dimanche 1 avril 2012

Mélenchon - Hollande : L'état de la Gauche

Sur son blog, Jean-Luc Mélenchon écrit samedi, 31 mars 2012, à l'entrée Face à l’artillerie lourde (caractères gras ajoutés) :
Vous avez noté, bien-sûr, comment depuis quelques semaines, les intentions de vote pour le Front de Gauche relevées par les sondages sont à la hausse. Cette fois-ci cela correspond à ce que nous observons de toute part dans le pays avec nos propres instruments de mesure. La marche sur la Bastille et sa première réplique à Lille en attestent. Je n’en dis pas davantage. Cette situation déchaîne contre moi un ouragan de tirs tendus. Les arquebusiers les plus divers du Front National aux Verts en passant bien-sûr par les socialistes et l’UMP sont montés au feu. Je vois bien que cela énerve ! J’en dis le fond des raisons.
Après des développements sur le malaise dans les lycées professionnels et un paragraphe sur l'association pour le "droit de mourir dans la dignité", le politicien semble en venir à ce fond :
Inutile, je suppose, de dire de nouveau combien le traitement médiatique de la campagne dans la presse écrite peut être décevant. Je parle de la presse écrite car c’est d’elle dont on attend recul et arguments par rapport à l’instantané du média audiovisuel. En réalité, à l’heure actuelle, l’audiovisuel est beaucoup plus factuel qu’une bonne partie de l’écrit. Je n’en juge pas en général mais au cas particulier qui me concerne. Pour l’humour de situation je veux souligner un événement d’un genre nouveau. Il s’agit du traitement du meeting de Lille. A peine avions nous donné le chiffre de la participation que la journaliste du Figaro « tweetait » de tous côtés des persiflages. Du journalisme pro actif en quelque sorte ! Aussitôt les deux autres faces de l’Everest médiatique parisien firent écho. Car la confraternité est plus importante que les faits. C’est donc une première qui a eu lieu. Elle ridiculise les fabricants de faits. Car cette fois-ci la police a… compté. Il y a donc trois chiffres. Celui des organisateurs : 23.000. Celui de la police, reproduit par toute la presse locale : 20.000. Et le chiffre du journal « Le Monde » : 10.000 ! Ah les braves gens. Et, bien sûr, objectivité oblige, le « reportage » avance le chiffre des « organisateurs » pour mieux souligner l’absurde exagération. Manque de chance pour ce type de manipulation, le chiffre de la police (un ramassis de bolcheviks à la solde du Front de Gauche ?) souligne au contraire que nous n’exagérons pas. Mais cet amusant ridicule nous instruit. Il nous rappelle combien le nombre des participants est un enjeu politique. Je ne parle pas de ce qu’en dit la presse parisienne. Cela n’a pas d’impact sur notre trajectoire comme on le voit à notre succès après qu’elle a tant fait pour nous nuire ! Je parle de la perception qu’en ont ceux qui en reçoivent le choc. Car il s’agit d’un choc. Le sentiment de la force décuple la force. La perception du rapport de force fait partie du rapport de force. Et c’est bien pourquoi on reconnaît nos ennemis à cette crispation qui les conduit à nier les faits jusqu’au ridicule !
Un peu plus bas, l'intention d'y venir est clairement annoncée :
Car le fond de l’affaire est le suivant. Tant que Le Pen est troisième, la chanson du vote utile peut être passée en boucle. L’univers politique des quinze dernières années continue à ronronner avec ses rentes de situation et ses positionnements convenus ! Dès qu’elle n’y est plus, le verrouillage des deux premières places saute. Et les suivants de la file sont mis au pied du mur tout aussi fortement ! Dans cette manœuvre, la première bénéficiaire, madame Le Pen, prend toute sa place et vocifère avec le reste de la meute. Et alors apparaît l’incroyable. Il est frappant de constater que les arguments de madame Le Pen et de nombre de mes détracteurs sont les mêmes. Notamment lorsqu’ils utilisent le registre grossier d’un anticommunisme nostalgique de la guerre froide. Chavez, Cuba, le Dalaï Lama sont ainsi régulièrement convoqués à la barre des témoins de mes turpitudes, sans oublier Pierre Lambert et mes trois ans de trotskisme actif il y a quarante ans de cela ! Cécile Duflot y ajoute de touchante remarque sur mon âge avec les mots de l’élégance qui la caractérise.
Pour ceux qui resteraient sur leur faim, le politicien mène ensuite une attaque frontale contre le Parti Socialiste et son candidat François Hollande, après s'être étonné que sa montée dans les sondages ne s'accompagne jamais d'une baisse de son rival à gauche, ce qu'il interprète comme une "propagande manœuvrière" :
Au PS c’est la confusion face à ma candidature. Car notre percée effondre le beau plan stratégique de départ. Que faire, se demande-t-on dans le bureau du tout puissant Manuel Valls qui dirige tout ? Car pour celui-là, nous sommes un danger. Du coup, depuis quarante-huit heures, faute d’idées ou de programme à défendre c’est une suite ininterrompue d’agressions pleine de postures pontifiantes qui se succèdent. Plusieurs caciques me conseillent de « réserver les coups à Sarkozy ». Mais eux-mêmes font exactement le contraire avec moi dans des termes d’une violence incroyable. A vrai dire, pire que cela ne fut jamais aux heures les plus difficiles à gauche au cours des vingt dernières années. D’où vient cette perte de sang froid ? En voici la raison. Hollande ne peut rompre l’ambivalence de sa stratégie politique. Il comptait que nous serions quantité négligeable, obligés de voter sans discuter.
Or, comme le précise Jean-Luc Mélenchon un peu plus bas, contrairement à ce qui a été affirmé par Jérôme Cahuzac sur Public Sénat (le 27 mars) :  "il n'y a aucune négociation et aucun accord ni avec Hollande ni avec le Parti Socialiste. Cahuzac ment donc avec aplomb". Suivent des polémiques contre - ou lancées par - trois autres responsables socialistes, Gérard Collomb, Michel Sapin et "notre cher Arnaud Montebourg".

COMMENTAIRE

Les écrits restent. Avec Internet, on peut ajouter : les paroles aussi. Il est maintenant possible de déterrer tout et n'importe quoi pour faire argument. Y compris l'entrée du blog, qui vient d'être citée, quand son auteur l'aura déjà oubliée. Ou même effacée. - Dans ce contexte, certains ignorent peut-être encore - ou bien oublient un peu vite - que Jean-Luc Mélenchon a mené une carrière de trente ans au Parti Socialiste [wiki] :
Militant socialiste à partir de 1977, il est successivement élu conseiller municipal de Massy (1983), conseiller général de l'Essonne (1985) puis sénateur du même département en 1986, 1995 et 2004, enfin député européen en 2009 dans la circonscription Sud-Ouest. Il est ministre de l'Enseignement professionnel de 2000 à 2002, dans le gouvernement de cohabitation de Lionel Jospin. - Il fait partie de l'aile gauche du Parti socialiste jusqu'au congrès de Reims, en novembre 2008, date à laquelle il quitte ce parti pour fonder le Parti de gauche (PG).
Il n'y a pas à commenter ici la structure et le style de cet article : contrairement à beaucoup d'autres, Jean-Luc Mélenchon écrit lui même son blog, les articles sont souvent longs et les sujets présentés pêle-mêle, comme ils viennent à l'esprit dans cette écriture à chaud qui a, comme la plupart des autres productions du genre, un évident caractère polémique. On le comprend.  Car le politicien est en plein combat, et ce depuis un certain temps déjà - sa candidature ayant été annoncée en janvier 2011 - avant que sa campagne ne devienne cette réussite populaire qu'elle est certainement.

Or, au cours de ces élections - insistons sur le pluriel -, le premier tour des présidentielles sera suivi, non seulement d'un second, mais de législatives, où le Front de Gauche, pour avoir des députés, doit compter sur les désistements des candidats du PS.

Jean-Luc Mélenchon (né en 1951) était jeune militant socialiste en mai 1981, quand la victoire du Programme Commun respirait par moments l'espérance de mai 1968. - La France est décidément un pays de révolutionnaires romantiques, ce qui n'a rien de déshonorant. Mais il se trouve que le même romantisme des révolutionnaires allemands a pu, non seulement contribuer à la victoire du totalitarisme par absence d'accords électoraux, en novembre 1932, entre les sociaux-démocrates du SPD et les communistes révolutionnaires du KPD, mais encore conduire à d'étranges "grandes coalitions" gouvernementales entre SPD et la droite chrétienne-démocrate de la CDU, faute d'entente fédérale entre le SPD et Die Linke ("La Gauche"), l'équivalent du Front de Gauche en Allemagne. Toutefois, quelques alliances régionales couronnées de succès et la victoire commune à la mairie (au Sénat) de Berlin et dans le Brandebourg ont pu faire grande impression sur notre auteur, si je me souviens bien de son voyage dans la capitale allemande, relaté en termes dithyrambiques sur son blog. Or, depuis les élections de novembre 2011, cette alliance a vécu, et la ville est désormais régie par une ("grande") coalition CDU-SPD.

Alors, pour donner du poids à la "gauche de la gauche", son nouveau leader, s'il n'est pas présent au second tour, devrait appeler à voter Hollande et passer des accords avec les sociaux-démocrates dans la foulée. Car, en cas de réélection de l'actuel Président, les législatives, un mois plus tard, seront sans doute remportées encore une fois par la "majorité présidentielle", d'autant que la poursuite probable des polémiques à gauche, où chacun mettra la défaite présidentielle sur le compte de l'autre, desservira à la fois les candidats du Front de Gauche et du PS.

 En effet, avec le régime présidentiel en vigueur de ce côté du Rhin, la gauche ne peut même pas espérer une grande coalition. Mais en cas de victoire sur le fil du rasoir, l'actuel Président nommera très certainement un nouveau "gouvernement d'ouverture".

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