lundi 11 février 2013

[Feuilleton] Fin de partie

C'est donc ce samedi, après avoir perdu son titre de Docteur, que la ministre fédérale de la Formation et de la Recherche, Annette Schavan, présente officiellement sa démission, qui a été acceptée par son amie Angela Merkel.

Le téléphone pleure

On s'y attendait bien sûr. Mais on a fait durer le suspense depuis ce jour fatidique de mardi où l'Université de Düsseldorf a privé la "ministre des Sciences" de son doctorat pour plagiat. Mme Schavan se trouvait alors en Afrique du Sud, et elle n'est rentrée à Berlin qu'hier soir. Pour mijoter son thriller, la presse a donc insisté sur la déclaration d'un porte-parole de la chancellerie affirmant que les deux femmes amies allaient avoir un entretien en tête à tête. - Quand ? - Nous ne le savons pas... Peut-être dès vendredi soir... Ou samedi matin... Ce week-end, certainement...

Or, nos marchands de communication nous le rappellent à chaque instant : le téléphone existe bel et bien !

L'entretien entre la chancelière et sa ministre a donc certainement eu lieu dès mardi soir par ce téléphone rouge que tout chef d'Etat garde sans cesse à portée de main, mais il était évident que la démission programmée ne serait officielle que samedi, au retour des deux amies à Berlin, en provenance de Bruxelles pour l'une et de Johannisburg pour l'autre...

Le coeur très lourd

Mme Merkel [@tagesschau.de] : "...J'ai accepté cette démission le coeur très lourd (sehr schweren Herzens) [...] C'est uniquement le coeur très lourd que j'ai accepté cette démission parce que, avec Annette Schavan, l'une des politiciennes les plus reconnues et les plus chevronnées de la Formation et de la Recherche de notre pays, au fond la politicienne la plus reconnue et la plus chevronnée de la Formation et de la Recherche de notre pays, va quitter le gouvernement fédéral..."

Sans doute les experts en rhétorique sauront-ils dévoiler les raisons profondes de ces répétitions, figures de style si prisées en politique...

Mme Schavan [loc.cit. (!)] : "... Je remercie tout d'abord la chancelière, je te remercie, chère Angela, pour tes paroles et ton hommage aujourd'hui, ainsi que pour la confiance et l'amitié tout au long de ces années, l'amitié ne s'attache pas à la durée des fonctions et perdurera après ce jour. -  Mesdames et Messieurs, le 2 mai de l'année dernière, des accusations anonymes de plagiat ont été rendues publiques au sujet de ma thèse vieille de 33 ans. Le même jour, j'ai prié le recteur de l'Université de Düsseldorf de faire examiner ces accusations. Mardi dernier, la faculté philosophique a décidé d'invalider mon doctorat. Je n'accepterai pas cette décision et je la contesterai en justice. Je n'ai ni copié ni fraudé dans ma thèse. Ces accusations, je l'ai dit à plusieurs reprises ces dernières semaines, ces derniers mois, me touchent profondément. [...] Lorsqu'une ministre de la Recherche porte plainte contre une université, cela porte à conséquence pour ma fonction, le ministère, le gouvernement fédéral, mais aussi pour la CDU. C'est exactement ce que je veux éviter ; cela n'est pas possible, la fonction ne doit pas être abîmée [...]  Ma décision procède très précisément de la responsabilité avec laquelle je me suis efforcée de conduire ma fonction. Une responsabilité liée à la conviction souvent formulée comme ceci par Erwin Teufel [Ministre-Président du Bade-Wurttemberg de 1991 à 2005 et président de la CDU de cette région, n.d.t.] : 'D'abord le pays, ensuite le Parti et enfin moi-même.' Voilà pourquoi je pense que ce jour est un jour propice pour quitter mes fonctions au ministère et me concentrer sur mon mandat au Bundestag. Merci beaucoup." (traduction : skarlet)



Fin de Partie

Brièvement repris aujourd'hui par une dépêche de Reuters France, ce n'était en somme qu'un de ces feuilletons nationaux, qui est pourtant révélateur à plus d'un titre.

D'abord, le caractère prestigieux du doctorat en Allemagne, qui constitue un formidable accélérateur de carrière dans ce pays...

Ensuite, une question peu approfondie par les divers commentateurs : Quelles règles président à l'attribution de ce titre prestigieux ? L'université n'est-elle pas également fautive d'avoir laissé passer les thèses litigieuses de Mme Schavan (CDU), de M. zu Guttenberg (CSU) ou encore de Mme Koch-Mehrin (FDP), toutes trois annulées par la suite ?

Dans cet ordre d'idées, il n'est certainement pas très pédagogique de délivrer des diplômes aussi prestigieux à des étudiants peu sérieux quand on crée par ailleurs de l'échec scolaire pour beaucoup moins que ça. Et si ces "Docteurs" réussissent ensuite dans la vie publique, comment expliquer aux enfants que l'on a pu accréditer des "tricheurs" ?

D'où il suit que ce système basé sur des évaluations parfois peu objectives ou cohérentes, un carriérisme forcené et la concurrence féroce qui règne dans les écoles et les universités devrait sans doute être revu. Or, ce n'est pas le cas puisque, comme si souvent, on évacue le problème en le personnalisant, c'est-à-dire en reléguant une question générale dans la sphère privée, en transformant une possible erreur ou faute de méthode et de procédure en un accident de parcours qui subit bien souvent une dramatisation proche de la comédie de situation, comme on peut le constater dans ce "feuilleton" et ailleurs.

Alors, combien d'autres titres universitaires de personnalités publiques devront être invalidés avant que le système lui-même se remette quelque peu en question ?

Enfin, il faut rappeler que la principale raison pour un lâchage aussi "amical", outre le manque de crédibilité d'une ministre "dégradée", c'est bien sûr la bataille électorale qui s'annonce. Et sur ce terrain-là, une combattante sonnée avant l'heure compromet sacrément l'issue favorable des opérations. Quant à Mme Merkel, elle a une fois de plus fait la preuve d'un pragmatisme en béton armé !

Epilogue

Déjà désignée, la remplaçante, Johanna Wanka (CDU), 61 ans, qui vient de perdre son poste de ministre de la Culture en Basse-Saxe pour cause de défaite électorale, a certains points communs avec la chancelière sans pour autant être une intime, comme le précise Die Zeit : Scientifique, mariée à un professeur, originaire d'Allemagne de l'Est et militante pour la démocratie avant la Chute. Sa thèse de doctorat en mathématiques s'intitule : Solution de problèmes de contact et de commande avec des moyens de théorie du potentiel (Lösung von Kontakt- und Steuerproblemen mit potentialtheoretischen Mitteln). N'existant pas en version imprimée, ce travail de 121 pages, soutenu en 1980, ne serait disponible que dans trois bibliothèques universitaires : à Halle, Ilmenau et Berlin. - Avis aux amateurs !

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