mardi 14 avril 2015

Günter Grass (1927-2015)

Nécro plus ultra

Au lendemain de la mort de Günter Grass, les nécros envahissent les colonnes de la presse allemande. Comme je ne suis pas spécialiste en la matière, je me contente de vous traduire deux extraits pondus par les pros pour marquer cette disparition d'un homme hors du commun qui avait outre-Rhin la dimension d'un Sartre ou d'un Camus en France. - Le Spiegel écrit [ici] :

L'histoire de Günter Grass est également l'histoire de la République Fédérale d'Allemagne. Et l'histoire de la République Fédérale est celle de Günter Grass.

À l'image de la République, qui pendant longtemps a refoulé le suivisme nazi de larges parties de sa population, Grass s'est tu sur sa période à la Waffen-SS. Lorsque dans les années cinquante après la Seconde guerre mondiale le pays se tourna vers le voisin français, lorsque Konrad Adenauer et Charles de Gaulle œuvrèrent à la réconciliation, Grass habitait à Paris. Lorsque dans les années soixante la majorité politique se décala vers la gauche, Grass fit la promotion du SPD et aida sa tête de liste Willy Brandt dans la campagne pour l'élection du Bundestag. À la fin de la décennie, il se battait avec les soixante-huitards contre les lois d'exception.

Au milieu des années soixante-dix, Grass se retira de la politique – la « nouvelle intériorité » dominait le sentiment existentiel des intellectuels de l'époque – pour ensuite, au début des années quatre-vingt, manifester au sein du mouvement pour la paix contre le surarmement de l'Otan. En 1990 il critiqua la réunification, puis la réforme du droit d’asile, qui le fit quitter le SPD. Le capitalisme, il le critiqua de toute façon. Et bien sûr aussi l'énergie atomique.

Dès que le mainstream de la gauche libérale – appelé « rouge-vert » à présent  – défendait une cause, Günter Grass en était. « Assieds-toi sur ton cul et écris un nouveau livre au lieu de coller ton nom sur des milliers de manifestes », l'avait un jour engueulé Fritz J. Raddatz, le grand éditorialiste culturel de cette époque.

Mais il serait faux de conclure que Günter Grass était un opportuniste, un faiseur d'opinion sans opinion personnelle, qu'il suivait les modes politiques.



De gauche à droite : Grass, l'acteur David Bennent et le réalisateur Volker Schlöndorf
sur le tournage du Tambour en 1979 (photo dpa in Der Spiegel)

Helmut Böttiger publie un hommage dans l'hebdomadaire Die Zeit [ici] qu'il intitule « Une étincelle de la modernité ». - En voici un passage : 

Dans le monde littéraire d'Allemagne fédérale, personne n'était préparé à Grass, né en 1927 dans le quartier de Langfuhr à Danzig [Gdansk] comme fils d'un épicier. Apprenti tailleur de pierres à Düsseldorf et joueur occasionnel de washboard et de trombone dans une formation de jazz, il parcourut l'Europe en stop dès le début des années cinquante, et il a souvent évoqué, plus tard, l'atmosphère de ces trois années passées à Paris entre 1956 et 1959 : l'appartement humide en sous-sol place d’Italie, la liasse formant le manuscrit du Tambour, qui augmentait rapidement entre le changement de couches des enfants nés l'un après l'autre, et parfois une bouteille de schnaps, avec Paul Celan par exemple.

La force voluptueuse, excessive de la langue dans sa prose, le tripatouillage entre fromages de tête de porc, ondulations d'anguilles et organes sexuels, trahissant un tempérament fougueux et rustiquement sensuel – en 1958 cela faisait l'effet d'une libération.

Et cela d'autant plus que les instances officielles y virent une provocation. Avec sa critique parue dans le FAZ, Günter Blöcker donnait le ton : « La lecture de ce roman [sc. : Le Tambour] est un plaisir gênant, si tant est que c'en soit un. Ce que Grass décrit et la manière dont il le décrit rejaillit en partie sur son objet et en partie sur l'auteur lui-même. Il compromet durablement non seulement celui-ci mais également celui-là – par la force et l'évidence du plaisir que le narrateur prend à cela même qu'il rend méprisable, l'insistance jouissive d'artiste avec laquelle il entre dans le détail d'un art pour l’art peu ragoutant. »   

Dans sa singularité littéraire, Le Tambour fut également politique per se. Il contribua à faire du Groupe 47 l'instance littéraire centrale de la République fédérale dans les années soixante et, bien que ses séances se limitaient entièrement aux discussions littéraires, l'une des cellules embryonnaires les plus importantes de l'opposition extra-parlementaire [APO].
 

Grass en 1986 (photo : KPA/dpa in Die Zeit)


A lire aussi : Günter Grass > Ce qu'il faut dire (2012)


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Commentaires

et..Percy Sledge !! le compagnon incontournable de nos exploits d'emballages cadeaux du samedi soir !
Écrit par : hubert41 | 14/04/2015 |

Ben voilà, Mr. Hub : le + ultra du titre !
Écrit par : sk | 14/04/2015 |

sk : ni nécro (spirituel) ni ultra (marin d'eau douce)..ou alors ?..extra..mais pas plus !.. :-)
Écrit par : hubert41 | 14/04/2015 |

Je viens de terminer la correspondance entre Hannah Arendt et Mary McCarthy qui échangent au moment de la parution du Tamlbour qui leur apparaît comme une sorte d'ovni littéraire. Une sorte de fascination et l'impression qu'elles ne savent pas trop qu'en penser.
Personnellement, j'ai essayé de le lire un peu après la sortie du film que j'ai beaucoup aimé. Une erreur sans doute d'autant plus que la traduction me semblait assez poussive..
Écrit par : Benoît | 14/04/2015 | 

Je ne sais pas si une nouvelle traduction est parue après celle de Jean Amsler. Je vous invite à lire l'interview de son éditrice au Seuil (2007/2008) et l'argument d'anthologie qu'elle a trouvé pour faire patienter Grass qui avait demandé "à plusieurs reprises" une révision de la version française :

> http://www.arte.tv/fr/guenter-grass-en-france/1713326.html
Écrit par : sk | 15/04/2015 | 

Merci pour le lien.
Cela me fait penser à Edgar Nahoum qui sur le (très) tard a parlé de son appartenance - à 17 ans - à un groupe assez curieux, à la fois pétainiste et anti-nazi. Il a fait cet aveu à un âge où beaucoup auraient sérieusement édulcoré leur passé. Certains s'en sont servi pour lui nuire en faisant semblant d'ignorer que 3 ans plus tar, il s'engageait dans la résistance, d'où il a gardé son nom de résistant, le nom actuel Edgar Morin.
Cela me fait penser aussi à une émission d'Arte consacrée aux enfants d'anciens dignitaires nazis, notamment, si mes souvenirs sont bons, le fils de Goebbels, qui ont tou fait pour devenir citoyens israéliens.
Écrit par : Benoît | 15/04/2015 | 

Le problème, je me permets de le rappeler, ce ne sont pas tant les deux saisons à la waffen-ss qu'il a dû intégrer automatiquement après avoir été refusé par la "troupe de sous-marins" à laquelle il s'était porté volontaire à dix-sept ans, mais le rôle d'instance morale que Grass a tenu dans la RFA d'après-guerre - un rôle qu'il n'aurait évidemment pas pu tenir si cet épisode avait été connu du grand public.

"En décembre 1966 il critiqua l'élection de Kurt Georg Kiesinger au poste de chancelier fédéral : „Comment pouvons-nous commémorer les résistants torturés et assassinés, les morts d'Auschwitz et de Treblinka, quand vous, le suiviste de naguère, osez décider aujourd'hui de la ligne politique ?“ " (retraduit du wikipédia allemand)

Comme si souvent, le silence sur l'événement condamnable l'aggrave au fil des années, provoquant un véritable "shitstorm" (comme on dit maintenant en allemand) lors de sa révélation en 2006 ! - Mais un autre silence - celui de la tombe - assignera bien vite à cet événement la place qui lui revient dans la vie de cet artiste d'exception.
Écrit par : sk | 15/04/2015 |


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