuses où, par exemple, les « origines » prétendument ethniques ou les appartenances « culturelles » expliqueraient des comportements dus en réalité aux conditions sociales et économiques, devant l’inégalité des termes de l’échange et la désertification de la planète au profit d’une oligarchie amorale, tout observateur quelque peu sain d’esprit ne peut que s’arracher les cheveux qui lui restent après cinq millénaires d’histoire humaine faite de massacres et d’exploitations sans scrupules des hommes, femmes, enfants de cette terre…

– Ah ! mais les réalisations culturelles, les grandes civilisations, les prouesses technologiques et les avancées scientifiques ne font-elles pas la grandeur de l’Homme ? demande-t-on. Et : ne sommes-nous pas immensément supérieurs à toutes les autres créatures, notre destin n’est-il pas de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature » (Descartes) ?

Or, qui sommes-nous donc pour ainsi nous ériger en « couronne de la Création » sur cette minuscule (et merveilleuse) planète bleue croisant quelque part dans une banlieue galactique, apparus sous notre forme actuelle voici peut-être trente millénaires, ne sachant écrire que depuis cinq ? Que sommes-nous dans le temps dit géologique qui se compte en milliards d’années ?

Oui bien sûr : les réalisations culturelles, les grandes civilisations, etc. etc. Soyons convaincus qu’elles seront réduites à néant dans quelque temps (contrairement à l’Homme, la Nature a le temps), qu’elles ne sont rien face à l’immensité mystérieuse de l’Univers. Et nos divinités, plurielles puis uniques, nos monades et nos idées transcendantes ? Mais croyez-vous donc sincèrement que devant l’immensité mystérieuse de l’Univers et notre brève Histoire misérable (oui, misérable car pleine de souffrance inutile, d’arrogance et de vanité « humaine, trop humaine »), une quelconque sphère transcendante puisse nous être assignée en particulier (à nous et à nulle autre créature, ici ou ailleurs dans l’immensité mystérieuse de l’Univers) ? – Croyez-vous sincèrement que si la Nature relève d’une création divine nous puissions en disposer comme nous le faisons (abattoirs industriels, exterminations en masse etc. etc.) ?

Les considérations qui président à cette attitude éminemment destructrice de l’espèce dont, bon gré mal gré, nous faisons tous partie, me semblent avoir trait à ceci : nous sommes mortels (tant comme individus que comme membres d’une civilisation, d’une ethnie, voire de l’espèce humaine tout entière) et nous nous croyons immortels ; nous sommes face à un « inconnaissable » fondamental et nous nous érigeons en « connaisseurs » (scientifiques, théologiques etc.). Mais quel est cet inconnaissable ? Savons-nous donc pourquoi nous sommes mortels ? N’avons-nous pas inventé une prétendue « immortalité de l’âme » (ou encore une « métempsychose ») pour affronter cet inconnaissable ? Ne sommes-nous pas allés jusqu’à nous inventer des dieux, des traditions, des destins pour faire face à cette incertitude absolue ? L’humanité scientifique (qui pratique actuellement l’« expérimentation totale » : preuve de son ignorance fondamentale) n’a-t-elle pas pris la succession (et donc accepté l’héritage) de l’humanité théologique pour instaurer le règne de la Connaissance après celui des dieux et des princes ? Intriquée dans les méandres pragmatiques des techniques et des sciences appliquées, n’a-t-elle pas provoqué le désastre, le chaos actuel, ce « dérèglement de tous les sens » qui, en fin de compte, permet le retour en force de l’humanité théologico-politique ?

Oui, après ce bref éclair de la Raison et de la Démocratie, nous voici revenant aux ténèbres archaïques et caverneuses de l’Homme primitif. On peut même se demander si nous ne sommes toujours restés cet homme barbare (pour qui le barbare, c’est toujours l’autre) ; et s’il est permis d'ajouter ìci un éclair de lucidité, certes profondément atrabilaire : nous proliférons telle une vermine (pour qui la vermine, c’est toujours l’autre).

Une solution à ces élucubrations de l’homme qui s’arrachait les cheveux face à l’Homme ?

Les Anciens – avec tous leurs travers (et, déjà, leurs grandes réalisations culturelles, leurs grandes civilisations etc.) – s’appelaient encore les « mortels » : « Socrate est un homme, tous les hommes sont mortels, donc Socrate est mortel » : il ne s'agit pas ici d'un simple syllogisme (car il aurait pu avoir un contenu différent), mais bien d'un axiome existentiel ! – Or, héritiers des pensées de la transcendance (également nées dans l’Égypte d’Akhenaton, par exemple, et surtout dans le monde hellénique, depuis Platon jusqu’aux évangélistes), nous menons une vie d’« immortels » (le nom que les Anciens donnaient aux dieux de l’Olympe).

Ce délire d’immortalité a pour pendant nécessaire le délire de l’origine (qui depuis quelque temps fait également son retour en force) : immortels, nous sommes enchaînés à ce que nous sommes « nécessairement », « archaïquement » (au sens du grec arkhè) ; nous sommes donc incapables de changer, de nous transformer, car nous sommes ipso facto enchaînés à un destin immuable, « principiel » (encore au sens du grec arkhè qui possède ce double sens de commencement et de principe : « Èn arkhè èn o logos », habituellement rendu par : « Au commencement fut le verbe »).

La solution ne peut être que collective : une civilisation basée sur la « temporarité » de notre existence est requise de toute urgence. Or, il ne sert à rien de vouloir la créer de toutes pièces (pour ainsi dire « ex nihilo ») : elle adviendra « naturellement » lorsque nous nous serons réconciliés avec l’inconnaissable (et, partant, avec cet « inconscient » que Freud a simplement redécouvert pour la pensée moderne) et avec l’immensité mystérieuse de l’Univers qu’aucune mythologie (ou théologie ou science) humaine ne rendra jamais commensurable.

C’est ici qu’une analyse pointue de la nature du temps (et du temps de la Nature) devrait intervenir pour montrer l’absurdité de nos conceptions actuelles de la temporalité placée sous le signe de l’immortalité, de la reproductibilité et du « progrès » (technologico-scientifique) indéfinis. L’entreprise est évidemment trop importante pour être menée à bien dans le cadre présent …