samedi 30 août 2003

Real TV (2003)

C'est hallucinant : un type est entouré d'une flopée de bombes, et il doit en choisir une; il a droit à des tête-à-tête, il leur roule des pelles, leur raconte des conneries sous le regard omniprésent des caméras, et elles sont sous le charme : il y a les couchers de soleil, les dîners aux chandelles, les balades romantiques; les décors sont étudiés, feutrés, luxueux; les scènes de drague sont entrecoupées de commentaires lâchés "en aparté" à la caméra par les filles et le type. Parfois on voit le harem sans son prince charmant, et parfois des musiques synthétiques veulent souligner le caractère dramatique du découpage. Toute cette mise en scène d'une stupidité monumentale est "réelle" : les filles sont réelles, elles sont réellement là pour "conquérir" le type qui est réellement beau gosse, sans doute réellement fauché et peut-être même réellement pas trop con quand il n'a pas une caméra dans la gueule. Mais à l'écran le résultat n'est que fantasme. Et si on prend la peine d'analyser ce fantasme, on trouve des choses réellement hallucinantes.

Alors que veulent obtenir ces émissions? quelles sont leurs intentions réelles? - La réponse la plus triviale est qu'elles veulent obtenir la plus large part d'audience possible. Elles sont formatées pour attirer un maximum d'annonceurs et de sponsors. Elles visent la consommation. Or leur contenu est la chose la plus sérieuse au monde. Ainsi on associe consommation et amour. Le maître mot est la séduction. Cette séduction est évidemment la séduction de la marchandise. L'amour est donc une chose qui se marchande, se négocie, se joue dans la rivalité économique, la concurrence acharnée. Ces femmes veulent obtenir, comme les concepteurs de l'émission sur le "coeur" du public, des parts de marché sur le coeur du beau gosse qui est placé dans la situation rêvée du consommateur impudique.

Pour clore l'épisode, on assiste à la "cérémonie de la rose". On entre dans la dimension symbolique. Elle est d'une pauvreté abyssale. Ces gens-là fabriquent des symboles à la portée de n'importe quel pauvre type sur son canapé dans une piaule de banlieue sordide. - Comme le présentateur s'empresse de le répéter, le beau gosse n'a plus que six roses (et, après tout ce champagne, une cirrhose) à offrir. Or il y a dix candidates. Une véritable peau de chagrin. Ou le jeu des chaises musicales, au choix. À chaque nomination, un jingle se déclenche, et toute la "cérémonie" est encore nappée de synthétiseurs. Antonin Artaud aurait peut-être lâché sa formule du "théâtre de la cruauté" à ce propos. Je n'en suis pas convaincu. Mais toutes ces émissions fonctionnent sur une cruauté, une monstruosité sous-jacentes qui, une fois encore, pointent l'horreur économique dans laquelle nous sommes appelés à vivre, à nous sentir à l'aise, à consommer. Ainsi ces émissions ont quelque chose de pédagogique. Elles veulent formater les esprits. Et leur "cible" est souvent très jeune. Allez leur dire qu'on peut vivre d'amour et d'eau fraîche. L'eau est réellement polluée par nos industries. Et l'amour aussi...

Mais soudain, l'une des filles refuse la rose du beau gosse. En aparté, elle dit qu'elle n'éprouve rien pour lui. Je lui trouve un côté Jospin. Lui aussi, il a fini par refuser la rose. Je reprends espoir et je zappe. C'est mon choix.

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