Fin de régime
Ce tableau publié par le site américain journalism.org montre l'impact extraordinaire que les événements égyptiens ont eu sur les médias aux États-Unis. C'est "le sujet international le plus important de ces quatre dernières années - dépassant tous les comptes-rendus sur la guerre en Irak, le tremblement de terre en Haïti et le conflit en Afghanistan." - Dès lors, on peut parler d'un véritable "overkill médiatique" : une surenchère et un matraquage, qui ne sont pas sans conséquences sur les événements eux-mêmes. Car "le monde entier regarde l'Égypte" : toute information qui concerne le pays est aussitôt analysée, "décryptée", commentée. Et c'est ce "regard du monde" qui donne au soulèvement du peuple égyptien contre la dictature une dimension "mondiale" qu'il n'aurait sans doute pas eue sans sa "projection" médiatique, qui représente également un danger important. Car si le "monde entier" a tendance à projeter ses propres attentes et ses peurs, on risque de manquer à la fois ce qui se passe réellement en Égypte et les véritables aspirations de la population égyptienne. En effet, les diverses projections, qu'elles viennent d'Occident ou des groupes islamistes par exemple, "doublent" le soulèvement populaire dans une polyphonie bruyante de commentaires et d'interprétations, dont le brouhaha peut finir par rendre inaudibles les voix de l'opposition égyptienne elle-même, pourtant indispensables à l'avènement de la démocratie sur les bords du Nil.
Le problème est qu'il s'agit sans doute de la première révolution populaire "couverte en direct et en continu" par les médias internationaux et relayée à une échelle gigantesque par Internet. "Tout le monde" veut donc être au premier rang, quitte à noyer et à priver d'audience les voix égyptiennes, qui doivent lutter contre l'énorme "visibilité" de telle déclaration d'un secrétaire d'État américain ou de telle autre d'un leader islamiste, qui doivent se faire entendre dans le bruit engendré par les commentaires de telle annonce du vice-président Suleiman ou de telle autre du porte-parole de la Confrérie musulmane. Difficile dans ces conditions d'instaurer un débat démocratique à l'échelle nationale, où toutes les voix égyptiennes auraient le même poids, le même "temps d'antenne", comme on disait naguère.
On est en droit de se demander : quel est le but des "médiatiques" dont les voix s'élèvent sur la scène de l'information globalisée ? S'agit-il d'une "auto-promotion", d'une mise en valeur de leur propre personne ou de l'organe auquel ils appartiennent ? S'agit-il d'influencer les événements et les acteurs égyptiens ? S'agit-il de profiter de cette plate-forme événementielle pour délivrer un tout autre message ? - On serait tenté de répondre par l'affirmative à ces trois questions :
1) Les commentateurs indépendants (et je ne m'exclus pas) cherchent bien sûr le "buzz". Pour nous, il n'y a aucun danger à lâcher notre fiel (ce que je ne fais pas). La sécurité ne risque pas de frapper à notre porte, en pleine nuit, ou de nous enlever en pleine rue, pour un interrogatoire musclé et un séjour au cachot. En Égypte, cette partie est loin d'être gagnée. Les journalistes "officiels" en savent quelque chose. - Quant à Al Jazeera, dont la "couverture" en continu a été utile au mouvement populaire, elle est depuis la guerre en Irak (2003) privée de diffusion sur le réseau câblé des États-Unis : elle profite aujourd'hui de ses comptes-rendus en effet importants pour demander son intégration, qui lui sera sans doute accordée. - Google a eu droit à deux publicités gratuites : D'abord le géant américain a mis au point avec Twitter (et SayNow) un dispositif permettant aux Égyptiens de tweeter par téléphone, que le groupe n'a pas manqué de "dédier au peuple égyptien" ; ensuite la récente gloire de Wael Ghonim, invariablement présenté comme un Google executive et online activist, rejaillit évidemment sur la compagnie californienne...
2) Les tentatives d'influencer les événements égyptiens et ses acteurs sont nombreuses. Les craintes occidentales concernent d'abord la stabilité politique au Proche-Orient qui, si l'on y regarde de plus près, ressemble davantage à une poudrière menaçant d'exploser au moindre faux-pas. Elles concernent ensuite la stabilité économique en cette période de faillites et de chômage, de crashs financiers à répétition. Une petite goutte d'eau du Nil pourrait ici aussi faire déborder le vase. Elles concernent enfin le fameux "choc des civilisations", prôné conjointement par les idéologues de George W. Bush et d'Osama Ben Laden, et repris ces jours-ci, d'une façon très insidieuse, par les intellectuels français Alexandre Adler, Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut à travers leur peur quasi obsessionnelle de l'islamisme (cf. l'analyse de Pascal Boniface). Ces craintes occidentales, auxquelles on peut ajouter celles des régimes autocratiques du monde arabe et bien sûr du gouvernement israélien actuel, donnent lieu à différentes tentatives de récupération et de désinformation souvent contradictoires ...
3) Les politiciens de tous les pays profitent évidemment de ces événements pour faire passer leurs propres messages et contrer leurs adversaires. En France, la polémique autour de la ministre des Affaires étrangères, Alliot-Marie (à laquelle viennent aujourd'hui s'ajouter les vacances égyptiennes du Premier ministre Fillon) est symptomatique pour l'utilisation "franco-française" du soulèvement égyptien (perceptible également dans les déclarations de MM. Adler, Lévy et Finkielkraut). - D'autres messages peuvent également être délivrés, et notamment la publicité pour nos sociétés libérales de consommation qui, à tout prendre, ne sont pas aussi mauvaises que l'on pourrait le croire en étudiant les chiffres du chômage, le nombre de familles qui vivent aux confins du seuil de pauvreté, de celles qui sont surendettées, qui subsistent avec les minimas sociaux ...
Le problème est qu'il s'agit sans doute de la première révolution populaire "couverte en direct et en continu" par les médias internationaux et relayée à une échelle gigantesque par Internet. "Tout le monde" veut donc être au premier rang, quitte à noyer et à priver d'audience les voix égyptiennes, qui doivent lutter contre l'énorme "visibilité" de telle déclaration d'un secrétaire d'État américain ou de telle autre d'un leader islamiste, qui doivent se faire entendre dans le bruit engendré par les commentaires de telle annonce du vice-président Suleiman ou de telle autre du porte-parole de la Confrérie musulmane. Difficile dans ces conditions d'instaurer un débat démocratique à l'échelle nationale, où toutes les voix égyptiennes auraient le même poids, le même "temps d'antenne", comme on disait naguère.
On est en droit de se demander : quel est le but des "médiatiques" dont les voix s'élèvent sur la scène de l'information globalisée ? S'agit-il d'une "auto-promotion", d'une mise en valeur de leur propre personne ou de l'organe auquel ils appartiennent ? S'agit-il d'influencer les événements et les acteurs égyptiens ? S'agit-il de profiter de cette plate-forme événementielle pour délivrer un tout autre message ? - On serait tenté de répondre par l'affirmative à ces trois questions :
1) Les commentateurs indépendants (et je ne m'exclus pas) cherchent bien sûr le "buzz". Pour nous, il n'y a aucun danger à lâcher notre fiel (ce que je ne fais pas). La sécurité ne risque pas de frapper à notre porte, en pleine nuit, ou de nous enlever en pleine rue, pour un interrogatoire musclé et un séjour au cachot. En Égypte, cette partie est loin d'être gagnée. Les journalistes "officiels" en savent quelque chose. - Quant à Al Jazeera, dont la "couverture" en continu a été utile au mouvement populaire, elle est depuis la guerre en Irak (2003) privée de diffusion sur le réseau câblé des États-Unis : elle profite aujourd'hui de ses comptes-rendus en effet importants pour demander son intégration, qui lui sera sans doute accordée. - Google a eu droit à deux publicités gratuites : D'abord le géant américain a mis au point avec Twitter (et SayNow) un dispositif permettant aux Égyptiens de tweeter par téléphone, que le groupe n'a pas manqué de "dédier au peuple égyptien" ; ensuite la récente gloire de Wael Ghonim, invariablement présenté comme un Google executive et online activist, rejaillit évidemment sur la compagnie californienne...
2) Les tentatives d'influencer les événements égyptiens et ses acteurs sont nombreuses. Les craintes occidentales concernent d'abord la stabilité politique au Proche-Orient qui, si l'on y regarde de plus près, ressemble davantage à une poudrière menaçant d'exploser au moindre faux-pas. Elles concernent ensuite la stabilité économique en cette période de faillites et de chômage, de crashs financiers à répétition. Une petite goutte d'eau du Nil pourrait ici aussi faire déborder le vase. Elles concernent enfin le fameux "choc des civilisations", prôné conjointement par les idéologues de George W. Bush et d'Osama Ben Laden, et repris ces jours-ci, d'une façon très insidieuse, par les intellectuels français Alexandre Adler, Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut à travers leur peur quasi obsessionnelle de l'islamisme (cf. l'analyse de Pascal Boniface). Ces craintes occidentales, auxquelles on peut ajouter celles des régimes autocratiques du monde arabe et bien sûr du gouvernement israélien actuel, donnent lieu à différentes tentatives de récupération et de désinformation souvent contradictoires ...
3) Les politiciens de tous les pays profitent évidemment de ces événements pour faire passer leurs propres messages et contrer leurs adversaires. En France, la polémique autour de la ministre des Affaires étrangères, Alliot-Marie (à laquelle viennent aujourd'hui s'ajouter les vacances égyptiennes du Premier ministre Fillon) est symptomatique pour l'utilisation "franco-française" du soulèvement égyptien (perceptible également dans les déclarations de MM. Adler, Lévy et Finkielkraut). - D'autres messages peuvent également être délivrés, et notamment la publicité pour nos sociétés libérales de consommation qui, à tout prendre, ne sont pas aussi mauvaises que l'on pourrait le croire en étudiant les chiffres du chômage, le nombre de familles qui vivent aux confins du seuil de pauvreté, de celles qui sont surendettées, qui subsistent avec les minimas sociaux ...