lundi 12 janvier 2015

"Je suis Charlie"




Alors que les mouvements de solidarité face à l'indicible sont quasi mondiaux, les Français restent partagés : ils l'étaient avant et le seront sans doute après. Mme Le Pen n'est pas venue à Paris ce dimanche ? Mais qu'elle reste donc chez elle à bouder avec son staff, ses électeurs, eux, ont été cordialement invités comme l'ont été tous les citoyens et hôtes de ce beau pays.

Pyroman le dit bien mieux que je ne saurais le faire :

"À certains moments [,] citoyens, il faut arrêter de jouer petits bras et saisir l'occasion de marcher pour montrer ce qu'est un peuple réuni derrière ses valeurs incompressibles."


La formule "Je suis Charlie" n'est que le fruit du hasard, née comme ce genre de cris de désarroi et de guerre naissent : quelqu'un la dit, un autre la répète et ça finit par faire boule de neige. Le mot d'ordre n'a aucune importance en tant que tel : c'est son effet, le ralliement des gens autour d'une protestation et d'un deuil collectif qui compte. Le reste – c'est le cas de le dire – n'est que littérature.



Confronté à l’innommable, c'est vrai qu'on cherche ses mots : le qualificatif de "barbare" est dans toutes les bouches, alors que la "civilisation" désigne au contraire ce rempart flamboyant qui, en principe, nous préserve de l'abîme qui s'ouvre ici. Je ne voudrais pas insister lourdement, mais si l'on considère la civilisation européenne et ses brillantes productions culturelles ou technologiques des années 1900 et 1920, cela n'a pas empêché l'irruption d'une "barbarie" sans précédent et toujours inégalée à ce jour, parfois l’œuvre de gens tout à fait "raffinés", d'idéologues très "cultivés".
Je n'utiliserai donc pas ces vocables dans cette acception antinomique qui est aujourd'hui dans l'air du temps.

Un autre propos qui m'a donné à penser est celui d'un religieux très respectable dans l'une de ces émissions en direct, appelées à meubler l'attente et à pratiquer ce fameux remplissage sur fond d'images vides dont les médias ont le secret. L'homme expliquait que le mot "djihad" possède un sens tout à fait différent de celui qui lui est attribué par les terroristes.
Le problème est ici le rapport à la langue : il s'agit d'une entité quasi vivante, appelée à évoluer avec le monde qu'elle est censée signifier.


Dire que les mots ont un sens premier, "originaire", fixé de toute éternité, c'est ignorer la dimension communicationnelle, pragmatique, et plus généralement toute la sphère de la "réception" en sciences du langage.


Un écrivain de langue allemande qui se respecte ne peut plus utiliser au premier degré ou de façon "naïve" certains mots spoliés par les fascistes, qui en ont fait les concepts centraux de leur idéologie meurtrière. De même, je pense qu'un imam contemporain ne peut plus ignorer le sens actuel du mot "djihad" en se réfugiant dans l'illusion d'une parole transcendantale, prétendument divine.


Un dernier mot sur cette surprenante attitude de rejet face à un prodigieux consensus, tout éphémère qu'il soit : voilà qu'on s'accuse d'opportunisme, d'hypocrisie, d'instrumentalisation, et que sais-je encore !


Mais que veut-on donc obtenir en créant ou en perpétuant la polémique durant cette courte trêve, induite par le choc réel et la vraie tristesse d'un grand nombre de citoyens ? En sachant que l'objectif évident des terroristes est de radicaliser les gens et de déstabiliser nos sociétés !


Quoi qu'il en soit, cet élan de solidarité sera irrécupérable pour les uns et les autres, d'autant plus qu'ils chercheront à y cuire leur petite soupe.


Les plus intelligents le savent et garderont le silence. Et si les autres ne peuvent pas s'empêcher de faire du "bruit avec la bouche", le sentiment d'unité qui a animé, ce dimanche 11 janvier 2015, des millions de manifestants en France et ailleurs dans le monde, ce sentiment-là restera gravé dans les esprits et marquera notre temps, bien davantage que les lâches assassinats et les discours de haine qui, à la manière d'un effet indésirable, l'ont provoqué.

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