On imagine la liesse populaire. Les images ont été rediffusées à satiété. On imagine le soulagement après l'oppression et l'injustice. Tant d'exemples illustrent l'immense joie des peuples libérés, souvent de façon inattendue, parfois du jour au lendemain. - À Berlin, le mur était réputé infranchissable : il représentait pendant vingt-huit ans une réalité intangible. Puis, après quelques frémissements, il s'ouvre et tombe en une seule nuit sur un malentendu : la communication prématurée d'un arrêté de libre circulation lors d'une conférence de presse retransmise en direct à la télévision. Le monde entier - déjà en voie de globalisation - prend immédiatement connaissance de cette nouvelle sensationnelle, qui marque le début de la fin d'une quarantaine d'années de guerre froide.
Depuis ce 9 novembre 1989, on continue de célébrer la chute du mur, la fin de la dictature communiste, de l'État policier, le début de la liberté de circulation, de presse et d'opinion, le retour de la propriété privée et de la libre entreprise. On célèbre cette nuit et les jours suivants, où les citoyens de RDA sont allés admirer les vitrines de l'ennemi de classe, ont un peu plus tard empoché leur "argent de bienvenue" (Begrüßungsgeld) - 100 D-Mark - et fait leurs premières emplettes, pris par un embarras du choix inconnu devant ces étals débordant de biens de consommation.
Mais d'autres éléments inconnus ont rapidement fait leur apparition avec la réunification de l'Allemagne en 1990 : le chômage, qui allait atteindre 20% à l'Est (contre 10% à l'Ouest), la montée des prix pour les produits de première nécessité (alimentation, vêtements, énergie etc.) et une hausse considérable des loyers sans que les salaires ou les autres revenus - aujourd'hui encore inférieurs dans les "nouveaux Länder" - suivent cette inflation considérable. En effet, nous sommes les prisonniers de nos "besoins premiers", dont la satisfaction - surtout si nous avons une famille à nourrir - représente une contrainte absolue : l'économie libérale exploite sans vergogne cette dépendance fondamentale, contrairement aux anciens pays communistes qui avaient d'autres moyens de pression sur les gens. Et pour les petits revenus, c'est-à-dire pour la majorité des gens, tout le reste n'est accessible qu'à crédit : c'est là un carcan supplémentaire dont il est de plus en plus difficile de s'extraire à mesure qu'on se laisse tenter par le monde merveilleux de la consommation.
Par ailleurs, tous les sites de production nationalisés de RDA (industrie et agriculture) ont été privatisés à grand renfort de licenciements, opérations conduites par l'organisme public de la Treuhand (pour Treuhandanstalt, littéralement : agence fiduciaire ou tutélaire). Or, depuis la chute des autres gouvernements communistes, plus personne - et surtout pas les Allemands eux-mêmes - ne voulait des produits de la RDA, autrefois prisés au sein du pacte de Varsovie. Plus personne ne voulait rouler en Trabant ou en Wartburg, puisqu'on rêvait depuis si longtemps de Mercedes et de BMW devant cette vitrine commerciale que fut - et qu'est toujours - la télévision occidentale.
Mais le plus important est sans doute ceci : Tout en étant animés par une féroce volonté de se débarrasser de l'État policier et de la dictature d'une nomenclature sénile, un certain nombre de "révolutionnaires paisibles" de RDA n'avaient pas forcément envie de troquer la sécurité d'un État social, où tout le monde pouvait accéder aux soins, à l'éducation, à l'emploi - où, malgré le manque consubstantiel à ce type d'économie, les logements, la nourriture, les transports, les livres, les spectacles (et la bière) n'étaient pas chers - contre l'insécurité croissante d'une économie libérale en crise, qui allait peu à peu révéler sa face cachée. On évoquait alors une "troisième voie" qui continue, aujourd'hui encore, d'alimenter certains débats sur l'avenir de nos sociétés.
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Depuis ce 9 novembre 1989, on continue de célébrer la chute du mur, la fin de la dictature communiste, de l'État policier, le début de la liberté de circulation, de presse et d'opinion, le retour de la propriété privée et de la libre entreprise. On célèbre cette nuit et les jours suivants, où les citoyens de RDA sont allés admirer les vitrines de l'ennemi de classe, ont un peu plus tard empoché leur "argent de bienvenue" (Begrüßungsgeld) - 100 D-Mark - et fait leurs premières emplettes, pris par un embarras du choix inconnu devant ces étals débordant de biens de consommation.
Berlinois de l'Est avec son billet de cent marks ("Begrüßungsgeld")
(photo : Harald Hauswald, 1990)
(photo : Harald Hauswald, 1990)
Mais d'autres éléments inconnus ont rapidement fait leur apparition avec la réunification de l'Allemagne en 1990 : le chômage, qui allait atteindre 20% à l'Est (contre 10% à l'Ouest), la montée des prix pour les produits de première nécessité (alimentation, vêtements, énergie etc.) et une hausse considérable des loyers sans que les salaires ou les autres revenus - aujourd'hui encore inférieurs dans les "nouveaux Länder" - suivent cette inflation considérable. En effet, nous sommes les prisonniers de nos "besoins premiers", dont la satisfaction - surtout si nous avons une famille à nourrir - représente une contrainte absolue : l'économie libérale exploite sans vergogne cette dépendance fondamentale, contrairement aux anciens pays communistes qui avaient d'autres moyens de pression sur les gens. Et pour les petits revenus, c'est-à-dire pour la majorité des gens, tout le reste n'est accessible qu'à crédit : c'est là un carcan supplémentaire dont il est de plus en plus difficile de s'extraire à mesure qu'on se laisse tenter par le monde merveilleux de la consommation.
Femmes en train de trier les pommes de terre dans un village au bord de l'Elbe
(photo : Harald Hauswald, RDA 1984)
(photo : Harald Hauswald, RDA 1984)
Par ailleurs, tous les sites de production nationalisés de RDA (industrie et agriculture) ont été privatisés à grand renfort de licenciements, opérations conduites par l'organisme public de la Treuhand (pour Treuhandanstalt, littéralement : agence fiduciaire ou tutélaire). Or, depuis la chute des autres gouvernements communistes, plus personne - et surtout pas les Allemands eux-mêmes - ne voulait des produits de la RDA, autrefois prisés au sein du pacte de Varsovie. Plus personne ne voulait rouler en Trabant ou en Wartburg, puisqu'on rêvait depuis si longtemps de Mercedes et de BMW devant cette vitrine commerciale que fut - et qu'est toujours - la télévision occidentale.
Mais le plus important est sans doute ceci : Tout en étant animés par une féroce volonté de se débarrasser de l'État policier et de la dictature d'une nomenclature sénile, un certain nombre de "révolutionnaires paisibles" de RDA n'avaient pas forcément envie de troquer la sécurité d'un État social, où tout le monde pouvait accéder aux soins, à l'éducation, à l'emploi - où, malgré le manque consubstantiel à ce type d'économie, les logements, la nourriture, les transports, les livres, les spectacles (et la bière) n'étaient pas chers - contre l'insécurité croissante d'une économie libérale en crise, qui allait peu à peu révéler sa face cachée. On évoquait alors une "troisième voie" qui continue, aujourd'hui encore, d'alimenter certains débats sur l'avenir de nos sociétés.
Commentaires de blogueurs/gueuses de l'Obs
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Importante note en fait dans le contexte actuel du seul triomphe de l'ultra-libéralisme. Je n'ai jamais défendu le régime totalitaire marxiste-léniniste, ou plus exactement encore, le capitalisme d'état, mais à cause d'atteintes effectivement graves à la liberté individuelle - et ses horreurs comme le Goulag et la Stasi en RDA-, on a perdu de vue ce qui avait été tenté, à savoir la construction d'un état qui entendait le bien de tous.
C'est vraiment dur aujourd'hui pour toutes les gauches du monde d'inventer un autre modèle, et qui soit à la fois résistant au capitalisme et à la fois anti-léniniste et stalinien.
Le plus inquiétant d'après moi c'est que l'ultra-libéralisme paraît pour la plus grande majorité de la doxa la seule solution possible, comme si enfin avec le libéralisme, s'achevait l'histoire à la sauce de Francis Fukuyama...
Merci d'être ici, Sk, et de poser encore question.
Ce qui, légitimement, fatigue certains de ceux qui ont vécu en RDA - qui, pendant un temps, y ont cru, puis ont déchanté, tout en espérant encore une amélioration - c'est l'image unilatérale, réduite à celle d'un État policier, au muselage et à l'enfermement des gens : la surveillance totale et les arrestations arbitraires, l'absence de liberté d'opinion et de voyage étaient certes des points extrêmement négatifs et hautement condamnables, mais il y avait également certains éléments positifs qui, dans les différentes présentations, notamment télévisuelles, ne sont jamais évoqués. - J'en cite quelques-uns : soins, éducation, emploi pour tous, et, malgré la pénurie, logements, nourriture, transports peu onéreux. Idem pour les produits culturels, et on a tort de considérer (présentation unilatérale oblige) qu'il n'y avait que des livres de Marx et Engels (j'ai trouvé une édition RDA de "Sur la route", de Kerouac, par exemple) et des spectacles pro-gouvernementaux. Notamment au théâtre, Brecht a exercé son influence bien après 1955, il y avait Heiner Müller et d'autres, classiques et modernes continuaient d'être mis en scène. Pour la musique, il y avait le partage des cassettes enregistrées (émissions musicales pop-rock des radios de Berlin-Ouest, mais aussi des vinyles en circulation), et la scène rock, blues, jazz (puis punk) était très importante [*]. - Et je passe sur les avancées "sociétales" (divorce facile, avortement légal etc.) qui, bien sûr, n'étaient pas très "catholiques" !
[*] Cela ne veut pas dire que la possession de produits culturels de l'Ouest non avalisés par le régime de l'Est ne constituait pas un délit et ne pouvait pas être (parfois sévèrement) réprimé (idem lorsqu'on regardait la TV ou écoutait la radio de l'Ouest). Mais les circuits "underground" étaient bien organisés, et il fallait vraiment être dénoncé ou sous la coupe d'une "procédure opérative" de la stasi pour se faire alpaguer. - J'en profite pour dire que je ne cherche pas à donner une image idyllique de la RDA, mais simplement à nuancer un peu le tableau grossier qui en est fait habituellement, et ce sur des informations et des impressions que m'ont confiées des personnes qui y ont vécu.
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Le sentiment d'appartenance à une Europe élargie, la fraternisation de peuples séparés par l'Histoire, tout cela s'est desséché dans la seule harmonisation bancaire et d'homéopathiques échanges culturels ou dérisoires commémorations communes, certes utiles mais insuffisantes pour remiser, une fois pour toutes, les tanks dans leurs hangars.
Pas plus que n'aura été dissipée la xénophobie contre... allez, au hasard : le plombier et l'ouvrier venus d'ailleurs ou le rempailleur de chaises ; peanuts, au regard de la réapparition d'anciens risques, comme l'absence actuelle de compromis possible entre les intérêts russes et ceux de l'ouest. Intérêts en termes économiques, comme de sécurité réciproque, les deux sont indissociables à long terme.
Les enrichissements mutuels possibles d'alors, dans tous les domaines, ont très vite été supplantés par la routine des rapports de force économiques et la recherche de retours rapides sur investissements. C'est bien sûr plus complexe, mais le gâchis a pudiquement été passé à la trappe.
Aujourd'hui, la somme de tous ces ratages et désenchantements aboutit à la résurgence et l'exploitation des tentations "neuro-reptiliennes" (sourire) populistes de replis sur soi et autres recherches de boucs émissaires.
Rendez-vous aux monuments aux morts !
:-)
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Xénophobie : l'une des constantes du caractère humain ! - Je ne vous apprends surement pas qu'elle s’exerçait même entre Allemands : il fallait le faire, tout de même, après avoir souhaité la réunification pendant des décennies. Une fois celle-ci faite, les gens de l'Ouest ("Wessies") commençaient à râler contre ceux de l'Est ("Ossies") qui, disait-on, "ne savaient pas travailler" etc. etc. Et la réaction ne s'est pas faite attendre, évidemment. - Il y aurait ici matière à montrer que la xénophobie en général est une affaire très opportuniste (sans doute toujours en relation avec des problèmes économiques), puisqu'elle peut s'exercer, comme en Allemagne, entre membres d'un même "peuple".
Pour le monument aux morts : les célébrations du 25e anniversaire de la chute du mur me donnent cette même impression de mortification. On ne s'interroge pas sur l'après. Ni sur le pourquoi et le comment. On célèbre, on boit de la bière, on écoute Udo Lindenberg à la Porte de Brandebourg et le futur ex-maire de Berlin (Klaus Wowereit, SPD) commémorer les 138 victimes connues du mur [*]. On lâche les ballons d'hélium dans le "ciel non partagé" de Berlin, et on rentre à la maison !
[*] le nombre des victimes réelles dépasserait le millier (mortes en relation avec des tentatives de fuites)
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J'ai eu l'occasion de travailler avec des dirigeants berlinois qui effectivement tenaient le discours du "ils ne savent pas travailler" et du "ce sont tous des assistés" tout en reconnaissant l'excellent niveau d'éducation et la culture des Ossies.
Qu'entendez-vous par "troisième voie" ?
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Pour la "troisième voie", expression récemment entendue dans un débat TV allemand [**], je ne saurais vous répondre, Marc : c'est ce qui au-delà de la dictature communiste et du capitalisme libéral aurait pu - ou pourrait peut-être encore - se concevoir. Au temps du bloc de l'Est, cette "troisième voie" était en discussion, notamment dans les années 1960/70, et pas seulement en France, loin, très loin s'en faut.
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[*] Ou vingt-huit ans, puisque le passage dans les deux sens restait possible à Berlin jusqu'au 13 aout 1961.
[**] Extrait d'un commentaire ailleurs : "J'entendais l'autre jour dans un talk TV une débatteuse qui a appartenu au Neues Forum dire que beaucoup de contestataires, acteurs de la "Révolution paisible" s'attendaient à une "troisième voie" et non à un rachat pour 1 mark symbolique de la RDA par la RFA. Avec l'élection probable d'un ministre-président du parti de gauche (Die Linke) en Thuringe, ce genre de débat (balayé sous le tapis) réapparait."
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http://www.causeur.fr/la-chute-du-mur-de-berlin-30139.html
Ou l'explication du glacis de la RDA via la punition allemande ... et le rappel de la phrase de Mauriac disant qu'il aimait telllement l'Allemagne qu'il était heureux qu'il y en ait deux !!
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On peut effectivement comparer (un peu) la relation ashkenaze-séfarades et celle de la RFA-RDA au détail près que la séparation ashkénazes-séfarades date de plus d'un millénaire aucours duquel les deux branches du même "peuple" se sont acculturés aux sociétés d'accueil (beaucoup pour les séfarades, moins pour les ashkénazes. Sur ce plan, la mentalité (et la culture ?) des habitants de la RDA a été refaçonnée après un "reset" massif apparemment réussi. D'où la plus que relative incompatibilité culturelle et surtout sociale entre les deux Allemagne.
Cela pose effectivement la question de ce qu'est un "peuple" sauf si la réponse ne se limite à un passé et une culture commune.
Je suis ne train de lire un ouvrage magistral sur "les juifs d'Espagne-1492-1992), énorme pavé faisant le point sur ce qui s'est passé en Espagne, au Portugal, en Hollande et en Turquie durant cinq siècles pour les juifs. J'en parlerai lorsque je l'aurai digéré ...
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[*] Je ne serais pas étonné si les Sépharades en avaient autant à l'égard des Ashkénazes, ces choses-là ne sont jamais à sens unique. Il serait d'ailleurs intéressant d'étudier sous cet aspect les populations d’Israël et l'appréciation des différentes vagues d'immigration par les nationaux.
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Chacun reprochant à l'autre l'imprégnation culturelle de l'autre par le milieu ambiant, ce qui peut sembler anecdotique mais est encore pregnant chez les quinquas et sexas des deux bords.
Ce qui était vrai jusqu'aux années 90 en Israël et plus récemment en France où le melting-pot semble bien fonctionner. En réalité toutes ces oppositions se diluent avec le temps, si le contexte commun s'y prête, le meilleur exemple me semblant être les mariages désormais courants entre israéliens et yéménites. Ce qui n'est pas encore le cas des éthiopiens mais cela s'atténue également.
En Allemagne, le problème semble se poser différemment, les Westies apparaissant aux Ossies comme des exploiteurs et les Ossies comme des glandeurs aux yeux des Wessies, ce qui se traduit par une grosse disparité économique si l'on examine la carte des revenus en ex-RDA et en RFA ...
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En Europe, ce serait remettre les boeufs devant la charrue, c'est à dire harmoniser au niveau fiscal et social, sans paradis fiscaux (Luxembourg), dumping (pays de l'Est, Irlande), coups bas (UK), et suprémacisme (Allemagne). Vaste programme, comme disait le Grand Charles.
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