dimanche 20 septembre 2015

Le cas Onfray

Michel Onfray n'est pas certainement pas un "politique". Ni un "philosophe" au sens noble de ce terme qui, comme le reste, est victime d'une prodigieuse inflation, prouvant au besoin que l'Homme moderne est le contraire du légendaire alchimiste, capable de transformer les excréments en or.


Mais médiatique, il l'est assurément. Sous ce label de "penseur médiatique" - et donc forcément de "bon client" - il forme avec les agrégés B.-H. Lévy et A. Finkielkraut, rejoints par E. Zemmour, tout de même diplômé de Sciences Po, un quatuor d'enfer que le monde entier doit - ou devrait - nous envier.



La dernière polémique en date, dont on sait que nos médias raffolent comme le junkie de la seringue, tourne autour d'une interview accordée par M. Onfray au Figaro (1) où il dit par exemple (je souligne) : 


 
 Le Figaro : Une partie de l’opinion publique française est réticente à l’idée d’accueillir des réfugiés. Comment analysez-vous cette réaction ?

Michel Onfray : « Le peuple français est méprisé depuis que Mitterrand a converti le socialisme à l’Europe libérale en 1983. Ce peuple, notre peuple, mon peuple, est oublié au profit de micropeuples de substitution : les marges célébrées par la Pensée d’après 68 - les Palestiniens et les schizophrènes de Deleuze, les homosexuels et les hermaphrodites, les fous et les prisonniers de Foucault, les métis d’Hocquenghem et les étrangers de Schérer, les sans-papiers de Badiou. Il fallait, il faut et il faudra que ces marges cessent de l’être, bien sûr, c’est entendu, mais pas au détriment du centre devenu marge : le peuple old school auquel parlait le PCF (le peuple qui est le mien et que j’aime) et auquel il ne parle plus, rallié lui aussi aux dogmes dominants

Le Figaro : Est-ce «ce peuple» qui vote Marine Le Pen ?

Michel Onfray
: «C’est à ce peuple que parle Marine Le Pen. Je lui en veux moins à elle qu’à ceux qui la rendent possible. Ce peuple old school se voit marginalisé alors que les marges deviennent le souci français prioritaire, avec grandes messes cathodiques de fraternités avec les populations étrangères accueillies devant les caméras du 20 heures. Si ce peuple pense mal, c’est parce que nombreux sont ceux qui l’aident à mal penser. Qu’un paysan en faillite, un chômeur de longue durée, un jeune surdiplômé sans emploi, une mère seule au foyer, une caissière smicarde, un ancien avec une retraite de misère, un artisan au bord du dépôt de bilan disent : «Et qu’est-ce qu’on fait pour moi pendant ce temps-là ?» Je n’y vois rien d’obscène. Ni de xénophobe. Juste une souffrance. La République n’a pas à faire la sourde oreille à la souffrance des siens

Il est évident qu'en citant des noms comme G. Deleuze, G. Hocquenghem, R. Schérer et A. Badiou, qui ont tous enseigné - coïncidence ? - à l'université de Paris-8 (Vincennes/Saint-Denis), M. Onfray marche sur les plate-bandes de son "nouvel ami" E. Zemmour en fustigeant la "pensée de 68" et en dénonçant la gauche bien-pensante comme il le fera une semaine plus tard, à peine arrivé sur le plateau de la grand messe cathodique, célébrée tous les samedis soir par le maître de cérémonie et de l'info-divertissement Laurent Ruquier.

Ensuite, l'utilisation du mot peuple : dans le court extrait cité, le mot revient huit fois, et même un interprète peu chevronné constatera une répétition emphatique (Ce peuple, notre peuple, mon peuple) et son recrutement pour une confession exaltée d'appartenance (le peuple qui est le mien et que j’aime). Cette réaction émotionnelle en chaîne contraste avec la seule occurrence d'un quasi synonyme, bien moins connoté : les populations qui, elles, sont étrangères. - On note également un surprenant micropeuples suivi d'une liste censée lui donner du contenu : Palestiniens, schizophrènes, homosexuels, hermaphrodites, fous, prisonniers, métis, étrangers, sans-papiers. - Une analyse poussée de cette énumération - concernant la signification, l'emploi, l'ordre, la relation, la redondance, le contraste, la disproportion, l'opposition de ses éléments - serait certainement intéressante, mais une première lecture permet déjà de voir qu'il s'agit ici de populations exclues d'un peuple que M. Onfray entend distinguer en lui adjoignant l'étonnant anglicisme old school, en évitant donc l'équivalent français de "vieille école", qui lui paraissait peut-être trop vieux jeu. Ou un brin "réactionnaire" ? -  Dans ce cas, je suggère d'introduire lors d'une prochaine prestation cette formule qui, faute d'être "révolutionnaire", serait tout de même nettement plus tendance : le peuple vintage !

Dans son analyse de cette interview, le directeur de Libération, Laurent Joffrin, cherche à dégager le sens politique de l'extrait cité (2). La virulence de son intervention suggère qu'il a été profondément choqué par les propos de M. Onfray :


La phrase «le peuple français est méprisé» est un pur anathème. Sur quoi repose-t-il ? Sur le virage de 1983 ? En quoi le choix européen adopté à cette époque traduit-il un «mépris du peuple» ? Ses deux principaux protagonistes, Pierre Mauroy et Jacques Delors, sont d’origine populaire. Ils ont choisi cette politique parce qu’elle leur semblait la meilleure ou la moins mauvaise et non par mépris du peuple. On peut la contester, juger qu’elle était néfaste, dangereuse, antisociale, etc. Mais pourquoi psychologiser de la sorte cette décision qui serait fondée sur le «mépris de classe» ? Onfray stigmatise l’usage de l’émotion en matière d’immigration. Mais aussitôt, il recourt aux mêmes armes en expliquant que les artisans de la rigueur ne sont pas seulement dans l’erreur, mais qu’ils agissent par morgue ou par mépris, ce qui est faux, de toute évidence.

Mais c'est un second passage de l'entretien qui ne pouvait manquer d'attirer l'attention de l'éditorialiste politique : C’est à ce peuple que parle Marine Le Pen. Je lui en veux moins à elle qu’à ceux qui la rendent possible. - L. Joffrin écrit à ce propos (ibid.) :

[...] Ainsi Onfray en veut moins à Marine Le Pen qu’à ceux «qui la rendent possible». Qui désigne-t-il ? On devine qu’il s’agit de ceux qui la combattent verbalement, à commencer par la gauche, et qui sont accusés de mener une politique qui fait son jeu. Quelle politique ? Celle qui se livre à des «messes cathodiques» en faveur des immigrés, dixit Onfray, celle qui fait passer les étrangers avant les Français qui souffrent. Assénée de cette manière, l’affirmation ravit les lecteurs du Figaro et, au-delà, les électeurs du FN qui voient leurs idées légitimées par un philosophe médiatique venant de l’autre bord. Ainsi le gouvernement français ferait systématiquement passer les étrangers avant les Français dans la définition de ses priorités, argument repris jusqu’à plus soif par le FN avec efficacité. Mais cet argument est-il juste, vrai, vérifié ? Si l’on parle de prestations sociales, l’argument ne tient pas. La sécurité sociale gère des assurés ; la plupart sont Français et si les étrangers en bénéficient aussi, c’est pour la bonne raison qu’ils paient des cotisations, au même titre que les nationaux. Nul privilège dans ce système. Les deux seules prestations sociales spécifiques dont les étrangers bénéficient sont l’AME, qui permet de se faire soigner même si l’on est sans papiers, et le logement d’urgence prévu pour les immigrés. Mais les sommes engagées sont faibles en regard des masses financières de notre système social (même si elles portent sur plusieurs milliards). Michel Onfray veut-il supprimer ces deux types de prestation ? Si oui, qu’il le dise, au lieu de jeter un discrédit général sur la sécurité sociale, accusée de maltraiter les nationaux au profit des étrangers. On verra alors un philosophe venu de l’extrême gauche refuser qu’on soigne les sans-papiers. Onfray est-il sur cette position ? Ou bien se cantonne-t-il dans des généralités approximatives qui créent autour du FN un environnement favorable ?

M. Onfray ne pouvait laisser passer un tel "affront", même si ses déclarations n'y étaient pas pour rien. Il s'empresse donc de "réagir" dans les colonnes du Monde, antre réputé de la "bien-pensance" du centre gauche, où il se plaint sous le titre quelque peu étrange de « Marine, si tu m’entends... » (3) :

Il y a un procédé psychologique bien connu dans les cours de récréation dont la formule est : « C’est celui qui le dit qui y est ». Qu’on me reproche d’être l’allié objectif de Marine Le Pen est aberrant ! Qu’elle le dise n’est pas étonnant dans sa course à la respectabilité, dans son envie d’avoir des noms d’éventuels compagnons de route, dans son besoin stratégique et tactique d’un point de vue électoral de remplir le vide intellectuel de son parti...

Le lecteur intéressé pourra consulter la suite de cet exercice d'auto-défense sur le site du journal. Or, depuis le temps, notre intellectuel médiatique n'a peut-être toujours pas intégré que son statut - ce droit à la parole qui est refusé à l'immense majorité des gens - comporte un certain nombre de codes à respecter et de pièges à éviter. Que l'idéal serait une parole responsable, nuancée, quelque peu distanciée, qui ne cède ni aux affects ni à la vulgarité ambiante.

Or, après des livres excessivement polémiques où il attaque par exemple Freud et Sartre, sans rendre justice à l'importance déterminante de l'un pour l'histoire des idées et de l'autre pour le monde des lettres (avec, en particulier, ses pièces, ses premiers romans, ses essais sur Baudelaire, sur l'imaginaire), M. Onfray s'est quelque peu discrédité auprès de ses pairs, comme d'ailleurs avant lui B.-H. Lévy, par exemple lorsqu'il dut subir la sévère critique de l'historien Pierre Vidal Naquet à propos de son Testament de Dieu (Paris 1979) [ici]. - C'est dans ce sens que va l'analyse de Jacques Bouveresse [] qui déplore d'une part la formidable baisse de niveau au sein d'une intelligentsia française, naguère mondialement respectée, et de l'autre le prodigieux refuge que constituent les médias pour ces intellectuels voulant échapper à une confrontation défavorable avec l'Académie, qui pourrait à l'occasion montrer l'inconsistance des idées avancées, le manque de rigueur dans le choix des références et les erreurs scientifiques manifestes. - Rien ne sert ici de mettre en avant des origines modestes : fils de familles paysannes, Jacques Bouveresse et son collègue Pierre Bourdieu n'ont également pu réussir que grâce à l'école de la République mais, après avoir brillamment passé le concours somme toute scolaire de l'agrégation, ils ne se sont pas assis sur leurs lauriers et, conscients de leur vocation, ils ont suivi à l'intérieur même de l'Université un parcours pour le moins original et même, par certains côtés, résolument "anti-académique".

À côté de ce qui peut être interprété comme un rapprochement avec certaines options politiques de l'extrême-droite - et c'est là tout le problème car dans ce registre, tout est affaire d'interprétation, non de "vérité" - on note un refus plutôt suspect du jeu démocratique, même si - ou à plus forte raison parce que - celui-ci se compose également d'"apparences" et d'hypocrisies. Dans le Monde (loc. cit.), M. Onfray écrit encore :


Marine Le Pen n’est pas plus ma tasse de thé que Hollande ou Mélenchon, Sarkozy ou Bayrou. Qu’ils s’en aillent tous comme dirait l’autre. Je suis devenu et resterai abstentionniste. [...] Je ne crois plus qu’à la politique de la base, celle du peuple qui dit non...


Et de conclure son article par un refus de voter aux Présidentielles. C'est surtout ce message d'un homme public, qui s'adresse à un nombre important de citoyens et d'électeurs, qu'il conviendrait d'analyser. N'a-t-il donc pas conscience de la formidable caisse de résonance que forment les organes de presse et les émissions de télévision qui l'invitent à s'exprimer quand il le souhaite, qu'il s'agisse de développer ses motivations profondes, de panser sa blessure narcissique, de dire qui est de gauche (lui-même) et qui ne l'est pas (les bien-pensants), de faire la promotion du dernier de ses nombreux livres, ou bien de tout cela en même temps ?


Je m'abstiendrai ici de commenter - à la fois pour une question d'énergie, de temps et de place - le "passage à l'antenne" de M. Onfray "chez Ruquier", dont le point d'orgue médiatique fut l'altercation avec Yann Moix (4). Ce genre de pugilats verbaux ravit la galerie et rend toujours plus hasardeux l'emploi des mots qui, discrédités, finissent par ne plus rien dire du tout : "Les mots abstraits [...] se décomposaient dans ma bouche comme des champignons moisis", écrivait déjà - voici plus d'un siècle ! - Hugo von Hofmannsthal. Mais il semble bien que sa Lettre (5) soit toujours en souffrance.


Références / Liens


(1) Interview de M. Onfray dans > Le Figaro, 10/9/2015 (abonnement)
(2) Analyse de Laurent Joffrin dans le journal > Libération, 14/9/2015(3) Article de M. Onfray dans> Le Monde, 19/9/2015(4) Passage de M. Onfray dans l'émission > On n'est pas couché, France 2, 19/9/2015  (vidéo sur YouTube). - Je tiens à signaler la façon de s'exprimer du capitaine Philippe Martinez (à 40'), dont la brève intervention constitue une césure remarquable dans le flux continu des professionnels de la parole et le formalisme usant des questions et des réponses. - C'est dans ce sens que va l'une des rares incursions de Pierre Bourdieu (1930-2002) dans l'espace médiatique [Arrêt sur Images, janvier 1996], qu'il relate dans son Analyse d'un passage à l'antenne (avril 1996) [ici in extenso]. La même année, le sociologue revient sur ces problèmes d'une manière plus générale au cours d'entretiens dans son bureau du Collège de France, réalisés par Gilles L'Hôte et intitulés : Sur la télévision & Le champ journalistique et la télévision.
(5) L'écrivain autrichien Hugo von Hofmannsthal (1874-1929) est l'un des éminents représentants de la "Modernité Viennoise". Une lettre (ou Lettre de Lord Chandos à Francis Bacon) est d'abord parue les 18 et 19 octobre 1902 dans les colonnes du Berliner Zeitung > Original allemand > Traduction anglaise > Commentaire de Jacques Le Rider (1994) - Je traduis (littéralement) la phrase complète : "Je ressentis un malaise inexplicable à simplement prononcer les mots 'esprit', 'âme' ou 'corps', [car] les mots abstraits, que par nature la langue (Zunge) doit bien utiliser pour donner le jour à un quelconque jugement, se décomposaient dans ma bouche comme des champignons moisis."




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Commentaires des Blogueurs/gueses de l'OBS


  • par pitié, pas vous! ne me faites pas une charrette en triptyque Zemmour Finky et Onfray
    ne le méprisez pas,en doutant qu'il soit vraiment philosophe je comprends à peu prés ce qu'il dit, ce serait me confisquer
    je pense que Onfray est parti à la chasse aux totem divers et variés qui nous ont peut être pourri la vie, je dis peut être et il le fait sans tabou!
    il dit aussi "si on a 1000 euros pour un réfugié on doit les avoir pour un sdf" sans préciser et je vais le faire que ce cinéma sombre que nous vivons est aux ordres de l'international, du HCR et que cette transversale fait fi de notre incapacité à relever nos sdf , il aurait du le dire

    d'autre part lui faire un procés en extrême droite est d'un pur comique, de ma chaise je le vois surtout nostalgique d'une vraie gauche voir alter, peut être planque t il en alibi, pour le moment il en est là

    et laissez les deux autres sur le golgotha de notre bien pensance, ça l'amuse et chantez avec Beart: celui qui dit la vérité...vous en avez deux pour le prix d'un!
  • Désolé de vous décevoir, PARKER, mais si je n'écrivais que ce qui vous convient...

    Mais c'est toujours chouette de découvrir vos réactions à chaud...

    Bueno bueno
  • Un journaliste du Nouvel Obs tacle les « bobos »
    Dimanche 25 Septembre 2011 à 5:01
    Tefy Andriamanana - Marianne

    "Dans son dernier livre, le journaliste Hervé Algalarrondo dénonce le fait que la gauche ait abandonné la classe ouvrière au profit des immigrés. Une stratégie politique qui symbolise la « boboïsation » d'une gauche en rupture avec le peuple.
    Mais que fait Hervé Algalarrondo au Nouvel Obs ? C’est la question qui réside à la lecture de son dernier livre La gauche et la préférence immigrée (les bonnes feuilles sont dans le dernier numéro de Marianne), tant son contenu paraît éloigné de la ligne du magazine phare de la gauche bobo. Sa thèse : cette gauche a abandonné les ouvriers, qu’elle voit comme des réactionnaires séduits par le FN, au profit des immigrés devenus les nouveaux damnés de la Terre. Pourtant, malgré l’émergence du problème des banlieues et des discriminations, les classes populaires sont toujours aussi précaires, elles vivent reléguées dans les espaces ruraux ou péri-urbains, (comme le souligne le géographe Christophe Guilluy, cité dans le livre) sans émouvoir grand monde sur les terrasses du 3e arrondissement de Paris.

    Le livre d’Algalarrondo illustre à merveille une mutation politique. Au PS, à la représentation des ouvriers dans les instances de direction du parti, on préfère celle des « personnes issues de la diversité », SOS Racisme devient l'association de référence, le PCF et les syndicats déclinent, les mouvements étudiants, féministes, remplacent le mouvement ouvrier. La « préférence immigrée » n'est que la conséquence de la rupture de la gauche en général et du PS en particulier avec le peuple."

    [...]

    Lire la suite > http://www.marianne.net/Un-journaliste-du-Nouvel-Obs-tacle-les-bobos_a210597.html

    Hervé Algalarrondo, La gauche et la préférence immigrée, éditions Plon, collection Tribune Libre, 156 pages

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    Et n'oublions pas que Terra Nova a proposé récemment de "détricoter" le code du travail d'une manière assez "libérale" qui devrait contenter le Medef. DC
  • Ben alors, CLAIRVAUX, on fait du copier-coller sur ce fil ?

    Je me suis permis d'abréger un peu en mettant le lien sur l'article que vous conseillez (à coller dans la barre d'adresses du navigateur, puisque les liens ne sont plus actifs) : en vue d'un meilleur confort de lecture et pour aérer un brin la section commentaires...

    En lisant ce genre d'articles, pour intéressants qu'ils soient, je me demande toujours : à qui profite l'écrit ?

    Salutationes
  • Salut sk,

    vos propos sont étonnants mais pas surprenants.
    Etonnants parce qu'ils ne répondent pas, c'est mon avis, à une analyse objective (prenez ça pour un compliment pour le reste de votre œuvre), pas surprenants parce que on en revient finalement à une réaction convenue qui nous ramène à votre billet sur la bienpensance.

    Je ne sais pas si Onfray mérite le titre de philosophe. Je constate, hélas, que pour être considéré comme penseur il faut être hermétique. Un peu comme Bourdieu qu'on devait lire avec une plaquette d'aspirine à portée de main avant qu'il se lance dans un militantisme ouvert (ou du moins avait-il peut-être compris qu'en s’exprimant clairement il allait toucher un public plus large. La rupture c'est "la misère du monde"). Cela dit ses propos, je parle de Onfray, récents dans le figaro ou chez Ruquier (je me suis obligé à regarder l'intervention, ce qui est un bel effort de ma part) ne relèvent pas de la philosophie. Mais peut-être aussi qu'un philosophe peut s'exprimer sur l'actualité, et de façon triviale sur les choses qu'il voit.

    Or, à quelques détails près, je vois les choses de la même manière. Comme je me revendique de droite doit-on en déduire que Onfray est passé à droite, ou au contraire doit-on déduire que je suis passé du côté obscur parce qu'Onfray se revendique de gauche? Ce serait quand même dommage de résumer les positions d'un homme à ce type de débat. On pourrait peut-être aussi penser que droite et gauche dans leur traduction en partis politiques tels qu'ils existent n'a pas vraiment grande signification, que voter Hollande ou Sarkozy ne risque pas de nous faire basculer d'un monde à un autre. La dernière bascule c'était 81, Mais ce n'était finalement qu'une tentative puisque deux ans plus tard on revenait à une certaine "orthodoxie" libérale si je peux m'exprimer ainsi. De fait, pour résumer car ça pourrait être long, gauche et droite ont trahi leurs électorats, ne gardant que pour leurs discours mensongers les valeurs qu'on attribue à ces deux notions. Quant à l'alternative qu'on nommera souverainiste en opposition à ce qu'ont fait la gauche et la droite de gouvernement comme on dit, elle est dispersée et pour le moins mal représentée. Dans ces conditions l'abstention aux élections nationales, ou le vote blanc, me paraissent des choix raisonnables. Ce ne seront peut-être pas les miens, mais je dois avouer que je suis tenté.

    Mais pour en revenir au cœur du sujet, c'est quand même extraordinaire de voire que dans notre société, observer et dire ce qu'on a observé, sans fard, peut vous valoir tous les procès en sorcellerie, surtout si vous êtes de gauche. Lagrange, Guilluy, Onfray ont été ou sont désormais des cibles favorites d’une gauche qui préfère ne pas voir et se figer dans un monde qui n'existe pas, un monde rêvé par elle, quitte, et là Onfray a mille fois raisons, à changer d'électorat. Le peuple, donc celui qui est soumis comme le dit Onfray, aux décisions politiques, et le rajouterai, à l'absence de décisions, ou encore "la France d'en bas, comme disait un ancien premier ministre, c'est bien celui qui souffre de ce refus de voir et de traiter la réalité. Et bien évidemment après avoir voté, un coup à droite, un coup à gauche, et qu'on n'a rien vu bouger, et bien on va vers celui qui fait un constat, juste un constat, dans lequel on se reconnait. Et peu importe à ce moment-là les solutions proposées, elles peuvent être folles, irréalistes, dangereuses, ce n'est pas grave car on fera davantage confiance à celui qui dit les choses qu'à celui qui non seulement ne les dit pas mais vous fait en plus un procès en fascisme si vous persistez à voir ce que vous voyez.
    Dire ensuite que ceux qui expriment les choses comme ils les voient, comme elles existent, font "le jeu" du FN (je n'aime guère cette expression car on n'est loin d'un jeu, c'est en fait un drame qui se déroule sous nos yeux) est quand même assez gonflé, si je peux m'exprimer ainsi. Il n'y a pas 25 ou 30% de fachos en France, mais ce pays ne manque pas de gens qui désespèrent de l'avenir et des politiques qui leurs promettent un avenir radieux, notamment grâce à l'Europe, qui ne viendra jamais. Et ça désormais ils le savent.
  • Salut Vlad, voici donc quelques remarques succinctes à propos de votre intervention.

    Philosophie

    Bourdieu est – et se définit comme - sociologue. Beaucoup de ses lecteurs trouvent – sans doute à raison – que son style est quelque peu torturé. Mais je crois que le problème n'est pas là. Pour mes allusions à lui dans la note, il y a – avec la fameuse « origine modeste » - l'expression « passage à l'antenne », que j'aurais dû, que je vais référencer.

    Bouveresse est un auteur et un professeur de philosophie, qui traite de logique et de pensée moderne (Descartes, Wittgenstein) ou contemporaine (en particulier anglo-saxonne), sans oublier son auteur fétiche : Karl Kraus. Peut-être aurez-vous – ou avez.vous eu - l'occasion de visionner l'entretien que je présente sur ce blog. Mais on n'utilise plus guère le mot de philosophe aujourd'hui, auquel on préfère, faute de mieux, celui de « penseur ».

    Nietzsche était un philosophe. Peut-être Cioran l'était-il encore. Mais le problème n'est pas non plus de décerner ou d'ôter le titre de philosophe à Onfray : il se considère comme tel et c'est tant mieux pour lui. Le problème, c'est la parole : sa monopolisation, le temps et la « prise » de parole ; et plus avant l'attention portée aux mots, aux discours, aux intentions signifiantes Je suppose, j'espère, que vous avez lu la citation finale de Hofmannsthal car tout le problème est là.

    Peuple

    L'attention portée aux mots : dans l'espace germanophone, le mot « peuple » est, vous le savez bien, extrêmement connoté. Volk, donne völkisch et « Völkischer Beobachter ». Contrairement à l'espace anglophone et au mot « people » (Volk ayant donné folk et « folks »), que l'on peut sans hésiter mélanger à toutes les sauces, aigres et douces. -. Mais en France, son emploi doit rester prudent. Or, Onfray est tout sauf prudent. Il parle, il répond à tout, il n'a jamais changé de cap, et il estime probablement avoir toujours raison. Il est capable de répéter, sans s'interroger une seconde, le mot « peuple » huit fois en quelques lignes, en lui donnant de toute évidence un sens qui en Allemagne lui vaudrait quelques critiques virulentes qu'il aurait du mal à balayer de la manière dont il s'est débarrassé de toutes les questions gênantes « chez Ruquier ».

    Et puis cette foi inébranlable dans le pouvoir des mots. Cet homme là ne doute jamais. Le réel, la souffrance sont, pour lui comme pour ceux qu'il attaque, de simples « lieux » de discours. Et ce n'est pas pour rien que les classes de philosophie s'appelaient naguère les « classes de rhétorique ». Voilà ce que serait, si tant est qu'il y en ait un, le sens profond de ma note.

    Politique

    Pour finir : malgré tout ce que l'on peut trouver à en redire, la politique est l'art du compromis, de la négociation. Je vous renvoie à ma note sur la social-démocratie où j'ai un peu développé la question. Je pense que dans un régime démocratique, il est totalement irresponsable pour un homme public tel que M. Onfray de se déclarer abstentionniste, tant que ces voix ne sont pas comptabilisées. Lorsqu'une invitée le lui fait remarquer, il répond (en substance) : oui, mais je ne parle que pour moi. Réponse hypocrite pour quelqu'un qui a un fan-club comme le sien : car les politiques, s'ils ne savent pas comment donner une consigne de vote sans se mouiller, disent exactement la même chose, comme par exemple Bayrou en 2007.
  • @sk

    Si vous lisez bien l'article, il répond parfaitement à la problématique du "peuple" évoquée lors du match entre Onfray et Moix (on parle de match de catch et non pas de discussion entre intellectuesl policés, car il faut faire de l'audimat, donc agresser l'accusé conduit sur la sellette).

    Pour l'invité ou le mis en examen ou l'accusé, la présomption d'innocence n'est pas permise.

    Maintenant, que cela plaise ou non, dans ce monde farci de bien-pensance, je pense que des intellectuels comme Finkielkraut, Zemmour, Onfray, Polony, etc sont des héros.

    J'ai toujours préféré Aron à Sartre, et je persiste.
  • Aron et Sartre : pourquoi choisir si vous pouvez avoir les deux pour le prix d'un :)
  • Et parodiant Pascal, je dirai :"Le Moix est haïssable".
  • @sk,

    Je vais essayer de vous répondre sans être trop long et en reprenant vos rubriques

    Philosophie/sociologie
    Vous n'êtes pas sans savoir que les sociologues qui ont marqué notre époque viennent d'un autre horizon (philo pour Aron, Bourdieu et d'autres, droit pour Crozier, histoire pour Touraine). Et c'est d'ailleurs assez normal puisque que la sociologie est devenue une discipline universitaire à part entière assez tardivement. C'est d'ailleurs à mon avis regrettable qu'elle le soit devenue, je parle là d'expérience puisque j'ai suivi un cursus de qq années dans cette discipline en reprise d'études et que si je devais faire une typologie de l'étudiant de base en socio des années 90, je dirais qu'on peut distinguer le groupe assez majoritaire des enfants de bourgeois honteux et des enfants de pauvres qui veulent conceptualiser leur sentiment de révolte. Leur point commun : une culture générale particulièrement déficiente qui limite leur horizon de réflexion et les soumet à la théorie qui correspond le mieux à leurs attentes. 20 ans plus tard, je ne pense pas que les choses se soient améliorées. Et donc finalement être sociologue, philosophe, du moins s'en réclamer ou s'en voir attribuer ou refuser l'étiquette n'a pas grande importance, l'essentiel étant d'être capable de penser et si possible par soi-même.

    Et donc être capable de penser LE PEUPLE. Ça devient d'ailleurs de plus en plus compliqué de la faire, tant s'entremêlent les points de vue, géographique, administratif, axiologique, et j'en passe bien évidemment. Pour ma part, et puisque vous parlez de "Volk", je me référerais ce que j'imagine être l'essence de ce que scandaient les Allemands de l'Est quand ils manifestaient en 1989 : "Wir sind das Volk". Ça représente pour moi une double notion, celle de l'exigence de souveraineté (démocratie) et l'idée de soumission à cette démocratie, donc à la majorité. En ce sens la définition qu'en donne Onfray chez Ruquier me convient bien, car elle marque bien cette soumission de facto au pouvoir politique tandis que sa critique porte sur la légitimité de ce pouvoir, donc sur la réalité de notre démocratie. Evidemment si on considérait le peuple comme une population vivant dans un même espace, ou ayant des papiers identiques on n'atteindrait pas à la puissance de cette critique, puisque, comme vous le savez fort bien, une partie de la population échappe totalement à cette soumission au pouvoir parce qu'elle peut s'en affranchir, en étant elle-même un rouage, même si n'ayant rien à voir avec le suffrage universel, ou ayant les moyens de s'en affranchir. Nous vivons dans un système oligarchique, et peu importe la couleur politique de qui nous dirige puisque le système a été conçu pour éliminer les perturbateurs (je peux développer ça si vous le désirez), même si les limites semblent être atteintes avec le FN, mais qui tout de même servira de levier encore au moins une dizaine d'années pour propulser un des partis dits de gouvernement au pouvoir lors des élections nationales.

    La politique, pour moi, c'est la mise en concurrence de projets, et pas la gestion au jour le jour d'un système acquis à un projet définitif comme c'est le cas actuellement. Le projet libéral actuel n'a rien à envier au projet communiste dans l'interdiction faite aux alternatives. Les méthodes sont apparemment moins violentes, mais c'est tout. Après on habille ça de rose ou de bleu, mais le fond ne change pas. Ou on fait comme en Allemagne, on met un haut rose et un bas bleu, ou l'inverse. On fera ça aussi en France quand le FN sera en mesure d'emporter les élections nationales. Et donc il n'y a plus de politique.
    Et donc dans ce système, l'abstention peut être une réponse. La réponse d'un peuple qui comprend qu'il n'est pas représenté et qui donc refuse de participer au simulacre démocratique. Après tout il pourrait aussi se révolter, quoiqu'on fasse tout ce qu'il faut pour réduire sa capacité critique.
  • Il y a deux mots en grec ancien pour dire la sagesse : SOPHIA et PHRONESIS, la prudence.(ou, selon les traductions, la "sagacité", la "sagesse pratique"). - Je ne sais pas si la seconde acception s'est frayé un chemin jusqu'aux oreilles de M. Onfray. - Son utilisation du mot peuple, en tout cas, est extrêmement imprudente. Il s'agit, comme je le laissais entendre, d'un simple lieu rhétorique sans dimension historique, tout aussi vide de sens dans sa bouche que dans celle de ses contradicteurs, réels ou imaginaires.

    Il dit qu'il aime le "peuple qui dit non" ! - A-t-il dit non, lui ? Car, par sa pratique, son mode de vie, il profite pleinement du "système", de la démocratie qui lui permet de s'exprimer librement, de son éditeur qui lui verse des avances confortables, des plateaux TV et de la célébrité qui lui donnent un grand nombre d'avantages et d'opportunités etc. etc.

    Spinoza, Nietzsche, Cioran ont dit non. M. Onfray, l'hédoniste qui a les moyens de s'offrir ses plaisirs grâce à ceux qui l'écoutent et le lisent, ne cesse de dire oui, convaincu sans doute de dire non : au "système", au "libéralisme", 'à la politique "politicienne" etc.. Et, dans ce rôle théâtral, spectaculaire, du négateur de service, il est imprudent, je dirais même irresponsable. Aucune origine modeste ne peut cautionner une actualité de petit-bourgeois médiatique qui se "nourrit" de contestation.

    Je dois m'arrêter là (je n'aime pas trop être aussi direct et personnel, mais l'occasion fait le larron, comme on dit...)

    PS. - Je ne dis pas que le "peuple", ou le réel, la souffrance, l'exploitation n'existent pas, mais je ne reconnais ni à M. Onfray ni à personne d'autre le droit, le mandat, de parler en son nom, de s'ériger en porte-parole du "peuple", en dehors de la constitution démocratique d'une majorité politique. - C'est pourquoi, en République, il convient de parler, non de peuple, mais de citoyens libres et égaux en droit...
  • Je veux bien respecter votre façon de voir, celle exprimée dans votre PS, mais dans ce cas il faut l'appliquer à tout le monde, à tous ces gens qui ne s'exposent pas au suffrage universel mais qui nous expliquent en large et en travers ce qui est bien pour nous. Pourquoi Onfray ne pourrait-il pas faire ce que d'autres font, parce qu'ils se disent sociologues, philosophes, journalistes, experts, humanitaires, ou je ne sais quoi? Si c'est parce que ses opinions ne vous plaisent pas, ce n'est pas une raison suffisante.

    Vous parlez de majorité politique. Le problème c'est qu'il n'y en a pas ou plus. Regardez l'émiettement de la classe politique. Par exemple, je suis persuadé qu'en France il y a davantage actuellement de souverainistes que d'européistes (dans le sens où l'UE existe actuellement et dans un sens où il y aurait encore davantage d'intégration), mais ce n'est pas pour cela qu'ils sont politiquement majoritaires, d'où un réel problème démocratique. D'autant plus flagrant que quand le choix du peuple cette fois-ci exprimée clairement lors d'un référendum est balayé de la main par le pouvoir en place mais aussi par l'opposition.

    Vous parlez de citoyens libres et égaux en droit. Mais ça n'existe pas quand pour des raisons financières vous éviterez d'aller en justice car là vous risquez gros, ou parce que pour les mêmes raisons vous ne pourrez vous offrir qu'un avocat de seconde zone. Je pourrais vous raconter l'histoire d'un de mes amis qui a trainé pendant 20 ans devant les tribunaux en quête d'une indemnisation pour un handicap causé par un tiers. Face à l'assurance il n'a jamais pu faire le poids et a dû se résoudre, à force de tracasseries, à force d'humiliations, à un compromis qui lui a rapporté comme indemnisation bien moins ce qu'il pouvait raisonnablement escompter. ça c'est la réalité et pourtant il n'était pas à considérer comme faisant partie des plus démunis. Où est l'égalité quand un coup de téléphone permets à certains par exemple d'échapper à la carte scolaire, ou à faire avancer un dossier. Il y a ceux qui peuvent échapper aux contingences des décisions du pouvoir, de la loi, et il y a tous les autres qui ne disposent comme arme que d'un bulletin de vote dont ils se rendent compte qu'il ne change finalement rien à leur vie.

    Alors quand quelqu'un, parce qu'il est célèbre, parce qu'il a accès aux médias, expose ces dysfonctionnements, quand quelqu'un nous explique que ce que nous vivons n'est pas une fatalité mais le fruit d'un travail mené par les gens de pouvoir, par les médias pour nous enfermer dans un système, et qu'il est entendu je l'approuve. Même si par ailleurs je ne suis pas d'accord avec lui sur tout.
  • Ce que vous dites est sans doute juste, Vlad, mais est-ce que cela doit nous faire renoncer à la lutte pour une démocratie réelle et une Europe équitable ? - Si nous avons nos idéaux, certes différents, cela ne doit pas nous interdire d'échanger sur les moyens de s'en approcher. - À propos de l'Europe, j'ai une question à vous poser : Si la Russie était appelée à en faire partie, cela changerait-il votre position vis-à-vis de l'Union ?

    Mais je reviens brièvement à vos griefs : actuellement, nous vivons probablement une "démocratie des apparences", où l'opinion publique se trouve constamment manipulée, où les différences socio-économiques prennent à nouveau des proportions inquiétantes, etc. Or, pensez-vous sérieusement qu'un retour à la souveraineté des nations européennes (et de la France en particulier) empêcherait l'immense pouvoir économique du libéralisme avancé de continuer à y faire la loi ? À mon avis, et ça explique ma prudence ou ma "modération", seul un régime autoritaire dans le style des dictatures soviétique ou "national-socialiste" permettrait à la rigueur de contrer ce pouvoir désormais "mondialisé". Et, ne serait-ce que par égard aux dizaines de millions de morts, sur les champs de bataille et dans les geôles concentrationnaires, nous devrions nous opposer de toutes nos forces à ce genre de "solution".

    Pour la - pardon ! - "dialectique" du libéralisme, je me permets encore de renvoyer à ma note sur la social-démocratie, bien qu'elle ait besoin d'être approfondie et reste, de ce fait, plutôt insatisfaisante ...
  • Le problème, voyez-vous, c'est que je ne crois pas ou ai cessé de croire en un système définitif où régnerait l'harmonie entre les hommes. je ne crois pas d'ailleurs beaucoup en l'homme en général et les années passant ma misanthropie ne cesse de grandir.
    Idéalement je voudrais croire en ça : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune." C'est le 1er article de la 1ère déclaration des droits de l'homme. Pourquoi la seconde phrase a-t-elle disparue dans les suivantes? Par amour de l’égalitarisme ou pour faire oublier que ni le mérite, ni l'effort ne suffisent à remplacer l'héritage, le recours au vice...? Dans les deux cas on a vu et on voit ce que ça donne. Collectivisme, libéralisme, rien n'est satisfaisant. Mais existe-t-il un système satisfaisant? Et en plus un système global, universel? Cependant on continue à nous gaver avec de grandes idées, de la morale, un vernis de plus en plus fragile tant tout cela est démenti.
    Je me réfère souvent à la nation, parce que c'est, à mon avis, le cadre où les choses restent gérables, où une certaine démocratie peut avoir un sens. A cet égard la Suisse me semble un modèle satisfaisant, peut-être pas idéal mais satisfaisant, bien davantage que l'Europe et donc en conséquence les pays qui la constituent qui s'y sont en partie dissous.

    Vous parlez de la Russie et d'une hypothétique intégration à l'Europe. ce serait déjà impossible parce que les USA ne le permettraient pas. Les rapprochements souvent bi-latéraux, entre certains pays européens et la Russie, surtout s'il s'agit de l'Allemagne ou de la France sont vite contrecarrés. Et puis si un certain mode de vie occidental fondé sur la consommation a pu séduire les Russes, je les crois attachés à un système de valeurs, à un modèle qui est éloigné de l'occident. Et d'ailleurs, quand on voit ce qui se passe actuellement avec les migrants, on se rend compte que deux systèmes cohabitent au sein de cette Europe, marquant bien cette fracture qui existe entre une Europe occidentale qui subit depuis très longtemps l'influence américaine et une autre Europe qui même sous influence soviétique a su conserver l'attachement à un héritage purement européen et à d'autres valeurs. Dans un sens c'est rassurant que l'aspiration à davantage de libertés à à la consommation n'ait pas effacé ça davantage que le communisme. Mais sans doute ne serez-vous pas d'accord avec moi.

    J'aurais pu croire à une autre Europe, pas une Europe du libre-échange, pas une Europe des capitaux, pas une Europe libérale, et pas une Europe qui renonce à exister en tant que puissance politique indépendante. En fait j'aurais pu croire en une Europe allant bien plus loin que celle qui existe et qu'on nous promet. Mais ça aurait été l'Europe des cathédrales (je précise tout de suite que c'est une image et que je n'appartiens à aucune religion), une Europe ayant ses propres valeurs, ses traditions, ses références philosophiques, quelque chose qui puisse unir bien plus durablement, que une vague idée de prospérité toujours menacée de toute façon. Cette Europe sure d'elle-même, sure de ses valeurs, sur de sa cohésion fondée sur des principes fondamentaux partagés aurait pu accueillir sans histoire des migrants arrivant en masse, sans doute persuadée qu'elle pourrait les intégrer. Mais on est très loin de cette Europe idéale, on est très loin de l'Europe tout court.
    On a loupé le coche. Ou ce n'était pas possible peut-être.
  • Ce qui vous étonnera peut-être à votre tour, c'est que je n'ai pas grand chose à opposer à ce que vous dites là...

    Je n'ai pas non plus une grande foi ou confiance en l'Homme, comme cela devrait transparaître dans certaines de mes bafouilles. Je vais jusqu'à soupçonner un problème génétique, alors vous voyez un peu !

    Expliquée de la sorte, je comprends mieux votre préférence de la nation, même si je continue de penser que beaucoup d'exactions (pour rester poli) ont pu être commises sous les bannières nationales, notamment entre ces "enfants de Charlemagne" que sont les Français et les Allemands.

    Pour la Russie et l'Europe orientale, vous êtes mieux placé que moi pour en parler. Simplement ceci : si l'Europe proposait l'intégration à la Russie et que celle-ci accepte, je ne vois pas ce que les États-Unis pourraient faire, notamment si un référendum à l'échelle continentale avalise le projet. Mais bon...

    Le problème avec l'autre Europe, que je souhaiterais aussi, c'est qu'elle devrait dissoudre les nations au profit de régions ("États" au sens américain ou "Länder") et d'un pouvoir central avec un vrai gouvernement, démocratiquement élu (en évitant au possible un régime présidentiel). Or, les "nationalismes" (au sens négatif ou positif, peu importe) s'y opposent actuellement. Et pendant ce temps, l'économie libérale mondialisée en profite pour écrémer tant qu'elle peut !
  • Eh oui! S'il faut retenir une date funeste pour l'Europe c'est 843 et le traité de Verdun qui disloqua l'empire carolingien. Maudite loi franque sur l'héritage!

    Je reconnais que la nation constitue un risque pour la paix. Du reste sans doute moins désormais qu'on a pu en vérifier les effets dévastateurs. Mais quand même!

    S'agissant de la Russie, je me suis quelque peu exprimé sur le déroulement des choses chez Pyroman. Les occidentaux n'ont rien fait pour aider cette dernière à intégrer l'Europe au moment où cela était possible. Une attitude de vainqueur (de la guerre froide) a prévalu avec des intentions prédatrices via des oligarques comme Khodorkovski présenté en occident comme un presqu'héros tandis qu'il bâtissait sa fortune en ruinant son peuple. Cet exemple précis indique fort bien comment était envisagée "la coopération" avec la Russie par les occidentaux. Et on comprend pourquoi Poutine qui a mis fin à ce processus n'est pas en état de grâce et donc cette expansion conjointe de l'UE et de l'OTAN, ainsi que les incidents périodiques permettant de creuser toujours plus le fossé entre l'Europe et la Russie.

    Pour l'autre Europe, comme vous dites, il est, à mon avis, très dommage que sortant de l'orbite soviétique, elle se soit sentie obligée de passer à "l'autre camp" avant d'envisager une autre voie dont on sent aujourd'hui que ce n'était peut-être pas la meilleure compte tenu de sa culture. Curieusement, enfin sans doute pas, on retrouve assez unis face à la crise migratoire, les pays du groupe de Visegrad dont les origines remontent au 14ème siècle.
  • Plus instinctivement ou intuitivement que rationnellement, j'ai toujours pensé que la Russie devait faire partie de l'Europe et je n'ai jamais compris pourquoi la question n'était jamais mise à l'ordre du jour. Il y a d'abord une évidente proximité culturelle (vous feriez un meilleur name droping que moi), ensuite de prodigieux avantages économiques qui pèseraient évidemment bien plus lourd dans la balance qu'un malheureux Pouchkine. Enfin ce serait une formidable sécurisation de l'espace oriental (plus de problème ukrainien, sécurisation également du nucléaire civil). C'est ce que pense le dilettante en questions "géopolitiques" que je suis (ce qui me retient d'intervenir dans le débat chez Pyroman)...
  • Je suis évidemment complètement d'accord avec vos arguments. S'agissant du pourquoi, j'ai déjà donné la réponse. Qui ne peut en aucun cas tolérer l'idée d'une Europe allant de l'Atlantique à l'Oural (ne soyons pas mesquins et poussons jusqu'au Kamtchatka) et disposant de tous ces atouts que vous décrivez?
  • sk

    Je ne vois pas très bien ce que le mot "peuple" peut poser comme problème, sauf pour les "bobos" les nouveaux aristocrates médiatisés.

    C'est la révolution française qui a mis à l'honneur le mot de peuple, en le confondant avec la nation et le souverain., c'est-à-dire l'ensemble des citoyens revêtus des mêmes droits politiques et aptes à participer au gouvernement de la Cité.

    En ce sens, peuple, du point de vue juridique, s'oppose à classes sociales et à élites.

    Je comprends très b ien qu'il puisse rester en travers de la gorge de 'bobos" qui se croient autorisés à parler en son nom et dénient à ceux qui en font partie de s'en prévaloir.

    Onfray a parfaitement raison -je l'approuve et je l'encourage, face aux supporters des bobos dont certains se manifestent ici sans vergogne -il sait de quoi il parle, il est issu du peuple, dans son acception prolétarienne.

    On retrouve ici le mépris "bourgeois" de Sartre vis-à-vis de Camus, celui de Brochier pour un soi-disant "philosophes de classes terminales".

    Entre BHL et Onfray, je choisis Onfray.

    Et n'oublions pas que la justice est rendue "au nom du peuple français".


    PS. - Et qu'appelez-vous un philosophe "au sens noble du terme" : un type forcément agrégé comme Sartre, mais pas comme Camus, ce "philosophe pour classes terminales", dixit Brochier ?

    Socrate est-il, à votre aune, un philosophe digne de ce nom ?
  • Vous êtes énervé, CLAIRVAUX, alors vous prenez ce ton polémique et désagréable qui m'enjoindrait à ne pas vous répondre du tout. Et surtout : vous ne faites pas grand cas de ce qui s'est déjà dit.

    Que vient donc faire votre tarte à la crème ("bobo" x 3) ici ? Ce groupe de personnes, que l'on s'abstient de définir pour pouvoir le mélanger à toutes les sauces, ne fait-il pas partie du "peuple" ? Faut-il alors lire "classes populaires" ? Dés lors, à quelle catégorie de population appartient la famille Le Pen ?

    Je n'ai pas développé ma critique de l'emploi - j'insiste : l'emploi - du mot peuple par ceux qui bénéficient du droit à la parole via une exposition médiatique 24/7, croyant naïvement qu'elle allait de soi. Au risque de vous énerver davantage, je vous renvoie à l'émission Arrêt sur images (1996), référencée en note, qui traite de ce droit à l'expression dans le cercle fermé des médias.

    Votre remarque sur l'acception du mot peuple à l'époque de la RF est certainement pertinente, mais elle mériterait également un développement au lieu d'être diluée de la sorte.Or, il y a eu "Septembre" (et al.) : les cibles de ces massacres n'appartenaient-elles donc pas au peuple, pour être sans appel raccourcies d'une tête "au nom du peuple" ?

    Et puis il y a eu les dictatures du XXe Siècle : massacres sur massacres "au nom du peuple" !

    PS. - Quant au sens "noble" du titre de philosophe, qui soit dit en passant semble vous suggérer l'association - ici déplacée - avec l'aristocratie, je me permets de ne pas souscrire à sa vulgarisation, à son galvaudage. Mais que diable vient donc faire le concours scolaire de l'agrégation ici ?
  • 2 POSTS de CLAIRVAUX


    1. @sk

    Vous n'aimez guère la contradiction, et vos billets restent dans le cadre de la bien-pensance.

    A énervé, énervé et demi

    ________________________


    2. @sk

    je n'apprécie pas votre ton agressif et condescendant : je ne suis pas votre élève et vous n'êtes pas mon professeur.

    J'apprécie Onfray, Zemmour, Finkielkraut, etc, tous les contestataires de la bien-pensance que vous éreintez : cela vous déplaît souverainement, je le déplore.

    ____________________

    RÉPONSE de SK

    OK
  • J'arrive après la bataille, mais je n'aurai pas été de force à suivre à ce niveau...

    Disons que les choses sont pour moi plus nuancées que le tout Onfray -dans le figaro- ou le tout Joffin -dans sa riposte du monde-. Onfray a, me semble-t-il, raison de relever que l'objet des attentions de la "gauche des idées" (j'emploie ce terme pour la distinguer de la gauche d'action) s'est reporté des "classes laborieuses" vers les minorités. Onfray, en "communiquant" pousse le pion pour donner du poids à l'idée force du prolétariat de substitution extérieur au peuple "canal historique" (je propose cette désignation faute de mieux), et Joffrin pousse le pion en faisant passer Onfray pour xénophobe (disons que son hostilité des religions se reporte sur les communautés religio-centrées).

    Pour moi la question posée à la gauche (celle des idées comme celle de gouvernement) est la perception qui dépasse désormais la droite, d'un discours manipulatoire et déconnecté de la réalité que les gens vivent au quotidien. On l'a vu notamment lors des débats concernant les migrants.

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