mercredi 20 avril 2011

[Libye 2011] Vers une guerre civile sans fin ? (3)


~ note commencée le dimanche 17, actualisée les lundi 18, mardi 19 et mercredi 20 avril 2011 ~

Flux d'actualité [Al Jazeera] [libyafeb17] [Almanara Media]

BILAN. - Voilà deux mois que la Révolution du 17 Février a commencé en Libye et pratiquement un mois que la Coalition internationale y mène des opérations aériennes. Dans un premier temps, les bombardements alliés ont empêché la prise imminente de Benghazi et permis aux troupes insurgées d'avancer sur Syrte. Puis l'armée du colonel K., supérieure à tous les niveaux (armement, stratégie, entraînement des soldats ...), a mené une contre-offensive, repoussant les rebelles encore une fois jusqu'à Ajdabiya. Pendant ce temps, les pilonnages kadhafistes sur Misrata et dans les montagnes de l'Ouest se poursuivent sans que l'aviation de l'OTAN puisse y mettre fin. - Depuis quelque temps, on parle d' "enlisement" ("stalemate") pour décrire la situation militaire. Et toutes les tentatives pour amener les deux parties autour d'une table de négociation et parvenir à un cessez-le-feu ont échoué. Bien que l'expression soit encore évitée au possible, la Libye est bien en proie à une "guerre civile". Si tant est que l'unité du pays est intangible aux yeux des deux camps, la réconciliation après un tel épisode brutal et sanglant paraît très difficile. Reste alors la sécession de la Cyrénaique déjà évoquée à plusieurs reprises dans ces pages, mais qui semble hors de propos dans toutes les discussions menées sur l'avenir de la Libye. En effet, elle constituerait un demi-échec pour les trois parties engagées dans le conflit : l'Occident et les quelques pays arabes qui soutiennent les opérations militaires se verraient à nouveau contraints de "faire avec" le colonel K. sur la scène internationale et n'auraient pas réussi à faire plier le régime malgré leur impressionnante supériorité militaire et tout l'éventail des sanctions à son encontre ; les Libyens de l'Est seraient coupés de leurs familles et des ressources à l'Ouest, mais devraient également abandonner les populations de Misrata et de Zintan à leur sort ; et le colonel K. n'incarnerait plus l'unité du pays, mais se sera révélé comme un massacreur sans scrupules, mis définitivement au ban de la communauté internationale après tous ses efforts pour s'y faire accepter à nouveau. - Voici un rapide point sur la situation fait par BFM ce dimanche :


AJDABIYA. - Reuters écrit cet après-midi [ici] : Un témoin a indiqué avoir vu une dizaine de roquettes lancées sur l'entrée ouest d'Ajdabiah... - "Il reste encore quelques hommes (rebelles) près de l'entrée ouest mais la situation n'est pas bonne", a déclaré un des rebelles, Ouassim el Agouri, âgé de 25 ans, près de la porte est. - Samedi, des rebelles étaient parvenus à atteindre les faubourgs de Brega mais, après la mort de six rebelles touchés par des roquettes, ils ont dû battre en retraite et se réfugier à Ajdabiah. - La ligne de front orientale est difficile à déterminer avec précision en raison de la nature des combats, en forme de harcèlement, de pilonnages venus de loin et de la tendance grandissante des pro-Kadhafi à préparer des embuscades contre les rebelles le long de la route côtière.

SAIF AL-ISLAM KADHAFI. - Une nouvelle interview du fils du colonel K. a paru ce dimanche dans le Washington Post [ici]. Il continue de qualifier les rebelles de terroristes (Al-Qaida) et de criminels. Il estime que le seul "problème", c'est Benghazi qui sera "libérée par son propre peuple". Il pense que la démocratie n'est plus la "priorité" des gens qui veulent "la paix, la sécurité, à manger, à boire... des écoles". D'ailleurs quand il parlait "de constitution, de liberté, de démocratie" au cours de "ces dix dernières années", on lui "riait au nez" en disant : "nous voulons de belles maisons, nous voulons du bon argent, nous voulons de bons hôpitaux, nous voulons de bonnes voitures, nous voulons de bons hôtels". - Et si son père quittait le pays ? Réponse : "Somalie, deuxième acte. Tout le monde le sait". - L'entretien se conclut sur ces paroles : "Le cas de la Libye est très simple, il n'y a aucune difficulté, cela peut se résoudre très facilement. Mais si vous arrivez en disant que Kadhafi doit partir, vous compliquez la chose pour tout le monde. Alors ou bien vous voulez aider la Libye ou bien vous voulez détruire Kadhafi, vous devez choisir. Si vous voulez détruire Kadhafi, d'accord... mais ne dites pas 'je veux aider la Libye'. S'il vous plaît, ne le dites pas ... - Actuellement, la personne la plus importante en Libye, c'est le Premier ministre. Demandez à n'importe quel Libyen, [c'est] le Premier ministre. Mon père ne discute pas de contrats, de lois, d'entreprises, d'affaires... c'est le travail de l'exécutif, c'est le travail du Premier ministre. Il est la personne la plus importante en Libye, et la nouvelle Constitution prévoit un Premier ministre élu, ainsi qu'un Président élu. Mon père est comme un symbole du pays, il est symbolique... Mais ils en ont après Kadhafi, alors nous allons tous nous battre pour lui, c'est une mauvaise approche."




lundi 18 avril 2011 ~

Flux d'actualité [Al Jazeera] [Guardian] [libyafeb17] [Almanara Media]

MISRATA. - Reuters cite Abdubasset Abu Mzeireq, un porte-parole insurgé [ici] : "Les forces de Kadhafi pilonnent Misrata en ce moment. Ils envoient des missiles et des salves d'artillerie sur l'Est  [de la ville] - sur la (rue de) Nakl el Theqeel et les quartiers résidentiels voisins".  L'homme ajoute que 17 personnes ont été tuées et une centaine blessées par les bombardements d'hier. - En fin d'après-midi, on apprendra par la même source que, certains des blessés étant décédés, le nombre des morts d'hier s'élève à 25, pour la plupart civils, et que quatre autres civils ont été tuées aujourd'hui par les tirs kadhafistes. - Pendant ce temps, un millier d'habitants et de travailleurs étrangers ont pu quitter la ville par la mer, à bord de l'Ionian Spirit [ici].  On parle par ailleurs d'un millier de morts au cours des six dernières semaines ! (sources médicales via AFP & libyafeb17) - Comme un certain nombre de d'autres journalistes, Jonah Hull d'Al Jazeera est arrivé dans la ville martyre dimanche matin :


SYRIE. - L'AFP écrit [ici] : Au moins sept personnes ont été tuées dimanche par les forces de sécurité à Homs dans le centre de la Syrie où le mouvement de contestation est entré dans son deuxième mois, ont indiqué lundi des militants de défense des droits de l'Homme. - Selon ces militants qui ont requis l'anonymat, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles pour disperser les manifestants rassemblées dans le quartier de Bab Sba'a à Homs, à 160 km au nord de Damas. - Les militants ont expliqué que la tension était vive depuis l'annonce samedi à Homs de la mort d'un cheikh interpellé il y a une semaine. "Les services de sécurité ont remis la dépouille du cheikh Faraj Abou Moussa une semaine après son arrestation en pleine santé à la sortie d'une mosquée", a dit l'un d'eux. - La tension est également due aux nouvelles venant de la ville proche de Talbisseh où au moins quatre personnes ont été tuées également dimanche et plus de 50 blessées lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu sur la foule qui participait aux obsèques d'un Syrien tué la veille, selon des témoins. - L'agence cite un communiqué d'Amnesty International selon lequel 200 personnes au moins ont été tuées en un mois, tant par les forces de sécurité que par des policiers en civil.

"PRINTEMPS ARABE". - Vu l'évolution des choses en Libye, en Syrie, au Yémen et à Bahreïn, cette expression n'est plus guère utilisée par les observateurs. On pourrait même être porté à croire que la Tunisie et l'Égypte constituent des exceptions à une règle qui va dans le sens du maintien des régimes autoritaires. En Algérie, au Maroc, en Syrie et au Yémen, le pouvoir en place joue la carte des "réformes" pour éviter la guerre civile. Or, en Algérie, le récent discours du président Bouteflika, une première dans le pays, n'a pas vraiment convaincu, comme on peut le lire sur algeria-watch [ici]. Il en va de même en Syrie, où les deux interventions télévisées de Bachar al-Assad ont été jugées pour l'une vide de sens, pour l'autre insuffisante, même si (imitant l'Algérie) le président syrien promet de lever l'état d'urgence en vigueur depuis 1963.  Au Yémen, le président Saleh continue, lui aussi, de s'accrocher à un pouvoir qu'il détient depuis plus de trois décennies, en brandissant le spectre du chaos qui s'installerait s'il n'assurait pas la "transition" jusqu'en 2012 ou 2013. Et au Maroc, où le roi Mohammed VI ("M6") jouit encore d'un certain prestige, les choses ne se sont calmées qu'en apparence après les "réformes" annoncées par Sa Majesté le 9 mars dernier dans un discours à la Nation [ici]. - De plus, il faut bien avouer que les choses sont loin d'être finies en Égypte où le pouvoir est actuellement détenu par l'armée, sans que l'on sache encore précisément vers où cela mènera le pays. Et en Tunisie, comme d'ailleurs dans tous les pays cités, la question économique et sociale reste préoccupante, en sachant qu'elle est à l'origine, avant même les revendications de "liberté" et de "démocratie", des soulèvements que l'on a un peu rapidement qualifiés de "Printemps Arabe".

TROUPES AU SOL. - Le Guardian rapporte que l'UE se préparerait à déployer des forces armées sur le sol libyen afin de sécuriser les convois d'aide humanitaire. Ces troupes n'engageraient pas de combat, mais auraient le droit de répondre aux menaces. Cette action doit encore être avalisée par l'ONU, Catherine Ashton ayant écrit une lettre dans ce sens à Ban Ki-Moon.

MONTAGNES DE L'OUEST. - Ce soir, l'AFP (via Al Jazeera) rapporte que plus de 100 personnes ont été tuées au cours des dernières vingt-quatre heures dans le district d'Al-Jabal Al-Gharbi, tenu par l'insurrection, après les pilonnages de l'armée kadhafiste, selon les témoignages d'habitants. - Et Reuters (via libyafeb17) annonce que 11.000 personnes ont déjà fui la région pour la Tunisie voisine. Selon l'agence tunisienne TAP, en l'espace de 48 heures seulement, 3.000 nouveaux réfugiés, surtout des femmes et des enfants, ont traversé la frontière pour échapper aux bombardements et aux menaces de viol.

mardi 19 avril 2011 ~

Flux d'actualité [Al Jazeera] [Guardian] [libyafeb17] [Almanara Media]

AIDE ALIMENTAIRE. - Selon Al Jazeera, qui relaye la déclaration d'une responsable du Programme Alimentaire Mondial (WFP), un convoi de huit camions transportant 240 tonnes de farine de blé et de biscuits énergétiques pour nourrir quelque 50.000 personnes pendant 30 jours est entré  lundi en Libye depuis la Tunisie. - "Nous avons pu ouvrir un nouveau couloir humanitaire dans l'Ouest de la Libye", a dit la porte-parole du WFP Emilia Casella lors d'une conférence de presse. - "Le WFP assure la coordination entre toutes les parties pour s'assurer que la population civile... ne souffre pas de la faim, sans tenir compte de l'appartenance de leurs zones d'habitation à l'une ou l'autre des factions en guerre". - La nourriture sera distribuée en priorité aux femmes et aux enfants à Tripoli, Zintan, Yefren, Nalout, Mezda, Al Reiba et Zaouia par l'intermédiaire du Croissant Rouge libyen.

MISRATA. - Reuters relaye le témoignage par téléphone de Donatella Rovera, en mission pour Amnesty International, qui publie également un blog [ici] : "Il y a eu des bombardements très près, dans le quartier  Nord-Ouest qui jouxte le centre ... Je viens de quitter l'hôpital, où de nouvelles victimes sont arrivées ...  Les zones encore aux mains de l'opposition sont à présent pilonnées par les forces de Kadhafi. Le centre-ville constitue la ligne de front. - Il n'y a pas d'électricité. La ville marche aux générateurs ... les réserves de carburant s'épuisent. L'alimentation en eau est coupée depuis des semaines, alors on puise là aussi dans les réserves. On s'est remis à utiliser de vieux puits." (via Guardian)

TROUPES AU SOL. - L'AFP cite Alain Juppé [ici] qui se déclare aujourd'hui "tout à fait hostile à un déploiement de forces sur le terrain" en Libye, alors que son homologue britannique, William Hague, vient d'annoncer l'envoi de "conseillers militaires" auprès du Conseil National de Transition (CNT) à Benghazi qui, cependant, "ne participeront pas à la préparation ou à l'exécution d'opérations du CNT". - Et le ministre français rappelle ceci : "Nous avons à Benghazi un haut représentant qui est un diplomate, Antoine Sivan, avec une petite équipe qui assure sa protection. Nous n'avons pas de soldats". Cela ne l'empêche pas de considérer que "la pression militaire doit être maintenue et même accentuée" sur les forces de Kadhafi. - Reprenant une dépêche de Reuters, Le Point rapporte encore ces propos [ici] : Pour Alain Juppé, la situation militaire en Libye est aujourd'hui "difficile, confuse" et une solution politique est nécessaire dans la mesure où il est "probable (...) qu'il n'y aura pas de solution militaire". - "Ce qu'on a peut-être sous-estimé, c'est (la) capacité d'adaptation de Mouammar Kadhafi", a-t-il ajouté.

SYRIE. - En se référant à l'agence officielle Sana, le Guardian rapporte que le gouvernement syrien a accepté d'abolir l'état d'urgence et les lois d'exception en vigueur depuis 1963, ainsi que la Cour de sécurité de l'État, habilitée à conduire les procès contre les prisonniers politiques. Une nouvelle loi autorisant les manifestations pacifiques doit également être promulguée. Ces décrets attendent encore la signature du président al-Assad, mais on estime qu'il s'agit là d'une "formalité".

~ mercredi 20 avril 2011 ~

Flux d'actualité [Al Jazeera] [Guardian] [libyafeb17] [Almanara Media]

ÉLECTIONS. - Une proposition plutôt inattendue du nouveau ministre libyen des Affaires étrangères, Abdoul Ati al-Obeidi qui remplace Moussa Koussa, est rapportée ce matin par le Guardian : "La Libye pourrait organiser des élections libres, supervisées par les Nations Unies, dans les six mois suivant la fin du conflit [et des bombardements] ... Le régime envisagerait la mise en place d'un gouvernement national intérimaire avant la tenue de ces élections ... Obeidi a dit que les discussions sur les réformes incluraient 'la question de savoir si le Guide [Mouammar Kadhafi] doit rester et dans quelle fonction, ou s'il doit se retirer.' ... Obeidi a ajouté : 'Tout sera mis sur la table.' " - Le ministre a également remarqué ceci : "Les USA, les Britanniques et la France... se contredisent parfois Ils parlent de démocratie, mais quand il s'agit de la Libye, ils disent que [Kadhafi] doit partir. Ça devrait être l'affaire du peuple libyen. Ça ne devrait pas être imposé par un autre chef d'État. C'est contre le principe de la démocratie."

MISRATA. - Alors que les combattants demandent ce mercredi une intervention au sol des troupes de l'OTAN pour sauver les populations de la ville assiégée, le live blog du Guardian intègre cette vidéo prise hier, montrant une scène de la guérilla urbaine qui se poursuit dans le centre :


Dans l'après-midi, Reuters nous apprend (via Al Jazeera) que cinq civils ont été tués à Misrata aujourd'hui. Au moins un journaliste a également perdu la vie et trois autres ont été blessés, dont un sérieusement, par des tirs de mortier (AFP via AJ).

CONSEILLERS MILITAIRES. - Après l'annonce du gouvernement britannique, qui a décidé d'envoyer 20 de ses experts à Benghazi, les armées française et italienne lui emboîtent le pas en dépêchant chacune une dizaine d'officiers de liaison auprès de l'opposition libyenne. Sur le front diplomatique, le président du Conseil national de transition, Moustapha Abdel Jalil, a été reçu ce mercredi à l'Élysée par Nicolas Sarkozy. Peu de choses ont filtré de cette rencontre, si ce n'est l'assurance d'une intensification des frappes aériennes, réclamée par les insurgés. L'envoi de troupes au sol reste cependant exclu. [ici]. Sans citer de sources, et pour cause, les agences continuent d'affirmer qu'un certain nombre d'éléments des services spéciaux occidentaux se trouvent également sur le terrain. - Par ailleurs, on note depuis lundi l'absence totale d'informations sur le front de l'Est. Est-ce là une première mesure conseillée par les stratèges européens ?

TIM HETHERINGTON. - C'est le nom du reporter tué aujourd'hui à Misrata. Il est le co-auteur du documentaire Restrepo (2010) sur une vallée meurtrière en Afghanistan [vidéo]. Son collègue Chris Hondros, un photographe de Getty, est dans un état grave, souffrant de blessures au cerveau. Son décès sera annoncé un peu plus tard. - Le New York Times leur consacre un article [ici].

Tim Hetherington (photo via al jazeera)

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