jeudi 15 janvier 2015

Metaphysica

Metaphysica humana est


À mes heures, je me rêve métaphysicien et me transporte du côté de l'Olympe ou – pourquoi pas ? – au forum romanum, dont nous arpentons aujourd'hui les ruines à la recherche d'une réponse. Je vais voir Platon pour qu'il me parle de Socrate, du marché aux poissons d'Athènes et de katharsis en dramaturge avisé qu'il fut. Dans mes rêves les plus fous, je pousse même jusqu'à Éphèse, chez l'énigmatique Héraclite, pour creuser à l'ombre du temple d’Artémis la question de la nature.

Scolie

L'annonce de la « fin de la métaphysique » fut une catastrophe pour la philosophie, puisqu'elle céda le terrain aux théologiens. Et nous connaissons leurs dissensions fondamentales qui, comme une traînée de poudre, embrasent l'Histoire jusqu'à l'époque présente.

Hypothèse

L'Homme a besoin de métaphysique comme il a besoin de rêver. Les deux – la recherche d'une sphère transcendantale et les activités oniriques – sont intimement liés, car ils touchent au besoin de symboliser ce qui, par nature, nous échappe d'autant plus que nous voudrions le saisir, le maîtriser, le posséder.

Argument

La métaphysique, qui peut aussi être définie comme le domaine du surnaturel, a été éliminée de la vision rationaliste de la nature, comme le rêve a été banni de notre perception de la réalité. - L’argument ne consiste pas à réhabiliter la métaphysique classique, dont le fonctionnement idéologique à l'image de celui des autorités théologiques est patent, mais à signaler une amputation aux effets extrêmement pervers puisqu'elle permet aux hommes d'accomplir le projet cartésien de se « rendre comme maîtres et possesseurs de la nature », dont la conséquence ultime risque d'être une apocalypse planétaire.





Commentaires



Mais justement, qu'est-ce que la métaphysique ? Et qu'est-ce que Dieu ? L'être humain est-il à la hauteur de la mort de la métaphysique comme de celle de Dieu ? L'impression d'avoir fait le tour du discours sur le réel, les "choses" dans l'espoir d'atteindre les choses "mêmes". Dans son livre sur Heidegger, Georges Steiner pose la question : l'importance donnée par Heidegger à un autre discours que le discours discursif ('qui devient vite totalitaire) notamment la peinture et surtout la poésie (il a fait bien des émules en France) révèle du même coup une grande absente : la musique. La musique a cette particularité d'être évidente d'elle-même. D'où la méfiance des philosophes ?

Écrit par : Benoit | 15/01/2015

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Vous savez, Benoît, avec ce que je raconte ici, je fais surtout état d'une erreur que je crois avoir commise pendant de longues années (et je suis loin d'être le seul) : penser, comme on l'enseigne un peu partout, qu'il suffit de décréter la "fin de la métaphysique" et de la "philosophie du sujet" pour que nous puissions naviguer vers de nouveaux horizons. - Or, on constate que le terrain a aussitôt été envahi par les bonimenteurs puisque, comme diraient les commerciaux, le "créneau" (le besoin) existe. Pour la "philosophie du sujet", j'ai commencé à revenir sur mes pas ici : https://skuze.wordpress.com/2014/09/04/le-theatre-cartesien/ Pour la métaphysique, c'est l'association avec la sphère onirique ou plus généralement l'imagination qui me préoccupe, mais je tâtonne encore... Heureux en tout cas de constater l'intérêt que vous portez à ces questions en connaisseur de la pensée ancienne.

Écrit par : sk | 15/01/2015

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"L'annonce de la « fin de la métaphysique » fut une catastrophe pour la philosophie, puisqu'elle céda le terrain aux théologiens." je pense que la plupart des civilisations ne faisaient pas trop la différence. De toutes façons, la philosophie ne peut pas "résoudre" de question métaphysique, puisqu'elles échappent à la démonstration. Elle peut en définir des concepts -qui peuvent servir par ailleurs à la science ou à la morale- ou des conditions, et formuler des questions ...et devrait s'arrêter au seuil d'y répondre. Donc, pour avoir le fin mot de l'histoire, soit il y a quelque chose (avec un grand Q comme dit la boutade) qui dépasse le monde sensible, et elle seule peut se faire connaitre (révélation) faute de quoi il n'y a que spéculation, soit il n'y a rien et alors il n'y a rien à connaitre (occupons-nous alors d'éthique, d'art, etc.).

Écrit par : nolats | 15/01/2015

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Ne m'en voulez pas, nolats, mais vous ne semblez pas avoir compris ce dont il s'agit pour moi. - Et il m'est difficile d'expliquer car on tomberait dans le discours technique (que je veux justement éviter) et ce serait trop long, trop ennuyeux... Tout de même, vous écrivez : "soit il y a quelque chose (...) qui dépasse le monde sensible, et elle seule peut se faire connaître (révélation) faute de quoi il n'y a que spéculation, soit il n'y a rien et alors il n'y a rien à connaître" - N'avez-vous jamais ressenti le besoin de remettre en question cette logique binaire en ce qui concerne les problèmes philosophiques ou - moins prétentieusement - existentiels ? - Et si vous limitez le monde (ou encore l'univers entier) au monde sensible, il est évident que tout le reste ne peut pas vous "apparaître", au sens plein et phénoménologique de ce mot, et c'est justement de cette amputation dont je parle. Mais je reviens à mon parallèle : jugez-vous que les rêves vous "apparaissent" ? font-ils partie du "monde sensible" ? peut-on parfois en parler comme de (petites) "révélations" ?

Écrit par : sk | 15/01/2015

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Je sais que je suis béotien en matière de philosophie, n'ayant suivi qu'une triviale formation scientifique (autodérision), mais il est dommage alors que vous n'éclairiez pas votre propos. Je peux préciser concernant ce que je désigne par "monde sensible", qu'il s'agit non seulement de la matière, mais des réactions et interactions qui en découlent, notamment physiologiques. Selon l'hypothèse mécaniste, tous les phénomènes de la pensée, y compris la création artistique, sont des épiphénomènes du fonctionnement physiologique cérébral -en interaction avec l'environnement-. Le rêve est dans cette hypothèse la résultante d'un fonctionnement un peu erratique de certaines "ressources" cérébrales. C'est un système matérialiste (au sens d'Holbach) absolument cohérent, et du reste c'est l'hypothèse de base de toute science, dure ou molle. De mon point de vue, le seul postulat métaphysique dans ce paradigme est que rien existe que la matière et sa dynamique (j'hésite à parler de 'phénomène' qui n'a pas le même sens en philosophie et en physique). Donc -et je vais ici être provocateur- je considère qu'on se paye de mots lorsque l'on parle , dans un tel système, de métaphysique voire de spiritualité. On peut parler d'éthique et d'esthétique. L'autre hypothèse est qu'il existe autre chose que la matière, inaccessible à l'expérience et non démontrable par la raison. Je pense en effet qu'il n'y a pas de voie médiane, quoique étant généralement enclin par tempérament à ne pas binariser les choses.

Écrit par : nolats | 15/01/2015

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C'est un peu la théorie de Jean-Pierre Changeux (L'Homme neuronal, 1983) et successeurs que vous défendez là. - Le problème est que nous mélangeons ici deux choses : ce qui est et notre façon de le percevoir. La position scientifique aussi n'est qu'un mode de perception ou, si vous préférez, une "vision" du monde. La prétention à l'objectivité (la fameuse "vérité scientifique") ne fait rien à l'affaire, n'importe quel religieux va prétendre à la vérité de sa religion (de sa perception du monde), et il semble que l'on dépasse le milliard d'adeptes dans certains cas : allez donc leur parler d'objectivité scientifique ! Lors de leur constitution, les sciences modernes ont dû affronter la métaphysique classique et bien sûr la théologie. Il me semble qu'un certain "armistice" s'était conclu autour de la philosophie de Kant (Critique de la Raison Pure, 1781/87), rompu depuis maintenant plus d'un siècle : depuis le moment où la philosophie renonça à la métaphysique, et je ne peux pas, pour vous expliquer cette césure dans l'histoire des idées, commenter ici les "Recherches Logiques" de Husserl (1900/1), aborder la "déconstruction" de la métaphysique chez Heidegger (Zemmour le fait bien mieux que moi), parler de Wittgenstein et de Freud... je vous l'ai dit : c'est vachement technique ! Mais ne croyez pas que les sciences dites dures soient exemptes de "métaphysique" : dans leurs ouvrages de "vulgarisation", les chercheurs proposent également une "vision du monde" aux lecteurs. Si, contrairement à vous peut-être, j'ai souvent du mal à suivre la partie technique, je décèle dans un grand nombre de cas une naïveté consternante dans la partie "sagesse". Et je me demande : pourquoi éprouvent-ils donc le besoin, à côté de l'exposition légitime de leurs recherches, de nous "expliquer le monde" à la lumière de ces mêmes recherches ? - La réponse est dans la question : le besoin existe... Les sciences ont retourné l'ordre transcendantal (l'idée avant l'expérience) pour mettre en œuvre "l'expérimentation totale" à laquelle nous assistons aujourd'hui. En passant, elles balayent plus de 5000 ans d'histoire culturelle et philosophique de l'humanité pour établir une sorte de "degré zéro" de la connaissance (tout ce qui est antérieur est "obsolète"). - Si vous passez dans une brocante, feuilletez donc un vieux manuel de sciences (fin19e/début 20e), vous allez en avoir de la "métaphysique" ! Je m'arrête là, sans parler de ce que j'appelle la "sphère onirique" (les rêves). Il reste donc du pain sur la planche...

Écrit par : sk | 16/01/2015

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Bonjour SK, Hier, j'ai précisément ressorti "Totalité et Infini" d'E. Lévinas, et relu le chapitre "Le métaphysique {autrement dit l'Infini} et l'humain". Je pensais mettre un extrait en ligne sur mon blog.

Écrit par : plumeplume | 15/01/2015

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Bonjour plumeplume, comme quoi on n'invente jamais rien ! - Je lirai l'extrait avec plaisir (je n'ai plus le livre)

Écrit par : sk | 15/01/2015

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Je ne sais si cela peut vous parler, mais dans un de mes écrits publiés, pour nommer notre nihilisme, j'avais trouvé ceci : "immanence sans lucarne".

Écrit par : plumeplume | 15/01/2015

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Et si on essayait tout simplement la "poétique", ou même carrément la poésie, on se retrouverait peut-être hors de l'atteinte de ces bonimenteurs, et rendus à la source de cette métaphysique.

Écrit par : Rodolphe | 15/01/2015

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La poésie est du domaine esthétique, mais quel lien avec la métaphysique? Peut-être par métaphore ("création" artistique) ou par apparence (inventer le non-réel), un peu comme dans le cas de la SF -certains auteurs se sont ensuite institué prophètes-. [il faut bien quelqu'un pour jouer le sceptique dans un "dialogue", si je me souviens de mon Platon, je pousse un peu le pion, pour voir]

Écrit par : nolats | 15/01/2015

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Et si la métaphysique, dont l'étymologie souffre de son asservissement au classement d'Aristote, n'était pas ce qui vient, dans l'ordre des activités de l'esprit " après " la physique, mais ce qui l'enrichit d'un "par delà", d'un "tout autre", que l'expérience ne peut refuser d'entrevoir dans certains moments du temps, dans certaines effusions/constrictions de durée, dans certaines marges donnant au cadre de la perception des axes de fuite laissant perplexe? Il n'est qu'à lire en effet les poètes. L'image, chez eux, la méta/phore, quelle que soit sa forme, depuis le "comme" ou le "tel", jusqu'à la substitution d'un domaine à un autre par la seule explosion sémantique, l'image, en poésie, n'est pas autre chose qu'une physique" métaexpérimentée", dont les propriétés, les lois, frôlent l'ineffable, objet même de toute métaphysique véritable qui, pour parodier Kant, renoncerait à se donner pour science. Le temps, notre maître à tous, donne aux lois de la physique leur transcendance cachée, quasi malicieuse, ironique toujours. Vieillir, revoir sans cesse les mêmes phénomènes mais de telle façon qu'ils contreviennent aux lois qui les voudrait fixes pour épouser la fatigue - ou l'ivresse?- de notre regard enrichi, tel est notre réel pouvoir d'appréhender ce que nos sens et notre raison, astreints à la seule rigueur semblent s'échiner à limiter. La métaphysique n'est pas tant la recherche d'un monde succédant à un autre, que celle du monde que notre vie de vivant peut seule entrevoir, grâce à l'organe obstacle de la LOI invitant à la transgression créatrice.

Écrit par : mirage | 16/01/2015

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Je ne résiste pas à la tentation de venir mettre mon grain des sel dans ces échanges intéressants, qui tirent probablement leur très lointaine source du premier instant où fut ouverte la boite de Pandore (*) du premier comptage qui impliqua qu'il devînt alors impossible de l'interrompre. Vers le futur, comme vers le passé, puisque le calendrier s'empressa d'émerger dans la foulée de cette irritante abstraction. Bien sûr, il y a un besoin d'obtenir du sens et surtout d'en mettre là où il semble y en avoir le moins. La démarche rencontre un succès planétaire, comme le football qui remplit les stades, certes depuis plus longtemps que ce dernier, enfin quelques milliers d'années. Sur plusieurs millions, ce n'est pas significatif. Sachant qu'on était pas là pour le saisir sur nos claviers pendant un bon moment d'éternité, et qu'il en sera de même, pour l'autre tranche qui suivra notre désintégration. A ce titre, je me félicite d'autant plus d'avoir croisé vos trajectoires, chers voisins. Les cellules, bactéries, virus amis et ennemis et autres composants qui font l'individu, furent dans un premier temps dans l'ignorance de la chance qu'ils avaient d'être ainsi associés pour faire un chasseur ou un cueilleur, puis ensuite un décorateur de cavernes, puis ensuite mathématicien, linguiste, artiste et enfin un dessinateur satirique. A tous ces partenaires associés qui font l'individu, leur vrai talent fut surtout d'être les inventeurs de sens et de non-sens et ils le prouvèrent, comme on prouve le mouvement, en marchant, mais pas davantage ! Chacun conviendra qu'au regard de notre concept d'infini ou d'éternité, tout ce temps où l'on ne fut pas conscient, passé et à venir, suscite le sentiment de n'avoir pas été invité apparemment à la fête de l'origine (si tant est qu'elle ait jamais existé, mais qu'on se rassure, nous serons tous invités à celle de notre propre fin), a laissé quelques appétences frustrées de n'avoir pu goûter au met délectable servi au buffet originel : le pourquoi ! On devait certainement être trop sots pour recevoir un carton, mais on a fait des efforts ensuite. Dans la succession des représentations du monde dont l'Homme fut progressivement chassé de leur centre, je ne suis tenté de retenir au final, que celle qui nous convie à vivre en bonne intelligence avec un "Pourquoi" sans réponse, pour un bon bout de temps encore. Ce qui n'exclut pas de rester les yeux grands ouverts sur le "Comment" qui continue de faire rêver des quantités de population, certes moindres que celles des supporters du football. Le "Comment" me semble davantage faire "sens" que la reprise en chœur de slogans, fussent-ils élaborés jusqu'à la prière, même si notre vision qui n'en finit pas de s'améliorer reste obstinément courte, confrontée aux échelles qu'elle s'est fabriquée. Il est paradoxal de constater que ce qui contribua à limiter la barbarie des premiers ages semble favoriser aujourd'hui et aussi depuis quelques temps, une remarquable régression. Je ne parle pas que des matchs de foot et de leurs splendides cathédrales érigées autour d'un rectangle vert constitué de rouleaux d'herbe grasse soigneusement déroulés et entretenus comme autant de tapis de prières. Pour le reste chacun adaptera à sa manière la lumière qui lui vient du ciel, s'il le peut là où il se trouve. (*) celle qui fait sortir les présents des profondeurs"

Écrit par : Pyroman | 16/01/2015

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olivier a écrit Voilà une discussion bien intéressante a laquelle je viens ajouter ma toute petite pierre....! il semble que vous oubliez un petit peu les affres métaphysiques des physiciens actuellement ( comme vous le dites :le" besoin existe"!) Inévitablement je me sens retomber sur un choix imposé de création du temps ou de l espace topologique , sur un big bang ou un no- big bang ..... etc Or , on ne peut expliquer l'Origine de quelque chose en invoquant autre chose. On n'exprime l'être que par l'être et pas par du devenir. Si on dit qu'à l'Origine il y avait déjà "ceci" ou quelque chose le produisant on n'explique pas l'Origine, sauf à invoquer que la chose ou la" pré-chose" a toujours été là, donc qu'il n'y a pas d'Origine. En fait, pour moi , la science peut elle aller chercher son" remede" metaphysique dans une statistique trés peu probable ou meme dans les propriétés d une physique de l ' imaginaire mais glaçante???? Je patauge à y trouver solution! C'est donc du domaine de l'indécidable au sens de Gödel ou du domaine indeterministe de Wendelin Werner ou de Dominique Mareau.....?? __________________________ sk a répondu C'est peut-être une question de "langage", Olivier : on ne peut pas expliquer en termes "physiques" l'origine ou le "sens" de la nature (physis) ou en termes "biologiques" l'origine ou le "sens" de la vie (bios) puisque les langages physique ou biologique sont conçus pour la description de phénomènes très particuliers, l'étude rigoureuse de leurs interactions etc. Ils ne sont pas valables en dehors de leurs champs d'application : nous en avons déjà parlé en relation avec ce fameux concept d'entropie qu'il est difficile de faire fonctionner en dehors de la thermodynamique pour expliquer p.ex. certains phénomènes sociologiques, voire biologiques (comme le fait Edgar Morin avec sa définition de l'Homme comme "néguentrope"). En fait, le sens de ma petite intervention est que ce domaine de l'origine ou du sens a toujours été celui de la philosophie théorique : décréter la "fin de la métaphysique", c'est d'une certaine manière décréter (ou peut-être constater) la "fin de la philosophie". Or, ce terrain abandonné par la "reine (déchue) des sciences" a aussitôt été envahi par les prêcheurs et surtout les idéologues de tous bords. __________________________________ j. michel a écrit Qu'il y est une Origine ou pas, quelle importance ? Nous retournerons de toute façon poussière, et rien d'autre, et croire que non, c'est d'une grande prétention, peut-être très animale, mais une grande prétention quand même. J'en aurais bien dit plus, mais ici tout est pris comme attaque personnelle, alors... _________________________ sk a répondu Il y a un "besoin" de sens, j.michel, vous le voyez bien dans l'affluence que connaissent à nouveau les religions. Admettez qu'il faut être très courageux pour penser sa vie en termes d'immanence totale (rien au-delà), comme vous semblez le faire. D'ailleurs ma définition personnelle de l'athéisme n'implique pas le renoncement aux questions essentielles ("philosophiques"). D'autres se facilitent la vie avec le concept de D***... Pour l'attaque personnelle : simplement respecter les interlocuteurs (ici). Lorsque vous le faites, vous êtes un vrai philosophe ! _________________________ j.michel a répondu « l'affluence que connaissent à nouveau les religions » me désole. J’y vois beaucoup de dangers. Je ne pense pas être courageux, mais simplement raisonnable. _____________________________ sk a écrit je tiens aussi à remercier mirage et Pyroman pour leurs éclairages intéressants de la question : polyphonie essentielle ! ________________________________

Écrit par : olivier / sk / j. michel | 16/01/2015

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Si l'on dit comme Nolats que « 'phénomène' n'a pas le même sens en philosophie et en physique », alors on tue la philosophie et son petit programme. Parce qu'elle est la seule à se soucier de l'unité des sciences, la seule a s'échiner à leur trouver un langage commun, même si la logique a prétendu lui ravir ce sacerdocce. Il est essentiel à la philo que les phénomènes qu'elle étudie soit extensibles aux objets des sciences. On dit "métaphysique", on pourrait aussi dire Sub-physique… Le problème est que lorsque l'on se met en tête de bâtir une physique, on a bien du mal à s'en débarrasser. Je suis d'accord avec Olivier là dessus. La binarité affirmée par Nolats serait donc une prétention très heideggerienne — comme s'il y avait une échappatoire… Et d'ailleurs, entre la science et l'esthétique, il y a bien autre chose. Cette chose à laquelle Heidegger a prétendu ne faire aucune place dans sa théorie, mais qui à fini par la bouffer toute entière, c'est la politique. Ha ha, la philo a donc encore bien des choses dans sa besace —autre chose que la volonté de puissance aveugle, le solipsisme ou l'amour exclusif de sa propre langue. Il est remarquable de constater que le grand maître ne s'est concentré sur la poésie qu'après sa mort politique et scientifique. On dirait parfois qu'il se cache derrière un arbre (avec tout le respect dû à l'importance de ce penseur, sa pensée soit étudiée). Du côté des religions, on a quand même Lévinas (merci Plume), en français, qui a su placer l'éthique comme précédant même toute révélation. Il devient essentiel avec lui que l'éthique précède les textes sacrés, même ceux du judaïsme. Son étude de la visagéité, et du regard avec l'autre, nous rappelle à notre humanité en deçà des alliances et des divisions auxquelles prêtent le flanc les textes révélés ( surtout si on les lit en biais, mais peut-être pas seulement (j.michel a des idées sur la question !). C'est dans le simple regard de l'autre, en effet, que Lévinas retrace l'évidence de l'injonction du "Tu ne tuera pas". Pour la science, Olivier nous rappelle que toute atomique, relativiste ou quantique qu'elle soit, la physique n'en a jamais fini avec la métaphysique : elle ne peut, au bout du bout, que s'adosser à des postulats (axiomes ou hypothèses) qui dépassent les données de l'expérience. Je crois que la théorie des cordes, qui brille tant aujourd'hui, repose quand même sur le postulat que le monde serait constitué d'un nombre fini de combinaisons. Un nombre Fini, le réel ? Le vertige est peut-être moins théâtral que le vide qui précède le big Bang, mais il est tout autant contre-intuitif, à tout le moins loin d'être "évident", visible ou touchable. Certains philosophes musulmans optaient pour une vision atomiste, même du temps et des mouvements, de peur de ne pouvoir affirmer la perpétuelle décision divine dans la densité fourbe du continu. Et au temps de Maïmonide, Juifs et Musulmans rejetaient catégoriquement la science physique grecque (née dans un monde polythéiste, faut-il le rappeler) à cause de son postulat de l'éternité du monde ( pourquoi étudier la chute d'un corps, ou quoi que ce soit, s'il le phénomène n'est pas reproductible ?). Ce postulat contrevenait bien sûr au dogme créationiste. On connaît les difficultés de la Chrétienté avec l'astronomie. Et pourtant, le problème de l'Un n'a pas fait que réprimer la science, il l'a aussi beaucoup stimulé, si si. La philosophie arabe en a souvent donné la preuve. Du côté du politique, on est en plein dedans. Faut-il s'affirmer dans une reproduction des meilleurs principes, les nôtres évidemment, ou écouter ? Vaste et assez heideggerienne question, surtout dans notre lutte historique, étrangement toujours de plus en plus exceptionnelle; et que l'on s'accorde sur le fait qu'il faut prendre "des Décisions". Ce qu'il y a de bien embêtant pour les chauvins ou les élitistes, c'est que la logique soit compréhensible par tout un chacun et par tout le monde. Platon a bien mis le doigt là-dessus, et les dialogues de Galilée après lui. Mais les mathématiques, tout en maintenant des raisonnements apodictiques, ne sont pas pour autant réductibles à la logique — c'est ce qu'a démontré Gödel dans la théorie des modèles, et Wittgenstein pour nous autres philosophes. Même les maths donc, par la variété de ses axiomatiques et de ses géométries et par sa création continue de raisonnements, retrouvent les vertiges de la métaphysique. Supprimer la métaphysique ? Refuser ce qui lie tout cela, le sujet, refuser que l'éthique n'intervienne en science et surtout en politique ? Ne serait-ce pas, plutôt que se séparer de l'Absolu honnie, lâcher la bête des enclos et des topos, où les religions, la philosophie et les sciences avaient tenté de l'apprivoiser ? L'absolu partout, ça veut dire essentielement dans l'acte, donc dans la politique. « Le bien transperce l'Être » déclarait Platon (la Rép.), et Lévinas, après guerre, de constater qu'il faut bien se résoudre, après douloureuse expérience, a lui donner raison. Et les faux septiques (car ils cachent d'autres allégeances tandis qu'il critiquent l'idéalisme des autres)* ne sont que des pisse-vinaigres, comme disait Jack Lang. (*) je vise là nos best-sellers, vous l'aurez compris.

Écrit par : Leterrier | 17/01/2015

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Je tiens, par manque de disponibilité, à écrire ceci : Oh ! Merci Leterrier pour ce magnifique commentaire. Que ça fait du bien !

Écrit par : plumeplume | 17/01/2015

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CHERS AMIS je ne suis pas sur d avoir été "assez" compris dans mon commentaire ..... cela implique que je ne me suis pas assez expliqué ! Mais il y a une raison à cela:2 de mes articles concernant l'évolution et l avenir des mathématiques avancées ou informatiques ont été retirées sans explication ou avertissement d internet ....La modération ne m ayant donné aucun motif , cela m a mis très en colère et j ai pris la décision suivante : - je vais prendre un blog de secours chez un autre hébergeur -il sera servi en premier ; toutefois l'OBS et SCIENCE ET VIE/PAPERBLOG continueront de recevoir les versions courtes de mes articles - car en effet la moitié de ma famille vivant AUX USA , chacun de mes articles présenté en français y sera traduit en anglais totalement ou recevra un abstract copieux ....... Je n ignore pas que compte tenu de mes activités et fonctions anciennes CEA /IRSN etc je suis tenu à une discrétion exemplaire et sais être surveillé par " de grandes oreilles" ; par conséquent je m autocensure continuellement et me désintéresse en permanence de tout débat ici , de caractère politique , religieux , sociétal etc . C EST POURQUOI CETTE CENSURE SUPPLÉMENTAIRE M ETANT DEVENUE INSUPPORTABLE , je vais proposer ma science ailleurs en priorité........ je vous tiendrai au courant du démarrage de ce nouveau blog franco -américain

Écrit par : olivier | 17/01/2015

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Il semble qu'il y a autre chose que la modération officielle, des intrusions malveillantes sont hautement probables, surtout si vos articles disparaissent sans notification -ils ne comportent évidemment pas d'insultes ou propos racistes, cibles des modérateurs-. Si vous mettez vos articles sur une autre plateforme, vous pourriez faire comme certains blogueurs qui placent simplement sur leur blog L'Obs quelques lignes et le lien vers l'article complet sur l'autre plateforme.

Écrit par : nolats | 17/01/2015

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Nolats pense à un complot hautement probable, moi je crois plutôt à une intervention divine.

Écrit par : j.michelon | 18/01/2015

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Pas besoin de complot, une poignée de hackers suffit. Je me souviens qu'il y a quelques années, un intervenant avait reconnu avoir bloqué la console de gestion du blog de Mirage.

Écrit par : nolats | 19/01/2015

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nolats a écrit La difficulté de tels débats, est que sous les termes comme "métaphysique", "phénomène", etc. chacun met une acception intime qu'il est difficile de transmettre, qui dépend de sa formation, son école de pensée, etc. Certains peuvent être sur la même longueur d'onde et se comprendre à demi-mot, et d'autres peuvent comprendre autre chose que ce qui a voulu être signifié. C'est je pense le problème du dialogue entre le "philosophe de formation" et le tout un chacun, car le background implicite d'une cascade d'auteurs et de courants ne se trouve pas sous le pied d'un cheval. Par exemple, je n'ai pas compris ce que recouvre la phrase de l'article "L'annonce de la «fin de la métaphysique» fut une catastrophe pour la philosophie" : qui, quand, où... a annoncé la fin de la métaphysique, dans quel sens de ce mot, et comment la philosophie pouvait elle poursuivre au lieu d'abandonner ce domaine? Bref, on n'est pas dans un cadre où la clarté de la pensée est portée par une claire et explicite énonciation. Si on voulais être rigoureux -mais ce serait épouvantablement fastidieux- on commencerait par se mettre d'accord sur une compréhension commune de chaque terme sans renvoyer à la connaissance préalable de cinq rayonnages de bibliothèque (pas les mêmes pour chacun). _________________________________ sk a répondu Non, ces termes - "métaphysique", "phénomène" - ont des définitions assez rigoureuses, et la difficulté que vous pointez - "" le dialogue entre le "philosophe de formation" et le tout un chacun "" - est la même pour un professionnel quelconque (ingénieur, mathématicien, artiste, artisan etc. etc.) vis-à-vis d'un profane. La métaphysique est à l'origine la PROTÈ PHILOSOPHIA, la Philosophie Première (i.e. des "causes premières") d'Aristote. Pour la philosophie moderne, Descartes - qui devrait vous convenir avec ses pensées "claires et distinctes" - a titré l'un de ses écrits majeurs "Méditations Métaphysiques" (1641). Le phénomène (PHAINOMENON) est ce qui (nous) apparaît, ce que nous pouvons donc décrire ("phénoménologie") et plus généralement connaître. Kant y oppose le noumène ("chose en soi") qui n'apparaît pas et ne peut "faire l'objet d'aucune connaissance". - Chez les Anciens, Platon identifie encore les phénomènes au "monde de l'apparence" auquel il oppose le monde (transcendant) des idées. La « fin de la métaphysique » est peut-être davantage un constat qu'un décret. Le précurseur de cette "annonce" ou de ce constat est sans conteste Nietzsche. Mais en effet, sans vouloir me dérober ici, l'exposé de cette césure importante dans l'histoire des idées (et des arts !) que je daterais autour de l'an 1900 et qui a donné lieu au concept un peu fumeux de post-modernité (Lyotard) serait trop longue et technique. D'ailleurs je ne sais pas si je suis assez qualifié pour donner un exposé satisfaisant. Veuillez en tout cas me croire sur parole que la rupture a bien eu lieu : c'est également et surtout la fin des systèmes philosophiques dont l'axe central (des anciens jusqu'aux idéalistes modernes) tourne en effet autour de cet "embarras philosophique" (Heidegger) qu'est la "métaphysique". Merci en tout cas de votre intérêt pour ces questions ! _________________________________ nolats a écrit Merci sk, mais je ne suis pas encore repus. En science, un phénomène désigne des manifestations "dynamiques" par opposition à un état de repos, alors qu'en philo c'est ce qui est perceptible d'un objet même statique par opposition à ce qu'il est intrinsèquement (j'utilise des mots courants). Quant à la définition de "métaphysique", renvoyer à l’œuvre d'un auteur est une esquive, et les dictionnaires ne sont pas clairs ni cohérents entre eux. Pour l'homme de la rue, c'est ce qui traite de l'au delà (je schématise à plaisir), pour d'autres ce sont les notions de bases indémontrables sur lesquelles repose un système global de pensée/connaissance, (etc), ce qui n'est strictement pas de même nature. De mon très humble point de vue, on devrait distinguer chaque sens avec une définition claire mais sans renvoi à un auteur dont il faudrait connaître l'intégrale. Je provoque: de même qu'on a une hépatite A et une hépatite B, de même il faudrait définir par un organisme de normalisation internationale de la terminologie philosophique [à créer, je n'ai pas déposé de brevet] une 'métaphysique au sens A' et une 'métaphysique au sens B', que chacun pourra consulter dans un glossaire (comme les normes ISO en technique). Mais la profession semble se satisfaire d'une certaine nébulisité. Pour vous rassurer, je n'ai pas non plus trouvé de définition satisfaisante de la "trinité" en matière religieuse, il faudra donc aussi une norme iso des concepts théologiques ;-) Je dois ajouter que certaines sciences pourraient *à la limite* rester un domaine d'expert sans besoin de communiquer au monde car ce qui importe en final ce sont les fruits, les sciences fondamentales servant aux sciences appliquées (par exemple dès lors que la lumière s'allume peu nous importent les équations) -la remarque ne s'applique toutefois pas à la cosmologie par exemple-, mais la philosophie n'ayant pas de "production tangible" elle ne vaut que par le message qu'elle délivre au monde. Or s'il est indéchiffrable, c'est inopérant. ______________________________ sk a répondu je comprends bien où vous voulez en venir, mais il se trouve que pour la plupart un concept philosophique ne fonctionne que par contraste ou en résonance avec d'autres, plus précisément dans ce qui s'appelle un "système de pensée". Vous pouvez par exemple assimiler la "Aufhebung" chez Hegel (à la fois annulation et conservation) au "refoulement" chez Freud (à la fois oubli et réminiscence intempestive) : mais ces concepts ne tiennent pas sans, pour Hegel, la dialectique qui fait lui dire que le concept (le signifiant) annule/conserve (auf/heben) la chose (le "signifié") et, pour Freud, son modèle ternaire de l'esprit (conscient / pré- (ou sub-) conscient / inconscient). Pour l'un, il est question du rapport entre le concept et la chose conçue (ou l'idée et le phénomène), pour l'autre il s'agit d'un "mécanisme" psychique qui lui fait dire : "ce qui est refoulé revient" (souvent sous une forme "déplacée"). C'est pourquoi nous donnons des références comme un scientifique ordinaire, dont les articles sont truffés de noms propres et de dates, correspondant à des publications importantes que l'auteur suppose connues comme il suppose connu le langage mathématique dont il abuse parfois comme d'un codage alors qu'il pourrait s'en passer dans le but de rendre plus intelligible son texte pour le profane. Or il ne le fait pas. C'est donc au lecteur de faire l'effort. Une remarque encore : la philosophie, contrairement à ce que l'on pourrait penser, n'est pas prosélyte, même si elle intéresse un très grand nombre de personnes pour autant qu'elles se posent des questions que l'on peut à la fois qualifier d' "essentielles" et d' "existentielles". On pourrait même dire, et je comprends que ça puisse choquer, que la philosophie est "élitiste" ou, comme le dit Nietzsche (je cite de mémoire) : "Moins il y a de philosophes, mieux la philosophie se porte !" PS. - Je ne comprends pas ce que vous dites sur le concept de "phénomène" (statique vs. dynamique) pour asseoir une différence entre son utilisation courante en sciences et en philosophie. Dans les deux cas, la phénoménologie consiste à décrire et à analyser ce qui "apparaît". _______________________________________

Écrit par : nolats / sk | 17/01/2015

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Bref, au vu des réactions, j'ai fait un gros pâté. J'ai fâché ou brouillé et le scientifique et le septique. Mille excuses. Si je me suis permis cette intervention un peu transverse, c'est que j'ai été réellement et agréablement surpris du succès et du nombre de commentaires que pouvait, encore, susciter un billet sur la métaphysique. Au fond, c'est peut-être du au fait que la philosophie est une discipline normative, un peu malgré elle ou malgré moi qui ai bien peu de titre en fait pour y prétendre. La fin de la métaphysique, qui est le but explicite de Heidegger dans Sein und Zeit, est un projet de révolution de la philosophie autant qu'un retour à ses Sources grecques. Projet qui a foiré mais qui marque le XXème sc. et dont la problématique reste très actuelle, malgré ses risques. Un de ses premiers critiques, et le plus intime dans sa différenciation avec Husserl et dans la perception aiguë de ses risques, reste pour moi Emmanuel Levinas, qui l'a introduit en France en tant que traducteur. De la même manière Léo Strauss a, très jeune, compris les dangers politiques des thèses de Carl Schmitt, un brillant polémiste encore plus engagé dans le nazisme que n'a pu l'être Martin. Il formèrent de conserve la "théorie" du décisionnisme en politique, qui est une manière pour l'exécutif de maximiser ce que peut lui donner de pouvoirs étendus un état d'exception, avec un ennemi bien désigné. Qui veut verra là le rapport brûlant à l'actualité toute chaude.

Écrit par : Leterrier | 17/01/2015

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sk, merci d'avoir intégré les réponses en séquence permettant de suivre le débat (on peut penser que les commentaires seront un jour débloqués par le portillon, et ça fera un peu fouillis). Concernant les phénomènes en sciences, je voulais dire que cela désigne des déroulements, actions, réactions (etc) et leurs effets, non pas la perception par la conscience d'un objet éventuellement statique. Je peux comprendre qu'un concept très complexe nécessite d'être placé dans tout un référentiel, mais enfin, le terme de "métaphysique" recouvre une notion première qui devrait être définie de manière non ambigüe, et s'il y a plusieurs sens, les indiquer par un qualificatif (par ironie je parlais de type A, type B). Enfin, il est compréhensible qu'il y ait une philosophie savante à la pointe de la recherche, mais elle doit "déboucher sur quelque chose" car si seuls les philosophes se comprennent entre eux -comme les haruspices-, ça tourne en vase clos, et telle est la perception du grand public. En parlant de public, il existe des philosophes de plateau télé (Ferry, Onfray, Comte Sponville...), mais l'impression qu'ils donnent est d'exprimer un certain bon sens ou une sagesse facile -qu'on l'approuve ou non-.

Écrit par : nolats | 18/01/2015

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Metaphysica humana (2)





Je donne ici une suite à ma note précédente en comparant brièvement et très schématiquement l'évolution de la philosophie et des arts.

Si la métaphysique classique est née dans la Grèce antique (Platon / Aristote), elle vit ensuite pendant un bon millénaire sous la tutelle ou l'autorité de la théologie, et plus précisément des trois monothéismes, ce qui se ressent p.ex. chez Augustin, Avicenne, Averroès, Maïmonide ou Thomas. Puis elle cherche à s'en affranchir par la remise en question ou en chantier de la tradition philosophique dans le cadre inédit de la « métaphysique moderne » (Descartes / Leibniz / Spinoza / Kant / Hegel). – Il est assez étonnant de constater que les générations suivantes (Marx / Nietzsche / Freud) commencent à rejeter cet héritage, tandis que la peinture abandonne progressivement la figuration, la musique l'harmonie et l'écriture la poétique de l'âge classique. On peut donc penser que la philosophie n'a fait que « vivre avec son temps » et qu'il y a d'autres événements historiques (politiques, sociaux, économiques) qui sont à l'origine de cette césure remarquable. Or, il semble que la figuration (« figure ») constitue l'essence de la représentation, comme le rythme régulier et l'harmonie forment l'essence de la musique, l'un invitant à la danse, l'autre au chant. Il faut remarquer ici – tout au moins en Occident – que l'abandon de l'harmonie classique par la musique dite « savante » a contribué à l'essor et à la « complexification » des musiques « populaires » (comme le jazz) : dès lors, ne peut-on pas inférer qu'il existe un besoin de rythme (danse) et d'harmonie (mélodie), inscrits à l'origine de toute pratique musicale ? Or, si tel était le cas, l'harmonie et le rythme seraient des conditions aprioriques de l'expérience musicale et, dans cette antériorité, elles devraient être appelées « transcendantales » dans le jargon de Kant (conditions a priori de l'expérience). - Pour ce qui est de l'abandon de la pratique figurative hautement élaborée des maîtres anciens, on a trouvé un responsable : la représentation photographique. Et, deux siècles plus tard, nous voilà submergés par une lame de fond iconographique résolument figurative qui devrait nous enseigner qu'il existe, dans la constitution même de notre esprit, un « besoin » de figuration dont les premières traces connues remontent à ce que nous appelons la « préhistoire », un besoin qui doit à mon sens être mis en relation de toute urgence avec la « fonction » encore largement inconnue des rêves.

Il est certainement possible d'identifier les causes de ces ruptures ou abandons successifs dans le cadre d'une étude d'histoire comparée (arts, sciences, technologie, idées, économie, société etc.) mais, malgré l'intérêt considérable d'une telle recherche, ces causes n'ont pas une si grande importance dans notre contexte, puisque la césure ne concerne en vérité que les pratiques « savantes » de la musique, de la peinture ou des lettres par exemple. Les genres populaires des arts ne sont pas concernés, ce qui prouve en tout cas, avec le succès planétaire qu'ils connaissent aujourd'hui, que le public – et plus généralement l'« Homme » – a besoin de figuration, de rythme, d'harmonie et de chansons, de dramaturgie, de récits et de légendes. Et je ne veux ni ne peux émettre ici de jugement catégorique sur l'art populaire, dont les limites avec l'art savant ne sont d'ailleurs pas toujours très bien définies, parce que les productions sont très inégales, certaines excellentes, voire géniales, beaucoup d'autres médiocres, relevant du kitsch ou de l'art mort. Ce que l'on peut simplement regretter, c'est que l'art savant a – en tout cas temporairement – abandonné la partie pour laisser la place à un certain nombre de dilettantes qui tiennent d'autant plus à leur label d'« artiste » qu'ils sont dépourvus de talent, de savoir-faire et d'inspiration.

J'ai évoqué cette évolution des arts car il me semble évident que la philosophie a connu un destin similaire : elle a abandonné sa partie la plus importante face au besoin humain de réfléchir aux questions tant essentielles qu'existentielles et, à la manière des sciences exactes, elle s'est décomposée en une multitude de disciplines plus ou moins autonomes (psychologie / sociologie / anthropologie / ethnologie etc. etc.). De même, deux de ses domaines privilégiés – l'esthétique et l'éthique – sont devenus pour ainsi dire orphelins (*), la logique a été abandonnée au sciences et la métaphysique a été reprise par les religieux, auxquels sont venus s'ajouter – retour du fin fond des âges – les voyants, astrologues, mages, gourous et charlatans pour prendre en charge l'épineuse question du « sens de la vie », pour assouvir le besoin de « sagesse » de l'Homme, cette créature angoissée qui, douée de conscience, ne supporte ni l'inconnu ni – surtout – l'inconnaissable (**).

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Notes

(*) Ces domaines sont certes abondamment traités, mais ne se rattachent plus à rien : c'est du moins mon impression.

(**) Ludwig Wittgenstein (1889-1951) : « Tout ce qu'il est possible de dire peut être dit clairement ; sur ce dont on ne peut parler il faut garder le silence » (Was sich überhaupt sagen lässt, lässt sich klar sagen; wovon man nicht sprechen kann, darüber muss man schweigen - Tractatus Logico-Philosophicus, 1921, préface).




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Commentaires de l'Obs



Très intéressante présentation de l'évolution parallèle de domaines qui ne semblent pas liés en apparence. Est-ce que l'on peut aussi dire que la coupure entre le domaine savant et le domaine public s'est accentuée, alors que paradoxalement le niveau d'éducation moyen du public s'est considérablement accru? Un "scientifique" qui tient un blog sur la présente plateforme, JJ Micalef, a exprimé une théorie comme quoi certains domaines arrivent en quelque sorte en butée, et qu'ils évoluent avec de moins en moins d'efficacité. Il peut même s'ensuivre une sorte de saturation voire de régression. Peut-être est-ce le cas de la Musique, dont certaines formes et certains génies ne semblent pas atteignables, ainsi on peut présumer que si l'on demande quels sont les plus grands compositeurs aux mélomanes de 2015, ils citeront probablement les mêmes noms que ceux qu'auraient cités leurs arrières grand-parents. Est-il possible que la philosophie ait également atteint une butée de telle sorte que l'on peut reboucler ou synthétiser, sans que de nouveaux concepts vraiment majeurs ne soient découverts, ni de nouveau système cohérent original ne soit élaboré -car franchement, les "nouveaux" philosophes ont ils introduit du neuf? Or il y a en ce moment autant de compositeurs musicaux vivants qu'il y en a eu en cumul depuis le début de la civilisation jusqu'au siècle dernier, et peut être aussi autant de philosophes. Vaste question, ou question de beauf dirait untel ;-)

Écrit par : nolats | 22/01/2015





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