vendredi 8 avril 2011

L';Europe et les Nations

 LA PARTICIPATION ALLEMANDE

Le dimanche 27 mars 2011, le jour du second tour des Cantonales, des élections régionales avaient également lieu en Allemagne, dans les Länder de Bade-Wurtemberg et Rhénanie-Palatinat. La participation a été de 66,24% dans la première région [ici] et de 61,81% dans la seconde [], contre moins de 45% en France pour les deux tours [44,32% et 44,77%, ici] !

Il faut bien sûr, comme on le dit souvent en pareil cas, "comparer ce qui est comparable" :  Outre-Rhin, il s'agissait d'élections "régionales" et non "cantonales". Or, les élections régionales françaises des 14 et 21 mars 2010 ont donné lieu à une participation de 46,33% au premier tour et de 51,21% au second [ici].

La raison de cette différence importante entre les taux de participation est relativement évidente. L'Allemagne est une république fédérale. Les 16 Länder qui la composent jouissent d'une certaine autonomie et les deux élections, qui viennent de s'y tenir, aboutissent à la formation d'un gouvernement régional sous l'autorité d'un Premier ministre, dans les deux cas une coalition "rouge-verte" entre sociaux-démocrates et écologistes, avec au Bade-Wurtemberg un Premier ministre ("ministre-président") des Verts, ce parti étant arrivé en tête du suffrage. - Les compétences des Länder, qui ont été accrues par la réforme de 2009, concernent entre autres l'éducation (primaire, secondaire, universitaire), la culture, la radio-diffusion avec les déclinaisons régionales de la troisième chaine publique (radios et TV) bien plus autonomes et diversifiées qu'en France, le traitement et les droits des fonctionnaires régionaux, la police du Land, l'administration pénitentiaire, l'environnement ... - De plus, les représentants des 16 Länder forment le Conseil fédéral, le Bundesrat, qui participe à la législation fédérale.



LE CENTRALISME PARISIEN

Comme le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, l'a annoncé, de nouvelles élections auront lieu en mars 2014, en même temps que les Municipales, où l'on n'élira plus des conseillers généraux mais "territoriaux", qui siègeront à la fois aux Conseils généraux et régionaux. Le mandat des élus de mars 2011 n'est donc que de trois ans.

Cette annonce touchant aux élections "locales" fait apparaître une hésitation fondamentale, qui traverse les gouvernements français de droite et de gauche : La France doit être "décentralisée", mais on a du mal à renoncer au centralisme parisien. Au sein de l'Europe, les autres métropoles françaises et leurs régions respectives pourraient pourtant réaliser de plus en plus d'échanges tant commerciaux que culturels et de "partenariats" avec les régions voisines : Lille avec la Wallonie et Bruxelles, Strasbourg avec le Bade-Wurtemberg et Stuttgart, Toulouse avec la Catalogne et Barcelone,  Bordeaux avec le Pays Basque et Bilbao, Nantes ou Rennes avec le Kent et Londres, Lyon avec Genève et Turin, Marseille avec les ports de la Méditerranée ...

Pour une part, le centralisme parisien entrave cette évolution. L'exemple le plus flagrant est l'Éducation avec ses programmes et directives "nationales", qui empêchent par exemple de recruter (avec un statut de fonctionnaire) des professeurs de langue des pays voisins ou d'adapter l'enseignement aux besoins de la région et des échanges avec ses partenaires européens. Contrairement à l'Allemagne, la Culture est également en bonne partie centralisée à Paris, métropole mondiale incontestable des arts et de la création, même si la décentralisation risque ici de s'accentuer pour la simple raison du prix des ateliers, des salles et surtout des logements pour cette immense majorité d'artistes qui n'ont pas "réussi" mais qui n'en incarnent pas moins le vivier de la création, dont s'inspirent les artistes "arrivés" et sans lequel nous n'aurions jamais que la répétition interminable des "succès" du passé, sans prise de risque et innovation : de l'art mort !


L'EUROPE

En extrapolant un peu, ce problème de l'autonomie, à certains égards indispensable, des régions se pose également en Europe, où 27 "Nations" sont représentées, mais où il n'y a pas de "Conseil des Régions". Pour régler certaines questions, celui-ci serait pourtant nécessaire, notamment en ce qui concerne les directives européennes qui désavantagent certains territoires, ou qui ont un impact négatif sur leur développement. spécifique. Certaines "normes européennes" pourraient alors être adaptées ou amendées selon les besoins des populations et de certains domaines d'activité bien particuliers ...

Or, l'Europe actuelle est une fédération assez molle et floue des Nations, qui laisse une autonomie considérable aux pays membres et qui n'a toujours pas jugé utile d'organiser ses référendums constitutionnels le même jour sur tout le continent. Et, comme l'Europe, toutes ces nations sont également des "artefacts", avec une "tradition" plus ou moins longue, toujours écrite après coup. Car la Gaule n'est devenue "française" qu'à partir du moment où la "France" comme telle a été constituée, entre le 12e Siècle et la guerre de Cent ans. En effet, les duchés et comtés médiévaux (Bretagne, Anjou, Aquitaine, Toulouse, Gascogne, Bourgogne etc.) auraient pu évoluer vers l'autonomie et le fédéralisme. - C'est ce qui s'est passé en Allemagne, après la fin du Saint Empire germanique (officiellement en 1806), qui avait formé une alliance plus nominale que réelle. L'Allemagne n'a réalisé son "unité nationale" qu'en 1871, d'abord comme "Empire", comprenant avec la région hégémonique de Prusse un certain nombre de royaumes (Bavière, Wurtemberg, Saxe) et de Grands Duchés (Bade, Meckembourg), puis comme République (de Weimar) où l'on assiste à une première transformation des anciennes provinces féodales en "Länder". Et, après l'épisode national-fasciste, où le régime cherchait à centraliser et niveler tout le pays pour mieux le contrôler, la République fédérale s'est installée à l'Ouest et a fédéralisé l'Est après la fin de la dictature communiste, elle aussi adepte de la centralisation. Le fédéralisme allemand s'explique donc par la tradition fédéraliste du Saint Empire germanique, où les divers royaumes et duchés étaient habitués à une large autonomie, mais sans doute aussi par la volonté politique de contrecarrer les velléités de nivellement et de contrôle de l'État autoritaire, dont l'Allemagne aura expérimenté toutes les facettes (Guillaume II, IIIe Reich, RDA).


LA NATION

Pour extrapoler davantage, tout le monde convient aujourd'hui de l'erreur commise lors de la décolonisation et des mouvements d'Indépendance, qui consistait à octroyer (voire à imposer) le statut de "Nation" aux anciennes colonies. L'impasse à laquelle cette politique (désastreuse) a mené trouve sans doute son apogée avec le conflit israélo-palestinien. Le fédéralisme eût été (ou serait) une solution viable, par exemple sous la forme d'une alliance entre le Liban, la Palestine et Israël, basée sur le multi-confessionnalisme, chaque région pouvant faire valoir ses particularités "cultuelles" et "culturelles", l'État fédéral garantissant la non agression entre les membres et, en définitive, la paix.

C'est également, quoi que l'on puisse en penser par ailleurs, la vocation première de l'Europe. Mais au gré des extrapolations, nous nous sommes éloignés du thème initial de cette note : La comparaison des taux de participation aux élections régionales en Allemagne et en France. L'évocation du fédéralisme a été nécessaire. Cependant, le seul constat de la différence d'organisation politique (et démocratique) entre les deux pays ne m'a pas paru suffisant. Il fallait également se demander comment ces modes de fonctionnement se sont mis en place, au cours de l'Histoire. Et, plus importante encore, la question du bien-fondé de la Nation dans le monde contemporain reste posée.

La constitution en nations des anciennes colonies ne convient pas à un certain nombre de pays africains et proche-orientaux. Cela ne tient pas tant à l'absence de "tradition nationale", souvent invoquée, qu'à la prévalence d'autres modes d'organisation, tribaux, confessionnels, culturels, qui restent largement ignorés par les gouvernements centraux, si l'on excepte les formes néfastes d'un "clientélisme" plus ou moins corrompu et occulte.


L'EUROPE DES NATIONS

Dès lors, il paraît légitime de s'interroger également sur le bien-fondé de la Nation dans le "concert européen". Objectivement, la réponse est évidente. Les 27 ministères de la Défense et des Affaires étrangères (avec leurs innombrables ambassades et consulats dans le monde entier) seraient parfaitement superflues si l'on se décidait à construire une armée européenne et à instaurer une "nationalité" européenne. De même, l'Éducation et la Culture profiteraient certainement de leur transfert sous l'autorité des Régions, qui mettrait un terme à la stupide concurrence entre la capitale et "la province" (un singulier bien révélateur). Restent l'Économie et les Finances, la Justice et l'Intérieur. On dit et répète que les deux premières se jouent d'abord au niveau mondial. Ensuite, une "harmonisation" des taxes, salaires et avantages sociaux ne ferait pas de mal à l'Europe. - La Justice est également en grande partie une affaire européenne, puisque les législations pénales et criminelles des pays membres ont tendance à se mettre en conformité les unes avec les autres, même si les différents codes du Travail génèrent encore une grande inégalité parmi les Européens, qui explique la migration absurde des travailleurs de l'Est vers l'Ouest et la délocalisation déloyale des entreprises en sens inverse. - Enfin l'Intérieur, qui assure la sécurité de l'État : Si, avec l'armée continentale, une "gendarmerie européenne" se met en place, comme c'est souhaitable, le rôle de la police nationale se verrait restreint, et elle pourrait aisément déléguer une grande partie de ses tâches restantes à une "police de proximité", plus dissuasive que répressive. Le crime organisé ne peut de toute façon être combattu efficacement qu'avec une structure d'investigation européenne. - Objectivement, la réponse tendrait donc à plaider pour la suppression des États-Nation, devenus inutiles et coûteux, au profit de l'accroissement des compétences de l'Europe (Affaires étrangères, Défense, Sûreté du territoire, Économie, Finances et Justice), mais aussi du renforcement des Régions, qui disposeraient, comme en Allemagne, d'un parlement à même de voter un Premier ministre et un gouvernement régional. - Mais, et c'est là tout le problème, "subjectivement"  - ou, si l'on préfère, au niveau des différentes "opinions publiques" nationales, bien souvent manipulées - les réponses divergent fortement. Et les arguments ne manquent pas : Quid de la politique étrangère de la France, avec par exemple le refus du président Chirac d'intervenir en Irak ? Quid du système de santé français qui est toujours l'un des plus équitables du monde ?

La crainte, compréhensible, est celle d'un système nivelé vers le bas, où les avantages sociaux sont progressivement revus à la baisse et où le système de santé sera inaccessible aux plus pauvres. Or, c'est justement ce qui se passe en raison de l'absence d'une Europe politique. Il serait donc important que des négociations soient menées sur le plan social et fiscal pour aboutir à une harmonisation indispensable des prestations, des taxes et des salaires à l'échelle européenne, ce qui éviterait en tout cas les migrations et les délocalisations tout-à-fait "contre-productives" et dommageables en premier lieu pour les ouvriers  eux-mêmes. Pour le financement, les budgets considérables des 27 ministères des Affaires étrangères devraient suffire dans un premier temps ! Par la même occasion, on serait enfin obligé de définir une position européenne en matière de politique étrangère, qui est devenue urgente, ces temps-ci. - Du reste, certaines questions essentielles, comme par exemple le système de santé ou l'âge de la retraite, pourraient également être soumises à référendum. Pour peu que les décisions à prendre concernent la vie réelle des citoyens, le taux de participation aux "votations" devrait redevenir acceptable, d'un point de vue purement démocratique !

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