jeudi 14 décembre 2006

[France 2007] Intermède théologico-politique

France 2007

Intermède théologico-politique(commencé le jeudi, 14 décembre 2006)

     Les événements, s’ils ne se précipitent pas encore, laissent déjà entrevoir certaines tendances insoupçonnées dans ce branle-bas de combat, ce feu de tous bois, ces éructations criardes, qui se tissent actuellement sur la Toile. L’orientation du débat électoral est nettement "théologico-politique", - avatar des pactes entre les différents pouvoirs religieux et politiques, si explosifs et déterminés sur la planète que l’on doit craindre à plus ou moins long terme la régression mondiale à un stade d’abrutissement et de surdité, où un effort de réconciliation ou simplement d’apaisement ne serait même plus envisageable. Et, puisque la poussée intégriste, commune aux trois monothéismes, se propage comme une traînée de poudre à travers la planète, finissant par miner les démocraties occidentales et leur projet de laïcité, les citoyens français, qui sont appelés à élire le président d’une république laïque, risquent fort de se coltiner, par politiciens interposés, les affrontements entre les trois grandes religions et leurs ambitions planétaires de domination. En France et ailleurs, le sport national consiste déjà à proférer, au nom de la laïcité, des paroles forcément perçues comme insultantes par les croyants d’une confession particulière. Or, le problème est surtout que les attaques contre une religion déterminée déclenchent nécessairement des solidarités; qu’elles soient menées pour des raisons de médiatisation personnelle ou dans un but électoral, ces attaques vont évidemment interpeller l’ensemble des gens concernés par la religion incriminée, même s’ils entretiennent une relation personnelle tout à fait "détendue" ou "lointaine" avec leurs origines et la religion de leurs ancêtres. Mais ce n’est pas tout. Puisqu’il s’agit d’une élection présidentielle, toutes ces polémiques, dont on ne peut que redouter l’amplification, vont intégrer les différentes campagnes et tous les projecteurs vont se braquer sur les options politiques des polémistes, - même les forcenés de l’egotrip médiatique vont finir par se faire happer et choisir leur camp. -


Désorientation


 En gros, il n’y a plus qu’une alternative et deux discours. Le premier peut être considéré comme modéré, démocratique. Que l’on soit UMP, UDF ou PS, on sait bien qu’on ne changera pas fondamentalement les choses; on les aménagera au mieux et on essayera sans doute de sauver ce qui reste de l’Etat-Providence après une bonne trentaine d’années de crise mondiale afin d’éviter la guerre civile au pays. L’autre discours est ouvertement révolutionnaire. Que l’on soit de la gauche ou de la droite extrême, il faut en finir avec le "Système UMPS". Il faut que le peuple se réveille, se révolte contre des dirigeants incapables et malhonnêtes, qui l’ont trahi pendant des décennies. - Voilà les deux options entre lesquelles l’électorat français va être obligé de choisir. Sa confusion sera bien sûr immense. Non seulement, la différence traditionnelle entre la droite et la gauche parlementaires semble s’estomper. Mais, à force de le répéter contre tout bon sens politique, les extrêmes ont peut-être vraiment fini par se rejoindre. Et, avec cette perte de repères et d’orientation, les votes de l’électorat français risquent d’être à la hauteur de sa confusion, une fois encore, en dépit de tout bon sens politique. 


SUITE 

jeudi 7 décembre 2006

[France 2007] Le vif du sujet

France 2007
 Le vif du sujet
commencé le samedi, 18 novembre 2006


C’est donc Ségolène Royal, élue à plus de 60% par les adhérents du PS, qui affrontera le probable candidat de l’UMP, Nicolas Sarkozy, dans la course à l’Élysée. Ce dernier s’en félicite. Depuis le début, il voulait cet affrontement (0). Peut-être sait-il quelque chose que nous ne savons pas, quelque chose que, cependant, nous ne manquerons pas de savoir au cours de ces prochains mois. On se souvient des affaires qui ont jalonné les affrontements du passé, comme l’affaire Gordji (1) qui pimenta le face à face télévisé entre François Mitterrand et Jacques Chirac en 1988 (2). Et lors des présidentielles de 1995, où le Président Chirac avait un rival à droite en la personne de son Premier ministre Édouard Balladur, c’était l’affaire des HLM des Hauts-de-Seine (3) instruite par Éric Halphen et des écoutes téléphoniques menées par Matignon, qui déstabilisa Balladur, assurant  la présence au second tour de Chirac et donc sa victoire finale sur Lionel Jospin. Enfin, en 2002, comme nous l’avons remarqué, c’était une sordide série de faits divers (4), montés en épingle par tous les médias français peu avant le scrutin, qui remit à la Une le "problème de l’insécurité", le cheval de bataille de Jean-Marie Le Pen, présent contre toute attente au second tour avec pour effet de mettre hors course Lionel Jospin, le principal rival du Président Chirac, qui aurait peut-être triomphé cette année-là.
Par les temps qui courent, point d’affaire sans médias. Et Internet en est devenu l’un des principaux fournisseurs. Dernière en date, l’aparté de Ségolène Royal sur les enseignants vu à ce jour quelque 20.000 fois sur Google et quelque 10.000 fois sur YouTube, mais plus de 650.000 fois sur Dailymotion (toutes vidéos confondues). C’est déjà la deuxième fois que Ségolène Royal provoque les foudres de l’opinion publique, après sa tirade à résonance populiste sur les mesures draconiennes qu’il faudrait prendre à l’encontre des délinquants mineurs, propos encore en ligne dans Le Figaro (du 1/06/06). La vulnérabilité qui procède de ce genre de déclarations plus ou moins "spontanées", en tout cas non mesurées, n’aura pas échappée à Nicolas Sarkozy. Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn avaient déjà leurs casseroles, l’un avec l’affaire dite du "sang contaminé" (5), l’autre avec l’affaire Méry (6). Ce qui les aura rendu prudents, ces "Éléphants du PS", comme on les appelle sans grande tendresse. Quant à Ségolène Royal, ce sont pour l’instant ses frères par qui le "scandale" risque d’arriver, l’un étant soupçonné d’escroquerie (7) et l’autre du posage de la bombe qui fit couler le bateau de Greenpeace à Auckland en 1985 (8), comme le rapporte par exemple Le Nouvel Observateur (du 29/09/06). Ou bien, si les frères ne font pas l’affaire, l’opinion avide d’informations "personnelles", - toujours dérisoires face à l’enjeu colossal que représente une élection présidentielle, - va-t-elle découvrir un épisode trouble dans le passé de Ségolène Royal, une infidélité dans le couple Royal-Hollande (remake)? Et ces informations aussi dérisoires que médiatiquement performantes sont-elles déjà dans la manche des prestidigitateurs du camp adverse?
Ensuite, que nous réserve l’actualité de ces prochains mois? Quels ’faits divers" alimenteront la campagne pour l’orienter dans un sens ou dans un autre? Insécurité (remake)? Révoltes en banlieue? Attentat terroriste? Et sur le plan économique? Quels chiffres arriveront sur le tapis? Chômage? Pouvoir d’achat? Gageons que l’on n’aura pas chômé sur le sujet dans les divers QG de campagne. Et la situation internationale alors? Quels conflits mondiaux sont susceptibles de troubler cette élection somme toute "régionale" à l’échelle planétaire et la quiétude des "régionaux de l’étape" avec leurs poussives rengaines sur "l’état de la France"? Quelles seraient les réactions des ténors et, notamment, du chef de l’État Français si, en pleine campagne électorale, le pays était confronté à une crise internationale majeure, comme elle pourrait se produire en Palestine, en Irak, en Iran, ou en Corée du Nord, pour ne citer que quelques poudrières? Enfin, la "crise mondiale", qui se solde par la paupérisation croissante des populations avec l’enrichissement sourd, aveugle et absurde de quelques-uns, n’a pas dit son dernier mot. Elle pourrait prendre des proportions aussi ingérables que la destruction massive de l’environnement, qui se poursuit inexorablement sans qu’aucune mesure coercitive sérieuse ne soit prise, promettant de déboucher, lentement mais sûrement, sur une catastrophe globale face à laquelle l’Apocalypse dépeinte par l’évangéliste Jean ressemblerait à une idylle bucolique. - C’est à ce point que l’on risque de nous prier de revenir à nos moutons. Et l’on n’aura pas tort, car une crise économique mondiale, une destruction massive de l’environnement ou un conflit international majeur ne valent pas bien cher contre les possibles activités douteuses des frères Royal ou les frasques amoureuses de Mme Sarkozy.

mardi 7 novembre 2006

[France 2007] Prologue

France 2007
PROLOGUE
commencé le mardi, 24 octobre 2006


La bataille sera médiatique ou ne sera pas. En 2002, l’insécurité dominait les débats, expliquant en partie la présence au second tour des présidentielles françaises de Jean-Marie Le Pen (FN, 16,88% au premier tour). Une autre raison pour cette présence plutôt surprenante, - qui contraignit l’électorat de gauche à plébisciter Jacques Chirac (UMP, 82,21% des suffrages exprimés au second tour, contre seulement 19,88% au premier) et lui donner ainsi une légitimité inattendue, - fut le bon score de l’extrême gauche au premier tour (environ 10% des suffrages exprimés pour Arlette Laguiller, LO, et Olivier Besancenot, LCR, sans parler des quelque 16% pour Robert Hue, PCF, Noël Mamère, Les Verts, Jean-Pierre Chevènement et Christine Taubira) avec pour effet de barrer la route à Lionel Jospin (PS, 16,18% des suffrages exprimés), qui connut alors un grand moment de solitude et dont l’adieu à la politique restera certainement dans les "médiathèques" aux côtés du fameux "au revoir" élyséen de Valéry Giscard d’Estaing en 1981.
Cette situation française n’était pas sans rappeler, de loin bien sûr, les élections législatives de 1932 en Allemagne où les deux grands partis de gauche (les socialistes du SPD avec 20,4% des voix et les communistes du KPD avec 16,9% des voix) auraient peut-être pu empêcher ou du moins retarder la montée du fascisme, - le parti national-socialiste, NSDAP, totalisant "seulement" 33,1% des voix lors de ces dernières élections libres, - en concluant une alliance réaliste, comme l’était le "Programme Commun" français, cinquante ans plus tard, qui avait permis l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand après une longue gouvernance de la droite gaullienne puis giscardienne. Or la gauche révolutionnaire allemande (KPD) n’avait aucune envie de se prêter au jeu démocratique, bien au contraire: avec l’arrivée au pouvoir du parti hitlérien, elle se promettait une situation révolutionnaire, qui servirait ses intérêts. Le muselage, l’assassinat, la déportation de tous les opposants politiques allemands l’aura rapidement détrompée. Cependant, aujourd’hui encore, l’extrême-gauche allemande (PDS-Linkspartei) semble préférer une "Grande Coalition" entre le SPD (Parti social-démocrate) et la CDU (Union Chrétienne-Démocrate) d’Angela Merkel à une union plus "réaliste" de la gauche.
En France, le candidat du Parti Socialiste connaîtra sans doute une nouvelle fois un grand moment de solitude lors du premier tour des prochaines présidentielles. Dans l’univers médiatique et "virtuel" qui est le nôtre, les erreurs d’un passé encore récent ne semblent pas peser plus lourd que le réalisme politique. Marie-Georges Buffet (Parti Communiste Français), Arlette Laguiller (Lutte Ouvrière), Olivier Besancenot (Ligue Communiste Révolutionnaire), José Bové (ex-porte-parole de la Confédération Paysanne) et les autres vont certainement profiter de la tribune en effet importante et utile qui leur est offerte pour défendre leurs idées; mais, pour des raisons rhétoriques de polémistes, ils ne manqueront pas non plus, à l’image de Jean-Marie Le Pen (Front National) ou de Philippe de Villiers (Mouvement pour la France), de mettre dans le même sac le candidat socialiste et les divers candidats de la droite, ajoutant ainsi à la confusion ambiante et à la désorientation de l’électorat français. Et c’est justement cette désorientation qui devient, par la négative, l’arme la plus redoutable des populistes, car elle leur sert d’argument pour adresser des "messages" clairs et simples au "peuple", dans un constant déni de la réalité politique que nous savons complexe, multiforme, difficile à déchiffrer, faite parfois d’alliances "contre nature" et placée sous la pression constante de la situation économique qui se joue avant tout à l’échelle mondiale.
Mais, pour l’heure, il n’est pas question de moments de solitude au PS puisque trois candidats s’adonnent depuis mardi dernier (17/10/2006) à des joutes médiatiques inédites, sous la forme de "débats" diffusés par la chaîne parlementaire Public Sénat et repris par la chaîne privée d’information continue LCI. Cette "investiture" en effet inédite au PS, qui met en scène (et en compétition) Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius, est certainement un "bon coup" médiatique et inaugure de fait la "bataille médiatique" des présidentielles qui, gageons-le, nous réserve encore quelques surprises.

jeudi 27 janvier 2005

Auschwitz, live


jeudi 27 janvier
- 14:00 - 17:00 -



Après la diffusion intégrale sur la chaîne publique France 3 de Shoah (France 1985, Claude Lanzmann, 9h30) dans la soirée et la nuit du lundi 24 janvier; la programmation sur la chaîne culturelle franco-allemande Arte du téléfilm Holocaust (USA 1978, Marvin Chomsky, 7h) en quatre parties, ce même lundi (jusqu’au jeudi 27) à 20:45, suivi mardi 25 par le documentaire Hollywood et la Shoah (USA/GB/RFA 2004, Daniel Anker, Sidney Lumet, Steven Spielberg, Branko Lustig, Rod Steiger, 90 mn), mercredi 26 par le surprenant document Falkenau (Samuel Fuller/Emil Weiss, 1945/2004, 40 mn) et jeudi 27 par les souvenirs poignants du déporté Joseph Bialot, auteur du livre C’est en hiver que les jours rallongent (Seuil, film au titre éponyme, France 2004, François Chayé, 55mn); la diffusion sur la chaîne commerciale TF1 de la version courte du documentaire Auschwitz, la solution finale (BBC, 2005, sous la direction de l’éminent spécialiste anglais Ian Kershaw, 2 x 90 mn sur les 6h de la version intégrale) mardi 25 et mercredi 26 en deuxième partie de soirée vers 23:00, précédé mercredi soir par la présentation en direct du journal de 20 heures depuis Oswiecim, conclu par le très surréaliste sourire navré de Patrick Poivre d’Arvor qui apparait sous la très cynique inscription „Arbeit macht frei" (le travail rend libre) surplombant l’entrée du camp d’extermination, les téléspectateurs en France, comme dans tous les autres pays d’Europe, probablement, sont invités à assister ce jeudi après-midi entre 14:00 et 17:00 à la cérémonie commémorative du soixantenaire de la libération des camps d’Auschwitz et de Birkenau par l’armée soviétique, retransmis simultanément sur TF1 et France 2 : Auschwitz, live.


Remarquons que beaucoup de ces programmes passent à des heures de plus faible écoute, plutôt inaccessibles à ceux qui travaillent ou étudient, comme la cérémonie de cet après-midi et tous les documents, dont notamment les 400 dernières minutes de Shoah programmées entre minuit et six heures du matin. On eût préféré voir l’enquête indispensable de Lanzmann sur trois ou quatre soirées, à la place du feuilleton assez médiocre Holocaust, auquel on peut reprocher un conventionnalisme inapproprié face à une „expérience" comme celle-ci dont beaucoup de rescapés ont souligné le caractère indicible (*), voire „immontrable", ce qui exigerait l’élaboration de formes narratives, visuelles, sonores adéquates. De plus, tout est fait, dans le découpage de cet épos dont l’action se déroule sur plusieurs scènes à la fois selon les standards télévisuels d’aujourd’hui, inaugurés entre autres par les interminables feuilletons Dallas ou Dynastie (tournés à la même époque), pour préparer aux coupures publicitaires qui, s’ils n’existent pas sur Arte, avaient donné lieu, lors de la première diffusion américaine, à de vives critiques évoquant une „commercialisation de la Shoah", quand bien même ce programme aurait fait „prendre conscience au peuple américain de la barbarie nazie"; on pense alors à cet autre film américain avec Rod Steiger sponsorisé par une compagnie de gaz : lors de sa diffusion, on avait éliminé de la bouche des acteurs le mot „gaz" associé aux chambres d’extermination. Dans ce contexte, il convient de souligner que l’excellent documentaire de la BBC sur TF1 n’a pas été interrompu, à titre sans doute très exceptionnel, par des „pages de publicité", même si les spectateurs n’ont pu voir qu’une version courte (3h sur les 6h diffusées par la chaîne câblée Histoire) de cette oeuvre dont l’élaboration a, dit-on, pris une quinzaine d’années.


Mais venons-en à la cérémonie de cet après-midi : il s’agit d’une longue suite de discours, retransmis en direct de Birkenau (le principal lieu des assassinats, sis à 3 km du camp de base - Stammlager - d’Auschwitz), tenus par d’illustres orateurs dans un décor résolument glauque et enneigé, par un froid peu propice à ce genre d’exercice, devant un parterre de personnalités, dont le visage par moments étrangement crispé du président français Jacques Chirac qui n’interviendra pas ici.


TF1 fait précéder le direct par un historique musclé : l’un de ces speakers contemporains, dont la diction professionnelle peut indifféremment faire état du parcours d’un serial killer, résumer une rencontre sportive ou vanter les mérites d’une nouvelle technologie, nous raconte en condensé la „solution finale" sur les images récurrentes de corps décharnés qu’une pelle mécanique roule dans la fosse.

lundi 10 janvier 2005

Tsunami World (2005)

lundi 10 janvier 2005

Le parcours médiatique de la vague d'enfer du 26 décembre, dimanche de Noël 2004, a débuté avec l'annonce minimaliste de quelques centaines de morts, qui se sont rapidement transformés en milliers, puis en dizaines de milliers, pour dépasser les cent cinquante mille décès aujourd'hui (165.000 annoncés le 8 janvier 2005 à midi), un nombre qui va sans doute croître encore (ajout: quelques semaines plus tard, le chiffre "définitif" serait de plus de 300.000 tués), telle une cotation boursière macabre en proie à l'inflation. C'est vrai, la manie des chiffres, en particulier celles des décès, caractérise notre époque, avide de quantifier les choses et les êtres. Et les montants des dons, dans la foulée des Noëls occidentaux, - qui ne sont encore que des sommes annoncées ou, dans le jargon des téléthons, des "promesses de dons", - auront bientôt "crevé" tous les plafonds et tous les écrans : plus de 4 milliards de dollars promis aujourd'hui (ad.: après la conférence des donateurs à Genève, les médias parlent de 10 milliards) ! Mais ici aussi, des décalages sont à craindre entre les nombres réels et imaginaires. Et puis, la reconstruction des palaces en bord de mer sera probablement prioritaire sur celle des huttes, même si l'on s'en défend aujourd'hui ; car dans la vie réelle, et contrairement à nos univers virtuels, fantasmagoriques, chacun reste à sa place, comme ces "Intouchables" qui, en Inde, rendent un dernier service aux cadavres en souffrance…

Chez nous, tout le monde finit par s'interroger : pourquoi une telle avalanche de dons ? est-ce l'implication d'Occidentaux dans cette catastrophe ? la brusque métamorphose de leur paradis touristique en un Tsunamiworld infernal ? le raz-de-marée d'images, et notamment les "films de vacances"? est-ce la réverbération de Noël et des semaines d'appels obscènes à la surconsommation, qui auront précédé ? ou encore l'innocence des victimes, le caractère "naturel", intempestif, surprenant de cette catastrophe ? voire un sentiment de faute vis-à-vis des populations "sinistrées" ?

dimanche 31 août 2003

Expérimentation humaine

La Real-TV continue de surprendre. Hier soir, la première chaîne commerciale française nous propose un marathon du genre : quelque quatre heures de programmes, entrecoupés de spots publicitaires. Comme par hasard, les deux émissions mises bout à bout se passent sur des îles quand les autres produits du genre se déroulent dans des "maisons closes". Histoire de bien accentuer le huis clos. Oui, Jean-Paul ne s'est pas gouré dans sa pièce du même nom: "L'enfer c'est les autres…!" - Je m'allonge donc sur mon îlot de literie, chips et boisson à portée de main, dans le but avoué d'étudier l'ampleur d'un phénomène que l'on ne peut plus mettre sur le seul compte de la connerie humaine. La première émission met seize "aventuriers", femmes et hommes, aux prises les uns avec les autres. J'avais déjà entrevu des bouts de ce "jeu" (tout le monde insiste sans cesse sur ce mot dans ce genre de produits proprement inqualifiables). Je reprends une poignée de chips : Ce soir, c'est la finale !… Mais je m'aperçois très vite qu'il n'y a rien d'amusant dans ce "jeu" : c'est une véritable entreprise de désocialisation et, surtout, un apprentissage du double discours, du double bind contemporain. Il s'agit de ceci : pour "survivre", il faut à la fois pactiser avec les "camarades" et les éliminer. D'une part, donc, gagner les épreuves proposées contre une équipe adverse, dont il faudra côtoyer certaines personnes par la suite, et surtout virer des copains lors des "conseils"; de l'autre, jouer les bons camarades pour ne pas être éliminé à son tour, pour que votre groupe ne se ligue pas contre vous. Il faut donc à la fois créer et démanteler des alliances. C'est ce qui s'appelle de l'opportunisme, la seule arme qui vaille dans nos sociétés, comme employé de bureau ou prestataire de service, comme chef ou larbin, free lance ou loufiat. Le cadre ou "décor" de l'émission transporte la même ambiguïté : c'est une île paradisiaque et infernale à la fois; le scénario imaginé par les concepteurs met en scène des naufragés, un jeu de rôles aux antipodes donc, dans lequel des Occidentaux sportifs et bien nourris, de tous âges, sont catapultés. Cela me fait penser à du scoutisme sans les quelques valeurs édictées par Baden Powell qui - on en pense ce qu'on veut - prônent la seule camaraderie, solidarité entre des gamins appelés à vivre des "aventures" ensemble, à faire des jeux de piste, des feux de camps, apprendre à se débrouiller, s'orienter dans la nature etc. Ici, les "valeurs" sont ceux de la concurrence, de la "langue fourchue", de la solitude moderne où, dans le manquement de l'autre, "ça passe ou ça casse"; et quand ça casse, on est "mal", on frôle la bouffonnerie, on s'expose aux commentaires des spectateurs qui - on le sait - s'amusent du malheur des autres, de ces autres autistes qui l'ont bien cherché, le malheur : ils n'avaient qu'à rester chez eux comme ces millions de télé-spectateurs qui reprennent une poignée de chips, décapsulent une autre bière… et pub !


La seconde émission s'articule autour de la notion de "tentation". Une marque de préservatifs la sponsorise ! Une autre île. Un autre laboratoire. Cette fois, des couples jouent à se séparer. Je n'ai pas très bien compris pourquoi ils se sont inscrits. Diego, mon petit voisin, avait lancé l'idée suivante : "Tu sais, moi je m'inscrirais avec une meuf, genre on sort ensemble et tout, mais c'est bidon; puis je me taperais tous les canons, et je la jouerais style je regrette…" - Pas con, le Diego ! D'autres devraient avoir eu l'idée : on s'inscrit, on profite du décor "romantique" et des "tentateurs/trices"… Mais il y a fort à parier que les casteurs castrateurs vérifient la "réalité" du couple avant de l'envoyer au casse-pipe. - Une île féerique, donc. Piscines. Dîners aux chandelles. Plages au sable fin, et tout ce que l'underdog urbain peut rêver de plus cool en matière de dépaysement. Oui, pourquoi s'inscrivent-ils, ces amants ou époux ? Tester leur "couple" - à ce mot je pense toujours au "couple moteur" : embrayage, débrayage - pour qu'il soit plus "solide", plus "performant" (comme un bon moteur) ? - Le jeu : les couples sont séparés et séparément "allumés" par des tentateurs/trices (histoire de tester l'état de l'allumage, sans doute). La plupart des "moitiés" tombent dans le panneau, comme cette nana du Sud qui, non contente d'embrasser tendrement un plagiste de circonstance, va le "quitter" pour un autre corps beau avec lequel elle va vivre un truc vachement intéressant au niveau relationnel, tu vois ? Puis sa moitié masculine a droit, en présence du présentateur, dans un décor quasi mystique, à la lueur des torches, au visionnage des frasques de sa femme qui, avec de grosses lunettes ridicules, ne cesse de regarder la caméra en se faisant peloter. Le mec, lui aussi tenté par une séductrice aux seins qu'on imagine aussi siliconés que le romantisme suggéré, craque. Il va la quitter… il va la quitter… il va la quitter… il va la quitter…


Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny [*]… Envoie-moi en enfer !


On peut épiloguer. Les sociologues (ou médiologues, comme dirait l'autre) vont le faire. Ils vont prendre le côté symptomatique de ces "jeux". Ils vont dire qu'il s'agit de symptômes d'une maladie grave dont souffre notre société. Et ils vont oublier ceux qui regardent, qui gardent dans leur tête les standards prétendûment "post-modernes" que les concepteurs leur injectent. Car notre société n'est pas encore à l'image de celle promue par ces concepteurs, par ces publicitaires qui nous hypnotisent pour mieux nous faire bouffer leur société d'hyper-marché. Pas encore, Diego !


En tout cas : j'ai appris quelque chose en perdant une soirée à mater les bouffons ; j'ai appris la différence entre le rat et l'homme : aucun rat ne s'est jamais porté volontaire pour subir des expériences en laboratoire…!



[*] Magali Noël : Fais-moi mal, Johnny (Boris Vian 1956)

samedi 30 août 2003

Real TV (2003)

C'est hallucinant : un type est entouré d'une flopée de bombes, et il doit en choisir une; il a droit à des tête-à-tête, il leur roule des pelles, leur raconte des conneries sous le regard omniprésent des caméras, et elles sont sous le charme : il y a les couchers de soleil, les dîners aux chandelles, les balades romantiques; les décors sont étudiés, feutrés, luxueux; les scènes de drague sont entrecoupées de commentaires lâchés "en aparté" à la caméra par les filles et le type. Parfois on voit le harem sans son prince charmant, et parfois des musiques synthétiques veulent souligner le caractère dramatique du découpage. Toute cette mise en scène d'une stupidité monumentale est "réelle" : les filles sont réelles, elles sont réellement là pour "conquérir" le type qui est réellement beau gosse, sans doute réellement fauché et peut-être même réellement pas trop con quand il n'a pas une caméra dans la gueule. Mais à l'écran le résultat n'est que fantasme. Et si on prend la peine d'analyser ce fantasme, on trouve des choses réellement hallucinantes.

Alors que veulent obtenir ces émissions? quelles sont leurs intentions réelles? - La réponse la plus triviale est qu'elles veulent obtenir la plus large part d'audience possible. Elles sont formatées pour attirer un maximum d'annonceurs et de sponsors. Elles visent la consommation. Or leur contenu est la chose la plus sérieuse au monde. Ainsi on associe consommation et amour. Le maître mot est la séduction. Cette séduction est évidemment la séduction de la marchandise. L'amour est donc une chose qui se marchande, se négocie, se joue dans la rivalité économique, la concurrence acharnée. Ces femmes veulent obtenir, comme les concepteurs de l'émission sur le "coeur" du public, des parts de marché sur le coeur du beau gosse qui est placé dans la situation rêvée du consommateur impudique.

Pour clore l'épisode, on assiste à la "cérémonie de la rose". On entre dans la dimension symbolique. Elle est d'une pauvreté abyssale. Ces gens-là fabriquent des symboles à la portée de n'importe quel pauvre type sur son canapé dans une piaule de banlieue sordide. - Comme le présentateur s'empresse de le répéter, le beau gosse n'a plus que six roses (et, après tout ce champagne, une cirrhose) à offrir. Or il y a dix candidates. Une véritable peau de chagrin. Ou le jeu des chaises musicales, au choix. À chaque nomination, un jingle se déclenche, et toute la "cérémonie" est encore nappée de synthétiseurs. Antonin Artaud aurait peut-être lâché sa formule du "théâtre de la cruauté" à ce propos. Je n'en suis pas convaincu. Mais toutes ces émissions fonctionnent sur une cruauté, une monstruosité sous-jacentes qui, une fois encore, pointent l'horreur économique dans laquelle nous sommes appelés à vivre, à nous sentir à l'aise, à consommer. Ainsi ces émissions ont quelque chose de pédagogique. Elles veulent formater les esprits. Et leur "cible" est souvent très jeune. Allez leur dire qu'on peut vivre d'amour et d'eau fraîche. L'eau est réellement polluée par nos industries. Et l'amour aussi...

Mais soudain, l'une des filles refuse la rose du beau gosse. En aparté, elle dit qu'elle n'éprouve rien pour lui. Je lui trouve un côté Jospin. Lui aussi, il a fini par refuser la rose. Je reprends espoir et je zappe. C'est mon choix.

jeudi 28 août 2003

Canicule (2003)

Paris, le jeudi 28 août 2003

Les médias ont des mots paravent pour informer les gens, expliquer les événements : pour l'été le plus chaud depuis 1873, date de composition de la Saison en Enfer du poète Rimbaud (avril/août de cette année-là), on a trouvé le mot canicule ; et on explique avec ce mot les 450 morts oubliés dans les morgues parisiennes, les 3000 décès* exceptionnels en France (plus de la moitié dans l'agglomération parisienne), en majeure partie des anciens (ou, comme on préfère dire : "des personnes du troisième âge") ou encore, ce matin, les millions de "poulets industriels" en Bretagne, "victimes de la canicule"... Dans ces 130 années suivant la Saison en enfer, on a inventé, dans le désordre : le moteur à essence, les centrales nucléaires, la climatisation, le Frigidaire, l'avion à réaction, le téléphone portable, le world wide web et la télévision...! Et la famille occidentale a été détruite pour des raisons qu'il serait trop ardu de discuter par cette chaleur. Un contemporain de Rimbaud a d'ailleurs très bien documenté par l'absurde cette destruction de la famille dans la Vienne fin-de-siècle en proposant la thérapie de la psychanalyse moderne à ses descendants... D'autre part, "sans transition", on nous parle, depuis longtemps déjà, d'un "réchauffement climatique" aux conséquences funestes, dont par exemple la fonte prévisible ou déjà effective des glaciers polaires qui augmenteront le volume des océans jusqu'à immerger des villes côtières comme New York, Rio de Janeiro, Hambourg, La Haye, Barcelone, Marseille, Naples, Venise et bien d'autres. Nos digues humaines ne pourront rien contre le déchaînement prévisible ou déjà effectif des éléments naturels à la suite d'un dérèglement écologique comme celui que nos activités planétaires occasionnent...

Canicule... quelle immense entreprise de désinformation... quelle insulte à l'intelligence populaire... quel nivellement vers le bas...! Pourquoi ne nous parle-t-on pas des effets néfastes de l'ozone (ou de l'absence d'ozone au-dessus des pôles), de la pollution, et de l'état de nos sociétés industrielles avancées où la famille, la sociabilité, les communautés se trouvent systématiquement démantelées, démembrées, cassées, pour produire des autistes dont l'automobiliste contemporain est la figure la plus représentative...?

mardi 25 février 2003

Nécro (2003)

Billet écrit le 25 février 2003

"Nécro"


- T’as entendu ? il est mort !
- Qui ça ?
- Blanchot.
- Connais pas...
- Quoi? tu connais pas? t’as pas lu L’Arrêt de Mort ?

Etc. Un dialogue de nécrophiles. De préférence sur une tombe du Père Lachaise...

- T’as vu, on est sur Balzac !
 - ...?!?

Puis nos deux nécrophiles se retrouvent dans une brasserie devant leurs bières, et le dialogue se poursuit:

 - ...Alors, ils m’ont collé la nécro de Blanchot...!
- C’est qui ça...?
- Je viens de t’en parler, sur Balzac...

Mais prenons plutôt deux critiques littéraires pour poursuivre ce dialogue. Ils se vouvoient. C’est l’usage. Cherchez la femme...

- ...La nécro de Blanchot...? Vous l’avez connu...?
 - Très peu... Et je l’ai très peu lu, surtout...
- Alors comment vous allez faire...?

 - J’ai demandé à un camarade...

Deux cigarettes plus tard:

- C’est dur de mourir...
À quatre-vingt-quinze piges ?
-  À propos de piges, je voulais vous demander : Jean-Pierre Miquel, vous l’avez bien connu...?