dimanche 24 mai 2015

La dialectique de Palmyre

Deux communiqués



Ce 24 mai 2015, l'agence Reuters annonce : 

BEYROUTH (Reuters) - Les djihadistes du groupe Etat islamique (EI) ont tué au moins 400 civils à Palmyre, pour la plupart des femmes et des enfants, ont rapporté dimanche les médias officiels syriens.

[...]

Des Syriens militant dans l'opposition ont déclaré sur les réseaux sociaux que des centaines de corps gisaient dans les rues de la ville après sa prise par les fondamentalistes sunnites mercredi. Ces corps seraient ceux de personnes soutenant le gouvernement syrien, ont-ils précisé.

"Les terroristes ont tué plus de 400 personnes (...) et mutilé leurs corps, sous le prétexte qu'elles coopéraient avec le gouvernement et n'obéissaient pas aux ordres", écrit l'agence de presse syrienne Sana.

L'agence ajoute que plusieurs dizaines de fonctionnaires, dont la directrice d'un service hospitalier et tous les membres de sa famille, ont été tués.

Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), au moins 300 soldats ont péri durant les journées de violents affrontements qui ont conduit à la chute de Palmyre. "Un nombre plus important de militaires ont disparu et l'on ignore où ils se trouvent", a déclaré à Reuters le directeur de l'OSDH, Rami Abdoulrahman.

Certaines personnes ont posté en ligne des vidéos montrant selon elles des djihadistes fouillant les bureaux des bâtiments administratifs de Palmyre à la recherche de soldats gouvernementaux, et décrochant ici et là les portraits du président Bachar al Assad et de son père Hafez.

 
Et le 20 mai dernier, on pouvait lire sur le site de l'UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l'Éducation, la Science et la Culture) :

 
La Directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova, a appelé à une cessation immédiate des hostilités à Palmyre (Syrie), suite aux informations émanant de plusieurs sources selon lesquelles des groupes extrémistes armés ont pénétré dans ce site du patrimoine mondial où les combats se poursuivent.

    « Je suis vivement préoccupée par la situation du site de Palmyre. Les combats menacent l’un des sites les plus significatifs du Moyen-Orient et la population civile qui s’y trouve », a déclaré la Directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova.

« Je réitère mon appel en faveur d’un arrêt immédiat des hostilités sur le site. J’appelle la communauté internationale à faire tout ce qui est en son pouvoir pour protéger la population civile concernée et sauvegarder le patrimoine culturel unique de Palmyre. Il est impératif que toutes les parties en présence respectent les obligations internationales pour protéger le patrimoine culturel pendant le conflit en évitant de le prendre pour cible directe ou de l’utiliser à des fins militaires », a poursuivi la Directrice générale.

Palmyre abrite les ruines monumentales d'une grande ville qui fut l'un des plus importants foyers culturels du monde antique. Au carrefour de plusieurs civilisations, l'art et l'architecture de Palmyre unirent aux Ier et IIe siècles les techniques gréco-romaines aux traditions locales et aux influences de la Perse. La splendeur des ruines de Palmyre qui se dressent dans le désert syrien au nord-est de Damas témoigne de la réalisation esthétique unique d'une oasis caravanière prospère, tour à tour indépendante et soumise à Rome du Ier au IIIe siècle. La grande colonnade constitue un exemple caractéristique d'un type de structure qui représente une évolution artistique majeure.


La dialectique de Palmyre


Prévenant de possibles rappels à l'ordre, Mme Bokova dit bien sûr qu'il faut "protéger la population civile concernée", mais le but principal de l'intervention d'une directrice générale de l’UNESCO est évidemment la sauvegarde du "patrimoine culturel unique de Palmyre". - Sans doute cela peut-il être considéré comme un procès d'intention - et puis, comme disent les Américains : "elle ne fait que son job" - mais les différents cris au secours et au scandale en provenance d'Occident concernant ces "trésors d'architecture" menacés de destruction, qu'il faut à tout prix protéger, révèlent une fois encore cette ambivalence fondamentale qui caractérise notre engeance : d'une part les grands sentiments, de l'autre la poursuite impitoyable de nos intérêts, ou plutôt ceux des éminents profiteurs en chef qui guident les pensées et les actes du petit peuple par l'intermédiaire des fabricants d'opinion.

Ici, ce qui émeut et permet donc éventuellement de "mobiliser" le canapéiste occidental moyen, ce n'est pas tant le massacre de populations civiles - qui constitue déjà l'un des chocs pavloviens administrés en permanence par nos journaux télévisés - mais la destruction possible d'un "patrimoine mondial de l'humanité" de premier plan. Les vieilles pierres d'abord. Alors que j'aurais eu tendance à penser que l'on restait fidèle au mot d'ordre : "les femmes et les enfants d'abord".

C'est vrai que le nom de Palmyre renvoie à un passé légendaire où l'histoire ancienne rencontre l'imaginaire dans un espace archéologique que l'on devine enveloppé d'une aura proche de celle qui, par moments, plane sur le Forum Romanum ou les marches de l'Acropole. - C'est vrai aussi - dans un autre registre - que toute conquête révolutionnaire, comme celle qui est en marche au Moyen Orient, cherche à faire table rase du passé. Si cette entreprise caractérise les assassins du soi-disant État Islamique, ce n'est certainement pas le cas de la religion musulmane, dévoyée, instrumentalisée par ces hommes en noir dans leur course frénétique au profit et au pouvoir.

D'aucuns pourraient être choqués par l'emploi du mot "révolutionnaire" dans ce contexte. Mais si le "Califat" détruit tout ce qui est antérieur à l'islam, cela constitue déjà la preuve du dévoiement idéologique de la religion musulmane, puisque celle-ci respecte les autres "religions du Livre", forcément antérieures. Et toute révolution - communiste, fasciste ou d'une autre nature - se caractérise par la destruction - aujourd'hui on dirait "déconstruction" - de l'époque antérieure, déchue. En recherchant une sorte de degré zéro de l'Histoire, la Révolution Française par exemple, outre le coupage de têtes nobles et le pillage des églises en signe de destruction du passé, instaura le "calendrier républicain" (1792-1806) pour marquer le début d'une ère nouvelle.

Peut-être Marx avait-il raison en disant que toute répétition de l'histoire prend la forme d'une parodie, d'une caricature. Et, par bien des aspects, le soi-disant Troisième Reich n'était qu'une farce, un simulacre. Mais l'observation de Marx sous-entend aussi que l'Histoire, en principe, ne se répète pas. Pour ce qui est des événements au Moyen Orient, il faudra choisir. Or, si ces assassins en noir s'en prennent à des caricatures, à des caricaturistes, cela devrait déjà orienter notre réflexion.

Revenons un bref instant à Palmyre et aux "trésors de l'humanité" : il suffirait peut-être simplement de les acheter. Mais cela donnerait encore plus de pouvoir, de poids à ce redoutable adversaire. Ici aussi, il faudra donc choisir. Quant à moi, en désespoir de cause, je prendrai les femmes et les enfants qui - comme une conséquence massive de cette course moyenâgeuse au pouvoir - traversent actuellement la Méditerranée à la recherche d'un reste d'humanité...




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Commentaires


  • Vous avez le chic pour donner prise à des polémiques qui n'ont pas lieu d'être. Il suffit de lire les propos de Mme Bokova : ils sont plutôt clairs et parlent aussi des populations civiles. D'ailleurs, opposer pour susciter une polémique stérile la sauvegarde des populations à celle des vestiges historiques est un non-sens :
    « Je suis vivement préoccupée par la situation du site de Palmyre. Les combats menacent l’un des sites les plus significatifs du Moyen-Orient et la population civile qui s’y trouve », a déclaré la Directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova.

    « Je réitère mon appel en faveur d’un arrêt immédiat des hostilités sur le site. J’appelle la communauté internationale à faire tout ce qui est en son pouvoir pour protéger la population civile concernée et sauvegarder le patrimoine culturel unique de Palmyre. Il est impératif que toutes les parties en présence respectent les obligations internationales pour protéger le patrimoine culturel pendant le conflit en évitant de le prendre pour cible directe ou de l’utiliser à des fins militaires », a poursuivi la Directrice générale."

    Quant à la destruction des ruines de Palmyre, il va de soi que les djihadistes considèrent celles-ci comme symbolisant la période d'idolâtrie antérieure à l'islam, la prolifération du polythéisme, ce que les Arabes nomment la "jahiliyya".

    Pour les musulmans, les Chrétiens, tout comme les juifs, les Sabéens et les Zoroastriens sont des infidèles ("kafir") qui doivent se soumettre à la vraie Loi et au statut de "Dhimmis" en terre d'islam.
    Ils seront protégés uniquement s'ils se soumettent et acquittent l'impôt.

    Certes, ils ne sont pas des Idolâtres ou des Païens au sens propres, juste des infidèles qui se sont écartés du message issu de la tradition abrahamanique primordiale, le véritable monothéisme.

    En effet, les musulmans s'estiment comme les véritables héritiers d'Abraham, par l'intermédiaire d'Ismaël et considèrent Abraham comme le premier des musulmans.

    Il est,en effet, inscrit en toutes lettres dans le Coran que :

    "Je (Mahomet) viens pour confirmer le Pentateuque que vous avez reçu avant moi" (III, 44).

    Avec le dogme trinitaire ("le trèfle"), les chrétiens sont accusés d'avoir renié les principes du monothéisme des origines.
  • Ce que j'ai ressenti en entendant les informations tous médias confondus sur la prise de Palmyre , c'est bien en priorité la perspective de destruction d'un lieu architectural historique et non pas le problème humain , d'ailleurs le nombre des morts varient selon les sites internet et pour ma part, je trouve ça lamentable
     

  • @Kulturam
    Ce que vous dites est inexact : prenez par exemple cet article du Monde :

    "Syrie : l’armée d’Assad bombarde Palmyre, tenue par l’Etat islamique

    Le Monde.fr | 25.05.2015 à 09h58 • Mis à jour le 25.05.2015 à 10h06


    Les combattants de l'EI se sont emparés mercredi de cette ville de 50 000 habitants.

    L’armée de l’air syrienne a procédé à quinze frappes aériennes aux premières heures de lundi visant Palmyre et ses environs, tenus par les djihadistes de l’Etat islamique (EI), a déclaré Rami Abdel Rahmane le fondateur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).

    Lire aussi : Les conséquences de la chute de Palmyre

    Des bâtiments contrôlés par l’EI, dont celui des services de renseignement militaires et l’hôpital, ont été pris pour cible.

    Les combattants djihadistes se sont emparés mercredi de cette ville de 50 000 habitants qui compte un des sites archéologiques antiques les mieux préservés. Ils ont exécuté au moins 217 personnes dans le secteur depuis le 16 mai, parmi lesquelles des mineurs, ajoute l’OSDH.

    Lire aussi : « La perte de Palmyre, une catastrophe à la fois culturelle et humanitaire »

    Ces 217 victimes s’ajoutent aux 300 soldats tués dans les journées de combats qui ont abouti à la chute de la ville, selon le bilan de l’OSDH. Les médias officiels syriens ont affirmé de leur côté, dimanche, que les combattants de l’EI avaient abattu au moins 400 personnes à Palmyre.

    Selon l’OSDH, l’EI a d’autre part emprisonné 600 soldats, miliciens favorables au régime et autres personnes accusées de loyauté envers le pouvoir syrien, à Palmyre et dans les environs.


    En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/05/25/syrie-l-armee-d-assad-bombarde-palmyre-tenue-par-l-etat-islamique_4639839_3218.html#H8OXGBfM52W5eRgO.99"

    Les variations sur le nombre des victimes proviennent du seul observateur présent sur place, semble-t-il, l'OSDH (observatoire syrien des droits de l'homme).
  • Le Point.fr : 25/05/2015 :
    "Des centaines d'exécutions

    Le groupe État islamique (EI) a exécuté au moins 217 personnes, dont des civils, depuis qu'il s'est emparé il y a neuf jours d'une partie de la province syrienne de Homs qui inclut Palmyre, a rapporté dimanche l'OSDH. Cette ONG a affirmé détenir des preuves de l'exécution de 67 civils, dont des enfants, et de 150 membres des forces syriennes par des djihadistes de l'EI dans plusieurs endroits de la province de Homs depuis le 16 mai.

    Cependant, le quotidien al-Watan, proche du pouvoir, citant des habitants, a affirmé que 450 civils, en majorité des femmes et des enfants, avaient été tués par l'EI dans le "massacre" à Palmyre. Selon le journal, ils ont tué samedi plus de 250 civils en majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées et dimanche ils en ont exécuté 200 autres en les égorgeant. Parmi les victimes figurent des fonctionnaires, des médecins et des infirmières, dont une directrice de l'hôpital de Palmyre."
  • Il est vrai qu'il y a eu une inflexion dans les media et qu'on s'est mis à parler de plus en plus des victimes civiles.
    Mais avant la prise de la ville et tout au début, on a parlé essentiellement du patrimoine archéologique et ce n'est pas un hasard si la presse écrite comme les blogs donnaient à titre d'iconographie des images superbes des ruines en question.
  • En effet, quelques jours avant la prise de la ville et du site par EI, la télé avait beaucoup focalisé sur la prise imminente et le risque de destruction du site historique. Je me suis même demandé si ce battage (rien n'est fortuit) n'était pas une préparation de l'opinion à une entente conjoncturelle avec le régime syrien pour la défense de ce site (les appels de la directrice de l'Unesco aux combattants pour préserver les ruines était du reste assez ridicules, demandait-on à Attila de préserver les pâturages?).
    On nous a bourré le mou il y a quelques mois sur la faiblesse d'EI et ses prétendus reculs sur le terrain, or au contraire ils continuent de conquérir des territoires. L'Arabie se focalise sur le Yemen et ferme les yeux en Irak et Syrie, où les jihadistes sont de son obédience. Il est temps de procéder à une révision des alliances régionales, et par ailleurs se rabibocher avec la Russie, pour faire front contre ce fléau qui contamine la région et même le reste du monde (endoctrineurs-recruteurs).
  • @Benoit
    Mais peut-être tout simplement n'avait-on pas encore les infos ?

    Pourquoi polémiquer inutilement, les polémiques se dégonflent très vite, comme le reste.
  • @ Clairvaux
    "Mais peut-être tout simplement n'avait-on pas encore les infos ?"

    Effectivement, il y a eu des antécédents en faits de destruction de sites archéologiques qui permettaient de craindre le pire pour Palmyre sans avoir à attendre «les infos».

    Ceci dit, bien avant ces destructions et dès que fut instauré l’EI, ce ne furent que massacres, réduction en esclavage, exécutions à la pelle de civils, en particulier ceux qui ne partageaient pas la même foi. Cela fut répété partout où ils avancèrent.
    Ces faits sont connus de tous depuis le tout début. Il m’est dès lors difficile de comprendre votre «Mais peut-être tout simplement n'avait-on pas encore les infos ?»


    "Pourquoi polémiquer inutilement, les polémiques se dégonflent très vite, comme le reste."

    Voici la première ligne de votre premier commentaire (qui se trouve être le tout premier sous la note de SK) : "Vous avez le chic pour donner prise à des polémiques qui n'ont pas lieu d'être"
    Alors pourquoi ce tout premier commentaire ?
  • Le jeudi 14 mai, les troupes de l’EI se trouvaient à 2 km de l’antique Palmyre, prêtes à le conquérir.

    Il va de soi que l’appel de l’UNESCO ne s’adressait nullement aux barbares djihadistes dont on connaît les antécédents, mais à la communauté internationale. Le site de Palmyre constitue un patrimoine de l’humanité qui nous concerne tous, tant que nous sommes, et tout autant que le sort des populations menacées.


    Pour la simple et unique raison qu’il s'agit d'un vestige de la civilisation gréco-romaine dont nous sommes les héritiers, vestige que nous avons le devoir moral de préserver. Il en serait de même si des barbares menaçaient de détruire Notre-Dame ou le Louvre.


    N’en déplaise aux aveugles qui ne veulent pas voir, aux esprits étroits et polémistes à la petite semaine, la sauvegarde du site va de pair avec celle des populations sans qu’il soit possible de les dissocier. Et c’est ce qu’a demandé dans un message très clair la directrice de l’Unesco.


    Paris a connu une semblable menace de destruction en 1944 avec les instructions remises par Hitler au général von Choltitz. Paris ne valait-il pas la peine d’être sauvé au même titre que ses habitants ?
  • L'appel de la directrice de l'UNESCO s'adressait explicitement aux "parties en conflit en Syrie", et EI est la principale force active sur le terrain -il n'y a aucune mission internationale sur place, et l'ONU n'a rien engagé dans ce sens-, cela sonne donc vraiment comme incantatoire.

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