dimanche 21 juillet 2019

Racisme, antisémitisme, islamophobie - xénophobie

Quel but ces accusations poursuivent-elles? - En effet, lorsqu'on cherche à discréditer quelqu'un, on le traite de raciste, d'antisémite, d'islamophobe... [1]. Et ça part dans tous les sens: contre Donald Trump, bien sûr, sans se rendre compte que les remarques pour le moins tendancieuses du POTUS sont savamment calculées - naïveté des démocrates américains, qui tombent à chaque fois dans le panneau de la médiatisation 24/7 visée par l'ancien présentateur de Real-TV; ça marche un peu mieux contre Jeremy Corbyn, l'actuel leader des travaillistes britanniques, qui a du mal à défendre ses positions politiques, économiques et sociales dans cette ambiance délétère, déjà minée par le "Brexit Chaos", comme on aime à dire outre-Manche; dernière en date : Nadine Morano, la grande gueule déchue de la droite parlementaire française, qui a été prise en tenaille et laminée par l'extrême-droite d'un côté et le centre droit du Président Macron de l'autre. Le 19 juillet 19 au matin, elle envoie ce message à l'adresse de la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye:
Outrée mais habituée à entendre ses inepties débitées souvent en tenue de cirque... Sénégalaise très bien née ayant obtenu la nationalité Française il y a 3 ans... visiblement avec de grandes lacunes sur la culture française. indigne de cette fonction gouvernementale en France [2]
Sans aucune sympathie pour ce genre d'attaques désobligeantes ad feminem, je constate qu'en formulant l'accusation de "racisme" contre cette polémiste, on est en train de vider de son sens ce mot qui se fonde à l'origine sur le concept de "race", déjà difficile à soutenir sur un plan strictement anthropo-biologique. C'est dire qu'il signifie - comme il a toujours signifié - quelque chose d'autre, qui touche aux mécanismes d'inclusion et d'exclusion propres aux dynamiques des groupes humains que l'on retrouve jusque dans nos cours d'école. Or, quels sont les groupes formées par les soi-disant racistes et antiracistes, antisémites et philosémites, etc.? Mais surtout: comment un groupe humain acquiert-il sa cohérence et sa consistance?

L'idée moderne de Nation est l'exemple type de l'inclusion de populations a priori hétérogènes et donc du nivellement de différences régionales, linguistiques, économiques, sociales, basées sur la citoyenneté qui, forcément, exclut tous ceux qui sont d'une "autre nationalité". L'inclusion ou l'intégration nationale va donc de pair avec l'exclusion des "étrangers" et bien souvent la désignation d'un "ennemi commun" en suivant cette dialectique infernale qui, par exemple, a permis de constituer l'unité allemande après le subterfuge de la guerre franco-prussienne de 1870. Or, du point de vue de la mentalité et du mode de vie, la différence entre un Allemand et un Français n'est pas plus importante que celle entre un Breton et un Corse ou un Bavarois et un Rhénan. De même, un Basque ou un Catalan français est plus proche de son homonyme espagnol que d'un Alsacien qui, de son côté, a d'indéniables affinités - aussi bien linguistiques que culturelles - avec son cousin peuplant l'autre rive du Rhin. À travers le monde, la liste des inclusions et exclusions plus ou moins arbitraires de populations est impressionnante. Et en Europe, la pire des spoliations meurtrières à ce jour est celle des juifs, imposée par la barbarie nazie entre 1933 et 45. En effet, il s'agissait pour la plupart de citoyens parfaitement assimilés, souvent convertis au protestantisme ou résolument athéistes, qui n'avaient gardé pour la religion de leurs ancêtres qu'une tendresse nostalgique. Or, en raison de leur "origine" - aussi peu consistante que celle d'une prétendue "race aryenne" -, ces citoyens furent déchus de leurs droits civiques et de leur nationalités, contraints à l'exil ou déportés, pour finalement être assassinés par millions dans le maelstrom de la Seconde guerre mondiale.

Dans ce contexte, le retour actuel des religions - en particulier des monothéismes avec leurs scissions intrinsèques (protestants vs. catholiques, chiites vs. sunnites) - est significative. Tout comme les nations modernes, elles fonctionnent sur les modes de l'intégration de populations hétérogènes - en particulier avec la christianisation dès la fin de l'Empire romain et l'islamisation à partir des conquêtes arabes du 7e siècle - et de l'exclusion des "mécréants", assortie de la lutte contre les "infidèles". Mais c'est surtout la proximité des autorités religieuses avec les régimes politiques à caractère despotique qui doit donner à penser. Si la nation moderne se définit historiquement par la séparation des pouvoirs religieux et politiques autour de l'État laïque issu de la Révolution Française, les "autorités théologico-politiques" (Spinoza, 1670) reviennent en force pour propager un pouvoir de droit divin, immuable et incontestable, qui a connu son apogée en Occident avec l'absolutisme - un mot qui résonne étrangement avec celui de "totalitarisme".

Mais je reviens au racisme, dont l'antisémitisme et plus récemment l'islamophobie ne sont que des sous-catégories, des avatars, destinées notamment à masquer un problème bien plus général en le privant justement de son caractère universel, "humain trop humain". - Devant la tendance à vider ces concepts de leur signification par des abus de langage à vocation polémique, le terme de "xénophobie" me paraît plus approprié à décrire ce dont il s'agit ici, à savoir non seulement la haine, mais également la peur de l'étranger. Car il s'agit bien d'une phobie ancestrale que tous les êtres humains semblent partager à des degrés divers et qui se manifeste déjà chez les animaux grégaires et territorialistes. Or, chez nous, il faut ajouter une dimension imaginaire qui s'exprime par la "figuration" de cet étranger inquiétant à travers le personnage de l'ennemi, du mécréant, du barbare etc., délimitant du même coup un territoire familier, "réel", impérial, national, unifié par un culte, une culture, une langue communes, où tous ceux qui font partie du groupe se reconnaissent comme êtres à part entière.

L’appellation de barbare ou de "sauvage", et plus récemment de "sous-homme", est ici révélatrice: dans la perspective des groupes qui procèdent à de telles classifications, ces êtres-là n'appartiennent plus à l'humanité, les lois qui la régissent n'ont plus cours; dès lors, on peut disposer de ces "étrangers" comme on dispose d'animaux ou d'esclaves, on peut impunément les assassiner et piller leurs richesses, ou exploiter sans vergogne leur force de travail. On voit bien que sur ce plan "inhumain" ou "bestial", les termes de racisme, d'antisémitisme, d'islamophobie ou même de xénophobie n'ont plus aucun sens. Ou plutôt: on découvre ici leur dimension cachée qui, tel un fil rouge de sang et de souffrance, traverse l'histoire humaine sans épargner aucune de ces "grandes civilisations" dont nous admirons par ailleurs les chefs d’œuvres et les réussites en matière d'art, d'architecture ou de technologie.

Ce qui se joue à l'arrière-scène, ce sont les avantages économiques promis par la conquête des territoires et l'appropriation des richesses. Or, il faut bien une idéologie pour justifier l'exploitation et le pillage, l'esclavage et l'assassinat aux yeux du beau monde et du petit peuple. Il suffit alors de faire appel à la phobie ancestrale des êtres humains grégaires et territorialistes : à la peur de l'étranger qui se transforme si facilement en haine. Et aux dernières nouvelles, il semblerait que les nouveaux idéologues continuent de faire salle pleine en accommodant de vieilles recettes éprouvées à la sauce des Temps Modernes.

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Notes

[1]  Dans le cadre de ce blog, j'ai écrit plusieurs articles sur le thème du racisme et de l'antisémitisme > https://skenligne.blogspot.com/search?q=racisme 
Les redites sont inévitables car, avec des modifications dues à l'actualité, le constat reste sensiblement le même à travers les âges...

[2]



2 commentaires:

  1. Alors c'est Nadine qu'elle aurait raison ?
    Je ne comprend pas bien : le phénomène serait à la fois "de tout temps"— ce qui noie un peu l'affaire (barbare ≠ sous-homme ≠ animal extérieur); et dû à des contraintes économiques locales & contemporaines ?
    En gros d'accord, surtout avec le dernier paragraphe, mais je pense que ce qui caractérise le racisme est une période historique précise & exige une analyse plus spécifique et moins "spéciste".
    Ceux qui s'emploient à le faire propérer encore (à des fins électoralistes, en rabaissant leur électorat) montrent qu'ils n'ont rien compris aux valeurs civilisatrices qu'ils prétendent défendre — à fortiori dans le domaine des religions universalistes.
    Le problème de l'Ennemi évoqué comme consubstantiel au groupe, vient en fait de la leçon assez perverse que Carl Schmitt (érudit & théoricien nazi bien plus que Heidegger) prétend donner à Hobbes par dessus Machiavel. Ainsi la Nation serait contradictoire en elle-même, et ne resterait que la dictature qui vaille ?
    Pourquoi cette théorie a-t-elle le vent en poupe jusque chez les ultra-sionnistes ? That's the question.

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    1. Réponse rapide: Oui, je pense qu'il y a un côté générique, que donc nous partageons tous, dû à notre territorialisme grégaire...

      Mais je suis également d'accord avec toi: le "racisme" est un phénomène civilisationnel et comme tel "historique", avec une apogée aux temps du colonialisme puis du fascisme moderne.

      À bientôt pour une discussion plus soutenue...

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