mercredi 21 mars 2012

Epilogues écarlates

NB. Cette note conclut les articles Faits divers (19 mars 2012) et Suspension (20 mars 2012)

Ce matin, le candidat Sarkozy - soudain redevenu président - en appelle - visiblement ému - à "l'unité de la Nation" sans - bien sûr - que son omniprésence médiatique ne soit décomptée de son temps de parole. Je le disais déjà : un coup de maître !

Dans la foulée, les commentaires des journalistes de France 24 sont édifiants : on rappelle son goût immodéré pour les affaires de ce genre, déjà évoquées ici, comme la prise d'otages de Neuilly (1993) ou la "tuerie de Nanterre" (2002) et les médiatisations ad nauseam qui forcément les accompagnent.

Pendant ce temps, un pauvre type, devenu par je ne sais quels mécanismes un monstre, se terre dans son logement toulousain cerné par les "forces spéciales" avec la promesse de se rendre dans l'après-midi, vu que, pour lui, les carottes sont définitivement cuites : après avoir exécuté froidement des soldats et des enfants, "l'homme au scooter" s'est mis à blesser des policiers pour retarder son arrestation.

On est donc passé au mode "en direct", particulièrement affectionné des médias : caméras sur les lieux, images vides d'une rue quelconque, envoyés spéciaux, paroles creuses, défilé d'experts et de commentateurs, "séquences émotion", spéculations et prises de position. En effet : ad nauseam !

Hier déjà, à l'aéroport de Roissy, lors du départ des cercueils en direction de Jérusalem, Nicolas Sarkozy laissait paraître une grande émotion : on aurait dit qu'il retenait ses larmes. Feints ou réels, il y a un problème avec ces états d'âme qui résonnent jusque dans la scansion du discours, un problème de mesure.

Dans cette période électorale, le maître-mot - avec la fameuse "union nationale" - est l'instrumentalisation des événements, quelle que soit d'ailleurs leur nature. Or, celui-ci est de taille. La simple consigne "présidentielle" de ne pas l'instrumentaliser est déjà une instrumentalisation. Je m'explique : "instrumentaliser" un événement revient à l'utiliser pour promouvoir une perspective partisane. La perspective de Nicolas Sarkozy est celle d'un président de la République qui entend le rester. Quoi de mieux qu'un événement comme celui-ci pour faire valoir cette perspective dans un simulacre d'"union nationale" ?



(*)

De l'hypothèse "néonazie", on est passé au salafisme d'al-Qaïda. Et nous voilà au chapitre de la manipulation : il semble évident que nous avons affaire à l'amok ("tuerie en masse") d'un homme plus ou moins isolé à qui personne n'a rien ordonné ou commandé. A mon avis, cet homme, qui s'est effectivement rendu en Afghanistan ou dans les pays voisins, végétait dans une cité toulousaine, où il rêvait à une action d'éclat et au martyre. Un homme sans doute totalement désorienté qui n'a rien à voir avec une organisation politique souterraine et supra-individuelle. Son "narcissisme" a été évoqué par les psychiatres. Et sa froideur, sa détermination par les enquêteurs. Doit-on y ajouter une solide dose de haine ? Un désir irrépressible de prendre sa revanche ? Et sa revanche sur quoi ?

La manipulation tient à l'instrumentalisation de cet "homme au scooter". Il devient un pantin, dont les uns et les autres tirent les ficelles. En effet, il ne peut pas se défendre car ses actes sont réellement "indéfendables". Tout cela se passe bien sûr dans une "dignité" qui, quelquefois, donne la nausée si l'on veut bien considérer tous les actes auxquels nos "dignitaires" peuvent souscrire, ou qu'ils ne prennent pas la peine de condamner. On me pardonnera de ne pas être plus précis : consigne présidentielle et dignité obligent. D'ailleurs la liste serait vraiment trop longue et bien trop horrible. En comparaison, l'homme au scooter fait figure de dilettante.

(*) Honnêteté, aussi, oblige : j'ai supprimé un paragraphe sur la "boucle rétroactive" que ce genre de ballets "médiatico-policiers" peuvent occasionner. Je pensais que l'homme continuait d'avoir accès aux médias, et notamment à Internet, ce qui doit en principe arranger les enquêteurs. Or, on apprend que l'eau, l'électricité et le gaz ont été coupés dans cet immeuble dont les autres locataires ont été évacués. Restent les vieilles radios à piles et les téléphones ultramodernes, qui peuvent encore fonctionner pendant un certain temps, donnant ainsi accès aux "couvertures" médiatiques et permettant de prendre connaissance de la situation, ce qui peut déterminer en retour les actions que l'homme a encore la liberté d'effectuer (boucle rétroactive).

***

Il faut bien le répéter à l'intention des "complotistes" : tout ceci n'est pas orchestré "en amont". Mais ça l'est d'autant plus en aval. L'opportunité énorme a été saisie au vol, en premier bien sûr par le "chef de l’État", spécialiste - comme on l'a vu - dans ce genre d'opérations, qui n'hésite pas à jouer sur l'émotion et les gigantesques moyens - "écarlates" - de sécurisation du territoire. Que sa sincérité ne soit pas ici mise en doute plus qu'il ne faut : Nicolas Sarkozy est comme ça. A un mois du scrutin présidentiel, l'occasion était donc rêvée d'incarner une nouvelle - ou, au choix, une dernière - fois ce rôle - devenu son "être" - qu'il travaille depuis une vingtaine d'années : le rôle de champion de l'insécurité, sauveur de la Nation. 

Cet après-midi, les tréteaux seront montés à Montauban pour les funérailles des soldats abattus. Le "président candidat" y apparaîtra au premier plan, devant toutes les caméras et un parterre où figureront - relégués au second plan - cinq autres candidats (F. Bayrou, F. Hollande, E. Joly, M. Le Pen, N. Dupont-Aignan). 

Pendant ce temps l'assaut sera très certainement donné à Toulouse sur le logement d'un pauvre type qui s'est transformé en monstre.

Si tout cela n'influence pas la campagne électorale et le fameux "verdict des urnes", je veux bien m'appeler Jean-Marie !

***

Ce soir, le RAID n'a toujours pas donné l'assaut que l'on prévoyait dans l'après-midi si l'homme retranché ne tenait pas sa promesse de se rendre. On fait donc durer des deux côtés. - Question(s) : la campagne est-elle toujours suspendue ? faut-il rester digne ? respecter encore cette "union nationale" qui forcément fait passer à l'arrière-plan les revendications politiques, économiques et sociales des uns et des autres ?

Cet après-midi, en tout cas, tout le monde aura fait dans la dignité. "Cet homme a voulu mettre à genoux la République", lance le président - candidat - sous chapiteau après s'être incliné devant les cercueils des soldats, avec une petite hésitation due sans doute à l'émotion, pour conclure d'un ton assuré : "mais la République n'a pas cédé... reculé... faibli". Puis il est allé serrer, entre beaucoup d'autres, les mains de ses concurrent(e)s qui se tenaient là au premier rang, très solennels eux aussi.



 Trois points de suspension ...

Suite : Dénouement (22 mars 2012)

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