mercredi 20 avril 2016

Le cas Böhmermann

Rassurez-vous, Böhmermann se repose. Il ne fera plus de télé ni de radio dans les quatre semaines à venir. Et plus si affinités. Böhmermann, c'est cet humoriste allemand qui a composé un poème satirique appelé "Schmähkritik" (litt.: critique outrageante) à propos du président Erdoğan (prononcez Erdowan, comme Obi-Wan) qu'il a présenté lui-même dans son émission Neo Magazin Royale sur la ZDF (2e chaîne publique) en précisant bien qu'il entendait simplement montrer ce qu'on ne doit pas faire. Or le chef d'État turc l'a pris au premier degré. Mais c'est vrai que Böhmermann a chargé la mule. Et ce n'était pas le premier coup des satiristes allemands. Peu avant, l'émission Extra 3 (3e chaîne publique) avait détourné une chanson de Nena pour tailler un costume à Recep Tayyip, qui avait réagi en convoquant illico schnell l'ambassadeur allemand à Ankara. Mais écoutez plutôt (sous-titres anglais disponibles dans les paramètres en bas à droite) :



Du coup, Böhmermann a voulu faire plus fort. Et il a réussi au delà de ses espérances : avec son sketch, il a provoqué une affaire d'État et fait l'objet d'une plainte pour insulte déposée par Erdoğan himself et déclarée recevable par les autorités allemandes. Mais ne vous inquiétez pas : Böhmermann vit à présent sous protection policière suite aux menaces habituelles des nervis de service. Et il se repose.


En Allemagne, cette affaire d'État Böhmermann - comme on l'appelle déjà -  a fait - et fait toujours - un boucan monstre, dont quelques timides - très timides - échos se sont quand même fait entendre en France. Pas facile de trouver une copie du sketch, car au lendemain de la première diffusion - le 1er avril ! -  il a été censuré et l'émission a disparu de la médiathèque ZDF, qui précisait un peu plus tard qu'elle "ne correspondait pas aux exigences de la chaîne en matière de satire". Si on peut tout de même dégoter cet "objet du délit" malgré la procédure judiciaire en cours, il ne faut pas rêver : les sous-titres français, ce sera pour une autre fois. Mais regardez quand même un bout de la v.o., que Böhmermann a eu l'heureuse idée de faire traduire en turc (début à 2:00) [traduction anglaise ici].




Pour lancer sa tirade incendiaire, résolument en dessous de la ceinture, Böhmermann le rappelle encore une fois : "Ce qui va se passer maintenant n'est pas permis." Et de tirer le portrait d'un Erdoğan zoophile, pornographe, pédéraste...


Sérieux : Il ne faut pas être très futé pour faire la relation entre cette nouvelle attaque contre la "liberté de la caricature", déjà violemment mise à mal par l'assassinat en masse du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo, et la façon insidieuse de résoudre la "crise des migrants" ou la "politique de bienvenue" initiée par Mme Merkel,  consistant à "rapatrier" en catimini les cortèges de réfugiés vers la Turquie. En sus des aides importantes concédées par l'Europe, M. Erdoğan - autoritaire, traditionaliste, religieux - veut tester les limites : montrer qu'il est le nouvel homme fort de la région et que la situation actuelle lui donne un formidable moyen de pression sur l'Europe, en particulier sur l'Allemagne où vivent près de 3 millions de citoyens d'origine turque, en grande majorité de nationalité allemande. - Ne leur a-t-il pas déjà demandé de ne pas s'assimiler parce que leur vraie patrie était la Turquie ?


Comme dans le cas de Charlie Hebdo, les "malpensants" de service disent que Böhmermann est allé trop loin, beaucoup trop loin. Certains comme le co-fondateur de l'AfD, Bernd Lucke, n'ont pas peur des mots : "feige Drecksau" [ici] est à peu près intraduisible en français, mais je vous assure qu'il ne s'agit pas d'une invitation pour le brunch. Quand aux "bienpensants" de service, ils soutiennent Böhmermann, même si certains se heurtent à la crudité des insultes, ce qui pour les végétariens peut surprendre. Et ils déclarent que le gouvernement, la chancelière se sont dégonflés en donnant suite à la plainte d'Erdoğan. Celle-ci s'appuie sur le § 103 du Code Pénal qui prévoit une peine de prison - jusqu'à trois ans ! - ou une amende pour "insulte à un chef d'État étranger". En conséquence, l'abrogation de ce paragraphe - prévue à l'horizon 2018 - reste plus que jamais d'actualité.


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