dimanche 30 avril 2017

Le moment républicain

La présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2017 est annoncée depuis longtemps, au plus tard depuis le succès du Front National aux élections régionales de décembre 2015 où ce parti d’extrême-droite avait obtenu 6.820.477 voix, soit 27,10 % des suffrages au second tour. C’est peut-être le moment de surprise qui aura permis la constitution plus ou moins spontanée d’un « front républicain » lorsque, contre toute attente, le fondateur du Front National, Jean-Marie Le Pen, accédait au second tour de l’élection présidentielle de 2002 avec à peine 16,86 % des suffrages, devançant le candidat social-démocrate Lionel Jospin (16,18 %) de 194.600 voix seulement.

Un cas de figure analogue semble se produire ces jours-ci. Or, la situation a changé. Si en 2002, Jean-Marie Le Pen n’avait pas pu significativement améliorer son score face à Jacques Chirac – 17,79 % contre 82,21 % (!) des suffrages exprimés au second tour –, sa fille Marine Le Pen (1er tour : 21,30 % soit 7.678.491 voix) fera certainement mieux face au favori Emmanuel Macron (1er tour : 24,01 % ou 8.656.346 voix). Car, d’une part, il n’y aura pas de « moment républicain » cette fois-ci, le dernier en date ayant eu lieu les 10 et 11 janvier 2015, où quelque 4 millions de personnes avaient défilé en France après les attentats contre Charlie-Hebdo et le supermarché casher : on se souviendra des critiques acerbes et des diatribes fielleuses qui ont suivi cette vague (quasi mondiale) de solidarité. – Si, d’autre part, les partis dits de gouvernement ont appelé à voter Macron pour « faire barrage au Front National », Jean-Luc Mélenchon (« La France Insoumise », 1er tour : 19,58 % soit 7.059.951 voix) n’a pas donné de consigne de vote. Par ailleurs, Nicolas Dupont-Aignan (« Debout la France », 1er tour : 4,70 % soit 1.695.000 voix) vient de rallier Marine Le Pen qui, de son côté, s’est « mise en congé » du Front National et semble insister un peu moins sur la fameuse « sortie de l’euro » (et donc de l’Europe), qui effraye un certain nombre de ses électeurs potentiels.

Emmanuel Macron vient, quant à lui, de commettre une erreur stratégique en refusant le principe d’une coalition gouvernementale avec les partis de la droite et de la gauche parlementaires. Du coup, aucun des deux prétendants ne semble pouvoir constituer une majorité à l’Assemblée Nationale les 11 et 18 juin 2017. En effet, le mode de scrutin étant ce qu’il est, il y a fort à parier que le droite libérale fera un carton plein aux législatives : si tant est qu’il respecte la Constitution, le président de la République prédit par les sondages devra alors nommer un Premier ministre issu de la majorité fraîchement élue, inaugurant ainsi une nouvelle période de « cohabitation ».

Mais si, contre toute attente, Marine Le Pen accède à la présidence de la République, elle peut également essayer de changer le mode de scrutin en introduisant une dose suffisante de proportionnelle pour faire le plein de députés à l’Assemblée Nationale. Il y a ici un risque dont l’électorat français n’a peut-être pas pris la mesure : lorsqu’on laisse entrer un loup de cette espèce dans la bergerie démocratique, tout peut arriver. En un rien de temps, le système est verrouillé, les différents organes de l’État sont « mis au pas » et la démocratie française a vécu. – De leur côté, les mouvements à prétention révolutionnaire se plaisent à y voir une chance de mobiliser les foules et de renverser l’ordre établi. Le problème est que personne ne semble avoir tiré les leçons de l’Histoire car, d’une part, il est bien plus difficile de renverser un ordre autoritaire qui, de plus, vient de se mettre en place et, de l’autre, il est impossible de changer par la magie de l’instant les petits-bourgeois indifférents, qui sous nos latitudes constituent la majorité dite « silencieuse », en révolutionnaires au grand cœur. De ce côté-là, on utilisera donc également la force et l’histoire contemporaine nous livre un certain nombre d’exemples édifiants en matière d’« éducation du peuple ».

En effet, si l’on peut adhérer à certaines idées généreuses habilement propagées par Jean-Luc Mélenchon, leur mise en œuvre pose un certain nombre de questions qui restent nécessairement sans réponse car à l’heure actuelle, les problèmes importants ne peuvent être résolus qu’à l’échelle mondiale, où le leader de la « France Insoumise » n’a qu’un pouvoir extrêmement limité : dérèglement climatique, destruction des espèces et des espaces naturels, désertification de la planète, inégalité des termes de l’échange, délocalisations et bas salaires, « monnaies de singe », spéculations de la finance internationale et paradis fiscaux, pour ne citer que quelques-unes des horreurs vécues au quotidien par l’immense majorité de l’humanité. Et, à l’échelle continentale, le plus urgent serait de créer enfin une Europe sociale : vu l’actuelle constellation des pouvoirs, cela passera nécessairement par une longue série de négociations que la jeunesse, qui aujourd’hui sillonne les routes et les villes européennes, aura peut-être envie de mener pour préserver sa mobilité et sa belle « auberge espagnole », et non par les fanfaronnades de vieux animaux politiques usant de figures rhétoriques pour masquer leur impuissance réelle.

Mais revenons un instant à notre belle France. Dans un monde où le « Brexit », l’élection de Donald Trump et le coup de force de Recep Tayyip Erdoğan, basés sur les fausses promesses et la désinformation massive, passent comme une lettre à la poste, la présence de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2017 est extrêmement inquiétante. Or, ce qui l'est davantage, c’est l’aspect de « normalité » de cette « montée de l’extrême-droite » au pays du vin et du fromage dû à l’absence de réaction forte de ces « Français » qui se font interpeller à longueur d’antenne par les politiciens professionnels en période électorale. Au fond d’eux-mêmes, la plupart d’entre eux sont sûrement consternés, mais ils n’en laissent (plus) rien paraître. Pourquoi ? A-t-on réussi une fois de plus à les diviser ? Puisque les uns se complaisent dans l’« insoumission », les autres sont-ils devenus « dociles » ou restent-ils simplement figés dans leur indifférence habituelle ? Dans la « société de communication », est-on parvenu à réduire une nouvelle fois la majorité au silence en la privant de son « moment républicain » ?

dimanche 16 avril 2017

À propos du système électoral français

Dès la "catastrophe" de 2002, le système électoral français aurait dû être sérieusement amendé : il n'est pas possible qu'une bonne partie de l'électorat d'un grand pays démocratique soit exclu du vote capital qui désigne le chef de l'État pour les 5 ans à venir, compte tenu de l'immense pouvoir politique que lui accorde la Constitution de la 5e République, où l'on peut s'interroger sur l'utilité du Parlement qui, faute de proportionnelle, ne représente absolument pas l'opinion publique. Dès avant le second tour de 2002, les épisodes de "cohabitation" avaient déjà montré les limites de ce régime, et le fait d'avoir fait coïncider les élections présidentielle et législative n'ont arrangé les choses que pour la forme.

On peut être sérieusement inquiet pour la démocratie française, où la menace d'un second tour des extrêmes (et donc de l'exclusion de la majorité que constitue l'électorat "modéré") se profile. Et quand bien même elle ne se réalise pas, la présence annoncée de l'extrême-droite au second tour suffit à fausser complètement le jeu démocratique. - D'ailleurs : quel a été l'effet d'exclure les extrêmes du parlement, sinon de favoriser à la fois le "vote sanction", le succès des bonimenteurs et le mépris croissant de la politique ?
 
Le système électoral allemand a été conçu pour que la catastrophe de 1932 ne puisse pas se reproduire : on élit le parlement et chaque électeur dispose de deux voix, l'une pour le député de sa circonscription et l'autre, plus importante, pour le parti de son choix. Pour qu'un parti puisse entrer au parlement, il doit réaliser au moins 5% des suffrages exprimés. Une fois le décompte des sièges fait (députés élus directement et députés mandatés grâce aux "secondes voix"), le parti arrivé en tête propose un chef de gouvernement qui, si son parti n'a pas la majorité absolue, doit négocier un contrat de coalition avec un ou plusieurs autres partis, ce qui en principe exclut les extrêmes ou en tout cas ceux qui ne veulent négocier avec personne. - Si, et c'est le point capital, le chef de gouvernement n'a plus, pour une raison ou une autre, la confiance de sa majorité, un vote de défiance peut le destituer, et provoquer soit l'élection d'un successeur soit la dissolution du parlement et de nouvelles élections législatives. - Or, cela n'arrive pratiquement jamais, mais cette simple possibilité fait que le chef de gouvernement se "tient à carreau". Ce serait trop long à développer ici, mais le seul fait que dans l'actuel Bundestag, une alliance rouge-rouge-vert (Die Linke/SPD/Les Verts) posséderait une courte majorité d'un siège explique certaines mesures "sociales" de Mme Merkel.

Il ne s'agit pas pour la France d'adopter le système électoral allemand (où les Länder ont également leur mot à dire), mais il faut absolument se creuser la tête pour arrêter le massacre actuel à une époque où les populismes triomphent un peu partout et où les citoyens sont de plus en plus dégoûtés par la politique.

Parmi les quatre candidats qui ont apparemment une chance d'accéder au second tour, il n'y a aucun social-démocrate, le candidat de droite a une moralité extrêmement douteuse et un sens des privilèges assez prononcé (alors qu'il demande des "efforts" aux plus "modestes") tandis que le candidat du centre n'est absolument pas crédible ni pour les électeurs de gauche ni pour ceux de droite, sa seule chance est de réunir suffisamment de "votes utiles", étant donnée la menace des extrêmes, le caractère douteux du candidat de droite et l'échec prévisible (en tout cas prévu par les sondages) du social-démocrate. Dans cette constellation désastreuse (aucun candidat "modéré" qui aurait une certaine crédibilité, qui serait suffisamment honnête et un brin charismatique), les deux extrémistes ont en effet toutes leurs chances ...