lundi 28 mai 2007

[France 2007] Mensondages | Débriefing

 Mensondages
(Lundi 21 mai 2007)



Ce lundi matin, Libération, un journal qui, avec le nouveau directeur Laurent Joffrin (venu du Nouvel Observateur), se positionne clairement à gauche, pousse encore le bouchon ou, au choix, enfonce le clou: "Selon un sondage Ifop pour Paris Match (réalisé les 10 et 11 mai auprès de 885 personnes), les candidats UMP recueilleraient 37 % des intentions de vote du premier tour, et ceux du PS, 28 %. Le nouveau Mouvement démocrate de François Bayrou en réunirait 14 %, et le Front national, 7 %. D’après la projection en sièges réalisée par le même institut, l’UMP disposerait alors de 336 à 390 sièges, le PS en sauverait de 149 à 190, le FN n’aurait, comme dans l’assemblée sortante, aucun élu, et les amis de François Bayrou de... 0 à 8 (l’Assemblée sortante compte 350 UMP et 9 apparentés, 141 membres PS et 8 apparentés, 26 membres UDF et 3 apparentés, et 21 membres PCF. 14 députés [dont les 3 Verts] n’appartiennent à aucun groupe)." En effet, la "campagne officielle" pour les Législatives, avec ses décomptes et ses temps d’antenne à la seconde près, mais surtout ses sondages et commentaires de sondages, vient de débuter. Face au titre de Libération ("La gauche craint la marée UMP"), Le Figaro, quotidien résolument pro-gouvernemental, se permet même d’anticiper le résultat des prochaines élections: "Le gouvernement et l’UMP plébiscités". Le bref article explique ce titre: "Selon un sondage TNS Sofres-Unilog pour le Figaro-RTL-LCI, l’UMP devrait bénéficier d’une large majorité à l’Assemblée nationale. Le gouvernement et l’UMP sont plébiscites." - Bien sûr, accuser les sondages de mensonge, en faire des "mensondages", c’est sans doute exagéré. En effet, c’est plutôt leur caractère d’anticipation, sur la foi d’un "panel représentatif" d’un millier de personnes assortie des fameux "redressements", et ce sont surtout les commentaires, que l’on greffe invariablement sur ces "déclarations d’intentions de vote", qui donnent à penser. Dans le cas présent, et au tout début de la campagne des Législatives, la diffusion de ces sondages, qui donnent largement gagnante la nouvelle (ex-sortante) équipe au pouvoir, et la machine rhétorique des commentaires ainsi légitimée constituent une véritable ingérence dans le bon déroulement de ces élections des 10 et 17 juin, voire dans "l’âme" et la "conscience" même des électeurs français. Non seulement les élections sont présentées comme si elles étaient jouées d’avance, avec la démotivation que cela peut impliquer au sein de l’électorat, mais on fait également croire aux gens que l’état actuel des rapports entre les forces politiques du pays possède quelque chose de définitif, d’immuable, que le déroulement même de la campagne, les thèmes abordés et mis en discussion, le comportement du nouveau pouvoir au cours des prochaines semaines n’auront aucune espèce d’influence sur le choix réel des électeurs dans l’isoloir. C’est cela qui relève de la manipulation et donc du mensonge. Cependant, et c’est là un fait impossible à contester, le mode de scrutin des Législatives ne permet pas aux forces politiques réelles du pays d’entrer au parlement dans les proportions que l’on a pu constater au premier tour des Présidentielles, qui aura d’ailleurs déjà fait apparaître un certain "vote utile". Ainsi, en l’absence de proportionnelle et d’accords électoraux consistants, les 18,5% de voix réunies par François Bayrou risquent de "passer à l’as", d’autant que le fondateur du MD vient de réaffirmer son "indépendance". Il en va de même pour les quelque 24% de votes dits extrêmes (ci-dessus). Ce sont donc plus de 40% des voix qui devront, au second tour des Législatives, se reporter "utilement". Actuellement, et sans peut-être toujours le préméditer, tout est fait par les tenants de l’opinion publique et les ténors du pouvoir en place pour démotiver les différentes oppositions politiques qui, répétons-le, avaient totalisé au moins 55% des suffrages au soir du 22 avril (ci-dessus). S’ils réussissent leur "coup", le taux des abstentions et des votes blancs, qui ne peuvent que profiter au nouveau pouvoir, atteindront des records. Il faut également ajouter que l’on n’aime pas se tromper. Et que l’on n’aime pas miser sur le perdant. Alors, s’il ne s’agit pas d’intérêts politiques, ce sera l’orgueil qui poussera les uns et les autres à défendre becs et ongles leurs "pronostics" et leurs "mensondages", quelles que soient d’ailleurs les forces politiques réelles du pays, qui risquent, dans ce cas, de reprendre la parole d’une façon différente, par exemple à l’occasion d’une "rentrée sociale" musclée, puisque l’on persiste actuellement à vouloir réduire ces voix au silence comme on ne cesse d’anticiper, parfois d’une façon peu démocratique, voire franchement manipulatrice, sur le vote d’un électorat français de plus en plus déstabilisé et donc de plus en plus versatile.




Note sur la couverture médiatique
- Essai de débriefing -
(vendredi 25 mai 2007)


En exergue de la présente chronique des élections françaises de 2007 figurait cette phrase: "La bataille sera médiatique ou ne sera pas". En effet, c’est sur ce terrain-là que Nicolas Sarkozy aura joué et remporté les Présidentielles. Car cet homme fait assurément partie de ces figures que le penseur Pierre Bourdieu qualifiait de "médiatiques" (in "Passage à l’antenne", éd. Raison d’Agir, 1996). Des médias, il en joue, il y excelle. Il les manipule et il anticipe les "réceptions" possibles, s’il ne programme pas les "réactions". Sur ce "terrain virtuel", un rôle de premier plan revenait, par exemple, aux effets d’annonce, comme celle d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, qui a généré un tollé dans l’opinion publique. "Tout bénéfice", comme il avait pu dire (dès 2006 à propos de la probable confrontation avec Ségolène Royal). Et son bénéfice a été plus que confortable, comme les observateurs les moins avisés ont fini par le constater. D’ailleurs, il est fort possible que cet homme rêve d’une "couverture médiatique" vingt-quatre heures sur vingt-quatre : Sarkozy dîne au Fouquet’s, Sarkozy fait la fête à la Concorde, Sarkozy médite au large de Malte, Sarkozy présente la Légion d’Honneur à son fils cadet, Sarkozy embrasse sur la bouche sa femme au passé volage, Sarkozy passe en revue le gratin à l’Élysée, Sarkozy remonte les Champs dans une 607 Paladine, Sarkozy essuie une larme au Bois, Sarkozy joue les dragueurs germanopratins à Berlin, Sarkozy négocie entre deux avions dans la Ville Rose, Sarkozy mouille le maillot avec sa garde rapprochée du côté de Saint-Trop’. Et il y aura toujours une caméra pour aspirer et recracher sa prestation, en direct ou en différé, toujours un "correspondant" pour "relayer l’information", un "intime" pour se laisser aller à l’une de ces "confidences téléphonées" dont les médias raffolent. De sorte que cet homme, à force de curiosité provoquée et d’intrigues programmées, est devenu omniprésent. Et cette omniprésence ne date pas d’hier car son exercice à l’Intérieur ressemblait déjà à une incessante performance médiatique. Mais il faut bien se rendre à l’évidence que cette ubiquité très ubuesque reste absolument virtuelle, qu’elle se décline d’ailleurs à la télévision, à la radio, dans les journaux, les magazines ou les conserves emmagasinées sur Internet. Car, "en réalité", cet homme ne se trouve nulle part. Et l’exercice, le contact physique, le corps, l’incarnation, peut-être parce qu’ils sont constamment mis en scène, viennent ajouter au paradoxe de cette entreprise de désincarnation médiatique. Car, en réalité, cet homme est toujours déjà ailleurs, traversé par une absence fondamentale, tendu vers un monde à la fois utopique, avec des promesses proprement intenables, voire insoutenables, et persécutif, si l’on considère par exemple les affrontements que son ministère avait générés. Voilà en effet comment est né le fameux slogan "tout sauf Sarko" aux conséquences si néfastes pour ceux qui se sont engouffrés dans la brèche. Oui, dans cette bataille médiatique, les "Éléphants" socialistes ont été dépassés. Car ils ont cru bon relever le défi, qui leur a été lancé, sur un autre terrain, puisqu’ils se sont, pour ainsi dire, "bornés" à la "réalité". Et même la personnalité socialiste la plus médiatique n’a pas cru bon arranger sa coiffure ou travailler sa voix, pour mentionner encore ces deux éléments réellement insignifiants, dont la signification virtuelle paraît pourtant d’une importance capitale. Cette "femme concrète" a fait l’erreur de vouloir rester "nature" dans ce "monde parallèle" où tout n’est qu’apparence, affaire de décor et autopromotion, effet de style, de parole et d’annonce. Or, et voilà le paradoxe, si elle a été conduite avant tout sur un terrain virtuel, cette bataille médiatique a fini par produire un effet bien réel car il se trouve que cet homme a fini par "réaliser son rêve" avec son accession à la plus haute charge de l’État. Et, pour cinq ans, cette réalité-là demeurera probablement intangible. Tout comme celle du fameux ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, dont la création, malgré l’indignation considérable que son annonce aura suscité au pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, "réalise" un dessein bien précis en constituant la preuve "matérielle" que la promesse la plus insoutenable puisse être tenue, dispensant du même coup son auteur à tenir d’autres engagements bien plus délicats.

Sans doute faudrait-il mettre à contribution le champ philosophique et critique de la pragmatique pour produire un décryptage efficace de ce qui s’est passé, et continue encore de se passer, dans ce marathon électoral français de 2007. Et, pour que ce décryptage joue également le rôle d’un "débriefing", aussi nécessaire que salutaire, il faudrait que les "Français", qui se voient interpellés sans cesse depuis de nombreux mois par ces communicants et pragmaticiens tous terrains que sont les politiciens et les politologues professionnels, se rendent compte, sans dénier leur spécificité, qu’ils sont victimes d’une incroyable entreprise de "nombrilisation", à l’image de l’incontestable narcissisme qui anime leur nouveau leader. En effet, depuis le début de l’année, on n’aura eu que ces mots à la bouche, en finissant par les user, les vider de leur sens : on n’aura parlé que de la "France" et des "Français". Comme si l’existence dans ce beau pays pouvait se réduire à un territoire et à une identité "nationales". Or il y a, en France comme partout dans le monde, des différences économiques et sociales bien réelles, tellement réelles qu’elles en deviennent parfois insupportables. Et ce beau pays aura accueilli tant de dissidents, de réfugiés, de persécutés, qu’il a fini par donner naissance à une "culture multiple" de la résistance aux régimes autoritaires du monde entier. Enfin et surtout, ce beau pays se trouve en Europe et fait donc partie intégrante du "paysage" européen, avec de nombreux "citoyens européens", pour l’instant condamnés à une existence toute "virtuelle", qui viennent séjourner ou s’installer, travailler et vivre, s’aimer et respirer en France. Ainsi, cette "interpellation" constante des "Français" à des fins électoralistes et pragmatiques constitue, sans beaucoup d’égards pour les autres, le déni avéré d’un avenir européen qu’il est pourtant urgent de construire en créant un espace politique et culturel commun, dans lequel la "nation française" aurait vocation et intérêt à se fondre, à s’abandonner même, sans cependant renoncer à ce qui a fait sa grandeur au cours de cette histoire européenne commune, faite à la fois de conflits interminables et d’échanges essentiels, de mixité et de particularismes. Oui, la "nation française" est appelée à disparaître si l’on veut réellement construire cette "maison européenne commune" qui, pour l’heure, produit surtout des frasques rhétoriques et des directives libérales. Or il semble évident que les politiciens français, comme leurs collègues dans les autres pays d’Europe, se "fonderont", eux aussi, dans cette "construction européenne" où il conviendrait en effet de supprimer ces lourds et coûteux appareils étatiques héritées d’un passé récent et douloureux, au profit de politiques régionales efficaces sous l’égide d’une "Communauté européenne" qui, par exemple, se "payerait le luxe" de mettre en place des services publics continentaux, tels que les très souhaitables transports ferroviaires et services postaux européens, mais également et surtout un système équitable de soins, d’assurances sociales, de revenus minimaux et de formations, qui permettrait à tous les Européens d’éviter la descente aux enfers produite par cette spirale de la misère dont on ne cesse de constater les effets désastreux jour après jour. Oui, ces politiciens, qui continuent de vouloir intégrer à grands frais des appareils étatiques dépassés, devront par la force des choses oeuvrer à leur propre suppression, si tant est que l’on veuille bien prendre au sérieux l’idée d’une Europe supra-nationale qui devrait sans doute également comprendre la Russie, ce que personne, mais vraiment personne n’a encore osé mettre sur le tapis. Oui, on préfère négocier (ou ne plus négocier) avec la Turquie. Ainsi, la plupart des problèmes soulevés au cours de cette campagne (et sans doute d’un grand nombre de campagnes "nationales" en Europe) fonctionnent comme des paravents. Les "problématisations" proposées permettent de passer sous silence l’essentiel, à l’image du débat qui anima la France lors du référendum européen de 2005. En effet, il eût été essentiel de faire voter tous les citoyens européens le même jour pour ne pas courir deux risques évidents. Car, d’une part, le débat européen risque d’être contaminé par des questions de politique nationale, comme ce fut le cas en France avec le "vote de défiance" qui s’adressa d’abord au président Chirac, fervent défenseur du "oui". Et, d’autre part, les différents résultats nationaux, décalés dans le temps, risquent de s’influencer les uns les autres, comme ce fut probablement le cas avec le vote des Pays-Bas qui succéda au "non" français. De même, il serait peut-être souhaitable que ce référendum en effet nécessaire, mais qui devrait impérativement être conduit à l’échelle européenne, ne puisse pas être mis en échec ou bloqué par telle ou telle "minorité nationale", dans la mesure où il s’agit avant tout de savoir si une majorité qualifiée de citoyens européens souhaite (ou non) une Constitution européenne qui comprendrait (ou non) un important volet social. Mais quelle que soit la manière dont cette affaire sera menée, il conviendrait avant tout de ne pas priver l’Europe d’un grand débat supra-national, voire international, qui permettrait de cristalliser les points communs des Européens, voire des êtres humains en général, quand on ne cesse de mettre en exergue leurs différences. Or, pour l’instant, tout est fait pour que ce débat et cette cristallisation n’aient pas lieu. Et l’exemple des élections françaises de 2007 est là pour illustrer à merveille ce paradoxe bien connu. On insiste d’autant plus sur un problème que l’on désire taire tel autre. Mais ce moulinage rhétorique incessant produit surtout cet autre effet de vider de sa substance ce dont on entend parler. Et l’on peut aisément transposer ce paradoxe sur le plan des médias nationaux et internationaux. Plus on braque les projecteurs sur un "événement" pour le rendre "visible", plus on le rend invisible en aveuglant les spectateurs ou simplement par "overkill médiatique". Sans parler des zones d’ombre ainsi générées. Et c’est là le sens caché de l’expression, si prisée des journalistes, de "couverture médiatique". Or, refoulées, les zones d’ombre menacent toujours de ressurgir sous une forme différente. Une forme réellement insupportable. Sans couverture dans le froid. Sans eau dans ce désert qui, aux dernières nouvelles, continue toujours de croître.


Pour revenir un instant à nos moutons, il paraît évident, à la lumière de ce qui précède, que le discours nationaliste qui est actuellement, et depuis belle lurette, tenu en France permet de ne pas parler de la suppression pourtant nécessaire des nations traditionnelles au profit d’un État européen quelque peu consistant. Peut-être les adieux à la politique de Lionel Jospin en 2002 après le refus de Jacques Delors, qui avait renoncé à la candidature socialiste parce qu’il estimait ne pas pouvoir obtenir les moyens (matériels) pour mener à bien sa politique (sociale) s’il était élu (et il avait de fortes chances de l’être), sont-ils symptomatiques. Aussi symptomatique que l’est ce nationalisme anachronique qui a porté l’actuel président au pouvoir. Mais peut-être dira-t-il un jour: "Camarades, je suis le dernier".


Remarques sur le black-out médiatique
(lundi, 28 mai 2007) 


S’il n’est pas déjà en proie à un violent dégoût, l’électeur français peut légitimement ressentir une certaine forme d’inquiétude en parcourant le programme que la télévision française s’apprête à diffuser cette semaine. Car, contrairement aux mois précédents, les émissions politiques brillent par leur absence. Si l’on excepte les journaux télévisés qui, avec leurs sempiternels sondages, donnent gagnante l’équipe sortante depuis le début de l’année, et les commentaires de ces sondages dans la quotidienne d’Yves Calvi évoquée plus haut ("C’est dans l’air", France 5, 18:00-19:00), les journées et les soirées du lundi 28 mai au dimanche 3 juin proposées par les chaînes hertziennes (TF1, France 2, France 3, France 5/Arte, M 6), où abondent déjà ces exercices d’abrutissement estivaux dont les téléspectateurs français (et européens) sont les victimes rituelles depuis de nombreuses années, font un véritable black-out sur cet événement pourtant capital qui, une nouvelle fois, appelle les citoyens français aux urnes afin qu’ils élisent, les 10 et 17 juin prochains, leur nouveau parlement. On a beau lire et relire ce programme, rien, sinon les platitudes débitées à l’heure de l’apéro et des repas, ne ressemble à une émission politique digne de ce nom. Cependant, les journaux télévisés ne se priveront pas de relater les faits et gestes du nouveau président de la République, qui continue de bénéficier d’une formidable surexposition médiatique, dont il est déjà familier depuis un certain nombre d’années, mais qui atteint aujourd’hui des sommets. Et puis, arrivé à la page de dimanche, on finit tout de même par repérer une série d’émissions politiques à la télé. Et c’est sur France 5 ! A l’heure du déjeuner, Daniel Schneidermann décrypte la vie cachée des grands fauves ("Arrêt sur images", 12:30-13:30), avant que Franz-Olivier Giesbert ne fasse le point sur les retournements de veste ("Chez FOG", 13:30-14:30). Ensuite, Serge Moati prend le créneau d’Yves Calvi ("Ripostes", 18:00-19:00). Enfin, en deuxième ou troisième partie de soirée, Mme Kouchner (Christine Ockrent), dont on se demande d’ailleurs comment elle réussit encore à conserver l’antenne dans les circonstances présentes, fait « péter la poire et les ’cahuètes », selon la formule naguère consacrée des Guignols de l’info ("France Europe Express", France 3, 23:10).
Après cette surexposition certes légitime et utile de la vie politique et de la campagne présidentielle par les médias français depuis le début de l’année, il faut s’interroger sur le sens de ce « black-out » relatif à la campagne des législatives et ce revirement ou changement d’humeur et d’ambiance subits, qui ressemblent un peu à ce que vivent ces malades « bipolaires », répertoriés par la psychiatrie et plus connus sous l’appellation un peu usée de « maniaco-dépressifs ».  Roland Garros, retransmis à raison d’au moins six heures par jour du 27 mai au 10 juin, jour de la finale messieurs et du premier tour des législatives françaises, n’est sans doute ni tout à fait innocent ni tout à fait coupable. Ce tournoi de tennis tombe tout simplement à pic pour vider la tête des citoyens à coups de raquette et de terre battue, après une overdose de palabres et de polémiques stériles avec le résultat que l’on connaît, forcément inquiétant ou désastreux pour les uns et satisfaisant ou sans incidence pour les autres. De même, à cette période de l’année, le téléspectateur français (et européen) doit invariablement faire face, et pour trois mois, à ce qu’il est convenu d’appeler les « programmes d’été », un doux euphémisme qui désigne ces conserves audio-visuelles et rediffusions ineptes dont la « petite lucarne » gratifie les forcenés du canapé. Cette « dépression estivale », synonyme d’absence totale de créativité et de lourdes compulsions de répétition en matière d’images et de sons, est également si rituelle qu’elle n’explique pas vraiment le black-out en question.
L’heure est sans doute à l’autocritique. En effet, les journalistes, chroniqueurs, sondeurs, commentateurs n’auront pas vraiment brillé au cours de ces derniers mois. Sans doute en ont-ils conscience. Mais ils ont fait leur métier. Et c’est là leur excuse la plus valable. Encore faut-il qu’ils se rendent compte de l’instrumentalisation dont ils ont fait et font encore l’objet. Les plus avisés d’entre eux le savent certainement, et quelques-uns cherchent même, avec plus ou moins de bonheur, à s’affranchir de ce joug. Et puis il y a la virulence des quelques « francs-tireurs », qui font feu de tous bois, comme l’énergique Jean-François Kahn (Marianne) ou l’excellent Philippe Val (Charlie-Hebdo).  Sans oublier ces « amateurs » qui, après un filtrage efficace, ont également le droit de prendre part, en vedette américaine, à ce qu’il faut bien appeler une « cacophonie politico-médiatique » qui, avec les discours à caractère programmatique des douze (puis quatre, puis deux) candidats à la Présidence et les commentaires souvent convenus qu’ils suscitent sans arrêt, finit bien sûr par lasser l’auditoire, en l’occurrence les citoyens français, si elle ne suscite pas un énervement considérable ou une ennui sans nom chez ceux qui, muets d’étonnement ou par la force des choses, consomment à longueur de journée cette nourriture spirituelle sans grande consistance. C’est de ce côté-là (du côté de la réception) qu’il faut se demander à qui profite l’effet  (énervement, lassitude, etc.) que produit cette surmédiatisation politique. On ferait alors un grand pas dans la compréhension de l’instrumentalisation des uns et des autres au cours de ce marathon électoral, de cet « électhon » français.
Si les annonceurs ne misent peut-être plus beaucoup sur les émissions politiques qui, d’ailleurs, n’autorisent pas de coupures publicitaires, il faut également supposer que ce black-out est « programmé » de longue date. Car l’heure est déjà à la préparation des vacances puisque la France a cette habitude quasi viscérale d’arrêter toutes ses activités pour déjeuner le dimanche en famille et passer l’été en villégiature. Chacun sait que cette période est souvent choisie par le pouvoir pour faire voter telle ou telle loi difficilement acceptable par la majorité des gens ou encore pour mettre en place certaines stratégies (notamment économiques) à l’insu des citoyens français qui bronzent par millions sur les belles plages atlantiques et méditerranéennes s’ils ne lézardent pas au milieu des multiples idylles bucoliques qui font le charme de cette France rurale sans cesse perdue et retrouvée. Cependant, il ne faut pas trop désespérer. Car l’un explique l’autre. Si les politiciens profitent de l’été,  avec sa « sous-exposition » médiatique de l’actualité politique, c’est que la France a cette autre particularité assez remarquable d’être la patrie des « grognes » populaires. Et c’est là un autre exemple d’euphémisme si l’on considère les deux Révolutions de 1789 et de 1848, ou simplement les révoltes de la Commune de Paris et de Mai 68. Notre black-out fonctionne donc un peu comme  un neuroleptique ou un tranquillisant que l’on administre au pays des barricades et du cocktail Molotov en vue d’asseoir le nouveau (l’ancien) pouvoir sans que la « transition », qui se dit désormais « rupture », ne crée trop d’émotions et, surtout, pour couper court au mot d’ordre d’une « rentrée sociale musclée ». Mais, comme rien n’est jamais vraiment joué (ni gagné) d’avance, attendons de pied ferme la semaine du 3 au 10 juin pour voir si cette tendance à l’apathie politico-médiatique se confirme. En attendant, on peut toujours se consoler avec la campagne officielle et ses nouveaux clips qui tournent actuellement en boucle à l’heure du fromage. Sans oublier le Sarkoka-Sarkola et les ’cahuètes.





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