samedi 5 octobre 2013

Point d'interrogation

Je ne sais pas si cela vous arrive : Se remettre soi-même en question, interroger ses certitudes. Se dire au besoin : Mais qui est ce personnage que j'incarne ? D'où m'est-il venu ? Pourquoi faut-il que je joue toujours le même rôle ?


Heureux acteurs : Ils changent de peau à loisir ! Et, lorsqu'ils sont très demandés, ils choisissent leurs rôles ! Et, lorsqu'ils sont très bons, ils choisissent des rôles très différents.


Par rapport à eux, nous ne sommes que de pauvres emplois.


Rilke écrit [je traduis] :


L’ai-je déjà dit ? J’apprends à voir - oui, je commence. Ça fonctionne encore mal. Mais je compte bien utiliser mon temps.
Et
je n’ai, par exemple, jamais pris conscience du nombre de visages qui existent. Il y a un grand nombre de gens, mais bien plus de visages encore, car chacun en possède plusieurs. Voilà des gens qui portent un visage des années durant ; il s’use bien sûr, il se salit, il se casse au creux des rides, il s’élargit comme un gant que l’on a porté au cours d'un voyage. Ce sont des gens simples, économes ; ils n’en changent pas, ils ne le font même pas nettoyer. Il fait l’affaire, assurent-ils, et qui peut leur prouver le contraire ? Comme ils ont plusieurs visages, la question se pose cependant : que font-ils des autres ? Ils les conservent. Leurs enfants doivent les porter. Mais il arrive également que leurs chiens sortent avec eux. Et pourquoi pas ? Un visage est un visage.
D’autres gens enfilent leurs visages incroyablement vite, l’un après l’autre, et ils les usent. D’abord, il leur semble qu’ils les possèdent pour toujours, mais ils ont à peine quarante ans qu'ils en sont déjà au dernier. Bien entendu, cela ne va pas sans un certain tragique. Ils ne sont pas habitués à ménager les visages ; leur dernier est cuit en huit jours, il a des trous, en de nombreux endroits il est fin comme du papier, et peu à peu le support se révèle, le non-visage, et ils se promènent avec ça.


Rainer Maria Rilke : Les Carnets de Malte Laurids Brigge (1910)


Nous sommes des imitateurs. Il vaut mieux s'en rendre compte au plus vite. Conflits de générations obligent, les jeunes gens se croient très différents de leurs parents. Puis avec l'âge, on s'aperçoit de plus en plus des similitudes. Et surtout : Ce que l'on croyait authentique chez soi a été récupéré à droite et à gauche, sans même que l'on s'en soit rendu compte.


Nous ne jurons que par notre identité, notre origine : Et voilà qu'elles nous emprisonnent, ces fictions que nous avons nous-mêmes édifiées. Certes, on nous y a fortement aidés. Mais maintenant nous nous cramponnons à ce montage de toutes pièces.


Non ?


Alors vous seriez identique avec ce bébé, cet enfant, cet adolescent, ce jeune adulte que vous avez été ? Et si vous êtes âgé, toute votre identité tiendrait dans ce que vous êtes devenu ?


Et la fameuse origine alors ?


Ethnique ou sociale, c'est votre vie, celle que vous menez, qui détermine ce que vous êtes : ce sont les actes - bons ou mauvais, regrettables ou exemplaires, contraints ou volontaires - que vous accomplissez, les gens qui vous aiment ou vous détestent, qui constituent votre être et les traces que vous laisserez.


Tout le reste est accessoire. Comme au théâtre. Rideau !


[youtube http://www.youtube.com/watch?v=aZtV-iHeQd0&w=420&h=315]
Alan Schneider / Samuel Beckett / Buster Keaton : Film (1965)


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Commentaires


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Vous avez, à l'évidence Skarlet, un fort versant existentialiste..et pourquoi pas ? pas de prédéterminisme et l'être qui se construit dans l'action - même pas préméditée - comme un pont qui se propulse vers l'autre rive..
ça me va..


Écrit par : hubert41 | 05 octobre 2013 |

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debat interessant ;'' montage de toutes pièces.Non ?....''
'L etre se construit dans l action ''
IL Y A HELAS les genes de depart ...parfois les briques de fondation ont pas terribles!!


Écrit par : olivier | 06 octobre 2013

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Welcome, Olivier !


Je m'élève ici contre la rigidité de l'identité, de l'origine, qui pétrifie les gens : les empêche d'exister, d'être vivants...

Avec cette petite note spontanée, je ne comptais pas lancer un débat scientifique ou philosophique, mais qu'à cela ne tienne...

Écrit par : sk | 06 octobre 2013

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Bonsoir sk, l'origine n 'est pas tout et heureusement...L' important est ce que l 'on a reçu , je veux dire si nos parents nous ont donné les clés nécessaires à l 'ouverture au monde : musique, lecture, culture, parole au sein de la famille et c'est souvent là que les choses se gâtent ...Perso, je ne me sens pas différente de ce que j 'étais à vingt ans , même si la vie m 'a souvent obligée à adopter un masque , entrer dans le moule et obéir le doigt sur la couture du pantalon, remiser mes envies de liberté avec au fond de moi une vague envie de révolte. Et un jour , contraintes familiales et professionnelles remisées, on finit par se retrouver, un peu ... A condition bien sûr de ne pas s'être résigné.

Écrit par : anneza | 07 octobre 2013

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"Ethnique ou sociale, c'est votre vie, celle que vous menez, qui détermine ce que vous êtes : ce sont les actes - bons ou mauvais, regrettables ou exemplaires, contraints ou volontaires - que vous accomplissez, les gens qui vous aiment ou vous détestent, qui constituent votre être et les traces que vous laisserez."


sk, cette affirmation de votre cru, on pourrait très bien la retrouver dans "l'Etre et le Néant"..à la fois
empreinte d'un certain fatalisme mais également message de liberté absolue et porteuse d'espoir puisque l'on est et l'on sera ce que l'on a fait..la trace de l'être..et non pas où l'on nait.

Écrit par : hubert41 | 07 octobre 2013

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Merci de m 'avoir fait connaître ce film .dont je vais me servir pour un projet d' écriture sur l 'art

Personnage en tchador avant la mode
Face voilée rase les murs c'est lent , long comme une vie peut parfois l'être , une suite de non- évènement et pourtant une succession de traces à découvrir comme un jeu de piste.
Est-ce moi qui suis là ? Qui est là ?
Ce sont des doigts noueux qui courent , c'est la fatigue des questions , c'est l ' insoutenable regard d' un vivant sans masque – le chat , le chien , le poisson , le perroquet -le vrai , le transparent .
Irai- je jusqu ' à ma renaissance , sans vraiment quitter la terre ?
En partie vrai pour l 'artiste parce que il ou elle a à sa disposition des moyens qu 'elle crée elle même , c'est son privilège et sa liberté .

Écrit par : Luce Caggini | 11 octobre 2013

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Oui, c'est un bon, honnête travail d'artiste. Content que vous appréciiez.

PS.: La mod. faut pas vous inquiéter, vous avez posté plusieurs fois le même comment, c'est considéré comme du spamming...

Écrit par : sk | 11 octobre 2013

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J' ai beaucoup bougé et chaque fois changé de plans de perspective.
Tout se transforme en nous, en même temps que nous restons l'enfant de 4 ans qui appelait sa mère. Ce petit ilôt de nous, au fond.
Mais sans déterminisme, sinon à l'heure qu'il est je serais réserviste et j'aurais quatre enfants...puisque tel est mon héritage et les "obligations "morales du coin d'origine... et je devrais être sûr de moi et de mon droit. Mais non. J'ai connu cette phase, jeune, puis voyagé.
Non, je ne pense à rien de joué d'avance. Nés pauvres ou riches, des angoisses ou des certitudes vont nous "travailler" toute notre vie, bien sûr. Après on cicatrise, on se fait petit à petit.
La vie "est une suite de mesures provisoires" (Harrison): on se construit chaque jour avec nos matériaux et avec ce qu'on accepte d'apprendre. Nos univers mentaux sont poreux. L'élan vital nous pousse vers l'avant.
Le masque? Je ne sais pas... je préfère dire que nous sommes provisoirement qui nous sommes, jusqu'à ce que tel ou tel évènement nous change. La maladie, le deuil, la formidable compassion qu'on peut éprouver pour un ou une autre, les émotions puissantes de nos expériences à chacun nous approfondissent.
Un jour notre univers s'éteint. Et puis c'est tout.

Écrit par : talweg | 11 novembre 2013

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Le visage de Rilke n'est pas un masque, le rôle de l'acteur n'est pas une apparence. Ce sont des déclinaisons de l'être, des possibilités de l'existence. Etre et apparence : deux aspects du même, au-delà le silence. Ou bien...

Écrit par : sk | 11 novembre 2013

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" Le visage de Rilke n'est pas un masque, le rôle de l'acteur n'est pas une apparence. Ce sont des déclinaisons de l'être, des possibilités de l'existence. Etre et apparence : deux aspects du même, au-delà le silence. Ou bien..." , ou bien ,
et c'est bien de cela qu 'il s'agit . Mais la voix dont je parle sur l 'autre com précédent, sur LA RECLAME , vient de se mettre en route . Allez penser avec ça !
Penser ?
Je ne suis pas philosophe mais j 'ai lu CE MATIN même , stop la voix , une pause, ele reprend, pensez , IL, le séducteur, JOUE depuis UN AN ET DEMI , la tendance ? Il va me casser les pieds celui là SPECIALEMENT , j 'ai ma bête noire. moi AUSSI .
" L 'ou bien" est difficile . on ne nous lache pas d'une semelle comme l 'évoque Plume Plume que j 'en profite pour saluer DE GRAND COEUR revenue de St Bernard des Alpes pleine , l 'esprit Clair et FORT . Mais si les actions ne baissent ne remontent pas , que miser ?
Quant aux 5, pas 16 dernières minutes , 13 h 29 , non notre homme n 'est pas à l 'heure ...

Il y a de la profondeur dans ce que vous dites sk mais nous sommes happés sans arrêt
" Un jour,, notre univers s'éteint et voilà tout ", nous dit talweg . NON , ce n 'est pas tout . Le monde n 'est il que cet écran ?

Écrit par : anatolie | 13 novembre 2013

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