dimanche 29 mai 2016

Présidentielles : Marine Le Pen vs. Jean-Luc Mélenchon

Les candidats de la droite et de la gauche modérées sont éjectés au premier tour. Il ne reste donc à l'électorat que le choix entre la droite et la gauche dites "dures", tendance extrémiste-populiste. Ce dimanche soir, en l'absence des formations traditionnelles, les deux candidats représentant ces courants extrêmes seraient "au coude à coude" (*), comme titre la presse, en attendant les résultats définitifs demain.

 
Bien sûr, le second tour de ces présidentielles ne se déroule pas en France mais en Autriche, où la fonction de président est plus représentative qu'exécutive, et les deux derniers candidats en lice ne s'appellent pas Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon mais Alexander Van der Bellen (72 ans, soutenu par les Verts, 21,34% au 1er tour) et Norbert Hofer (45 ans, candidat du FPÖ, populiste de droite, 35,05% au 1er tour).

Or, comme nous le savons tous, ce scénario s'est déjà partiellement réalisé lors des élections de 2002 en France, où le Président de la République dispose au contraire d'un pouvoir politique très important, et la plupart des commentateurs s'accordent à dire qu'il y a de bonnes chances pour que cela se reproduise en 2017.

L'axiome de base veut que l'on ne peut pas, à la fois, être démocrate et déplorer que les votes de l'électorat ne soient pas conformes aux attentes. Mais le danger de la démocratie est que l'électorat choisisse des formations non-démocratiques en se laissant berner par de belles promesses sans vraiment s'informer sur la faisabilité du programme proposé dans le cadre d'un État de droit, mais aussi en accordant aux politiques des pouvoirs dont ils ne disposent pas - ou plus - sous le haut patronnage de ce qu'il faut bien appeler la gouvernance mondiale de l'économie de marché et de la finance internationale.

Les mots-clés sont l'information et la faisabilité. Il est légitime de critiquer la façon dont les "informations" sont gérées par ceux qui les produisent - médias et éditorialistes, propagandistes et idéologues, politologues et sondeurs etc. - mais également par ceux qui les reçoivent, c'est-à-dire l'électorat de base qui doit "se faire une opinion" et déterminer ses choix en fonction d'un certain nombre de critères tant théorétiques que pratiques, voire même affectifs ou sentimentaux. Si la critique des médias est devenu monnaie courante, on n'analyse pas suffisamment la réception des informations, et notamment le manque fréquent d'esprit critique, la difficulté de hiérarchiser les informations, de vérifier les sources, d'identifier les nombreux cas de désinformation, de séparer l'information des interprétations et des spéculations, alors que les outils de contrôle sont maintenant à la disposition de tous. Sans doute peut-on constater ici une insuffisance en matière de culture démocratique : faut-il blâmer nos institutions et notamment l'école, la presse ou plus généralement les médias officiels, ou encore ces citoyens qui n'ont toujours pas intégré les nouvelles possibilités d'information et la part active que celles-ci réclament ?

L'autre point est la faisabilité des différents projets proposés aux électeurs. Vu l'évolution actuelle en Pologne, en Hongrie, en Russie ou encore en Turquie, on peut être inquiet pour l'avenir de la démocratie dans nos propres pays. Un programme démocratique doit être réalisable sans toucher au cadre de l'État de droit, aux valeurs fondamentales de la Constitution et à la séparation effective des pouvoirs. Si ce n'est pas le cas, l'électorat doit s'interroger sur les modalités de mise en œuvre du projet en question. De même, une majorité est requise pour conquérir démocratiquement - et toujours pour un temps limité ! - le pouvoir : il faut donc examiner les programmes proposés sous l'aspect des alliances possibles qui seules permettraient une adhésion majoritaire, et non le genre d'alliances contre-nature qui ont par exemple permis au président Chirac de remporter l'élection de 2002 avec un score digne de l'une de ces proverbiales "républiques bananières". 

Pour revenir plus concrètement aux cas de Mme Le Pen et M. Mélenchon : quelles alliances légitimeraient l'accession à la présidence de la République Française de l'une ou l'autre de ces deux personnalités politiques ? et, si tant est qu'une telle coalition majoritaire puisse exister, qu'est-ce qui nous préserve d'une reprise en main autoritaire ou autocratique lorsque l'une ou l'autre intègre l'Élysée, en sachant que les pouvoirs politiques - et notamment législatifs - d'un Président de la Cinquième République, définis par et pour le Général de Gaulle en 1958, sont plutôt excessifs, comparés par exemple à ceux d'un Chancelier allemand ou d'un Premier Ministre britannique ?

Une contradiction n'aura échappé à personne : si, en effet, le pouvoir politique des gouvernements démocratiques n'est pas négligeable, ils s'avèrent impuissants lorsqu'il s'agit de lutter contre une situation économique catastrophique qui ravage le monde entier. Et cet argument - la fameuse "crise" déjà quarantenaire  -  permet aux uns et aux autres - modérés ou extrémistes - de proposer des "plans de sauvetage" aussi irréalistes qu'irréalisables. Mais surtout : l'impuissance dans laquelle les politiques sont placés face aux diktats économiques et financiers ne doit surtout pas être révélée, car l'électeur doit continuer de croire à cette pensée magique où il suffit de dire pour faire les choses, de dessiner la bête sur les murs de la grotte pour la terrasser.

Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont en commun un charisme indéniable, qui leur permet de donner un espoir politique aux gens, là où le désespoir économique règne en maître absolu. Et personne ne viendra déniaiser les gens, ni les politiques - établis ou "contestataires" - qui ont besoin d'épouvantails et de divisions pour exister ni surtout les tenants du pouvoir économique et financier dont les activités nuisibles pour la majorité absolue, voire l'ensemble de la planète, ont besoin des "responsables politiques" pour détourner l'attention des véritables causes de la catastrophe présente et donc pour empêcher l'émergence de solutions collectives dont la mise en pratique limiterait globalement et durablement leur immense pouvoir de nuisance.

SK, 22/23 mai 2016

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(*) C'est finalement Alexander Van der Bellen qui, au terme de ces 24 heures de "polar électoral", accède à la présidence de la République d'Autriche avec 50,3 % des votes, soit 31.026 voix d'avance sur quelque 4,6 millions de suffrages exprimées. Le résultat n'a été connu que ce lundi après-midi après le dépouillement des votes par correspondance [ici en allemand].


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Commentaires


  • Bonjour SK,
    Il existe plein de façons de faire de la politique et le Colibri ou Bernard Stiegler l'ont bien compris. J'ai déjà voté pour le FdG mais je sais que ce n'est pas la solution. Pour retrouver un peu de démocratie dans tout ça, il faut partir de la base et informer que des solutions alternatives existent. Privilégier l'agriculture raisonnée et raisonnable (à taille humaine), développer la vente directe, recréer un lien, revaloriser le travail en partant sur le principe de l'entreprise libérée (qui certes met quelques années à fonctionner mais est plus juste et viable) ou les coops etc, etc, etc... sont des manières différentes de faire de la politique. Nous devons nous bouger pour aller vers une autre vie et changer nos habitudes; ainsi les politiques changeront. Nous sommes beaucoup plus nombreux que ceux qui tirent les ficelles et nous devrions, si nous étions moins égoïstes, arriver à renverser le pouvoir de ce petit groupe de financiers qui dirige la planète.
    Bonne semaine.


  • "Il existe plein de façons de faire de la politique" : précision indispensable, merci !


  • ;-)


  • SK, l'idée-force de l'article est-elle que le pouvoir politique est en fait une illusion, ce qui expliquerait le succès des plus illusionnistes? Mais la fin de l'article me semble limite conspirationniste, le "pouvoir économique et financier" dont les politiciens seraient en quelque sortes les marionnettes destinées à détourner l'attention.

    Je vois plutôt un scénario où les entités économiques et financières ont "échappé" aux états via l'extra-territorialisation mondialiste. Les gouvernants sont dès lors partagés entre la volonté de reprendre la main, et la nécessité de tenir compte de la situation réelle qui leur échappe (illustré par Syriza). Car les états dont l'idéologie est la plus capitaliste ne sont pas forcément les moins interventionnistes, au contraire certains d'entre eux pipent les dés à leur profit.

    L'UE est un cas particulier, où il n'existe pas un "intérêt national" à défendre (contrairement à la Chine, le Japon ou les Etats Unis), et cette entité initialement prévue pour un libre-marché *intérieur* mais se défendant vis à vis de l'extérieur, a dépouillé les états qui la compose d'une part de leur souveraineté, mais SANS reprendre à son compte le rôle de protection. De toutes façons, le choix d'une Europe "extensive" ayant intégré des états disparates et aux intérêts divergents était intrinsèquement incompatible avec un marché intérieur dérégulé. Sauf que, dans ce cas de figure, les pouvoirs économiques et financiers y trouvent leur profit (délocalisations compétitives, concurrence interne au lieu de synergie... ), et leurs lobbies ont poussé à la roue, et ce non pas de manière occulte mais quasiment en plein jour puisqu'il y a davantage de lobbyistes accrédités et de technocrates issus de leurs rangs, que de membres des instances dirigeantes de l'Union. Certains états y trouvent leur compte (effet d'aspirateur) et appuient dans ce sens pour leur intérêt bien compris. D'autres sont en quelque sorte la dupe consentante par idéologie, ceux dont le général de Gaulle disaient qu'ils sautent comme des cabris en disant" l'Europe, l'Europe"... Il est clair qu'à ce stade il faudrait reconsidérer les principes pour harmoniser et favoriser la synergie plutôt que la concurrence faussée par les disparités. sans quoi cela fait le lit des populismes.

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    J'ai oublié de rappeler que Plumeplume a publié il y a deux ou trois mois un article sur les lobbies dans l'UE


  • Je suppose que votre utilisation du vocable "conspirationniste" cherche à provoquer une argumentation du propos. Peut-être avez-vous l'habitude des démonstrations, explications, conclusions de la rhétorique classique, mais je ne crois plus depuis longtemps à cette forme d'expression, ce qui devrait vous être apparu en lecteur assidu de mes bafouilles.

    Il s'agit ici du rapport entre l'impuissance inavouée des uns et la puissance occulte des autres. On ne peut être "responsable" que si on dispose du libre arbitre et donc d'une certaine forme de pouvoir. Ainsi, les "responsables politiques" ne doivent surtout pas reconnaître leur impuissance, comme l'avait pourtant fait Jacques Delors à l'époque. C'est pourquoi l'électorat de base, s'il commence à "perdre la foi" dans les partis "traditionnels", continue de voter et donc d'entretenir une forme de démocratie en plébiscitant les extrêmes, démontrant ainsi une impuissance de fait, puisque les extrêmes ne sont pas prêts à conclure des alliances et préfèrent bloquer la démocratie.

    Voilá pour les uns. Mais pensez-vous réellement que le pouvoir immense des autres relève du conspirationnisme ? - Cela se peut en effet, mais dans ce cas, votre admonestation n'a pas été envoyée á la bonne adresse.

    Bien á vous


  • Bonsoir SK. Ne voyez pas dans ma remarque une "admonestation", mais une réaction à la formulation selon laquelle les pouvoirs économiques et financier "ont besoin des responsables politiques pour détourner l'attention..." qui semble évoquer une connivence ou manipulation. D'où ma réflexion sur ce qui me parait être l'enchainement ayant conduit à ce que l'"économie" échappe aux états -et donc la puissance du monde économique par rapport à ceux-ci, constat que nous partageons. J'en profite au passage pour caser mes critiques sur l'UE telle qu'elle fonctionne, c'est un peu ma marotte je reconnais.
    On est d'accord concernant la tentation extrémiste, vu le peu d'effet des politiques "traditionnelles", à quoi s'ajoutent les problèmes identitaires et sécuritaires, mais c'est une autre histoire.

    Bon, en tout cas l'Autriche, par une forte mobilisation, a fait échec au candidat d'extrême droite, ce qui conforte la thèse qui prévaut pour les élections françaises, que quiconque arrivera second lors du premier tour des présidentielles françaises de 2017, sera élu au second tour. Et nos Verts de se prendre à rêver.


  • Mais qui est tenu pour responsable de la situation économique désastreuse en France ? À qui prête-t-on le pouvoir de la "solutionner" ou du moins de la "dédramatiser" ? - Qui accuse-t-on d'avoir failli à cette tâche ? - Allez, je vous fais grâce de la réponse, cher nolats !


  • On est d'accord sur les effets, c'était une question de formulation. Il n'y a pas connivence des gouvernants en tant que missionnés par les grands acteurs économiques extraterritorialisés, mais une situation où leurs marges sont réduites. Etant désignés par les peuples pour "faire marcher le pays", ils endossent l'impopularité des crises et difficultés. On voit dans la crise actuelle le dilemme d'une adaptation imposée par l'environnement, que les grands médias concourent à présenter comme étant absolument inéluctable.
    Mais encore une fois, certains états du monde imposent des contraintes (par exemple taux d'intégration local sur certains produits), que l'UE prohibe, ce qui fragilise la plupart des pays de l'Union, d'où la nécessité de se réapproprier de manière conservatoire une part de souveraineté, tant que l'harmonisation n'est pas en oeuvre dans l'Union qui retrouverait alors un dynamisme et une synergie de par sa taille (au lieu de la concurrence interne stérile). Si on ne le fait pas 'un peu', les souverainistes le feront 'beaucoup' ce qui est une politique du pire.


  • Voici un titre et un chapeau du Figaro de ce jour :

    Raffineries en grève: Total menace de revoir ses activités en France

    Dans un courrier interne, la direction du groupe pétrolier, qui opère cinq des huit raffineries françaises, déplore "une prise en otage" de ses activités et fait savoir qu'elle pourrait envisager de "réviser ses projets d'avenir". La grève touche désormais huit raffineries sur huit. Manuel Valls promet une réponse "extrêmement ferme".


  • En effet, et en plus, il ne reste que 8 raffineries en France, il y en avait trois fois plus dans les années 70. Ceci étant, le type d'actions auquel nous assistons ne motive guère les investisseurs à renforcer leur mise.


  • J'ai mis ce titre / chapeau comme illustration parfaite du propos. Le fait qu'il s'agit d'un "courriel interne adressé aux employés des raffineries" [ http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/05/24/total-les-investissements-maintenus-dans-les-raffineries_4925666_3234.html] vient renforcer le "côté obscur" du pouvoir, quant à l'impuissance des "responsables" politiques, elle devrait relever de l'évidence pour un observateur attentif.

    Cela dit, la mise en équation de ces deux pôles me semble plutôt inédite. À creuser donc...

    PS. - Je conseille vivement l'émission "Cash Investigation" de ce soir...


  • bonsoir sk, il me semble
    qu'une transversale transpartisane managée par certains courants économiques voudrait démonter la zone euro, un souverainisme fondé sur le "battre monnaie", contourner donc les partis traditionnels
    que US tire son compte d'une Europe qui oublierait l'est pour le laisser maître eurasien, il vient d'armer le Viet nam, contrat colossal, pour tenir la Chine
    que US vient d'entamer le BRICS
    la liste des grands en jeu mondiaux est longue, une guerre qui ne dit pas son nom et nos petites démocraties devraient exiger des élus qu'ils vont choisir une position claire et un discours de vérité de réalité des intérêts des peuples, de tous les peuples


  • Bonne journée à vous, PARKER !


  • Bonjour Parker. Les postulants au pouvoir sont pour la plupart sincèrement convaincus que les solutions qu'ils défendent résorberont les problèmes, d'où une sorte de méthode Coué pour s'en convaincre et en convaincre les citoyens. L'esprit est prompt, mais l'état est faible...
    C'est triste à admettre, mais les pays qui s'en sortent globalement le mieux sont ceux qui suivent le courant de la mondialisation ultra libérale, avec quelques trucages fiscaux pour attirer les investisseurs (Luxembourg, Irlande...), trucages sociaux pour avoir en coulisse une main d'oeuvre malléable est sous payée (one euro jobs...), trucages règlementaires pour protéger certains secteurs de marché (NSA...), éventuellement trucages de parité monétaire pour booster leur compétitivité internationale (Yuan...). En résumé, ils ne pratiquent pas "l’intérêt des peuples, tous les peuples", mais l’intérêt national au détriment des autres états, et l'intérêt du noyau central de la population au détriment de composantes périphériques précarisées.
    Nous cherchons bien évidemment un meilleur équilibre entre l'efficacité et l'équité, mais entre la solution Mélenchon, la solution Macron, la solution Marine, pas sûr qu'il y ait au catalogue ce que nous souhaitons.

1 commentaire:

  1. Cher SK,

    J'ai lu votre dernière note sur l'Obs intitulée "Déception". Je partage complètement ce que vous y écrivez et je n'aurais pas pu mieux dire.

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