Munich,
la capitale de la riche Bavière, est connue à l’étranger pour sa
fête de la bière et son club de football, éventuellement aussi
pour les accords de 1938 qui se sont conclus dans cette ville ou
encore pour l’action terroriste qui a endeuillé les jeux
olympiques de 1972. Celle-ci a été immédiatement évoquée
par les médias d’information qui étaient sur le pied de guerre
dès cette fin d’après-midi du 22 juillet 2016 lorsqu’un jeune
homme de nationalités allemande et iranienne, né et scolarisé à
Munich, âgé de 18 ans seulement, a ouvert le feu avec son pistolet
Glock 9 mm dans l’un de ces temples de la consommation qui truffent
les villes allemandes, mi-centres commerciaux, mi-galeries
marchandes. Inauguré en 1972, le nom de celui-ci –
l'Olympia-Einkaufszentrum, l'un des plus grands d’Allemagne
– sollicitait pour ainsi dire l’association avec la prise
d’otages meurtrière d’athlètes israéliens par l’organisation
terroriste palestinienne « Septembre Noir ».
Au
départ des directs marathon, qui allaient durer toute la nuit et se
prolonger le jour suivant, on ne savait rien, ou si peu, cependant
que l’inévitable thermomètre des victimes ne cessait de grimper
pour finalement s’arrêter à vingt-et-un blessés – certains
très gravement – et dix morts, dont le forcené qui, deux heures
après la tuerie en masse qu’il a déclenchée à la sortie´d’un
fast-food vers 18h, « s’est jugé lui-même sous le regard de
la police », selon la formule de la presse allemande, en se
tirant une balle dans la tête. Il disposait de plus de 300
cartouches de munition et le numéro de série de son arme avait été
limé.
L’ignorance
dans laquelle les médias et les forces de police ont été placés
dans les premiers temps, l’information officielle selon laquelle il
y aurait trois auteurs en fuite, la piste terroriste que l’on ne
pouvait exclure, les différentes alertes comme celle d’une
fusillade au centre-ville, les messages des autorités qui incitaient
la population à ne pas sortir, le bouclage de la gare centrale et
des axes routiers, la suspension des transports en commun et bien sûr
l’importance du dispositif d’intervention fort de quelque 2300
policiers, dont des troupes d’élite : tout cela ne pouvait
que créer une panique générale. Or, il s’est avéré que le
tueur avait agi seul et ne s’était pas beaucoup éloigné du
périmètre de l’Olympia-Einkaufszentrum.
Lors
de la perquisition de la chambre qu’il occupait chez ses parents,
les enquêteurs ont découvert de la documentation sur le phénomène
de l'« amok » : ce mot d’origine malaisienne, qui
signifie « en colère », « enragé »,
s’appliquant aussi bien à l’auteur qu’à son acte, est
communément utilisé en allemand pour désigner une « tuerie
en masse » ; moins courant en français, il est surtout
employé en ethnologie, et son usage n’a pas véritablement franchi
les limites de cette discipline. – Le tueur s’était notamment
intéressé à l’amok de Winnenden (Bade-Wurtemberg, 11 mars 2009)
où un jeune homme de 17 ans s’attaqua d’abord à son
ancienne école, qu’il avait quittée en 2008 après son brevet,
pour y abattre neuf élèves et une professeure, puis il assassina l’employé d’un centre psychiatrique, força ensuite un automobiliste à
l’emmener 100 km plus loin, où il tua encore deux personnes dans
une station service et blessa grièvement deux policiers avant de
se suicider.*
Les
commentateurs – et le préfet de police de Munich, Hubertus Andrä
– ont également relevé que l’on commémorait ce 22 juillet 2016
les cinq ans de la tuerie d’Oslo et Utøya, où Anders
Behring Breivik avait assassiné soixante-dix-sept personnes :
après en avoir tué huit avec une bombe posée dans le quartier
gouvernemental de la capitale norvégienne, Breivik s’était rendu
sur l’île d'Utøya distante de trente kilomètres, où un
événement organisé par le parti travailliste avait
lieu ; attifé en policier, il y avait sévi pendant plus d’une
heure et abattu soixante-neuf jeunes gens.
Il
va sans dire que l'attaque récente à la hache perpétrée dans le
train de Wurtzbourg en Bavière (18 juillet 2016) par un auteur de
dix-sept ans présumé afghan, et surtout l’attentat de Nice du 14
juillet, ainsi que leur médiatisation dans un climat général
d’insécurité, ont dû avoir une influence considérable sur ce
passage à l’acte. – Or, toutes les « courses meurtrières »
mentionnées ont un point commun : contrairement aux actions
concertées comme les attaques parisiennes du 11 janvier 2015 contre
Charlie Hebdo et le supermarché casher, puis celles du 13 novembre
2015 au Stade de France, dans les rues des 10e et 11e
arrondissements et au Bataclan, ces massacres sont le fait de « loups
solitaires », de « personnes isolées », dont, à y
regarder de près, la socialisation est largement compromise.
L’idéologie fasciste d’un Anders Behring Breivik à Oslo ou la
« radicalisation express » d’un Mohamed
Lahouaiej-Bouhlel à Nice pourraient n’être que des « motivations
secondaires » (Freud) ou des rationalisations de pulsions
agressives et finalement meurtrières qui naissent d’une haine
fondamentale de la société sur la base d’un phénomène qui
commence à prendre des proportions inquiétantes : la
désocialisation.
On
a pris l'habitude de dire que les victimes de certains de ces auteurs
seraient choisies au hasard. Il semble au contraire que ce n’est
que rarement le cas : à Winnenden, comme dans tous les établissements scolaires ou universitaires ciblés par les assassins, les victimes
sont forcément des élèves et des professeurs. Certains auteurs s’attaquent
également aux membres de leur famille ou aux habitants de leur lieu
de résidence. Les victimes de Breivik étaient des jeunes intégrés, certes dans un mouvement socialiste, mais avant tout jeunes et
intégrés, celles de Lahouaiej-Bouhlel étaient d’abord des
familles, et donc supposées unies par ce lien familial. De
plus, le choix de la luxueuse promenade des Anglais n’est pas sans
importance, tout comme le jour de la fête nationale qui symbolise
une sorte de « communion » entre citoyens d’un
même pays. Quant aux victimes de Munich, il s’agit en majorité d'adolescents (trois de 14 ans, deux de 15 ans, trois autres de 17, 19 et 20 ans), et il semble que l’assassin avait tenté d’en recruter certains sur un compte Facebook piraté qui leur promettait des consommations gratuites au fast-food (« Venez à 16h chez Meggi [McDo] à l’OEZ [Olympia-Einkaufszentrum] Je vous paie un truc si vous voulez, mais pas trop cher »).
Ces
problèmes de désocialisation, et la désorientation qui en procède,
ne sont pas suffisamment étudiés, même si l’on convient
tacitement ou plus explicitement que les phénomènes de
radicalisation de plus en plus fréquents ont un certain lien avec ce
que l’on appelle un peu rapidement l’« exclusion » ou
l’absence d’« intégration ». Or, nos sociétés
basées sur la concurrence et l’argent envoient un message
contradictoire à leurs membres : le mot même de concurrence
est éminemment paradoxal, puisqu’à la fois on « court
ensemble » et les uns contre les autres, c’est-à-dire chacun
pour soi ; quant à l’argent, il représente simultanément
l’essence même ou la condition sine qua non de toute
socialisation et le symbole de la désocialisation puisqu’il génère
un formidable égoïsme où une entreprise universelle de
quantification tend à détruire toutes les qualités, toutes les
« valeurs » au profit d’une seule : avoir –
« faire » – de l’argent à tout prix.
Mais
l’amok, les actes délirants, les idéologies meurtrières sont
aussi les symptômes de « crises » et comme telles
tributaires des crises économiques qui, paradoxalement, tendent
aujourd’hui à s’éterniser, s’étant « traditionnellement »
– et toujours provisoirement – résolues par les guerres qui,
depuis l’origine, ont rythmé l’histoire de l’Europe. Or,
depuis 1945, le continent est en apparence pacifié, mais il ne l’est
qu’en
apparence : la guerre « froide » nous avait constamment
exposés
à
la menace d’un
affrontement quasi apocalyptique ; peu
après la chute du mur, la dislocation de la Yougoslavie avait donné
lieu à une série de conflits extrêmement meurtriers
(1991-1999/2001) et les crises récentes autour de l’Ukraine et de
la Crimée n’augurent rien de bon pour l’avenir. Mais le
monde occidental avec sa puissante industrie de l’armement est
également un grand « exportateur » de guerres. Les
dernières actions d’envergure – en Afghanistan (2001), en Irak
(2003), en Libye (2011) et actuellement en Syrie – mais également
les livraisons d’armes à des régimes peu recommandables – qui
dénotent une
totale absence de morale lorsqu’il s’agit de profits et
éventuellement aussi d’intérêts pudiquement appelées
« géostratégiques » – montrent
que la guerre reste l’un des moteurs de l’économie moderne et
que le démembrement toujours possible de l’Union Européenne
risque de nous précipiter une nouvelle fois dans l’abîme.
Si
les tueurs en masse, qu’ils soient solitaires ou groupés,
radicalisés ou simplement délirants, incarnent chacun à sa façon
cette possibilité omniprésente de la guerre – bannie de notre
horizon actuel parce qu’elle se déroule ailleurs – en devenant
des guerriers, des chasseurs, des assassins, en réintroduisant donc
la guerre dans un univers apparemment pacifié, un autre phénomène
entre également en ligne de compte : la « virtualisation »
de nos vies dans le cadre des dispositifs de communication et des
jeux vidéo actuels où la présence réelle n’a plus grande
importance et s’efface devant la présence virtuelle,
quasi-transcendantale, où l’autre a cessé d’exister comme
organisme vivant et où la mort ne figure donc plus que la fin d’une
partie que l’on peut indéfiniment recommencer.
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* La suite de l'enquête révèle que le tueur s’était rendu Winnenden où il avait pris des photos, que son action meurtrière aurait été préparée de longue date (« un an »), qu’il avait rédigé un « manifeste » et s’était procuré l’arme sur le « Dark Web » (Internet crypté, invisible pour l’usager ordinaire).
Ce dimanche soir, la Süddeutsche Zeitung revient sur les événements de vendredi en confirmant la panique générée par l'ignorance ou la mauvaise interprétation de la situation, mais aussi par une série de fausses informations et alertes, notamment sur les réseaux sociaux. Le journal précise que tout a commencé à 17h52 au premier étage du McDonald's où le tueur assassine cinq personnes. Après être passé devant un anniversaire d'enfants qu'il ignore, il abat deux autres personnes devant le fast-food, puis une autre devant le magasin Saturn. Enfin, il parcourt 60 à 70 mètres sans tirer et entre dans la galerie marchande OEZ où il commet son dernier assassinat près d'un escalier mécanique. Ensuite, sa trace se perd jusqu'à 20h11 où il est filmé sur le toit d'un parking en train d'échanger quelques paroles avec un locataire, qui l'invective depuis le balcon d'un immeuble à proximité. Après avoir croisé une patrouille de police qui fait feu sur lui et le manque, il met fin à ses jours dans une rue située à moins d'un kilomètre de la scène du massacre (Henckystraße). – On apprend également qu'en 2015, il avait été hospitalisé pendant deux mois en psychiatrie et qu'il souffrait de dépression et de crises d'angoisses. Il semble aussi qu'il jouait à Counter-Strike – un jeu de la catégorie des « ego shooters » – pour se préparer en vue de la tuerie. Selon le directeur de la police régionale (Heimberger, LKA), « il s'agit d'un jeu auquel pratiquement tous les auteurs d'amok connus à ce jour ont joué. »
SK, 23 juillet 2016
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* La suite de l'enquête révèle que le tueur s’était rendu Winnenden où il avait pris des photos, que son action meurtrière aurait été préparée de longue date (« un an »), qu’il avait rédigé un « manifeste » et s’était procuré l’arme sur le « Dark Web » (Internet crypté, invisible pour l’usager ordinaire).
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Ce dimanche soir, la Süddeutsche Zeitung revient sur les événements de vendredi en confirmant la panique générée par l'ignorance ou la mauvaise interprétation de la situation, mais aussi par une série de fausses informations et alertes, notamment sur les réseaux sociaux. Le journal précise que tout a commencé à 17h52 au premier étage du McDonald's où le tueur assassine cinq personnes. Après être passé devant un anniversaire d'enfants qu'il ignore, il abat deux autres personnes devant le fast-food, puis une autre devant le magasin Saturn. Enfin, il parcourt 60 à 70 mètres sans tirer et entre dans la galerie marchande OEZ où il commet son dernier assassinat près d'un escalier mécanique. Ensuite, sa trace se perd jusqu'à 20h11 où il est filmé sur le toit d'un parking en train d'échanger quelques paroles avec un locataire, qui l'invective depuis le balcon d'un immeuble à proximité. Après avoir croisé une patrouille de police qui fait feu sur lui et le manque, il met fin à ses jours dans une rue située à moins d'un kilomètre de la scène du massacre (Henckystraße). – On apprend également qu'en 2015, il avait été hospitalisé pendant deux mois en psychiatrie et qu'il souffrait de dépression et de crises d'angoisses. Il semble aussi qu'il jouait à Counter-Strike – un jeu de la catégorie des « ego shooters » – pour se préparer en vue de la tuerie. Selon le directeur de la police régionale (Heimberger, LKA), « il s'agit d'un jeu auquel pratiquement tous les auteurs d'amok connus à ce jour ont joué. »
merci de cette analyse,nous voilà devant deux fléaux, les tueurs en masse free lance et les bras avancés d'organisations terroristes et ce sont les mêmes fins de parcours d'une vie désintégrée: Merah, les frères Kouachi, Coulibali,le commando du 13 novembre, Nice, tous morts dans le vacarme de leur cruauté à tuer de sang froid sans message politique ou idéologique élaboré, Tarantino fera un film un jour comme "nés pour tuer"ou peut être sera t il trop vieux et personne n'osera plus porter ce regard sur cette guerre atavique qui habite l'homme et la fragilité sociétale à la contenir
RépondreSupprimervotre billet rend dérisoires tous ces bavardages politiciens polémiques et nous sommes seuls au fond
merci pour cette intervention... la réflexion autour de ces notions de désocialisation, désorientation, virtualisation n'en est qu'à ses débuts... il faudrait que les intellectuels établis fassent enfin leur boulot, au lieu de...
Supprimerbien à vous...
à courte vue et pour alimenter ce fond de commerce de la repentance de l'antiracisme de ce complexe post colonial nous ne prenons pas la mesure de ce temps qui doit contenir de plus en plus de données, de possibilités de réalisation de soi même , de preuves de performance, nos neurones s'adaptent mal, nos enfants nous le disent en sautant partout, nos vieux larguent les amarres, au milieu une tranche d'âge qui fait bouillir la marmite et qui désespère de ce temps contraint, prendre le temps, avoir le temps, ça ne nous appartient plus
Supprimerla oumma traditionaliste c'est sûr ne prendra pas le temps de suivre cette course folle, aurait elle tort? je pose la question, ça va énerver son monde, même moi ça m'énerve