lundi 18 mai 2015

Desilusão da Europa (Απογοήτευση της Ευρώπης)


Grexit ci et Brexit là, je ne me fais plus guère d'illusions sur l'Europe. Pourtant, naviguant entre l'Allemagne et la France, j'ai été bon gré mal gré un Européen avant l'heure, considérant que le nationalisme militant, qui a fait tant de morts des deux côtés du Rhin, est une aberration, de la poudre aux yeux pour chair à canon potentielle et en fin de compte une plateforme très lucrative pour le commerce des armes. J'étais donc contre l'Europe des Nations et pour une organisation fédérale où chaque État garderait la souveraineté sur un certain nombre de postes comme la Culture et l'Éducation, la Sécurité intérieure et la Justice. J'étais pour une Europe sociale avec un salaire minimum et des prestations sociales équitables, une assurance santé et un régime de retraite pour tous, les mêmes taxes et impôts à l'échelle continentale. Ma concession à la Grande Nation eût été de proposer le français comme première langue européenne.

Je suis donc revenu de mes illusions. Tout le monde parle un anglais approximatif - pidgin English - impropre à la compréhension profonde qui, pourtant, serait une priorité absolue entre citoyens européens. Et pendant ce temps, les profs de langue étrangère continuent d'enseigner des langues qui leur sont... étrangères ! - Mais il y a bien pire. Le traité de Lisbonne apparemment impossible à amender, le calcul froid des économistes et des financiers, le manque de démocratie effective, l'impuissance des dirigeants à mettre en œuvre une politique commune pour le bien des citoyens, des directives européennes et une nouvelle caste politico-bureaucratique proprement kafkaïennes : tout cela me décourage, comme le regain des tensions nationalistes, racistes, religieuses, qui nous réexpédient des siècles en arrière. Une histoire sans fin, sans solution.- Et la paix alors ? Qu'en est-il de cet ultime rempart, ce dernier argument pour croire encore à la nécessité d'une Europe unie après les massacres du siècle dernier qui ont coûté près de 100 millions de vies ?

Nul ne sait réellement où nous allons, même si tout le monde a un avis sur la question, et d'abord nos dirigeants ou ceux qui aspirent à le devenir. Or, nous - simples électeurs et commentateurs - naviguons vers un destin aussi incertain que ces boat people qui ont été embarqués sur de frêles esquifs pour rejoindre ces côtes inconnues qu'ils supposent baigner dans le luxe. Comparé à l'état de guerre permanente qui sévit chez eux et la famine qui guette les survivants, notre bonne vieille Europe reste en effet un véritable Pays de Cocagne. Ah ! si ces malheureux pouvaient savoir dans quoi ils s'embarquent pour fuir l'enfer. Car la pauvreté en pays riches abrutit les gens à tel point qu'ils deviennent une proie idéale pour les bonimenteurs et autres cuisiniers de soupe populaire. - Nous voici donc vraiment bêtes et méchants ?

Démocratie

"Le drapeau va au paysage immonde, et notre patois étouffe le tambour.
"Aux centres nous alimenterons la plus cynique prostitution. Nous massacrerons les révoltes logiques.
"Aux pays poivrés et détrempés! — au service des plus monstrueuses exploitations industrielles ou militaires.
"Au revoir ici, n'importe où. Conscrits du bon vouloir, nous aurons la philosophie féroce; ignorants pour la science, roués pour le confort; la crevaison pour le monde qui va. C'est la vraie marche. En avant, route!"

Arthur Rimbaud (1854-1891), Illuminations (*)
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(*) Après la Saison en Enfer (Bruxelles 1873, à compte d'auteur), ce nouveau recueil de poèmes en prose a été composé entre 1873 et 1875 selon Paul Verlaine, qui l'édite à Paris en 1886 (une édition plus complète paraîtra en 1895). - La pièce intitulée Démocratie clôt l'édition originale. La célèbre prophétie des Illuminations a été Voici le temps des assassins. - Le XX™ siècle européen aura très largement validé le pronostic et constitue à lui seul un argument de taille pour maintenir l'unité de l'Europe au XXI.

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