vendredi 4 février 2011

[Égypte 2011] ÉPISODE 5


"Step down, Mister Moubarak!"


Dans la matinée, les accès Internet ont été rétablis en Égypte, comme le montre ce tableau :

Mercredi 2 février 2011

[15:30](*) Accrochages entre protestataires et pro-gouvernementaux au Caire. Selon Al Jazeera, plus de cent personnes ont été blessées depuis une heure après l'arrivée, place Tahrir, de supporters du régime, dont des policiers en civil, qui ont attaqué les manifestants anti-Moubarak.

[16:00] "Une situation explosive", commente une correspondante d'Al Jazeera sur place. Un autre journaliste au téléphone parle de visages ensanglantés, de gens qui fuient la place. Puis une femme à bout de nerfs : elle a du mal à se faire comprendre et à réaliser ce qui se passe maintenant, après des journées de manifestation pacifique, d'occupation festive de la place Tahrir. La présentatrice lui conseille de se mettre à l'abri.

[16:20] D'après les cartes d'identité récupérées par les protestataires, il semble que les forces de sécurité ont largement contribué à semer la panique et le chaos, place Tahrir

[16:40] Sur Al Jazeera,  les images en direct montrent les pro-gouvernementaux et les anti-Moubarak, qui réclament toujours le départ immédiat du président, se lancer des pierres et d'autres objets. - On rapporte que l'armée s'interposerait pour séparer les deux camps mais elle ne semble pas intervenir dans la bataille de rue à l'écran...

[16:50] Avec les fumées blanches des gaz lacrymogènes, l'hélicoptère de combat fait son retour dans le ciel cairote. Des coups de feu retentissent : sans doute des tirs de sommation.

[17:00] Début du couvre-feu en Égypte. Il sera plus difficile de l'ignorer, à présent. - Ban Ki-Moon, le Secrétaire général des Nations Unis, vient de faire part de sa désapprobation de cette façon [violente] de procéder contre des manifestants pacifiques. - Une commentatrice d'Al Jazeera constate : "C'est le chaos !" Et : "Nous avons vu des gens courir pour sauver leur vie..." Des objets sont jetés sur les protestataires du haut des immeubles ! "Qui sont ces gens ?" s'interroge la journaliste. - Une correspondante remarque à son tour que l'armée, présente un peu partout en ville, n'intervient pas [plus] pour mettre fin aux violences. - La place Tahrir, qui est devenue hautement symbolique, reste toujours sous le contrôle des protestataires, selon les observateurs. Depuis une semaine, elle s'est montrée digne de son nom : Place de la Libération !

[17:10] La femme à bout de nerfs rappelle la chaîne d'information : Il n'y a pas une seule ambulance ! Des blessés partout ! Quelques bouteilles d'eau seulement pour les soigner !

[17:25] Le gouvernement vient de déclarer que la contre-manifestation n'est pas organisée par les forces de sécurité, mais par des "Égyptiens ordinaires",  exaspérés par le "chaos" qui règne dans le pays.

[17:30] L'opposition, qui continue d'exiger le départ immédiat du président Moubarak, déclare que la journée de vendredi (04-02-2011) sera le "Jour de la Fureur".

image : al jazeera



[17:45] On rapporte déjà le chiffre de 500 blessés dans le secteur de la place Tahrir. - On repère de la fumée du côté du Musée National, mais aucun immeuble en feu n'est visible... Des véhicules de secours commencent à converger vers la place, trois heures après le début des violences ! (Al Jazeera) - Déclaration de l'attaché de presse du gouvernement américain, Robert Gibbs : "Les États-Unis déplorent et condamnent la violence qui a lieu en Égypte, et nous sommes très préoccupés par les attaques contre les médias et les manifestants pacifiques. Nous répétons vivement notre appel à la modération." (in Guardian)

[18:00] Des milliers de protestataires se trouvent toujours sur la place de la Libération. Tout autour, des "manifestants" pro-Moubarak. Certains continuent à jeter des pierres, et des objets plus lourds, du haut des immeubles sur les anti-Moubarak.

[18:25] Dans un résumé d'Al Jazeera, on voit des hommes à cheval, armés de bâtons et de fouets, foncer sur les manifestants. Quelques cavaliers sont renversés et rossés par les protestataires.

[18:30] L'Union Européenne s'associe à l'appel nord-américain et réclame une transition démocratique. - Le plan fixe sur la place Tahrir, déjà vu la veille et l'avant veille, apparaît à l'écran : Comparé aux jours précédents, le lieu de rendez-vous des protestataires semble un peu clairsemé.

[20:00] Avec le rétablissement de l'accès à Internet, les blogs des correspondants étrangers sur place sont à nouveau en ligne. Harriet Sherwood signale des affrontements dans la ville d'Alexandrie : "Il y avait de l'agressivité et des coups bas mais - pour l'heure - rien qui ressemble à la guerre civile qui paraît s'enflammer au centre du Caire. Les gens ont très peur maintenant, et ils sont inquiets ; personne ne sait ce que les prochains jours vont apporter." - Nicholas Kristof du New York Times  se trouvait place Tahrir : "les casseurs étaient munis de machettes, de rasoirs, de battes et de pierres. Ils chantaient les mêmes chants, scandaient les mêmes slogans et manifestaient la même hostilité envers les journalistes. Il apparaît clairement qu'il y a eu des consignes et un briefing. Dire qu'il s'agit d'effusions spontanées de supporters pro-Moubarak, simultanément au Caire et en Alexandrie, c'est grotesque." - Quant à Jack Shenker, il a interviewé l'une des figures marquantes de l'opposition, Mohammed El Baradei, qui dit qu'il n'a pas l'intention de négocier avec des "tueurs", qu'il n'y a "pas de retour en arrière" pour le mouvement pro-démocratique. Et : "après cette journée, les gens se rendent compte à qui ils ont affaire. À présent, ils ne disent plus seulement que le responsable doit quitter le pays, ils parlent aussi de le traduire en justice. S'il lui reste un iota de dignité, il devrait s'en aller. Moubarak a récolté un vote de défiance de l'ensemble du peuple égyptien" (in Guardian).


Scènes de violence au Caire plus tôt dans la journée (Al-Masry Al-Youm)

[22:30] La flambée de violence aurait fait un mort et plus de 600 blessés aujourd'hui, selon la TV d'État. - live En direct sur Al Jazeera, Nouraddin Adbulsamad, le ministre égyptien des Antiquités lance un appel à Moubarak qu'il exhorte à démissionner, l'accusant de vouloir "brûler l'Égypte toute entière".

[--:--] Les derniers chiffres données par Al Jazeera : 3 morts et plus de 1500 blessés au cours des affrontements de la journée ! (source : autorités égyptiennes)

  Fils d'actualité anglophones pour mercredi :  Al Jazeera, live blog - Guardian, live updates

Deux remarques et une question

1) Après le grand mouvement de solidarité populaire d'hier, les violences d'aujourd'hui sont faites pour générer la méfiance. On ne sait plus qui est qui, quand bien même il semble établi que les affrontements ont été initiés par les agents provocateurs de la sécurité égyptienne. Car, contrairement aux massacres de vendredi dernier, qui sont encore dans tous les esprits, ces agents empruntent le masque de "manifestants" qu'a priori, rien ne distingue des protestataires pacifiques. Le camarade chantant et rigolant avec vous peut se trouver tout à coup entouré de casseurs et de cogneurs, qui vous passent à tabac. Et, si cette situation est l'exception, sa simple possibilité peut troubler, voire obséder les esprits au point de ne plus accorder la même confiance au sympathique camarade que l'on vient tout juste de rencontrer place Tahrir. - Le président Moubarak joue ici sa dernière carte : il entend transformer les manifestations pacifiques en batailles de rue, en chaos, afin de pouvoir apparaître comme le grand "stabilisateur" de la nation égyptienne. Et les choses n'ont pas si mal commencé !

2) Dans un article publié aujourd'hui par le magazine Time, Abigail Hauslohner (qui se trouve au Caire) accuse l'armée d'avoir laissé passer des casseurs en route pour la place Tahrir, alors que les chars bloquaient des carrefours importants, créant des embouteillages monstres. Ce serait la preuve que l'armée a pris parti pour le régime.  Quelle conclusion simpliste ! À ce compte-là, il suffit de dire que le gouvernement est composé de généraux pour inférer que les militaires sont à la botte du régime. - Or, l'armée comprend un grand nombre d'unités, chacune composée d'êtres humains. La position de l'armée est claire depuis quelques jours : Les soldats sont là pour protéger le peuple égyptien, non pour lui tirer dessus. - Ceci étant, les généraux au pouvoir peuvent tout à fait donner l'ordre au commandant d'une unité de laisser passer des casseurs et de ne pas intervenir dans la bataille de rue qui s'ensuit. C'est peut-être ce qui s'est passé aujourd'hui. Peut-être. Mais cela ne permet pas pour autant de postuler que l'armée a changé de camp. Elle ne peut pas changer de camp parce qu'elle a affirmé sa neutralité. Elle n'est donc ni d'un côté ni de l'autre. Qu'elle peut et doit par ailleurs exécuter certains ordres venus d'en haut, cela relève de l'évidence la plus basique. Cependant, elle n'exécutera aucun ordre contraire à la position qu'elle a clairement exprimée depuis quelques jours, en paroles et en actes. Et ça, le régime le sait. Sinon, le coup de force redouté aurait déjà eu lieu. Le régime sait qu'il ne peut pas donner l'ordre à toutes les unités de laisser passer les forces de sécurité déguisés en manifestants  et de n'intervenir dans aucune des altercations consécutives. Mais peut-être une rumeur a-t-elle échappé à Mme Hauslohner : Il paraît qu'il y aurait des dissensions au sein de l'armée. -  Et si cette journée démontre quelque chose, c'est bien cela !

3) Pourquoi le gouvernement a-t-il remis en ligne l'Égypte ? C'est une question qui me taraude. Je sais que je ne trouverai pas de réponse ce soir. Mais quand même ! Pourquoi justement aujourd'hui?  - Bien sûr, ça revalorise l'image du régime, qui restitue un semblant d'expression libre aux citoyens. - Mais, si le pouvoir veut apparaître sous un jour favorable, pourquoi ses agents provocateurs vont-ils au même moment casser des manifestations pacifiques ? - Il est vrai qu'Internet est une prodigieuse source d'information. Mais c'est une tout aussi prodigieuse source de désinformation. - Peut-être le régime se berçait-il dans l'illusion que sa mise en scène ne serait pas découverte, et que le monde entier assisterait, via YouTube, Facebook et Twitter, au "chaos" qui règne dans le pays. Et que le monde entier comprendrait que seul un homme fort - entendez : Hosni Moubarak - est capable de rétablir l'ordre - Si c'était ça, on peut dire c'est raté ! - Car en ce moment  même, le monde en ligne, que les voix égyptiennes viennent de réintégrer, ne demande plus qu'une chose : Step down, Mister Mubarak ! (**)

Jeudi 3 février 2011

image : al jazeera

[13:00](*) Dernières nouvelles d'Égypte : Depuis l'aube, les affrontements entre pro-gouvernementaux et protestataires ont repris. Sur la place Tahrir, des barricades ont été dressés par les occupants  hostiles au régime en prévision de nouvelles actions de provocation. - Des coups de feu se font entendre au Caire, où la situation est extrêmement tendue. - Une nouvelle surprenante rapportée par AP : le Premier ministre égyptien, Ahmed Shariq, aurait présenté des excuses pour les violences d'hier contre les manifestations pacifiques. - Sept morts sont à présent recensés pour la journée de mercredi. Voici ce qu'il a dit : "Je présente mes excuses pour tout ce qui s'est passé hier parce que c'est ni logique ni rationnel. On enquêtera sur tout ce qui s'est passé hier pour que tout le monde connaisse les responsables de ces incidents." [11:30]

On signale de nouvelles scènes de protestation au Yémen. En réaction aux manifestations dans le pays, le président yéménite avait déjà annoncé qu'il ne se représenterait pas en 2013.

[13:45] D'après le fil d'actualité d'Al Jazeera, l'armée a chassé les manifestants pro-Moubarak de la plate-forme surplombant les barricades des protestataires qui occupent la place Tahrir.

[14:00] La nouvelle mobilisation massive programmée pour demain, vendredi, est baptisée "Jour du départ" [de Moubarak].

[14:45] Sur le fil d'actualité du Guardian,  Jack Shenker écrit du Caire : "Les rues clefs et les points d'accès  [au centre] continuent de changer de main. Il y a également des appels urgents pour du matériel médical, des couvertures et des dons de sang." Le blog du journal britannique rapporte également des bruits d'un coup de force policier en ville, qui s'amplifient sur Twitter (#egypt).

[15:00] Al Jazeera rapporte des coups de feu sur la place Tahrir et le pont Kasr Al Nil qui mène au centre-ville. - Des checkpoints sont établis pour contrôler les gens.

Le blog du Guardian publie cette vidéo des affrontements :


 [15:00] Les forces de sécurité ordonnent à tous les journalistes et reporters aux abords de la place Tahir et dans les hôtels qui la surplombent de quitter le secteur sur-le-champ.

[15:20] Al Jazeera rediffuse la conférence de presse du Premier ministre Shariq sur la TV d'État - Il parle des violences : "Nous avons assisté à une nuit très sanglante... Je promets que ces événements feront l'objet d'investigations... Toute personne ou organisation responsables de cet incident seront poursuivies... Je présente mes excuses pour ces événements [regrettables] dont je ne suis pas responsable... Nous nous excusons pour cet incident. Nous ne l'avons pas organisé... Nous devons engager le dialogue, négocier... Nous sommes une famille... [Réponses aux questions des journalistes :] Nous admettons qu'il y a une conspiration... Elle a réussi à nous diviser... -  [Économie ?] Tous les biens de consommation sont disponibles... -  Les banques vont rouvrir dimanche... -  Le canal de Suez n'est pas menacé... [Remarques en vrac :] :Je ferai le nécessaire pour éviter toute nouvelle fiction [entre manifestants]... Il y a un droit à la libre expression. [récemment décrété]... - Moi même, j'ai été surpris de voir des chevaux et des chameaux [qui ont été utilisés pour des actions violentes contre les protestataires]... - Ni les Frères Musulmans ni personne ne sera exclu du dialogue [que nous avons allons engager avec les partis d'opposition]... "

[17:00] Début du couvre-feu, toujours en vigueur. - Déclaration d'Omar Suleiman, vice président égyptien :  "On va relâcher les détenues qui n'ont commis aucune violence". Et : "toute la Constitution va être changée". - Les altercations continuent au Caire. - Des bombes incendiaires sont lancées, on ne sait plus "qui est qui" (Al Jazeera).

[18:30] Un entretien avec Omar Suleiman est diffusé sur la chaîne qatarie. Le vice-président annonce que les élections auront lieu en août ou en septembre. Les amendements de la Constitution prendront 70 jours. -  Le journaliste demande pourquoi l'armée n'intervient pas. Réponse : "L'armée protège la patrie... Son nouveau rôle est de faire respecter le couvre-feu et de protéger la population des casseurs... Nous n'avons pas anticipé les affrontements... À présent, l'armée sépare les deux camps..."

On note l'apparition répétée des leaders du gouvernement à la TV d'État pour approuver les manifestations pacifiques, dont les revendications sont "légitimes", et fustiger les fauteurs de trouble qui, selon Omar Suleiman, pourraient être dues à des "infiltrations" [locales et étrangères] des forces de sécurité.

Militaires s'interposant dans un combat de rue (sur Al Jazeera cet après-midi)

[19:00] Reuters annonce que les violences de ce jour auraient fait 10 morts selon des médecins des centres d'urgence. (in Spiegel)

[21:00] Sur Al Jazeera, on parle des harcèlements dont les journalistes font actuellement l'objet. Le Spiegel rapporte qu'ils sont battus, poursuivis, arrêtés. CNN avance que le ministère de l'Intérieur pourrait participer  à la mise en quarantaine des reporters (source anonyme au ministère US des Affaires étrangères).

[21:15] Les choses semblent s'être un peu calmées place Tahrir selon Al Jazeera, qui rapporte cependant que deux de ses correspondants ont été attaqués au Caire par un gang de casseurs.

En Syrie des manifestations de protestation contre le régime de Bashar El-Assad sont programmées pour demain, vendredi 4-02 (in Guardian).

[21:30] Plus tôt dans la journée, trois journalistes d'Al Jazeera avaient été arrêtés : ils viennent d'être relâches.

[21:45] Le Guardian et Al Jazeera citent une interview du président Moubarak sur la chaîne américaine ABC ce soir. Les images ne sont pas encore diffusées. Selon la présentatrice de la chaîne qatarie, il aurait dit qu'il "en avait marre" après "62 ans dans le service public" et "voudrait quitter ses fonctions dès maintenant", mais qu'il ne le peut pas à cause du "chaos dans lequel le pays sombrerait". Il a lui aussi souligné que son gouvernement n'est pas responsable des violences, qui l'inquiètent et qu'il impute aux Frères Musulmans  (source :  l'intervieweuse d'ABC, Christine Amanpour, in Guardian).

[22:00] Plusieurs milliers de protestataires sont encore rassemblés place Tahrir (Al Jazeera).

  Fils d'actualité de jeudi :
Le MondeAl Jazeera, live blog - Guardian, live updates  - Der Spiegel, Liveticker

Place Tahrir, jeudi soir (image : al jazeera)

Vendredi 4 février 2011

[11:00](*) Des dizaines de milliers de protestataires sont déjà signalés place Tahrir en ce "Jour du Départ". À l'instant Tariq Ramadan et Slavoj Zizek se sont exprimés sur Al Jazeera. Le premier a défendu l'expression démocratique des citoyens contre la soi-disant alternative dictature vs. islamisme, l'autre a dit que la lutte contre la tyrannie était universelle, qu'il n'y a pas de "choc des civilisations" sur ce plan-là et que le discours multiculturaliste du "je respecte votre civilisation" n'a pas lieu d'être dans ce combat pour la liberté.

Selon le New York Times, l'administration US serait en discussion avec des responsables égyptiens pour une démission immédiate du président Moubarak et la formation d'un gouvernement de transition conduit par le nouveau vice-président Omar Suleiman. - Bien sûr, la Maison Blanche.n'a pas confirmé l'information.

Le Spiegel rapporte quelques événements de la matinée : La présence policière aurait été renforcée en vue de cette nouvelle journée de mobilisation massive. - Les Frères Musulmans se prépareraient a une participation active à la journée de protestation avec des camions munis de haut-parleurs et des militants dans les mosquées pour convaincre les gens de participer aux manifestations. - Des unités spéciales de la sécurité protègent les accès à la place Tahrir sans cependant empêcher les manifestants de passer.

[12:15] Al Jazeera diffuse une déclaration d'Omar Suleiman : "Nous allons demander aux manifestants de rentrer chez eux, mais nous n'allons pas les y contraindre." À l'image, la place Tahrir est noire de monde... Par ailleurs, les gens sont inquiets, comme le dit une correspondante au téléphone : Les violences des jours précédents et de vendredi dernier ne sont pas faits pour les rassurer. Il y a également le problème économique généré par les événements : beaucoup de gens vivent en-dessous du "seuil de pauvreté", les salaires ne sont plus versées...

[12:30] Début des prières du vendredi.

[14:00] Les gens continuent de se diriger par milliers vers la place Tharir, au centre du Caire, où Amr Moussa, le chef de la Ligue Arabe, a rejoint la manifestation. L'opposant Mohamed El Baradei serait également en route. - La correspondante d'Al Jazeera en ville signale que les supporters de Moubarak ne se sont pas montrés au centre (3.000 manifestent dans le quartier de Mohandiseen à Gizeh, en grande banlieue du Caire) et que l'armée a pris des mesures pour sécuriser la manifestation (checkpoints, fouilles). - Un autre correspondant affirme que les combats de rue de la veille ont à nouveau fait place à l'atmosphère pacifique et "festive" qui avait caractérisé les manifestations massives de mardi dernier.

[14:15] Selon le Guardian, des centaines de milliers de manifestants anti-Moubarak sont maintenant rassemblés place Tahrir.

Dans son point sur la situation économique du pays, le Spiegel cite un rapport du Crédit Agricole, paru vendredi, qui chiffre les pertes de l'Égypte à environ 230 millions d'euros [310 millions  de dollars] par jour et qui réévalue le pronostic de croissance à 3,7 % pour l'année en cours (contre 5,3% précédemment). Des dizaines de milliers de touristes sont partis précipitamment, et beaucoup n'effectuent pas la visite qu'ils ont prévue. Dans certains quartiers du Caire, les prix alimentaires ont fortement augmenté.

 [15:00] Al Jazeera signale que 100.000 protestataires sont rassemblés à Damanhour (à environ 150 km au Nord-Ouest du Caire) pour réclamer le départ de Moubarak.

[15:15] Un grand nombre de manifestants anti-Moubarak sont également signalés en Alexandrie, qui compte plus de quatre millions d'habitants. Voici une photo prise aujourd'hui par un correspondant d'Al Jazeera sur place :


[15:20] Quelque 200 loyalistes pro-Mubarak sont signalés sur le pont du 6 Octobre non loin de la place Tharir (Al Jazeera).

[15:30] Al Jazeera rapporte que son bureau cairote, qui avait été fermé par les autorités égyptiennes, vient d'être dévasté et incendié par des "bandes de casseurs". Selon la déclaration de la chaîne d'information, "c'est la dernière tentative en date du régime égyptien ou de ses supporters d'empêcher Al Jazeera de couvrir les événements qui ont lieu dans le pays." Cette action prolonge les sévices contre les journalistes locaux et étrangers rapportés la veille.

[15:45] Des échauffourées sont signalés place Talaat Harb au Caire : @evanchill (un producteur d'Al Jazeera) écrit que le chaos règne sur place, mais que les barricades ne sont pas attaquées, les combats se déroulent dans la rue. Selon la BBC et Al Arabiya, 2000 supporters de Moubarak se trouveraient sur place.

[16:15] Sur Al Jazeera, une correspondante signale que les unités de l'armée sont visités par des gradés en limousine pour se tenir au courant de la situation [et peut-être donner les dernières consignes aux soldats]. - Une centaine de supporters de Moubarak sont refoulés par les militaires d'un pont menant place Tahrir [c'était peut-être ça, la consigne ?].

[16:20] Le Spiegel rapporte que  le ministre égyptien de la Santé va se rendre place Tahrir pour assurer une médiation (source : TV d'État). Plus tôt dans la journée, son collègue de la Défense s'y était déjà rendu pour parler aux manifestants.

Ce vendredi, les chefs d'État européens et le Secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-Moon, ont sévèrement condamné les violences d'hier et les attaques contre les médias.

[16:50] Sans plus de précision, Al Jazeera annonce que l'armée intervient pour séparer des manifestants qui s'affrontent, tandis que les hélicoptères militaires patrouillent dans le ciel du Caire.

[17:00] Au début du couvre-feu, les manifestations massives au centre du Caire ne semblent pas près de se dissoudre.

Le chef de l'État italien, Silvio Berlusconi déclare que Hosni Moubarak est un "homme sage" et souhaite la "continuité" du gouvernement égyptien. Ces propos contrastent avec la déclaration, commune, de l'UE au sommet de Bruxelles qui se tient actuellement : "Le Conseil européen suit avec la plus grande préoccupation la détérioration de la situation en Égypte" [cette déclaration est bien décalée et bien tardive !] "Toutes les parties doivent faire preuve de retenue, éviter de nouvelles violences et entamer une transition ordonnée vers un gouvernement élargi. Le Conseil européen a souligné que ce processus de transition devait commencer maintenant". (in Le Monde)

[17:10] Le Guardian écrit : "En dépit de la pression internationale, il semble que Hosni Moubarak est déterminé à maintenir son plan de rester au pouvoir jusqu'aux élections de septembre. Hola Gorani de CNN a interviewé le ministre égyptien des Finances, Ahmed Abdul Gheit, qui lui a dit que "des forces extérieures ne peuvent pas dicter la transition du pouvoir" et que Moubarak resterait en fonctions pour l'instant. Abdul Gheit a répété l'affirmation de Moubarak selon laquelle il allait "mourir sur le sol égyptien" – ce qui a été interprété comme une allusion au président tunisien Zine el Abidine Ben Ali, qui a fui le pays après avoir été renversé."

Titre d'Al Jazeera : "Des millions de personnes  participent aux manifestations de protestation à travers l'Égypte."-

[17:35] Image des prières du soir, place Tahrir. Réverbères allumés. La nuit tombe progressivement sur l'Égypte.

[18:00] Le journal égyptien Al Masry Al Youm (listé dans la colonne de droite), qui recommence à publier à un rythme normal, rapporte que les forces de sécurité ont fait irruption dans les bureaux qui gèrent le site Internet des Frères Musulmans et arrêté 12 journalistes travaillant sur place.

[18:45] Les informations pertinentes se font plus rares. On épilogue sur la position de l'UE et des USA (le président Obama doit intervenir à 21:00, heure française). Et l'on assiste au flux incessant des commentaires qui se perdent en conjectures... Al Jazeera rediffuse la déclaration de Mohamed El Baradei, qui demande au président de "s'en aller dans la dignité" et aux autres de ne lui faire subir "aucune "humiliation". - Avec son plan fixe, la chaîne qatarie continue de se focaliser sur la place Tahrir. Un titre annonce que "des centaines de milliers de protestataires´" peuplent toujours les rues du Caire. 

[19:00] Le journaliste et blogueur égyptien tweete qu'il a été arrêté par l'armée (@waelabbas). - Al Jazeera parle d'une journée pacifique, même si quelques "escarmouches" ont eu lieu.

Un petit rappel et une réflexion

La première guerre du Golfe début 1991 a contribué à l'émergence de la chaîne d'information américaine CNN, qui avait diffusé en continu des comptes-rendus et commentaires sur les opérations militaires au Koweït et en Irak. Puis, en avril 2003, CNN avait transformé l'invasion américaine de l'Irak en gigantesque "reality show" avec des équipes de tournage embarqués ("embedded") sur les convois militaires qui filmaient "en direct" la progression de l'armée "anglo-américaine". La chaîne d'information Al Jazeera, basée à Doha (Qatar), avait "fait ses armes" durant cette même période. La propagande américaine l'avait alors implicitement cataloguée comme un organe "ennemi" avec, pour résultat, son exclusion des réseaux câblés aux États-Unis, qui sera sans doute révoquée prochainement. Les événements égyptiens ont montré un tout autre visage de la chaîne qatarie : elle est devenue la principale source d'information des médias occidentaux (et bien sûr de ce blog). On remarque l'absence de publicité (si l'on excepte l'office du tourisme et la compagnie aérienne du pays) et le sigle "Creative Commons" !

On peut cependant signaler une ambiguïté : D'un côté, la "couverture" en continu du soulèvement égyptien par Al Jazeera a été d'une grande utilité aux protestataires, leur permettant de s'organiser et d'être entendus dans le monde entier. De l'autre, cette révolution populaire se voit à nouveau transformée en "spectacle de télé-réalité" : on ne peut certes pas en tenir rigueur à la chaîne qatarie, car c'est l'évolution du médium télévision lui-même, fortement concurrencé par l'Internet rapide, qui semble convertir toute "réalité" en spectacle. Or, ce qui caractérise la plupart de ces shows, c'est qu'il ne se passe pas grand-chose : on attend l'issue de l'événement, et les commentaires, divers et variés, viennent remplir ce vide. Les images elles-mêmes n'apportent que peu d'informations : quelques photos suffiraient. Bien sûr, il y a eu l'épisode, hautement "spectaculaire", des Tours jumelles de Manhattan en 2001. Les caméras avaient raté le premier avion, mais le plan fixe sur les Twin Towers qui, aussitôt, a été diffusé en "live", a pu capter l'impact du second. Une "mise en scène" savamment orchestrée par les terroristes. Enfin, et ce n'était pas vraiment prévu non plus, les gratte-ciels se sont effondrés à tour de rôle. Un peu cyniquement, on peut dire que spectacle était "sensationnel" ! - Al Jazeera, dont le bureau cairote est fermé et dont les correspondants ont été privés de matériel, se contente depuis quelques jours de retransmettre un plan fixe de la place Tahrir. Il ne s'y passe pas grand-chose. Parfois il y a moins de monde, parfois beaucoup plus. La plupart du temps la scène est paisible, quelquefois on se bagarre. Mais cette image, si je peux me permettre cette comparaison, fait office de mire améliorée. On sait bien que les choses se passent ailleurs. Là où aucune caméra ne pénètre jamais. Dans le réel de la réalité : celui que l'on ne peut ni voir ni montrer jamais !


[21:30] Le Guardian résume la conférence de presse de Robert Gibbs,  qui vient de se terminer à Washington : "Il dit que les gens qui protestent en Égypte "ne vont nulle part" sans Moubarak et que son gouvernment effectue "des pas concrets vers des élections équitables et libres". Il a rejeté des tentatives de lui en faire dire un peu plus sur la nature de ces "pas concrets" [l'expression "concrete steps" revient souvent chez lui]". Et le journal britannique cite ces propos de l'attaché de presse du gouvernement US : "Le monde entier regarde l'action de tous ceux d'Égypte, et ils en disent long sur le sérieux avec lequel le gouvernement recherche une transition en règle. - Le gouvernement d'Égypte doit entreprendre, à travers la négociation avec le spectre large de ceux qui ne sont pas actuellement au gouvernement, une négociation directe qui nous mène vers des élections équitables et libres. Il est certain que, faute de ces pas concrets... nous allons tout simplement voir d'autres... émeutes." (je souligne : entreprendre une négociation à travers la négociation ! dans le texte : The government of Egypt must undertake through negotiation with a broad base of those not currently in the government, direct negotiation that guides us towards a fair and free election. Pas de doute : dixit !).

[22.20] Selon le correspondant d'Al Jazeera, Alexandrie a connu ses plus grandes manifestations depuis le début du soulèvement (25 janvier 2011), des centaines de milliers de protestataires. Et c'est le rassemblement le plus pacifique, ajoute-t-il.

Le président Obama vient de prendre la parole à l'issue d'un sommet USA-Canada. Il répète en ses propres termes les déclarations de Robert Gibbs : "Il doit y avoir un processus de transition qui commence maintenant. Il faut qu'il respecte les droits universels des Égyptiens". Et M. Obama vante une nouvelle fois la "grande et ancienne civilisation" d'Égypte dont le peuple doit construire le "futur qu'il mérite". Mais il commence par dire son refus catégorique de tout règlement violent du conflit. Et il a cette formule heureuse : Cette crise  en Égypte "ne se résoudra ni par la répression ni par la suppression" [de l'opposition] ! - Voici encore un extrait publié par le Guardian : "Les attaques sur les reporters sont inacceptables, les attaques sur les activistes des droits de l'Homme sont inacceptables, les attaques sur les protestataires pacifiques sont inacceptables."

Lors de la séance de questions, Barack Obama répond sur l'Égypte en évoquant son entretien téléphonique avec Hosni Moubarak qui est un homme "fier" et "patriote". Et d'ajouter cette réflexion bien diplomatique, où il dit en substance que l'homme est au pouvoir depuis très longtemps et que le fait de ne pas se représenter  aux élections, qui auront lieu dans peu temps, constitue déjà une avancée importante. Le Guardian rapporte la conclusion de la réflexion :  "Je lui ai suggéré qu'il doit écouter ceux qui sont autour de lui dans son gouvernement, qu'il doit écouter le peuple égyptien et prendre sa décision pour un avenir dans les règles [formes], qui ait du sens et qui soit sérieux." (je souligne : le peuple demande sa démission !)

J'ajoute ceci à ma petite réflexion sur le "spectacle de la réalité" : Je ne m'exclus pas ! Moi aussi, je fais partie à mon (très) modeste niveau de cette machine de "transformation médiatique". Je suis sûr qu'un certain nombre de "médiatiques" réfléchissent également sur leur propre instrumentalisation par la "machinerie informative", forcés qu'ils sont de privilégier le "sensationnel", le "spectaculaire" aux dépens de cette partie de la réalité qui restera dans l'ombre aussi longtemps que les projecteurs restent braqués sur la scène.

[00:00] Minuit en Égypte. Vu l'heure (17:00 à New York, 14:00 à Los Angeles), ce sont surtout les médiatiques américains qui s'activent en commentant l'intervention du président Obama (à 15:00, heure de Washington). - Dans la ville d'Alexandrie, les manifestants continuent d'entonner des chants et des slogans. Le correspondant d'Al Jazeera ne rapporte aucune violence. Sur la place Tahrir, il y a également beaucoup de gens. Quelques heurts sont signalés avec des pro-gouvernementaux qui tentent de s'infiltrer. Mais on chante aussi :


Légende : Amid chante pour le départ immédiat de Moubarak, les manifestants - entraînés par un guitariste hors champ - reprennent en chœur la chanson en ce "Jour du Départ". - Et un commentateur traduit les paroles :  Faisons [en sorte] que Moubarak entende nos voix. Nous tous,  une seule main [voix], ne demandons qu'une chose : pars pars pars... À bas, à bas, Hosny Moubarak, à bas, à bas, Hosny Moubarak... Le peuple veut défaire le régime... Il doit partir, nous resterons... Il doit partir, nous ne partons pas... Nous tous, une seule main [voix], ne demandons qu'une chose : pars pars ... (vidéo reprise par Al Jazeera avec cet avertissement : AJ ne peut vérifier l'authenticité d'aucune vidéo sur YouTube. - Moi non plus !).

~ Step down, Mister Moubarak ! - Fin de l'épisode ~

  Fils d'actualité de ce vendredi :

(*) Heure du Caire [+1]
(**) Démissionnez, M. Moubarak !

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