lundi 22 septembre 2014

Qui bien ou mal y pense

Le débat public tourne en rond. – D'abord, ce sont toujours les mêmes débatteurs : les médiatiques qui, seuls, ont accès à la parole publique ou à cette fameuse « visibilité » tant convoitée. Tout le reste – la majorité naguère silencieuse, aujourd'hui poussée à une expression quasi maniaque par les vendeurs d'« outils de communication » – végète quelque part dans le ventre mou ou les intestins d'un monde parallèle généré par un système prioritairement commercial et auto-promotionnel appelé « Internet ». – Ensuite, ce sont toujours les mêmes idées, convictions, opinions qui alimentent le champ médiatique, quotidiennement agité par quelque « actualité » fabriquée dans le laboratoire de l'expérimentation humaine. – En conséquence, nous sommes devenus les prisonniers d'une boucle indéfinie dont rien de véritablement nouveau ne pourra émerger : c'est le règne d'un éternel « degré zéro » de la réflexion, qui ne prend en compte ni les enseignements de l'histoire récente ou plus lointaine ni les avancées pourtant nombreuses de la pensée moderne et contemporaine.

Ce qui, pour l'instant du moins, semble encore fasciner le public dans ces débats menés sous les feux éphémères de l'actualité, c'est cette espèce de joute verbale entre différents « camps », dont les représentants appartiennent pourtant aux mêmes milieux, sortent des mêmes écoles, où jamais personne ne convaincra personne, où aucun intervenant n'a le temps de finir son raisonnement, où en somme tout le monde parle en même temps sans jamais écouter les arguments des autres, où l'on opère une sélection des « faits » et des « chiffres » à des fins résolument pragmatiques : ces débats publics sont devenus des « spectacles » de la même dignité que les « reality soaps », où ce qui est dit n'a plus aucune importance et n'est pas censé intégrer une quelconque mémoire, où seules comptent les énormités proférées, les capacités de poseurs des uns et des autres.

Si naguère l'écrivain, le philosophe ou le professeur étaient des personnages respectés, on constate aujourd'hui un ressentiment croissant envers les intellectuels, savamment entretenu par les « fabricants du consentement » qui, dans le cadre présent, sont en même temps des « créateurs de dissensions », de sorte que l'on se demande si ces deux activités ne sont pas désormais indissociables. Bien sûr, les intellectuels eux-mêmes ont une part de responsabilité dans cette affaire puisque leur refus de participer au cirque médiatique laisse la place libre aux « demi-savants » qui occupent actuellement le devant de la scène. Mais une telle désertion s'explique surtout par la mainmise des commerciaux et des publicitaires sur l'espace-temps médiatique, générant un « contexte », un environnement quasi-transcendantal, où toute pensée critique ou bien quelque peu avant-gardiste est hachée menue pour être intégrée (« embedded ») dans un magma, une bouillie indigeste faite de tape-à-l’œil, de vulgarité et de déjà-vu : en effet, le culte de la « nouveauté » sans cesse prêché par les marchands de vent et de pacotille s'accompagne paradoxalement d'un ruminement continuel et d'un « mix » aléatoire d'éléments pris dans le grand réservoir culturel de l'humanité où tout semble avoir déjà été dit et redit, vu et revu.



***


Il faut espérer qu'un jour prochain le public se rende compte que le champ médiatique n'est pas la seule agora, que les « expertises » et les « pensées » qui y sont produites confinent pour la plupart à la supercherie, au charlatanisme, les uns argumentant à longueur de temps pour le maintien du status quo, les autres proférant les utopies les plus grossières, ce qui revient au même. Peut-être comprendra-t-on alors que les « boucles » et les ruminements, les « rediffusions » et les « réinfusions », les éternels « degrés zéro » de la réflexion et les irréductibles polémiques nous volent notre temps de vie, passé et gâché devant les écrans. Car le véritable mensonge, masqué par mille petits artifices, consiste à nous faire croire que le temps est reproductible à l'infini, réitérable sur simple demande. Or, manifestement, il ne l'est pas puisque nous naissons, vieillissons et mourons. Et, bien qu'évidente, cette vérité-là – le caractère irréversible de notre temps de vie – ne doit surtout pas être « révélée ».


Commentaires



Mon dieu - et hélas - c'est superbement dit..et vécu au quotidien..(ex. C dans l'Air sur France 5) d'où
le refuge dans la dérision - de guerre lasse - devant ce circus..Ils devraient tous porter des faux nez rouges..au moins ce serait la règle du jeu..
et l'Autre, mélodramatique, ce soir..

Écrit par : hubert41 | 22 septembre 2014



Bonjour SK,
Je dirais exactement comme Hubert41: "Superbement bien dit!!!!!!!". En ajoutant, tout de même qu'il y a 30 ans, dans la cour de mon lycée, nous tenions déjà ce discours et militions pour un autre monde (Pétition contre les coupures pubs, blocages de l'entrée du lycée pour éviter l'intrusion de distributeurs de "cochonneries" alimentaires, manifestations pour la libération de Pierre-André Albertini, refus d'achat vestimentaires de marques etc...). Nous passions, à l'époque, pour des extraterrestres et voilà où nous en sommes... Rien n'est trop tard et, si vous le permettez, je partagerai volontiers votre papier sur FB...

Écrit par : Sherman | 22 septembre 2014


Yo,
Nous ne sommes donc pas seuls, quoiqu'impuissants. Ici on respecterait le style, on apprécie "la texture", comme une meilleure preuve de notre appréciation du contenu. Un approfondissement de la pensée aussi : non ce qui m'a touché n'est pas un hasard; n'est pas une réponse à qui veut des millions. Ce n'est pas, non, notre dernier mot !

Faudrait faire une typologie des formats d'infos ( agence de presse, débats TV d'ex-paires, 20h, Une…) et étudier les figures, les 'tropes' des chausse-trappes et autres appauvrissements et polarisations dénaturantes non pas même de la pensée, mais de l'objectivité de l'info.

Mais c'est vrai qu'il y a des sujets qu'on veut lointains pour lesquels on préfère se laisser aller à une réaction par UP or Down, pour ou contre - pas d'autres choix et surtout pas de possibilité de reformuler la question. Aussi les Dechav, Ruq et autres talkshow chairmen sont les nouveaux moralistes.
Entre nous, vous en pensez quoi, ou plutôt trouvez-vous ça acceptable ou intolérable… à vue de nez et en 2 mots…? Vite ! Moral ou immoral ?

L'alternative (une alternative) serait l'initiation, l'attente et la progression, la non-révélation immédiate, le secret… Mais là, il faut admettre aussi qu'il y a toutes sortes d'aventures et de charlatans.

C'est peut-être difficile à dire, mais je crois que ces aplatissements incessants de l'info, qui mènent à, ou prétendre mener à un unanimisme (ersatz de démocratie) , avec ses sujets tabous, ses acquiescements sourds et répétés où l'on peut lire les fantasmes apeurés ou les plaies de la mémoire… Tout ça n'est pas pour rien, au niveau du dégoût, dans l'engagement cinglé de "jeunes" vers une terreur à la violence assumée à un point qui fait tourner la tête… une publicité de l'horreur incompréhensible.
Serait-ce la vengeance des sujets tabous refoulés ? A méditer.

Ah si les cons volaient… si les Verts étaient un tout petit peu moins prévisibles dans leur défense systématique des Verts… on s'en porterait pas plus mal -même si c'est plus trop à la mode de pensée à l'objectivité comme à l'intérêt général.

Chao

Écrit par : Leterrier | 22 septembre 2014


Chers passants et voisins !

Pris par l'urgence, je n'ai pu ni continuer le texte ni répondre à vos interventions. Faut dire que les compliments me laissent toujours sans voix et que ma citation de Schiller ("Quelle erreur ai-je donc commise ?") commence à s'user.

Pour le partage, je ne suis pas un fan de FB (loin s'en faut), mais en publiant des textes sur Internet, je crois qu'on acquiesce d'office à leur utilisation ailleurs, avec ou sans référence... de toute façon je ne crois pas à la propriété des idées... à propos de son refus de faire de la "promo" à la télé, Cioran disait qu'il faut qu'un livre fasse son chemin... je dirais que c'est pareil pour les idées (sans me prévaloir ici d'une quelconque originalité).

Salut aussi à toi, Leterrier, sorti enfin à l'air libre (!) de notre plate-forme. À bientôt de lire tes nouveaux articles !

Écrit par : sk | 23 septembre 2014

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