jeudi 22 mars 2012

Dénouement

NB. - Cette note prolonge celle d'hier : Épilogues écarlates (21 mars 2012)

ÉLÉMENTS

Sur son fil d'actualité [ici, à 11:09], La Dépêche du Midi annonce le décès de l'homme qui se terre dans son appartement depuis hier, 3 heures du matin, cerné par "250 policiers". Un peu plus tard, l'affirmation est remplacée par un conditionnel plus prudent : "Selon une source policière, le RAID aurait retrouvé Mehra mort"

Sur France-Info [11:25] on entend un "échange (de tirs) très violent", des voix, une suite de détonations, et le commentaire ininterrompu de la journaliste qui se trouve à "quelques dizaines de mètres" de l'immeuble.

Sur son fil, La Dépêche le répète :  Des sources policières indiquent que le suspect serait mort [11:34]. Deux minutes plus tard, le journal précise : Mehra aurait cherché à se faire tuer par les hom[m]es du RAID [11:36]. Puis c'est officiel : L'Elysée confirme la mort de Mohamed Merah...  [11:42] Le circonstances sont précisées : Selon Béatrice Blondeau, journaliste de LCI, Mohamed Merah est mort à l'extérieur de son appartement, une kalachnikov à la main [11:48] Et on passe aux chiffres : 300 cartouches tirées pendant l'assaut [11:52].

A midi pile, Claude Guéant apparaît sur le lieux pour le débriefing devant les micros des journalistes en faction. Le ministre de l'Intérieur parle d'une "extrême violence", l'homme s'étant terré dans la salle de bains dont il était brusquement sorti en tirant des "rafales", lorsque le RAID inspectait son appartement, pour ensuite "sauter par la fenêtre, une arme à la main, en continuant à tirer" : il a été "retrouvé mort au sol".




 COMMENTAIRES

Ce matin, on pouvait lire sur le site du Monde [ici] :
Alain Juppé a répété, jeudi 22 mars sur Europe 1, son accusation à l'égard de François Bayrou et François Hollande, qualifiant d'"ignoble" l'utilisation du drame de Toulouse dans la campagne. "Laisser entendre que ce monstre [Mohammed Merah] a été influencé par la campagne alors qu'il est tombé dans la délinquance depuis des décennies et que cela fait bien des années qu'il est allé en Afghanistan, c'est ignoble", a déclaré le ministre des affaires étrangères. "Certains ont essayé d'instrumentaliser cette situation et je trouve ça ignoble", a insisté M. Juppé.
Et sur celui du Nouvel Observateur []
Marine Le Pen, ce matin sur France Info, est revenue sur la traque de Mohammed Merah, cerné par le Raid à Toulouse. "Je trouve que c'est un peu long. On prend un luxe de précautions absolument incroyable pour un homme qui est retranché seul, qui n’a pas d’otage (...) Le gouvernement probablement a peur qu'il y ait des réactions dans des quartiers où il y a des fondamentalistes".
La candidate du Front national rappelle que "depuis 10 ans, je dis qu'on a sous-estimé ce fondamentalisme. L'angélisme de la gauche a déteint sur la droite. Depuis des années on négocie la paix sociale et on laisse se développer cela."
Marine Le Pen en profite pour exprimer ses doutes sur la tenue de l'enquête sur le suspect des tueries de Toulouse et Montauban. "On devrait tout savoir sur cet homme là déjà. Les services de renseignement ont-ils mis toutes les précautions de leur côté ? Je pense qu'il y a eu des négligences."
Pour finir, la présidente du Front national s'en prend aux investissements étrangers dans les quartiers populaires : "Je suis inquiète de voir le Qatar investir dans nos banlieues."

Comme nous l'apprend une bande rouge sur France 24, une intervention "radio-télévisée" de Nicolas Sarkozy est annoncée pour 13:00, heure du "journal de la mi-journée" en France.

J'ai enregistré ce journal (France 2) et mis en ligne 36 mn de la version audio avec les avis de deux experts sur le plateau, les "historiques" du RAID et des événements, le "portrait" de M. Merah, les interventions des envoyés spéciaux, la déclaration officielle de Nicolas Sarkozy en direct de l'Elysée, celles des autres candidats (F. Hollande, M. Le Pen, F. Bayrou) et la sortie d'A. Juppé, le commentaire du journaliste F. Namias en studio, et une mention spéciale pour la présentation, les questions époustouflantes d'E. Lucet. Comme nous avons été abreuvés d'images vides ces jours-ci, la concentration sur l'écoute des mots et des discours prononcés, des commentaires "professionnels", est franchement édifiante [audio supprimé].


L'agence Reuters résume comme ceci l'intervention de N. Sarkozy :
Nicolas Sarkozy a annoncé jeudi un renforcement de l'arsenal pénal contre l'extrémisme idéologique et le terrorisme, peu après le dénouement à Toulouse de l'affaire du tueur au scooter qui a tenu la France en haleine dix jours durant et bouleversé la campagne pour l'élection présidentielle.
Dans une déclaration solennelle à la télévision et à la radio - la troisième en quatre jours - le chef de l'Etat a déclaré que la République française devait être "implacable" pour défendre ses valeurs et ne tolèrerait ni embrigadement ni conditionnement idéologiques sur son sol.
"Désormais, toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l'apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence sera punie pénalement", a-t-il dit, peu après une réunion avec le Premier ministre, François Fillon, et les ministres concernés.
Il a également déclaré que toute personne se rendant à l'étranger pour y suivre des "travaux d'endoctrinement à des idéologies conduisant au terrorisme" serait punie pénalement".
La propagation et l'apologie d'idéologies extrémistes seront également réprimées "avec les moyens qui sont déjà ceux de la lutte anti-terroriste", a ajouté le président de la République.
Il a enfin dit avoir demandé au Garde des Sceaux, Michel Mercier, de conduire une "réflexion approfondie" sur la propagation de ces idéologies en milieu carcéral.
"Nous ne pouvons accepter que nos prisons deviennent des terreaux d'endoctrinement à des idéologies de haine et de terrorisme", a expliqué le chef de l'Etat.
Voici encore 11 minutes de "débriefing" proposé par France 24 à 15:30 où l'on peut entendre Pierre Cohen (PS), maire de Toulouse - toujours en version audio, la plupart des visuels diffusés n'étant comme si souvent que des "images d'illustration", repassées en boucle [audio supprimé].

Voici enfin l'audio du débrief BFMTV à 18 heures, suivi - "sans solution de continuité" - par celui du candidat Sarkozy en direct de son meeting de Strasbourg, qui reprend certains termes - parfois mot à mot - de ses déclarations officielles de président de la République - en bonus, on appréciera le commentaire du stupéfiant O. Mazerolle (durée totale 23'30") [audio supprimé].

 ***


RUDIMENTS  D'ANALYSE


Ce fait divers, certes dramatique, fait partie intégrante de la campagne présidentielle 2012. Il serait hypocrite - ou naïf - de prétendre qu'il ne marquera pas la suite des débats. L'un des problèmes - déjà signalé - est le déplacement des discussions politiques, économiques et sociales, qui devraient en principe marquer cette période électorale, sur un plan plus "émotionnel", psychologique, voire "psychodramatique". La fameuse "instrumentalisation", si décriée, est à l’œuvre depuis le massacre toulousain qui constitue d'entrée de jeu un formidable "moyen de communication" pour les uns et les autres, à commencer par Nicolas Sarkozy qui retrouve brièvement la posture autoritaire à la tête de l’État qu'il semble tant affectionner. Quelle meilleure opportunité en effet que d'attirer l'attention de la Nation entière sur des qualités de rassembleur et de "protecteur", quand on considère que cinq ans au pouvoir n'auront pas vraiment contribué à la popularité du "président candidat". Mais inutile de s’appesantir davantage. Les autres candidats mettent également la gomme, même s'ils n'ont pas l'honneur de prêcher l'union nationale ex cathedra et de lancer un plan écarlate contre "l'homme au scooter" . Ce soir, le candidat Sarkozy affirme que ce fait divers - il n'utilise pas cette expression, bien sûr - est "inexplicable". Je souligne ce qualificatif parce que l'orateur de Strasbourg prend la peine de le répéter comme pour interdire toute tentative - ou "tentation" - de comprendre. Les tueurs de Colombine High et de Virginia Tech aux USA - ou plus récemment le massacreur norvégien - ont ceci en commun avec l'assassin toulousain, qu'il s'agit dans tous ces cas de "tueurs en masse" (spree killers en anglais, Amokläufer en allemand). Et, si cette affirmation est fondée, aucun criminologue sérieux ne dirait que ce phénomène est "inexplicable" ou "incompréhensible". Aucun scientifique ne tient ce langage. Quel est alors le sens d'une attitude hostile à une "explication" qui viserait la compréhension - plus ou moins objective - du phénomène ? D'une part, celui-ci ne se limite pas à une culture, une civilisation particulières, puisqu'on trouve ce genre d'errances meurtrières un peu partout dans le monde et depuis longtemps déjà. D'autre part, les motifs, les motivations des tueries en masse sont secondaires car les raisons, les revendications, les idéologies avancées par leurs "auteurs" ne servent qu'à dissimuler un "autisme" fondamental qui les détermine, solitaires dans un "univers sans autre" - de plus en plus virtuel - qu'ils se sont façonné (bricolé). Face à cet autisme poussé à l'extrême, qui ne doit pas être confondu avec la pathologie du même nom, l'"union nationale" n'est pas vraiment une thérapie indiquée. Et pointer comme critère principal de cette action meurtrière que l'assassin s'en est pris à des enfants juifs, des soldats musulmans - alors qu'il aurait très bien pu attaquer une école quelconque comme il a tiré sur les hommes anonymisés du RAID - c'est déplacer sur le plan théologico-politique - toujours très en vogue dans le monde - une action individuelle où tout autre, toute société, toute humanité ont cessé d'exister, que se soit à Toulouse et Montauban, à Columbine ou à Oslo. Le danger est ici de tomber dans une rationalisation a posteriori chère aux sectaires du monde entier, qu'ils soient d'ailleurs intégristes, fondamentalistes, néonazis, fascistes, ou que sais-je. A priori rien ne laisse prévoir le passage à l'acte d'un tueur en masse. Mais on a relevé un certain nombre de "signaux d'alerte", notamment chez les jeunes gens, comme un isolement croissant, peut-être une période de prostration, et certainement un désir de revanche consécutif à un échec, une rancune impossible à éradiquer. Le choix des cibles, s'il n'est pas innocent, ne concerne pourtant jamais vraiment les personnes concrètes que l'on peut à la rigueur rendre responsables d'un échec personnel. Il y a là un déplacement remarquable qui permet de distinguer l'errance meurtrière d'un assassinat par vengeance ou jalousie, frappant une personne aimée ou haïe. L'un des points communs de ces "errances meurtrières" touche à un processus plus ou moins long de désocialisation. Le choix des victimes - toujours plus ou moins anonymes ou "anonymisées" - et leur appartenance à telle ou telle "catégorie de personnes" pour qui le tueur peut éprouver de la rancune ou du ressentiment - dépersonnalisant ainsi les êtres humains concrets dans le but de les abattre "collectivement" - pourraient être vus - par l'absurde - comme les symboles d'une tentative de "resocialisation" impossible à travers la mort collective. Car, si la désocialisation est à l'origine du problème, la solution est évidemment dans la resocialisation. Mais comme celle-ci est - ou semble - impossible à ses yeux, le tueur choisit pour cible un collectif - et non plus une personne en particulier - pour se raccrocher symboliquement - par l'absurde, par la mort - à une société qui se refuse à lui, qu'il veut "toucher" par un acte démesuré - "monstrueux" - de destruction collective : celle des autres et de soi-même. Accessoire dans ce contexte, l'autre problème, également signalé, concerne la médiatisation à outrance de ce genre d'événements avec ces directs interminables, plus de 32 heures cette fois, ces images vides et ces paroles creuses qui, avec la prétention paradoxale de "couvrir" l'événement, finissent par produire une cacophonie et un bruit sans nom, "couvrant" ainsi toute réflexion sensée, toute mise en perspective de l'événement, dans cette illusion d'immédiateté, quand le terme même de "média" désigne justement le contraire. C'est dans ce chaos "idéologisé" que naissent les polémiques, les promesses intenables, les manipulations, la poudre aux yeux et tant d'autres poisons. Alors qu'il suffirait que les uns et les autres prennent le temps de réfléchir. Peut-être en débranchant - temporairement - tous ces appareillages qui nous empêchent de nous concentrer sur l'essentiel à un mois - "jour pour jour" - du premier passage dans l'isoloir. Une autre façon - un peu plus créative peut-être - de "suspendre la campagne électorale".
Suite : Débriefing (23 mars 2012)
Société du Spectacle

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