dimanche 22 juillet 2018

L'apprenti sorcier


L’homme est imprévisible : il décrète une fin de non-recevoir, puis l’annule ; décide, puis révoque sa décision. L’homme est nerveux, arrogant, égocentrique : le président élu de la première puissance économique et militaire du monde n’a de toute évidence pas été briefé sur les prérequis du job. Or, il se pourrait que certains responsables n’aient pas jugé que ce soit utile : avec un énergumène pareil, ils pensaient plus facilement arriver à leurs fins. Car ceux qui croient encore au côté improvisé de cette présidence devraient rapidement revoir leurs copies. – Dans le reste du monde, les autocrates en fonction ou en herbe sont ravis : voilà quelqu’un qui déstabilise l’Occident et en particulier l’indolente Europe, voilà quelqu’un qui met de gros coups de pied dans la fourmilière, et c’est vrai que ça se met à grouiller dans tous les sens. On le sait bien : la stagnation, ce n’est pas bon pour les affaires. Il faut de l’action, ou plutôt : donner l’impression que ça bouge !

Il semble que désormais, notre monde puisse être déstabilisé par un message de 140 ou 280 signes, expédié par un potentat médiatique sur le réseau planétaire. Si tel est le cas, il n’y a plus qu’un petit pas pour que l’ordre mondial bascule dans le chaos. – Voici donc un pragmatisme aux conséquences imprévisibles, qui résiste à toute analyse : le paradoxe d’un « arbitraire intentionnel » visant le déséquilibre, la perturbation, le désordre. Alors l’idée s’impose qu’une stratégie se cache derrière cette incohérence fondamentale. Par crainte du chaos, on se prend en effet à défendre un ordre hypocrite, basé sur l’exploitation, l’inégalité, la destruction. Et le tour est joué.

Car quelle alternative reste-t-il sous nos latitudes « éclairées » entre un libéralisme effréné, dont les dernières justifications – démocratie et liberté – sont en train de s’effondrer – l’une par l’amalgame et le discrédit des partis dits « traditionnels », l’autre par la mise en place insidieuse d’une surveillance planétaire – et la menace ou la résurgence de systèmes autoritaires, voire le retour aux alliances théologico-politiques que l’on croyait révolues ? – Dans l'intervalle, il faut désormais compter avec les perturbateurs, les « brouilleurs de cartes », les « électrons libres », qui bénéficient d’une formidable visibilité médiatique, tout particulièrement grâce aux innombrables commentaires – professionnels ou anonymes – accompagnant chacun de leurs délires savamment étudiés.

Oui, cette apparente confusion n’est pas sans méthode, car elle nous contraint de choisir notre camp : en proie à une désorientation considérable, nous plébiscitons donc l’ordre, tantôt « libéral », tantôt « autoritaire ». Or les deux finissent par se ressembler : depuis l’effondrement du bloc communiste, les systèmes autoritaires ne dédaignent plus l’économie libérale et les régimes démocratiques sont minés par un pouvoir économique aux accents totalitaires.

Mais pour qui conserve encore un peu de bon sens dans cette ambiance délétère, il ne fait plus de doute qu'il est urgent de prendre des mesures radicales devant la destruction massive de cette planète et des espèces naturelles, les interminables actions guerrières, la misère de la plus grande partie de l'humanité et les vagues migratoires ainsi créées. On comprend alors la fonction du délire : il renforce le statu quo où des dirigeants incapables, malhonnêtes ou réellement impuissants s'accrochent à leurs postes, où le pouvoir économique règne sans partage et sans merci en s'accommodant à tous les régimes, où des milliards de larbins font tourner une entreprise de destruction globale, bref : où le massacre continue, à l'ombre des projecteurs médiatiques braqués sur les simagrées rhétoriques et les gesticulations absurdes des nouveaux apprentis sorciers.



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