lundi 19 mars 2012

Faits divers

Après l'assassinat d'un militaire à Toulouse, le 11 mars 2012, et de deux autres à Montauban quatre jours plus tard 45 km plus au Nord, une attaque contre une école juive a été perpétrée à Toulouse, dans le quartier de Jolimont, ce lundi matin 19 mars. Le quotidien régional La Dépêche précise [ici] : "Il y aurait au moins trois morts, un professeur de religion et ses deux enfants. Le tueur serait muni de deux armes, dont une de même calibre que celle utilisée pour les parachutistes de Montauban." - Selon des témoins, il s'agirait à nouveau d'un "homme à scooter". La Dépêche : "Le tueur aurait fui sur un scooter noir. Ce qui pourrait suggérer qu'il y ait un lien avec l'auteur des deux fusillades contre les militaires à Toulouse et Montauban. Un important dispositif de recherche a été mis en place pour retrouver le tireur. Plusieurs hélicoptères quadrillent la région nord et est de Toulouse."

En période électorale, le problème avec ce type de "faits divers" - une appellation qui ne veut aucunement minimiser leur gravité - c'est la sur-réaction des politiques et le malaxage de l'opinion publique par les médias. Je cite un passage de mon Carnet de campagne 2007 :
...en 2002, (...) c’était une sordide série de faits divers, montés en épingle par tous les médias français peu avant le scrutin, qui remit à la Une le “problème de l’insécurité”, le cheval de bataille de Jean-Marie Le Pen, présent contre toute attente au second tour avec pour effet de mettre hors course Lionel Jospin, le principal rival du Président Chirac, qui aurait peut-être triomphé cette année-là.
Il s'agissait de trois "faits divers" qui se sont produits entre le 8 mars et le 18 avril 2002, soit trois jours avant le premier tour de la présidentielle. Je les présente dans ma note sur l'instrumentalisation politique des faits divers. La médiatisation à outrance de cette série d'agressions (en particulier de l'affaire "Papy Voise" à la veille du scrutin) montre l'influence néfaste que peuvent exercer des événements ponctuels, sans véritable lien avec le débat politique de fond et rabâchés en boucle, sur le choix final des électeurs. Si l'on pouvait démontrer que la catastrophe de 2002 a été le fruit de la campagne médiatique portant sur ces trois faits divers, il faudrait conclure que la démocratie peut être mise à mal par ce genre de procédés. Pour mémoire voici les résultats des présidentielles de 2002 :



Premier tour
(21 avril 2002)
inscrits :
41 194 689

votants :
29 495 733

exprimés :
28 498 471


M. CHIRAC Jacques
5 665 855
19,88%
M. LE PEN Jean-Marie
4 804 713
16,86%
M. JOSPIN Lionel
4 610 113
16,18%
M. BAYROU François
1 949 170
6,84%
Mme LAGUILLER Arlette
1 630 045
5,72%
M. CHEVENEMENT Jean-Pierre
1 518 528
5,33%
M. MAMERE Noël
1 495 724
5,25%
M. BESANCENOT Olivier
1 210 562
4,25%
M. SAINT-JOSSE Jean
1 204 689
4,23%
M. MADELIN Alain
1 113 484
3,91%
M. HUE Robert
960 480
3,37%
M. MEGRET Bruno
667 026
2,34%
Mme TAUBIRA Christine
660 447
2,32%
Mme LEPAGE Corinne
535 837
1,88%
Mme BOUTIN Christine
339 112
1,19%
M. GLUCKSTEIN Daniel
132 686
0,47%

On remarque que seulement 0,68% des suffrages exprimés - soit 194.600 voix - séparent MM. Le Pen et Jospin. L'ensemble des candidats de gauche totalisait tout de même 42,8% des voix, contre 37,93% aux candidats de la droite parlementaire et 19,2% à l'extrême-droite. L'alliance entre les deux droites n'étant pas systématique, on peut affirmer que cette élection était plutôt "ouverte". - Verdict :


Second tour
(5 mai 2002)
inscrits :
41 191 169

votants :
32 832 295
Taux d’abstention. :
20,29% des inscrits 
exprimés :
31 062 988
 Blancs et nuls :
4,30% des inscrits
5,39% des votants

M. Jacques CHIRAC
25 537 956
82,21% des exprimés
62,00% des inscrits
M.Jean-Marie LE PEN
5 525 032
17,79% des exprimés
13,41% des inscrits



***

Cet après-midi, comme le montre le fil d'actualité ouvert par La Dépêche du Midi [ici], l'attentat de Toulouse devient définitivement un "fait politique" puisque la scène internationale commence à s'en emparer. Bien sûr, tous les candidats à la présidentielle s'empressent de manifester leur émotion ou se rendent sur place et le gouvernement vient d'ordonner une chasse à l'homme d'une envergure énorme comme on peut le lire sur le site du Parisien [ici] :
14h20. Une chasse à l'homme exceptionnelle. - Selon une source policière, l'ensemble des services de la DCPJ sont mobilisés, soit des milliers d'hommes et de femmes à Paris et en province. La Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a également été saisie. Un membre du cabinet du ministre de l'Intérieur évoque une «gigantesque chasse à l'homme» avec notamment des profileurs et des spécialistes d'Internet. Toutes les directions de police et de gendarmerie, des CRS à la sécurité publique, sont sur le pont.
Un peu plus tard, La Dépêche nous apprend encore ceci : 
16h07. La même arme. Selon une source proche de l'enquête, la même arme de calibre 11,43 a été utilisée dans les trois séries de meurtres à Toulouse et Montauban. "C'est la même arme" qui a été utilisée le 11 mars, lors du meurtre d'un militaire à Toulouse, puis quatre jours plus tard de deux autres militaires à Montauban, et enfin lundi lors de la fusillade, qui a fait quatre morts, contre un collège juif à Toulouse, a indiqué cette source.
Et le fil du quotidien toulousain précise :
17h30. Le même scooter volé a été utilisé lors des trois séries de meurtres à Toulouse et à Montauban, selon un proche de l'enquête 
On se demande bien sûr à qui de tels crimes profitent. On pointe évidemment les origines maghrébines des militaires montalbanais et juives des victimes toulousaines. On parle même de la possible implication de trois soldats révoqués en 2008 à Montauban pour leurs convictions néonazies.

Or, dans la stricte logique de la campagne électorale, voire de la politique "politicienne" en général, et au-delà de toute considération "humaine", il s'agit ici, au choix, d'une opportunité à saisir ou d'un imprévu à gérer. Voilà pour les profits et les pertes. Ensuite, on assistera au défilé des spéculateurs et des théoriciens du complot, aux discours "confessionnels", aux pointages du doigt, aux accusations jusqu'à produire une mélasse où plus personne ne comprendra plus rien, avec l'effet considérable de détourner, une nouvelle fois, le débat électoral de l'essentiel : le choix du système politique, social, économique dans lequel nous voulons passer ces cinq prochaines années.


Suite : Suspension, un billet d'humeur (20 mars 2012)

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