samedi 16 novembre 2013

Droit moral

Je soumets à la discussion la conception suivante du « droit moral » d'un auteur : Nul ne devrait avoir le droit de déposséder un auteur - à quelque niveau qu'il se situe – de son œuvre – quelle qu'elle soit – pour lui faire dire ce qu'elle ne dit pas, pour l'utiliser à des fins pour lesquelles elle n'a pas été créée.


Il y a des exemples extrêmes comme ceux que l'on trouve dans cette publicité :

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=1CNu922b5Pg] 


Ou bien dans celle-là :

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=J6bGnSEwdKY]


 


Ces œuvres utilisées par les commerciaux pour promouvoir un produit sont dans ce qui s'appelle le « domaine public ». Dans la première publicité, les concepteurs ont pris soin de rappeler les dates de naissance et surtout de décès des auteurs, comme s'ils entendaient montrer que le délai de soixante-dix ans prévu par la loi europénne est passé et qu'ils sont désormais autorisés à détourner ces poèmes pour vendre de la nourriture pour chats. Il suffit alors de rémunérer une actrice ou, dans le seconde publicité, un orchestre pour interpréter l’œuvre choisie, et le tour est joué : le « cadre légal » est respecté !


Cette publicité, enfin, constitue une sorte d'apogée du genre :


 [youtube=http://www.youtube.com/watch?v=R418I0sFGeU]


On nous prescrit ici ce qu'il faut penser, les associations qu'il faut avoir lorsque nous entendons le nom de l'un des plus grands génies de la Renaissance. Pour astucieux qu'il soit, ce procédé montre clairement ce dont il s'agit. Le « consommateur » doit associer une marque à une œuvre, avec cet effet pervers que l'on constate bien souvent : l'oeuvre est désormais corrompue, difficile à isoler de la recontextualisation opérée par les concepteurs qui comptent en outre sur la répétition incessante, le martèlement des messages, où l'extrait choisi passe en boucle, ad nauseam.


Ma question est celle-ci : Pourquoi aucun avocat, qui pourrait être mandaté par des associations d'artistes, n'a-t-il à ce jour porté l'une de ces affaires, parmi tant d'autres, devant un tribunal afin de créer une jurisprudence qui interdirait ensuite aux commerciaux d'utiliser gratuitement des œuvres du domaine public dans le but, par exemple, de donner une légitimité culturelle à leur marchandise ?


On peut ajouter qu'un auteur a bien évidemment le droit de vendre son œuvre pour faire de la publicité. On voit ça tous les jours dans le monde qui est le nôtre. Peut-être même que Charles Baudelaire ou Wolfgang Amadeus Mozart, qui avaient parfois du mal à « joindre les deux bouts », auraient-ils accepté de le faire. Mais, et c'est là le hic de l'histoire : personne ne peut décider à leur place !


 

Incroyable mais vrai !



La cerise sur le gâteau tombe ce samedi (16 novembre 2013) dans l'émission Salut les Terriens (Canal +) : Pour lancer l'interview de Roselyne Bachelot sur un livre consacré à Verdi, le présentateur et ex-publicitaire Thierry Ardisson n'hésite pas à passer une séquence entièrement consacrée à des publicités utilisant la musique du célèbre compositeur italien. S'y côtoyent des jambons, des protections féminines, des chaussures, des jeans et des voitures. - Personne ne s'offusque vraiment : le conditionnement passe comme une lettre à la poste !


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Commentaires


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on voit souvent des pubs laides, mais il se trouve que celles ci sont belles , je craque pour celle d'Air France


Écrit par : kulturam | 16 novembre 2013

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Il n'y a pas de "morale", donc aucun droit moral à attendre, espérer, rechercher ni même, je pense, préconiser sur des médias libres comme ceux qui passent sur nos outils contempo.
Bien sûr, dans l'absolu... Un auteur est un auteur et toute exploitation de son oeuvre est une exploitation économique, qui le spolie, si elle ne lui est pas rémunérée...


Mais quoi? A l'heure des blogs et de la vidéo-audio-prothèse (la main et l'oreille équipées en permanence), comment escompter que la morale ait le moindre pouvoir?
Et le droit moral d'un auteur sur son oeuvre engage celui qui l'exploite à se sentir redevable,... à être assez "décent" pour citer son nom, voire le rémunérer...

Mais où est la décence? Car je préfère parler décence que de morale et de droit, deux mots qui peuvent toujours tant justifier...
Décence et responsabilité.
Je sens que je suis hors-sujet.

Écrit par : talweg | 16 novembre 2013

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Sorry, mais je n'ai pas trop compris le sens de votre comment, kulturam : ce serait chouette de préciser si vous êtes au second degré... dans le cas contraire, il se pourrait que vous soyez tombé dans le panneau de la "plus-value culturelle" offerte, bien malgré eux, par les créateurs juridiquement parqués dans le "domaine public" et, de ce fait, à la merci des commerciaux de tous bords...

Le concept de "droit moral" est sans doute malaisé, talweg : à vous (nous) de trouver mieux pour rendre compte de la situation esquissée. Quant à vos (ek-statiques) "hors-sujets", ils sont définitivement les bienvenus ici, et je crois que vous le savez...

A plus tard... Bis später...

Écrit par : sk | 16 novembre 2013 |

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oh la, sk,
je suis très mauvais en "droit moral", autant qu'en morale.
Je peux dire que l'honnêteté est, sur le sujet du "droit d'auteur" ce qui devrait primer... plus que l'appel au tribunal, à l'avocat et au juge. Trop de lois, déjà. On ne peut pas vivre sous un parapluie permanent de lois protectrices de tout contre tout. Par contre, on peut ne pas participer au juridisme qui caractérise les sociétés post-modernes.
L'idée de loi m'a toujours été pénible. L'arsenal d'Etat m'est une pensée pénible.


L'exploitation commerciale de Vivaldi ou autre Mozart n'a au moins pas pour effet de les détruire. Elle les utilise sans leur gré, les vend, les abime. au passage. C'est grave, mais elle ne les tue pas. Imaginez... si Mozart, de son vivant, avait pu vendre à la TrucMachin Company sa n°40, ou Beethoven sa Lettre à Elise... ce pactole!
(Enfin il est vrai que le tripatouillage (je viens d'apprendre ce mot! me fait rire) de Vivaldi dans les pubs est une sorte de mort).

Plus grave est l'utilisation politique, par exemple celle de Wagner par les nazis , ou celle de Nietzsche.
Je connais des gens qui ne veulent pas entendre parler d'eux à cause du préjugé qui leur colle aux semelles. Quelle sottise! Mais à quoi bon une loi...
Contre la bêtise?
Contre les manipulateurs d'oeuvres? On ne serait pas loin de la censure acceptable ... au nom de la loi.

Complexe, votre affaire!

Tschüss!

Écrit par : talweg | 17 novembre 2013

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C'est peut-être l'adjectif de "moral" qui est inapproprié dans ce contexte. Ce qui s'est passé chez Ardisson, samedi (suivez le lien Canal+, puis Part 2, R. Bachelot), est vraiment une "cerise sur le gâteau" : comme s'il avait lu la note et répondu avec le cynisme qui est le sien. - Peu probable certes. Mais il faut qu'une idée fasse son chemin. Elle doit donc être relayée par d'autres, éventuellement modifiée, discutée, adaptée...


Le cas Wagner que vous mentionnez est important dans ce contexte. Celui de Nietzsche encore plus. Puisque l'on sait maintenant que "La Volonté de Puissance" est une falsification.

L'article de Wikipédia est assez éloquent :
fr.wikipedia.org/wiki/La_Volont%C3%A9_de_puissance
(cf. aussi la version en Deutsch)

Les fragments posthumes sont ici :
nietzschesource.org/

Pour la loi : elle préserverait les auteurs du domaine public (ou soumis par des héritiers voraces à des commercialisations inappropriées, comme dans le cas de Picasso) de la mainmise des commerciaux, publicitaires, propagandistes etc. etc.

En fait, rien à voir avec la morale au sens classique, plutôt avec l'intégrité, voire la "conscience professionnelle", mais je tâtonne encore... Aux autres de jouer. Aux avocats surtout...

L'argent pourrait aider les vieux artistes qui ont travaillé toute leur vie sans "gagner" autre chose que les refus des galeristes, éditeurs et consorts. Par exemple. Et/ou les jeunes créateurs. Et/ou...

Bis denn...

Écrit par : sk | 17 novembre 2013 |

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