lundi 8 juin 2015

Pour bien démarrer la semaine





Vendredi 5 juin 2015 / opéra de Nice :
Michel Onfray vs. Éric Zemmour
Modérateur : Franz-Olivier Giesbert

En écoutant les pros de la polémique, les plus intelligents d'entre nous comprendront peut-être que...

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HEIDEGGER

En fait, et de manière plutôt spontanée, un échange à mes yeux très intéressant et sans véritable impétus polémique s'est développé dans les commentaires, en partant de ce qu'il faut bien appeler le "cas Heidegger".

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Commentaires


  • SK,

    J'ai vraiment pris la peine d'écouter ce long échange entre Onfray et Zemmour. Ca m'a pris d'ailleurs plus de temps que prévu car ma connexion se plante quasi toutes les 5 minutes. J'ai dû donc au moins à 6 ou 7 reprises, me farcir des pubs (à chaque fois différentes) et ensuite, mettre le curseur plus ou moins à la minute où j'en étais de l'interview avant la panne.

    Je reste très perplexe in fine devant ce genre de débat-spectacle. Même si, surtout au début, j'adhérais au propos d'Onfray, je fus de plus en plus déçue par la suite. Comme si en définitive, le spectaculaire finissait par l'emporter tout seul, nivelant et banalisant la pensée attendue logiquement du côté du philosophe, pour se diluer médiocrement dans un magma abscons, et qui, devant un public quasi d'arène, et sous le tutoiement mutuel, ne pouvait à mes yeux que donner sur ça : du pur spectacle de strass.

    Décidément, pour se frotter à une pensée, rien ne vaut le livre et le silence de la lecture.


  • Bonjour plumeplume, j'ai mis cette vidéo pour montrer la vanité et finalement le caractère totalement artificiel de ces polémiques entre médiatiques soi-disant opposés politiquement, "idéologiquement", qui finalement s’accommodent très bien du "système" qu'ils critiquent... Et nous : ne reproduisons-nous pas ces schémas sur notre plate-forme dans une totale "gratuité" et sans en avoir toujours conscience ? Mais au fait à qui sert le crime ?


  • j'ai déclaré forfait, Onfray est trés polyvalent, je me demande s'il ne se contredit pas parfois! à qui profite le crime? mais à FOG et bien sûr à ce magnifique opéra niçois, construit par Garnier, en face une pâtisserie à ne pas manquer....Nissa la bella!


  • FOG en croque autant que les deux autres... et je suppose que le théâtre de Nice a déjà vu de meilleurs comédiens du temps de Weber (et ante)...
    ajout : ...et je jurerais que la salle de l'opéra aussi a connu - connaîtra encore - des jours meilleurs...
    quant à la pâtisserie, elle permet surement d'avoir une vue extérieure, "distanciée", de la scène...


  • Je souscris aux derniers mots de PARKER..Nissa la bella !..sans aucun doute..et séduisante à l'envi
    Plume, c'était le débat impossible sur le fond car ces "characters" l'emportent vite par leur rhétorique..
    Tenez sk, j'ai envie de vous envoyer ça..(à cent mille lieues du sujet) mais pour nous remettre dans
    l'ambiance Butch Cassidy et le Kid, Herb Alpert, Santa Monica des années soixante et une divine Dionne
    avec Burt Bacharach et Hall David..Quelle voix ! Quelle facilité apparente ! (j'ai mis le live 67)

    https://youtu.be/yw4NVTwE4f0


  • Trop long. Ecouter si longtemps Zemmour est au delà de mes capacités. J'ai capitulé très vite. Je ne puis m'empêcher d'avoir une certaine sympathie pour Onfray mais - comme beaucoup - il ne peut que s’abimer dans ces jeux du cirque.
    Au tout début, Zemmour revient sur le peuple d'en bas qui ne supporte plus ses élites, entre autres médiatiques. Il crache dans la soupe. Sans les media, il n'est rien.


  • Un intéressant article sur Mediapart consacré à la "petite usine" de Michel Onfray : http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/110615/la-petite-usine-de-michel-onfray

  • Article malheureusement codé. - Se déclarer de gauche ou libertaire n'est pas incompatible avec l'existence de médiatique qui, quant à elle, peut faire douter de la sincérité du personnage. - Et les livres sur Freud et Sartre n'étaient absolument pas convaincants, inutilement polémiques...
     

     
  • Je n'oublie pas le blog que Michel Onfray avait ouvert ici sur Nouvelobs lors de la campagne électorale qui a vu Sarkozy gagner. Il s'est tapé un gros bide ! Il faut dire qu'à l'époque, régnait en blogosphère une réjouissante liberté d'expression, une inter-réactivité très vive, intelligente et insolente (nos commentaires n'étaient pas modérés et s'affichaient en temps réel).
    Certes, le pire déjà côtoyait le meilleur comme aujourd'hui, mais alors il y avait le piment (parfois telles des bulles de champagne) d'une vitalité spontanée que nos commentaires différés d'office désormais ont hélas perdu, tel un paradis...


  • ""Décidément, pour se frotter à une pensée, rien ne vaut le livre et le silence de la lecture.""

    ""d'une vitalité spontanée que nos commentaires différés d'office désormais ont hélas perdu, tel un paradis...

    Euh...Sous une même plume, ces propos ne sont-ils pas quelque peu...contradictoires?


  • mirage, je ne voudrais pas laisser votre passage sans réaction même si vous vous adressez à plumeplume, ce dont je ne me mêlerai pas ici...

    Sur votre blog, j'ai été intéressé par votre commentaire récent concernant Heidegger ( http://lavissauve3.blogs.nouvelobs.com/archive/2015/05/31/c-est-une-histoire-racontee-par-un-idiot-563535.html#c958622 ).

    Même si je n'arrive plus à oublier la stupidité monstrueuse des pamphlets de Céline que j'ai simplement pu lire "en diagonale", je serais assez d'accord avec vous sur le "Voyage" (on pourra sans doute y ajouter "Mort à crédit", titre ô combien prémonitoire).

    Contrairement à "l'artiste" Céline (ou Knut Hamsun, p. ex., avec sa mémorable nouvelle "Faim"), l'argument contre Heidegger tient en effet à sa qualité de philosophe - ou encore de "professeur de philosophie" et de "révélateur de vocations" - qualité pour moi indissociable de la "pratique" et donc de l'engagement politique, comme c'est également le cas pour Marcuse (qui, en 1932, a soutenu sa thèse sur Hegel sous la direction de Heidegger) ou pour Th. W. Adorno ou encore pour le docteur en philosophie que fut Karl Marx, pour prendre ces "contre-exemples". - Et ça l'est a fortiori pour le "philosophe de l'existence" Heidegger !

    Vous écrivez :

    " 1) Ses écrits sont d'autant plus géniaux que, de l'aveu même des philosophes un peu authentiques, ils sont illisibles pour un lecteur de bonne foi "

    Ils sont illisibles en français, de même que Freud - plutôt facile d'accès en allemand - l'était dans l'édition complète des P.U.F. (première mouture, on a dû comprendre, depuis, que trop d'amour tue l'amour). - De son côté, Jean Hyppolite s'est donné beaucoup de mal avec Hegel, qui - originaire de la même région que Heidegger - peut paraître tout aussi "illisible" au lecteur profane. - Mais même en allemand ce sont des textes difficiles, et il ne suffit malheureusement pas de les "lire", il faut les "étudier" - au sens universitaire du mot - pour les comprendre, les interpréter, les critiquer ...

    " 2 Son adhésion pompeuse au nazisme, loin de lui valoir la moindre condamnation ultérieure pour et en elle-même, jette sur l'ambition verbeuse, verbiphage, verbimaniaque qui caractérise son oeuvre comme son enseignement le délicieux parfum de l'interdit tellement supérieur qu'il transforme le vice en aristocratique et régalien privilège d'être le seul à se comprendre et pour - excellente - cause..."

    Je ne sais pas ce que vous mettez dans "adhésion pompeuse...". Il était nazi, point barre. - Or "l'ambition verbeuse, verbiphage, verbimaniaque" que vous lui reprochez est une autre affaire : vous pouvez également faire ce reproche à Hegel, à Lacan, à Derrida et à tant d'autres. C'est que le métier de penseur consiste à travailler le concept, le seul outil dont il dispose pour articuler sa pensée : Hegel parlera de "l'effort du concept" (Anstrengung des Begriffs)... en cas d'excès, vous pourrez sans doute invoquer la "déformation professionnelle".

    " 3) et Heidegger, comme le fut Sartre parfois, est un repoussoir ... "

    OK. - Et quand la discussion atteignait son climax dans les vapeurs éthyliques des estaminets existentialistes, on vous sortait : "Tu sais, moi j'en connais, des gens, qui ont VRAIMENT LU Heidegger..." - Mais ça, ce n'est pas un argument contre Heidegger : c'en est un contre les poseurs !

    Quant à moi, je soutiens qu'il est possible de faire apparaître un lien essentiel - un "fil conducteur" - entre "Sein und Zeit" (1927), "Qu'est-ce que la métaphysique ?" (1929) et le tristement célèbre "Discours du rectorat" (1933) : car la pensée même de Heidegger contient des éléments de l'idéologie nazie. Et c'est ça - seulement ça - qu'il s'agit de montrer.

    De même, je me suis interrogé sur le sens qu'il faut donner à une "philosophie sans sujet", telle que l'avait envisagée Heidegger.

    J'avais écrit à ce propos ( https://skuze.wordpress.com/2014/09/04/le-theatre-cartesien/ ) :

    Si l’on est conséquent, l’abandon de la position du sujet, comme événement marquant de l’histoire des idées, signifie également l’abandon du libre arbitre, de telle sorte qu’il ne reste à l’existence heideggerienne que la « décision » d’être à la mort, qui représente « sa plus intime possibilité d’être » (sein eigenstes Seinkönnen, ibid. S+Z, § 54 ssq.). Nous ne sommes alors plus très loin d’un décisionnisme à la Carl Schmitt et, ipso facto, d’une idéologie totalitariste.


    Reste le "professeur de philosophie", le "révélateur de vocations", et Heidegger n'aura pas "engendré" que des nazillons : Hans Jonas, Hannah Arendt et le fameux Herbert Marcuse, déjà cité, en témoignent. On comprend aussi que d'éminents universitaires comme Gérard Granel (Toulouse-Mirail) ou Jacques Derrida (ENS, rue d'Ulm) n'arrivaient pas à renier complètement celui par qui ils pensaient être devenus ce qu'ils étaient...

    Dans ce contexte, il faut également citer Maurice Blanchot qui dans sa jeunesse "fréquentait" l'Action Française et trempait sa plume dans les revues d'extrême-droite : « Grâce à Emmanuel Levinas, sans qui, dès 1927 ou 1928, je n'aurais pu commencer à entendre Sein und Zeit, c'est un véritable choc intellectuel que ce livre provoqua en moi. Un événement de première grandeur venait de se produire : impossible de l'atténuer, même aujourd'hui, même dans mon souvenir. »

    Il y a aussi le "cas" Cioran - grand admirateur de Nietzsche - qui éprouva dans sa jeunesse roumaine - c'est le moins qu'on puisse dire : - une certaine "attirance" pour le totalitarisme (dans le sillage de son collègue Mircea Eliade). Je le mentionne ici car son œuvre française - et ses "refus" tant dans le Paris de l'occupation qu'après la Libération - témoignent d'un virage à 180°, comme d'ailleurs les écrits - autrement remarquables - mais aussi les (rares) engagements après-guerre de Blanchot.

    Une chose importante encore pour ce qui est de la "condamnation ultérieure" dont vous parlez : en Allemagne, Heidegger est depuis longtemps persona non grata. C'est bizarrement dans la France de l'après-guerre - où tout ce qui venait d'Allemagne était suspect (et continue pour certains de l'être encore aujourd'hui) - que sa pensée a connu un écho prodigieux, notamment par l'entremise de personnages ambigus comme Jean Beaufret (professeur d'un certain Faurisson). - De plus, devant un travail aussi difficile, rares ont été les traducteurs français à la hauteur, alors bien sûr : en chargeant la mule, le côté illisible s'amplifie en conséquence... !


    Ainsi, DASEIN, c'est simplement la traduction allemande d'existentia (existence), un concept déjà central chez Hegel (en relation avec Wirklichkeit = réalité). Or, comme Heidegger utilise également le mot Existenz, les traducteurs se sont trouvé devant une aporie apparemment insoluble, sauf à laisser Dasein dans le texte, ce qui ne va pas du tout car c'est un mot plutôt "banal" en allemand : "être-là" est un moindre mal, mais le sens courant de Dasein reste EXISTENCE, quel que soit le tarif que l'éditeur veut bien dé-penser pour ce mot ! (Il fallait plutôt trouver une solution pour Existenz, bien moins courant en allemand, qui permettait éventuellement une petite fantaisie).

    Voilà. Dans un cadre différent, il resterait beaucoup à dire...


  • Je vous remercie pour les précisions et remarques dont vous gratifiez ce que j'ai pu écrire à propos d'Heidegger sur mon blog. Vous auriez pu, je vous le signale, y répondre directement sur ce dernier: vous ne faites nullement partie des gens qui parlent ou écrivent pour ne rien dire, et pouvez, ce me semble, visiter n'importe quel blog sans autre effet que de l'enrichir.

    Cela dit, vos considérations sur Heidegger, pour tout à fait adéquates à cet auteur, et à la méthode qu'il appelle, dans le cercle des spécialistes de la philosophie, ne traite pas tout à fait du même sujet qui fut le mien dans l'article auquel vous faites allusion.

    Je ne suis aucunement philosophe de formation, même s'il me semble souvent qu'un homme qui ne se pose pas de question et perd conscience du fait que sa vie entière est consacrée au choix des valeurs qu'il illustre est un homme par façon de parler.
    Mais précisément, la philosophie me semble être trop précieuse et trop spontanément chevillée à l'âme pour faire l'objet d'une sorte de sanctuaire hors duquel, loin des concepts et des filiations intellectuelles, et surtout des philosophes consacrés, le malheureux profane ne peut qu'errer et répéter quelques mots-sésames qui le ridiculisent plus qu'ils ne l'éclairent.

    A mes yeux, le philosophe véritable est celui qui aide à vivre, MAIS à vivre près des hommes, si près qu'il se veut l'un d'eux à défaut de quoi il n'aide personne, même pas lui-même.
    Dès lors qu'il construit une pensée qui l'en isole, cette pensée fût-elle célébrée par cinquante philosophes tout aussi seuls, sa philosophie sert la philosophie qui elle même ne se soucie nullement de savoir EN QUOI elle peut servir à quiconque, sinon à la cohérence du système grâce auquel il explique pourquoi et comment la vie n'est pas simple.

    Or, la vie est simple, très simple, quand on a pour maîtres sa bonne foi, sa curiosité intellectuelle allumée à la moindre manifestation du vrai sous ses masques ironiques, et quand on a la chance de lire ces auteurs qui ont nom Montaigne, Rousseau ou Voltaire, Camus, ces inclassés des corpus universitaires: il fait bon vivre, il est superbe et tragique d'aimer, il est courageux d'affronter ses passions comme autant de démons et de démiurges, et incontournable de choisir ce qu'on veut devenir.

    Et je répète ma question: à quoi diable Heidegger a-t-il bien pu servir? A aider des philosophes à mieux philosopher, ou des juifs à mieux mourir? A mieux se défier des mots, ou à les aduler jusqu'à l'idolâtrie et au fanatisme?


  • Merci pour le double postage. Je réagis rapidement à deux de vos trois questions finales.

    " à quoi diable Heidegger a-t-il bien pu servir? "

    Je pense que c'était avant tout un professeur de philosophie qui parvenait à susciter des vocations chez un public très divers, comme vous savez. Je ne crois pas, cependant, qu'il avait une pensée véritablement originale ("authentique", pour le dire dans son jargon) : il a fait beaucoup d'emprunts sans toujours les signaler au lecteur, il doit énormément à son maître Husserl, son œuvre majeure (S+Z) reste à l'état de fragment, et je considère que sa "philosophie sans sujet" (empruntée au premier Husserl, 1900-1910) est un échec, de même que son projet d'une "déconstruction de la métaphysique", qui reste prisonnier de cela même qu'il s'agissait de "déconstruire".

    Je crois qu'il arrivait à susciter des vocations notamment avec ses interprétations peu communes, qu'il s'agisse de textes poétiques (Hölderlin, Rilke, Trakl) ou philosophiques (Présocratiques, Aristote, Kant, Nietzsche), qui ont pu agir comme de petites "révélations" chez certains de ses disciples. Cette méthode herméneutique, comme d'ailleurs son ontologie qui prend des allures de "culte de l'Être", me semblent devoir beaucoup à ce "meilleur ennemi" de la philosophie qu'est la théologie (premières amours de Heidegger)...

    " A mieux se défier des mots, ou à les aduler jusqu'à l'idolâtrie et au fanatisme? "

    C'est en effet le point crucial : il y a ici un fétichisme des mots où l'on est persuadé qu'un sens "originaire" ("onto-logique") recèlerait une vérité fondamentale, recouverte, oubliée. Comme beaucoup d'autres avancées récentes dans l'histoire des idées et des sciences, Heidegger ignore également la découverte de Saussure (1916) qui a mis en évidence le caractère arbitraire du signe linguistique. Or, ses tours de force (ou de passe-passe) sur certains concepts pour lui déterminants ne sont pas réitérables dans d'autres langues, ce qui devrait en principe suffire pour prouver l'insuffisance des démonstrations fondées sur ses observations - ou constructions - philologiques, pour autant que celles-ci revendiquent l'universalité.


  • SK,

    Grand intérêt à lire votre commentaire qui vaut largement une note. Je vous envie d'ailleurs votre connaissance de l'allemand !

    C'est essentiel, et plus que jamais depuis la publication des "Carnets noirs", de poursuivre le plus rigoureusement possible, les liens intimes entre l'adhésion de Heidegger au nazisme et sa pensée même. Je n'ai pas eu le courage - ou plutôt je ne suis jamais parvenue à lire les grands textes du penseur de Fribourg, tels « Zein und Zeit », « Qu'est-ce que la métaphysique ? » Ou le fameux « Discours du Rectorat ». Et ce, très banalement, parce que je n'entrais pas dans ce genre de texte. A ce niveau-là, j'ai connu le même genre de problème avec Lacan et les premiers écrits de Derrida par exemple, à une époque où, formellement du moins, il me semble que prédominait le courant structuraliste. Je n'ai pas raison pour autant. Je dis juste que le structuralisme et moi, ça n'a pas marché ; que j'aurais été bien malheureuse si ça avait pris l'allure d'un discours qui eût duré ; je n’'étais tout bêtement pas faite pour ça, c'est tout !

    Par contre, ont compté pour moi, de Heidegger, des textes comme certains rassemblés dans l'ouvrage "Chemins qui mènent nulle part", et surtout un tout bref texte en forme poétique, publié dans Questions III, et intitulé "L'expérience de la pensée". Celui-là demeure une lecture de chevet.

    Oui, c'est important, et pour tout le monde (qu'il soit ou non outillé pour lire Heidegger) que ceux qui le peuvent, et sans avoir de compte suspect à régler avec lui, analysent le plus froidement les liens entre les textes centraux signés Heidegger et l'idéologie nazie.
    Mais comme l'affirme Benoît sur son blog, ce travail était déjà à l'œuvre (mais sans tapage) dans le travail d'un Levinas depuis longtemps, d'un Steiner, d'un Anders, et plus récemment dans le travail (difficile, je le concède) d'un Derrida ou d'un Agamben.

    Puisque je l'ai plus particulièrement étudié, il y a un essai important de Derrida qui traite de façon pointue du fameux Discours du Rectorat, et qui s'intitule "De l'Esprit", sous-titré "Heidegger et la question". Un essai qui s'enfonce dans le texte du philosophe allemand pour précisément parler du nazisme ("de ce qui reste à penser du nazisme en général et du nazisme de Heidegger"). Mais sous ce titre, Derrida entendait aussi parler des "politiques de l'esprit", des déclarations sur la "crise de l'esprit" qui se faisaient entendre un peu partout dans toute l'Europe insécurisée de l’époque (crise financière mondiale et phobie du communisme obligent). Essai difficile qui ne "sert" (pour reprendre le verbe à Mirage) pas immédiatement mais qui a pu nourrir la réflexion critique de penseurs plus accessibles, et qui eux peuvent nous servir, pourvu qu'en amont, ils se soient frottés à des textes qui se devaient de se confronter eux-mêmes à d'autres textes pointus et difficiles. A contrario, on pourrait mêmement se demander à quoi donc aura servi, dans l’idéologie du national-socialisme, la pensée d’un Carl Schmitt, par exemple. A rien directement, mais pour alimenter le fond et le fonds idéologique nazi, à quelque chose, voire à beaucoup.
    Et plutôt que cette question ("à quoi diable Heidegger a-t-il bien pu servir ?"), il faudrait se demander, et encore aujourd’hui avec plus de précision pointue, en quoi tous les idéologues de l'esprit de la première moitié du 20e siècle ont d'une façon ou d’une autre participé à un climat qui a rendu possible et effective une catastrophe telle que la Seconde Guerre Mondiale et le génocide des Juifs et des Tziganes, et qui a fait quelques 60 millions de morts.


  • Dans le temps, je fréquentais un prof de philo de prépa à qui je confiai un jour ma fascination pour les "Écrits" de Lacan. Il m'a alors dit que c'était bien ma veine de m'intéresser aux textes les plus mal écrits de la culture française. Et de me recommander Pascal ! - Ainsi, ne regrettez pas de ne pas savoir l'allemand parce que vous ne pouvez pas lire Heidegger dans le texte, plumeplume : Nietzsche, Freud, Kafka, oui... mais pas Heidegger !


  • Pas de problème, SK, je ne vous envie pas la connaissance et la pratique de l'allemand pour lire du Heidegger dans le texte, mais pour avoir un accès plus intime à des concepts philosophiques, pour mieux goûter à vif l'écriture d'un Kafka, la force poétique d'un Hölderlin et surtout d'un Paul Celan.
    Mais pour me consoler, je les ai lus en publication bilingue quand de telles publications existent ; ma connaissance du flamand me servant alors de temps à autre de béquille pour claudiquer vaille que vaille dans le texte allemand.
    J'ai pu ainsi finir par lire "La métamorphose" de Kafka dans le texte original (mais que d'efforts en amont !) et quelques fragments de "La Rose de personne" de Celan. Mais bon, pas de quoi parler de miracle babélien dans mon cas !


  • SK
    Je viens de relire les différentes interventions qui ont l’avantage se recentrer sur Heidegger lui-même.

    Je viens de ressortir de ma bibliothèque un livre paru en 1967 et que j’ai dû lire quelques années plus tard : «En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger» d’Emmanuel Levinas.
    C’est la réimpression d’un certain nombre de textes, dont : «Martin Heidegger et l’ontologie». Ce texte, et c’est important, date de 1932, soit deux ans avant «La philosophie de l’Hitlérisme” et après le symposium de Davos où Lévinas avait pris le parti de Heidegger contre Cassirer.

    Ce qui est intéressant dans ce texte auquel on ne peut faire le reproche de «l’après coup» vu la date, c’est l'état d’esprit de Lévinas, sa passion philosophique et ce qu’il ressent à la découverte de Heidegger.

    Ce qui en jeu dans l’affaire Heidegger pour ceux qui l’ont lu (quelle que soit leur approche) c’est peut-être une fidélité à soi-même, à ce moment de curiosité et d’enthousiasme qui a été le nôtre.
    Condamner l’antisémitisme virulent de Heidegger (même dans ses écrits privés), condamner son inscription à un parti comme le parti nazi est une chose et va de soi.

    Mais renier cette part d’ouverture, de capacité à découvrir une manière originale d’interroger le réel, cela signifie ne plus questionner, se contenter du déjà dit, du déjà su, de peur d’une nouvelle fois se tromper. Si on a peur de se tromper, on en reste éternellement dans le ni ... ni …

    Avoir été un lecteur passionné de Blanchot comme je l’ai été étudiant et découvrir qu’il était d’extrême droite et qu’il a écrit dans une revue d’extrême droite sous l’occupation, ce que j’ai appris plus tard, ça fait mal.
    Comme pour d’autres, in illo tempore, s’enthousiasmer devant la nouveauté des romans de Céline et décourvrir ses textes antisémites a dû faire encore plus mal.

    Mais renier cette part d’enthousiasme, renier cette part de questionnement incessant qu’il y a en nous, est extrêmement dangereux pour la pensée et pour chacun d’entre nous.


  • La différence avec Blanchot (ou Cioran) est que ceux-ci se sont "amendés", Benoît. À ma connaissance, Heidegger n'a jamais fait état d'une remise en question de son passé nazi. Et la différence avec des "artistes" comme Céline ou Hamsun est que l'on ne peut séparer l'engagement, la "pratique", d'un intellectuel d'avec son œuvre. En principe, on ne le peut pas non plus chez les artistes, mais lorsque leurs productions frôlent le génie, on a plus tendance à leur "pardonner", à mettre leurs prises de position sur le compte de l'opportunisme, d'un délire personnel ou que sais-je encore. Or, ce genre d'excuses ne marchent pas avec un "philosophe de l'existence" comme Heidegger ou un théoricien politique comme Carl Schmitt. Si encore notre philosophe avait déliré tout seul dans sa "hutte" de Todtnauberg. Mais c'était un personnage public respecté qui enseignait, qui publiait, que l'on écoutait. Rien à voir avec un Céline délirant qui choquait l'occupant Jünger avec ses ongles sales !

    Je comprends bien les positions de tous ceux qui voudraient "sauver" Heidegger parce qu'il leur a ouvert la porte de la philosophie. Si je connais un peu son œuvre, c'est parce que je l'ai étudiée moi aussi, non parce qu'elle était "au programme", mais parce qu'elle m'a impressionné, parce qu'elle a en effet un côté "fascinant". Puis j'en suis revenu. Pas seulement à cause du côté "fascisant" de son auteur, mais aussi parce que je considérais que sa philosophie originale constituait une impasse. Pour le reste, je ne sais pas...
     

     
  • SK,

    Il ne s'agit évidemment pas ici de "sauver le soldat Heidegger" qui effectivement malgré l'insistance d'Hannah Arend n'a jamais voulu remettre son passé en cause.
    On peut avoir été séduit par sa nouvelle approche sans pour autant devenir heideggerien - indépendemment de son aspect nazi, comme on peut marquer de l'intérêt pour les analyses de Marx sans devenir un bolchévique. Ce sont surtout ces amalgames qui me fatiguent.

    De manière générale c'est l'approche qui m'intéresse. J'ai été ainsi très marqué suite à la lecture de Saussure par la méthode structurale sans en avoir fait une bible qui souvent rendait Tel Quel illisible.

    PS1 Peut-être serait-ce une bonne idée de placer ici une copie de la note à laquelle renvoie le lien ?
    PS2 Sait-on pour quelles raisons Heidegger a démissionné du Rectorat deux ans après ?
     

     
  • Voilà un débat comme je les aime : constructif.

    Il y a eu récemment à la TV un documentaire sur Paul Celan. Sa rencontre avec Martin Heidegger en 1967 fut commentée.

    Quelques recherches sur le Net : « Dès le début des années 1950 pourtant, le poète lit le philosophe et le philosophe lit le poète. Leur correspondance l'atteste, et aussi les notes de lecture que chacun porta sur les écrits de l'autre : ces deux oeuvres se sont fécondées. » (Paul Celan et Martin Heidegger de H. France-Lanord)

    Celan attendait d’Heidegger une parole qui ne viendra pas. Une grande déception pour Celan qui suite à cette rencontre écrira le poème Todtnauberg (encore un auteur qu’il faut lire dans le texte).

    Bonne journée et bonne continuation.


  • Salut Annick, en replay jusqu'au 17 > http://www.arte.tv/guide/fr/052791-000/paul-celan-ecrire-pour-rester-humain

    Et sur youtube > https://www.youtube.com/watch?v=C4oo1kg8Ta8

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    Et un post-it de nolats :

    Intéressant débat. Je retiens notamment la remarque de SK concernant "Dasein", qui nous est souvent présenté comme un concept quasi inaccessible. Mnémotechniquement parlant: existence et essence, Dasein et Benzin :-)

    Pour revenir à l'actualité, il m'apparait que la polémique sur Heidegger provient d'un artifice dextrodialectique: comme certains intellectuels "de gauche" se réfèrent à des philosophes ayant été influencés par Heiddeger ...alors "la gauche" a des accointances nazifiantes.

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  • merci sk, (bizarrement, je n'ai pas eu de notification de rejet)

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