dimanche 16 novembre 2014

Il est interdit d'interdire

Un pied de nez à ceux qui prenaient cette célèbre formule au pied de la lettre : elle a bien été lancée par un éminent contestataire, mais si l'humoriste Jean Yanne l'avait créée au cours de l'un de ses dimanches radiophoniques du printemps 1968, il ne ressemblait pas vraiment à la caricature du sorbonnard qui prenait la pose sur les barricades du Quartier Latin.

Bien sûr, la formule n'a pu atteindre un tel degré de popularité qu'avec sa réception enthousiaste : écrite sur les murs ou scandée dans les défilés, elle a fait le tour du monde, portée par le vent de révolte qui animait les mouvements de jeunesse en cette fin des années 1960.

Ce n'est donc pas son caractère paradoxal qui permettra de démontrer l'incohérence des revendications d'alors. Car, même sans connaître son auteur ou la parodie à l'origine de la formule, ceux qui l'utilisaient – et notamment les étudiants – ne pouvaient pas ne pas voir la contradiction logique qu'elle recelait, illustrée par ce Crétois légendaire qui affirmait que tous les Crétois sont des menteurs.

« Il est interdit d'interdire » figure une histoire sans fin puisque la formule implique avec la même logique paradoxale qu'il est « interdit d'interdire d'interdire ». C'est l'histoire sans fin d'une jeunesse qui ne cesse de rappeler aux anciens en bravant leurs interdits que chacun doit faire ses propres expériences avant de comprendre qu'il n'avait rien compris.

lundi 10 novembre 2014

La Chute du Mur. Et après ?

On imagine la liesse populaire. Les images ont été rediffusées à satiété. On imagine le soulagement après l'oppression et l'injustice. Tant d'exemples illustrent l'immense joie des peuples libérés, souvent de façon inattendue, parfois du jour au lendemain. - À Berlin, le mur était réputé infranchissable : il représentait pendant vingt-huit ans une réalité intangible. Puis, après quelques frémissements, il s'ouvre et tombe en une seule nuit sur un malentendu : la communication prématurée d'un arrêté de libre circulation lors d'une conférence de presse retransmise en direct à la télévision. Le monde entier - déjà en voie de globalisation - prend immédiatement connaissance de cette nouvelle sensationnelle, qui marque le début de la fin d'une quarantaine d'années de guerre froide.


Ouvriers rentrant du travail dans le métro de Berlin-Est
(photo : Harald Hauswald)

Depuis ce 9 novembre 1989, on continue de célébrer la chute du mur, la fin de la dictature communiste, de l'État policier, le début de la liberté de circulation, de presse et d'opinion, le retour de la propriété privée et de la libre entreprise. On célèbre cette nuit et les jours suivants, où les citoyens de RDA sont allés admirer les vitrines de l'ennemi de classe, ont un peu plus tard empoché leur "argent de bienvenue" (Begrüßungsgeld) - 100 D-Mark - et fait leurs premières emplettes, pris par un embarras du choix inconnu devant ces étals débordant de biens de consommation.

samedi 8 novembre 2014

Un certain 9 novembre

On peut se demander pourquoi cette date de la chute du mur de Berlin n'a pas été retenue comme jour de la fête nationale de l'Allemagne réunifiée :

- Le 9 novembre 1918, le chancelier Max von Baden décide de son propre chef d'annoncer l’abdication de l'empereur Guillaume II et nomme Friedrich Ebert (SPD) aux affaires. Vers 14 h, le social-démocrate Philipp Scheidemann proclame depuis le Reichstag la « République Allemande » (appelée ensuite « République de Weimar »). Deux heures plus tard, le spartakiste Karl Liebknecht proclame la « République allemande des Conseils » sur le modèle des soviets russes. C'est le début de la Révolution de Novembre qui sera réprimée dans le sang. Entre-temps, l'armistice de la « Grande Guerre » est signée à Compiègne.



lundi 3 novembre 2014

Un billet pour rien

Parfois je pense que la vie ressemble à un hall de gare où ceux qui partent croisent ceux qui arrivent. Certains se reposent dans la salle d'attente. Ils ont le temps. Entre l'arrivée et le départ. Quelques-uns n'ont pas de chez eux. Leurs regards se perdent dans le vague. D'autres sont plantés au buffet, le nez dans leur bière. Ou assis à une table, le mobile à l'oreille. Ceux-là n'ont plus une minute à perdre. Dans un quart d'heure, ils prendront le train pour la capitale. Ils s’entraînent déjà à vivre plus vite. On dormira quand on sera morts, qu'ils disent. - Moi, je stagne sur le parvis : au guichet, ils n'ont pas voulu me délivrer de billet pour n'importe où. La prochaine fois, j'en demanderai un pour nulle part. Peut-être qu'on me le laissera pour rien.




dimanche 2 novembre 2014

La paix sociale

Dans un régime démocratique, il semble qu'il y ait un seuil quantifiable - un certain pourcentage de gens pauvres, chômeurs ou exclus - au-delà duquel il n'est plus possible de garantir, de maintenir la paix sociale. Selon le ministère du Travail de la République de Weimar, 6.127.000 Allemands sont au chômage à la mi-février 1932 : soit un "actif" sur trois ! - En juillet de la même année, le NSDAP - pour mémoire : une organisation fasciste et criminelle - atteint son plus haut score à des élections parlementaires libres : 37,1% (contre 33,1% en novembre 1932).

Le recensement de 1925 ayant dénombré 62.411.000 habitants en Allemagne, on ne compte encore que 1,5 millions de chômeurs deux ans plus tard (en 1927). Et, lors des élections du Reichstag de 1928, le NSDAP réalise un score plutôt dérisoire - et peut-être surprenant pour les non-spécialistes - avec seulement 2,6% des suffrages exprimés (contre 29,8% au SPD) !

Mais alors : qu'est-ce qui a bien pu se produire en quatre ans, entre mai 1928 et juillet 1932, pour que le NSDAP passe de 2,6% à 37,1% (1) ?

Une communauté nationale est par principe composée de groupes hétérogènes, aux origines diverses et aux intérêts divergents, comme ceux des ouvriers et des patrons par exemple, "prolétaires" et "bourgeois" dans le jargon de l'époque. Et, lorsque l'on considère les pays de langue allemande des années 1900 à 1930, on ne peut que remarquer la diversité des mouvements artistiques et intellectuels : nul besoin de faire un inventaire des noms, mais on peut affirmer qu'il s'agissait d'une culture extrêmement riche, "absolument moderne", selon le vœu du poète, que ce soit dans les domaines de la littérature, du cinéma, de la peinture ou des sciences, toutes disciplines confondues. - Inconcevable à l'époque qu'une telle polyphonie culturelle puisse, du jour au lendemain, être extirpée de la conscience collective d'une nation (2).