samedi 7 avril 2012

[Note] Hollande - Sarkozy : Fragments d'un double discours

Je viens d'écouter le discours de François Hollande tenu à Mont-de-Marsan le 29 mars 2012 et celui de Nicolas Sarkozy prononcé à Caen le 6 avril 2012. Le choix de ces adresses publiques - mises en ligne ici-même à titre d'information - est un peu le fruit du hasard : si les exercices oratoires de N. Sarkozy sont nombreux sur son site de campagne, ceux de F. Hollande sont plus rares ; j'ai donc choisi le plus actuel de l'un (6 avril - 70'56") et le plus récent de l'autre qui ait une durée quelque peu comparable (29 mars - temps réel 52'40").

Avec une diffusion apparemment inégale des différents discours tenus par les deux candidats, le premier point de cette petite analyse comparative concerne la production de ces deux documents de campagne. La vidéo de Caen a été tournée avec une multitude de caméras, un grand nombre dirigées sur le public : gros plans sur la jeunesse sarkozyste et le public enthousiaste, plans larges sur les drapeaux agités dans la salle. Montage dans les règles de l'art, bande son impeccable. - Toute différente la vidéo de Mont-de-Marsan : plan fixe sur l'orateur, sous-titrage et traduction simultanée en langage des sourds. Aucun montage apparent, bande son légèrement saturée ...

Les vidéos montrent clairement que le show est du côté de N. Sarkozy qui met en œuvre une campagne à grand spectacle, dont le coût énorme avec, par exemple, l'envoi de plusieurs millions d'exemplaires de sa Lettre aux Français de 35 pages, peut faire réfléchir dans le cadre des procédures en cours. La production plus modeste de F. Hollande, qui renonce aux effets cinématographiques, comporte cependant un plus avec les traductrices en langue des signes et le sous-titrage en direct. Il veut être entendu : parfois à la limite de l'extinction, sa voix rauque qui scande un discours combattif contraste avec le registre de N. Sarkozy qui alterne le ton léger de la causerie mondaine et la gravité apparemment réclamée par la crise.

Comme l'exige le genre, la forme du discours est résolument polémique, les deux candidats utilisant ici avec prédilection l'ironie portant sur les déclarations et les propositions de l'autre, qui est donc implicitement désigné comme le principal rival : ainsi, par procuration, on assiste à une sorte de dialogue - ou, au choix, de non-dialogue - entre les deux politiciens. F. Hollande a ici l'avantage de pouvoir se référer au bilan du quinquennat écoulé, alors que N. Sarkozy l'utilise au contraire pour faire valoir son expérience de la fonction présidentielle, dont il retient les points qu'il juge positifs.



Déjà évoquée, la personnalisation de la vie politique française prend ici une dimension inquiétante puisque les deux hommes font en principe campagne pour à la fois représenter un important électorat et incarner un programme politique. Dès lors, toute attaque personnelle, si elle est systématique et cesse de s'attacher aux faits, constitue une négation des groupes sociaux qui soutiennent le combat politique du candidat adverse, son programme et ses actions. - Dans ce contexte il faut bien remarquer que, sous le couvert d'une adresse à "tous les Français", les hommes et femmes politiques de ce pays nient de manière générale : d'une part, la profonde inégalité des populations et des conditions de vie, qui fut naguère désignée par l'expression "fracture sociale" (Marcel Gauchet) ; d'autre part, avec l'insistance rhétorique sur la nationalité, la nation, la perspective supra-nationale d'une Europe politique que les "Européens convaincus" appellent par ailleurs de leurs vœux.

On remarque cependant que les destinataires implicites de nos deux discours, qui veulent toucher le plus large public possible, ne sont pas vraiment les mêmes. N. Sarkozy s'adresse à une "majorité" qu'il estime déjà constituée : celle du bon sens, de l'effort, du travail, qui entend poursuivre dans la voie libérale qu'il propose depuis plusieurs années déjà pour faire "face à la crise". F. Hollande au contraire entend "rassembler" autour du renouveau de l'État social comme garant des "acquis sociaux" et s'adresse donc d'abord à une majorité différente qu'il espère lui aussi réunir et incarner : celle du "changement".

Ainsi, on peut noter une différence essentielle entre ces deux adresses, qui se répercute nécessairement sur le fond : F. Hollande tient un discours de lutte, principalement axé sur les "injustices" (sociales), alors que N. Sarkozy cherche à conforter la "majorité sortante", dont il est un élément essentiel depuis dix ans. Dès lors, il ne peut plus utiliser sa formule de la "rupture" qui consacra son accession à la magistrature suprême en 2007. Au nom d'une "France forte", comme "global player" dans un monde résolument libéral, constamment hanté par la "crise", ses attaques se dirigent essentiellement contre le "socialisme", qui contribuerait à aggraver considérablement la "dette" du pays et donc à précipiter la France dans la déchéance. En guise de verbatim, le propos de N. Sarkozy à Caen est résumé sur son site de campagne :

« 60 000 fonctionnaires en plus. Coût : 2 milliards en année pleine. Qui va payer ? Vous ! Parce que pour le candidat socialiste il n’y a pas assez de fonctionnaires ! » a condamné Nicolas Sarkozy. - « 25% d’augmentation de la prime de rentrée scolaire. Coût : 2 milliards. Qui va payer ? Vous ! Parce que pour le candidat socialiste dépenser avant d’avoir trouvé les recettes ce n’est pas important » a-t-il martelé. [...] - « Après 1981, la facture socialiste, il a fallu la régler en 2 ans parce qu’en 2 ans, les caisses avaient été vidées ! En 1983, il a fallu complètement changer, revoir toute la politique pour redresser la barre ! ». - « La différence c’est que nous sommes en 2012 et il ne faudra pas 2 ans cette fois, il faudra 2 jours » .
[Caen, 6 avril 2012]
Réponse - anticipée - de F. Hollande :
 Ils nous disent : « Mais si la Gauche revient, elle va vider les caisses ». C’est fait ! Et c’est un lourd héritage que nous aurons à combler. Ils nous disent : « Si la Gauche revient, elle va augmenter la dette ». C’est fait ! Elle est à un niveau historique, près de 90 % de la richesse nationale. « Si la Gauche revient, elle va augmenter les impôts. » C’est fait ! Trente taxes ont été créées depuis 2007, et les prélèvements se sont abattus sur une grande majorité de Français. « Mais vous n’y pensez pas, si la Gauche revient, elle mettra en cause la compétitivité de l’économie française. » C’est fait ! Nous avons perdu près de 400 000 emplois industriels. Le déficit commercial est de 70 milliards d’euros. « Mais alors, si la Gauche revient, elle va mettre en cause l’indépendance énergétique de la France. » Le candidat sortant va de centrale nucléaire en centrale nucléaire pour dire : « Attention, la Gauche va les fermer ». On a dit une ! Parce que nous vous voulons engager un processus de diminution de la part du nucléaire dans la production de l’électricité, mais nous voulons surtout renforcer les énergies renouvelables, développer les emplois qui correspondent à ces inventions, à ces progrès.
[Mont-de-Marsan, 29 mars 2012]

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