lundi 28 août 2017

Danger de guerre

 PENSÉES EN VRAC

Il ne faut pas être un expert des affaires militaires pour comprendre que l'achat d'armement inclut la possibilité de s'en servir en cas de conflit armé. Ce que, soit dit en passant, les fabricants et vendeurs d'armes ne sont pas non plus censés ignorer.

Cette vérité aussi triviale que fatale énoncée, qu'en est-il de l'armement nucléaire ?

Après le largage des deux bombes nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945, les bons prophètes se voulaient rassurants : cette funeste action aurait réveillé les consciences et considérablement réduit le risque d'un conflit atomique entre les deux superpuissances qui allaient s'affronter pendant plus de quarante ans dans le cadre pétrifié de la "guerre froide".

Les historiens des temps futurs analyseront la suite : l'effondrement du bloc de l'Est, l’émergence économique de la Chine, autre grande puissance nucléaire, ou celle des pays producteurs d'énergies fossiles, les crises financières ou les grandes migrations des populations frappées par la misère et les conflits interminables.

Lors du démembrement de l'Union Soviétique, les experts se sont déjà demandé si les armes nucléaires stockées dans les anciens pays membres désormais indépendants ne risquaient pas de se retrouver aux mains des terroristes. Mais l'équilibre entre les puissances détenant la bombe ne semblait pas menacé. - Les choses ont changé avec les joutes verbales actuellement échangées entre le nouveau président américain et le junior dictator de Corée du Nord. Les deux autres géants atomiques - Chine et Russie - semblent pour l'instant vouloir se retenir. Mais cela aussi peut changer ...


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L'immense capacité de nuisance de l'être humain risque à nouveau de devenir ingérable. Ce qui tient aussi à l'absence d'une haute autorité internationale de contrôle qui aurait les moyens d'intervenir dans des situations "explosives" comme celles que Donald Trump et Kim Jong-un imposent actuellement à la planète. L'ONU a certes le mérite d'exister, mais dans la plupart des conflits récents - dits "conventionnels" avec un prodigieux cynisme involontaire - cette institution a montré son impuissance à mener des actions de pacification, empêcher les escalades et mettre fin aux guerres qui ont engendré et engendrent encore des catastrophes de grande ampleur.

On sait pourtant - et les militaires sont les premiers à le dire - que les guerres n'ont jamais rien résolu. Elles déplacent les frontières et les pouvoirs, redistribuent les zones d'influence et les richesses, mais ne résolvent aucun problème majeur de façon durable : les destructions se poursuivent de plus belle, les haines ancestrales semblent vouloir se perpétuer au-delà de toute argumentation raisonnable, les progrès de l'humanité sont invariablement flanqués de régressions dans des sphères "primitives" que l'on croyait à jamais dépassées par les mouvements "éclectiques" de l'histoire moderne.

Or, il n'en est rien et ce sont les mouvements guerriers - fondées sur une agressivité que l'on doit probablement appeler "génétique" ou "phylogénétique", une barbarie irrationnelle venant sans cesse s'immiscer dans les essais de civilisation humaine - qui témoignent de cette régression apparemment inexpugnable ...


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Sans transition : j'ai entendu ces jours-ci la procureure (ou sa porte-parole) en charge du procès actuellement mené contre le jeune homme, réputé d'extrême-droite, qui a vendu l'arme à un autre jeune homme, réputé de même et responsable, lui, de l'assassinat en masse de neuf jeunes gens à Munich en juillet 2016. Elle disait à propos du vendeur, qui risque une lourde peine pour commerce illégal d'armes apparemment aggravé par une inculpation pour "homicide involontaire", que l'on peut partir du principe que toute arme vendue va servir. À tuer par exemple, ce qu'elle n'a pas explicitement dit mais fortement sous-entendu. - Cette histoire m'a fait penser à l'industrie de l'armement qui a un intérêt tout à fait commercial à ce que les armes servent, afin de pouvoir en vendre d'autres. Sans parler de l'obsolescence toujours plus rapide... Et je me suis demandé s'il n'y avait pas là aussi matière à inculpation, manière d'échanger un peu les sempiternels problèmes éthiques des belles âmes contre un bon procès pour homicide involontaire en masse. Mais la procureure qui devrait l'instruire attend encore la constitution d'un collectif dont elle défendrait les intérêts. Si elle possède déjà un tribunal (La Haye) et une instance supranationale (l'ONU), en principe dévoués à la cause humanitaire, ces institutions auront vite fait de se déclarer incompétentes devant l'ampleur d'une telle affaire.

Sans transition encore : l'autre jour, en repensant au film M le maudit (Fritz Lang, 1931), où l'organisation des voleurs menée par un chef impitoyable (Gustaf Gründgens) finit par coincer et juger le tueur en série (Peter Lorre) dont les agissements étaient mauvais pour les affaires des malfrats gênés par les descentes de police et les razzias, je me suis dit qu'il suffirait de demander les services des différentes mafias pour éradiquer à coup sûr les tueries en masse et en série du terrorisme international. Mais l'ami à qui je faisais part de cette idée saugrenue a rétorqué que ce genre d'agissements n'étaient pas compatibles avec l’État de droit. Ce qui n'est sans doute pas faux.


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À propos de "terrorisme" : dans son numéro de la semaine (35/2017), l'hebdomadaire d'information Der Spiegel revient sur l'"Automne Allemand", dont on commémore actuellement le quarantenaire et qui s'est soldé - après l'enlèvement de Hanns-Martin Schleyer, patron des patrons allemand, par la "Fraction Armée Rouge" (RAF) et le détournement de l'avion de ligne "Landshut" ralliant Palma à Francfort par un commando palestinien (PLFP), qui fut ensuite neutralisé par la troupe d'élite allemande du GSG 9 à Mogadiscio - par le suicide collectif des leaders historiques de la RAF, Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Jan-Carl Raspe dans leur prison de Stuttgart-Stammheim, suivi en guise de "représailles" par l'assassinat de Schleyer, retrouvé mort dans un coffre de voiture en Alsace (1). - Quarante ans plus tard, le monde occidental est de plus belle en proie aux actions terroristes, conduites cette fois par le groupe auto-proclamé "État Islamique" (IS). Comme un grand nombre d'observateurs, les rédacteurs du Spiegel ne voient pas vraiment de lien entre les deux "guerres". Or, la cible est la même : le monde libéral, démocratique, capitaliste. Et la RAF comme l'IS ont été ou sont soutenus par de puissants groupes d'intérêt, et ce n'est pas un hasard que cette première cesse définitivement ses activités peu après la chute du mur de Berlin rendu possible par l'effondrement de l'Union soviétique (2). Quasi simultanément, on assiste à la fondation du groupe terroriste Al-Qaïda : une idéologie anti-occidentale remplace l'autre et le fonctionnement sectaire est le même. En effet, dans le numéro cité du Spiegel, l'interview de l'ancien membre de la RAF, Peter-Jürgen Boock qui a participé à l'enlèvement meurtrier de Schleyer au cours duquel quatre policiers ont été tués, est éloquent sur ce point : arrogance, folie des grandeurs, endoctrinement, absence de pensée critique etc. Comme pour Al-Qaïda, ces qualificatifs restent pertinents pour l'IS, son successeur incontestable. - Il ne fait plus de doute que l'effondrement du bloc de l'Est a laissé un vide idéologique considérable : en conséquence, tout mouvement de contestation résolument "anti-capitaliste" devient orphelin, puisque non seulement les soutiens financiers mais également l'image ou le modèle de ce que l'on appelait à l'Est le "socialisme réellement existant" ont disparu.- Il y aurait ici beaucoup à dire, mais la question est ailleurs : après les catastrophes et traumatismes majeurs des deux guerres mondiales, que l'on a tendance à oublier dans ce contexte, notre "monde occidental" n'utilise-t-il pas cette "nouvelle guerre" dite "non conventionnelle" pour parfaire un système de surveillance planétaire dont la tendance totalitaire n'est que trop évidente ? L'opportunité et le prétexte viennent à point nommé pour la mise en place d'un tel système orwellien grâce notamment à la prolifération des "nouvelles technologies" où l'homme contemporain est appelé à surveiller son prochain comme soi-même ! Cette critique a d'ailleurs été adressée dès la fin des années 1960 aux mouvements terroristes d'extrême-gauche, puisqu'ils ont contribué au renforcement de l'État policier qu'ils prétendaient combattre.


[en cours]

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(1) L'action réussie du GSG 9, puis le suicide collectif des chefs de la RAF et enfin l'assassinat de Schleyer se sont tous trois produits le 18 octobre 1977 (Ulrike Meinhof ayant été retrouvée pendue le 9 mai 1976 dans sa cellule du même quartier de haute sécurité de Stuttgart-Stammheim). -  L’Allemagne en automne (Deutschland im Herbst) est le titre d'un film à épisodes, qui thématise cette "nuit sanglante" de Stammheim, ses antécédents et ses conséquences immédiates, à partir des différentes perspectives des contributeurs, dont l'écrivain Heinrich Böll, les réalisateurs Rainer Werner Fassbinder, Edgar Reitz, Alexander Kluge, Volker Schlöndorff et bien d'autres. Le film, tantôt documentaire tantôt scénarisé, est sorti en mars 1978. - Voici la version originale :


(sous-titres portugais [Brésil] en cliquant sur cc en bas à droite après la mise en route de la vidéo)

(2) Entre 1980 et 1982, dix membres de la RAF se sont réfugiés en RDA. On suppose ou on sait qu'avant et après ces dates, d'autres soutiens ont été apportés aux terroristes allemands : l'aéroport de Schönefeld à Berlin-Est était à leur disposition pour rejoindre le Liban ou l'Irak, tout comme certains renseignements très utiles et confidentiels de la police politique (Stasi) et des services secrets est-allemands, à quoi l'on peut ajouter des fausses pièces d'identité, des logements provisoires et des subsides matériels. - On suppose ou on sait aussi que l'IS dispose d'un soutien matériel et logistique similaire dans certaines monarchies ou émirats du Golfe, mais sans doute aussi dans deux ou trois pays d'Asie. La question est de savoir quels sont les intérêts réels de ces puissants soutiens : sont-ils économiques, idéologiques, géopolitiques... ? - Dans ce contexte, on pourrait se demander pourquoi la Turquie d'Erdoğan cherche aujourd'hui à exercer une telle influence sur l'Occident, notamment par l'intermédiaire de ses ressortissants résidant en Europe et surtout en Allemagne, mais aussi en jouant sur la bombe à retardement de la "crise des migrants" qui met en péril la "construction européenne" et qui est en partie à l'origine du vote britannique en faveur du "leave". Par ailleurs, la situation irako-syrienne semble insoluble : avec les factions qui s'affrontent - sunnites et chiites, Russes et Américains, partisans de Bachar al Assad et anciens de Saddam Hussein, Kurdes et Turcs, Iraniens et Saoudiens etc. - la guerre qui y est menée ressemble de plus en plus à la guerre de Trente Ans (1618/48) qui a mis l'Europe centrale à feu et à sang. À l'époque déjà, la majorité des victimes était constituée de civils, notamment de ruraux. Et si les différends confessionnels entre protestants et catholiques avaient déjà joué un rôle important dans cette longue guerre meurtrière, les véritables motifs des puissances impliquées sont - comme aujourd'hui ! - à chercher ailleurs ...