Je voudrais apporter une brève contribution à la discussion sur les notions de « réalité » et de « réel » (*).
Traditionnellement, la réalité désigne l'être en acte par opposition à l'être en puissance (Aristote). - Il semble que le concept de realitas
ait été forgé au 13e Siècle par Duns Scotus, peut-être dans le cadre du
débat entre « nominalistes » et « réalistes » (sur la « réalité », ou
non, des idées). - Aux temps modernes, on peut l'associer à l'anglais « effectivity » (Berkeley) et à l'allemand « Wirklichkeit » (Hegel). - Au 20e Siècle, Freud opposera un « principe de réalité » et un « principe de plaisir ».
Quant au « réel »,
il s'insère logiquement - comme moyen terme - dans la trilogie :
« possible / réel / nécessaire ». C'est d'ailleurs en tant que négation
du « possible » que Jacques Lacan a pu écrire : « Le réel, c'est
l'impossible ». - Or, par opposition à la nécessité, le « réel » peut
également être assimilé à la contingence. - Mais la théorie lacanienne
inscrit ce mot dans une autre trilogie - « réel, imaginaire,
symbolique » - où il prend le sens d'un « innommable »,
impossible à symboliser au moyen du langage, du discours : il s'agirait
donc de quelque chose d'inaccessible qui rappelle la « chose en soi »,
le noumène de Kant.
En admettant qu'il existe un discours « réaliste » qui permette de décrire – de « symboliser » - la « réalité » du monde
en termes compréhensibles - « acceptables » - pour tous, le caractère
indicible – abyssal, incommensurable - du réel pur - non symbolisé car
non symbolisable - pointe alors en effet une différence essentielle
entre nos deux notions. Mais il faut préciser que cette pensée - issue
de la psychanalyse - présuppose une autre différence : celle qui
départage le conscient, accessible à la symbolisation du langage, et
l'inconscient que nous ne pouvons connaître qu'à travers ses
manifestations plus ou moins conscientes - « imaginaires » - dans le cadre d'une « phénoménologie de l'inconscient » (analyse des rêves, des analogies, des lapsus etc. etc.).
Dans cette différenciation, la « réalité » se situerait plutôt du côté conscient et collectif, quand le « réel » toucherait au côté inconscient et singulier de l'existence, l'un étant généralisable dans le discours et l'autre non. - À ce point, une nouvelle distinction serait à faire entre le discours comme « parole vide », et une « parole pleine » - comme elle se pratique en psychanalyse - qui tient compte de la dimension dont il est impossible de parler sans chercher à la combler, à la couvrir sans cesse de paroles absentes.
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