mercredi 7 février 2018

Les grocolis


 Les grocolis

Depuis l'élection fédérale du 24 septembre 2017, quatre mois et deux semaines se sont écoulés sans que les partis soient à même de constituer un gouvernement, mais ce 7 février 2018 un accord entre l'Union de Maman Merkel (CDU/CSU) et le SPD de Papa Schulz est enfin intervenu. On est prêt à signer le contrat de coalition lorsqu'un dernier détail sera réglé : le vote de la base social-démocrate - c'est-à-dire des 463.723 adhérents du SPD - dont l'organisation réclame trois semaines supplémentaires. - C'est donc vers la fin février que l'Allemagne passera du pareil au même - d'une GroKo à l'autre - après cinq mois de flottement et de "gouvernement par intérim"...

En Allemagne, on ne se demande plus pour qui mais pourquoi voter et surtout : pourquoi tout ce tremblement, flottement, toutes ces incertitudes, turpitudes, ce "gouvernement par intérim" qui traduit cette belle expression iconoclaste de "geschäftsführende Regierung", simple "gestion intérimaire" où le ministre "sortant" de l'Agriculture (CSU) se permet tout de même de voter en faveur du glyphosate au parlement européen sans consulter le Bundestag fraîchement élu - oui, pourquoi tout ce remue-ménage, cette excitation, cette exaltation pour finalement faire du sur-place ou, comme qui dirait, pédaler dans la semoule ?

Mais que s'est-il passé au juste ? 3/4 des inscrits sont allés voter le 24 septembre pour accorder sur les 709 sièges du Bundestag  [entre crochets les résultats de 2013, le parlement comptant alors 631 sièges] :  246 [311] à l'Union - 153 [193] au SPD - 69 [64] à Die Linke - 67 [63] aux Verts - 80 [0] au FDP - 94[0] à l'AfD. - On voit que les électeurs ont sanctionné la GroKo sortante, le SPD obtient son plus mauvais résultat d'après-guerre, l'Union baisse également, les partis de gauche (Linke/Verts) gagnent quelques sièges et les autres entrent - à nouveau (FDP) ou pour la première fois (AfD) - en fanfare au parlement. - Pour les analystes politiques, le message est clair, même si l'on peut y déceler un sfumato fondamental, car si l'entrée des populistes au Bundestag constitue une nouveauté et pour beaucoup un scandale, elle ne participe finalement que d'un mouvement général venu d'Europe de l'Est, et en effet l'AfD est beaucoup plus forte dans les anciennes régions de RDA, avec une mention spéciale pour la Saxe, l'ancienne "vallée des ignorants" (parce qu'on n'y recevait pas la télé de l'Ouest). Mais le mouvement commence à essaimer, et avec les évolutions en Pologne, en Tchéquie et en Hongrie, la nouvelle coalition ÖVP/FPÖ en Autriche et le score du FN en France (tout de même 33,9% il y a moins d'un an) montrent qu'à l'ère de la mondialisation et d'une "construction européenne" sans fin et sans volonté politique, le nationalisme "pur et dur" fait un remarquable come-back sur la scène inter-nationale. -  L'autre versant de cette affaire, qui la rend encore plus floue, c'est le consensus mou qui règne au centre avec les Grocolis allemands et les - hum ! - Macarons français, que personne n'aime vraiment mais que la majorité -  par son "vote utile" ou "anti-extrémiste" - ne cesse de confirmer au pouvoir...

10 février

Le vote des  adhérents du SPD aura donc lieu du 26 février au 2 mars, et le résultat sera connu le dimanche 4 mars. En attendant, Papa Schulz jette l'éponge : après avoir renoncé à la présidence du SPD au bénéfice d'Andrea Nahles ("Martin s'est sacrifié"), il renonce à présent à un poste ministériel dans un nouveau gouvernement Merkel, en affirmant que "le débat autour de ma personne" ne devait pas influencer négativement le vote des adhérents.  C'est donc ainsi que se conclut apparemment l'incursion de l'Européen Schulz en politique nationale. - Pourtant, en janvier 2017, sa désignation à l'unanimité comme candidat SPD à la chancellerie puis, en mars, son élection comme chef du parti social-démocrate allemand avec 100% (!) des suffrages ont  permis tous les espoirs : le libraire rhénan de condition modeste qui avait fait son chemin jusqu'à la présidence de la Commission UE faisait le poids face à une Maman Merkel affaiblie par sa "politique de bienvenue" de 2015 ("Nous y arriverons !"). Du coup, le baromètre des sondages taquinait les 30%, voire plus, et la chute ne pouvait être que plus dure : après les trois élections "régionales" ("Landtagswahlen") perdues, la météo politique prévoyait du gros temps, et en effet, avec environ 1/5 des voix exprimées en septembre 2018, le SPD - ce grand parti qui avait contraint Bismarck a introduire les premières lois de protection sociale au monde, puis fourni, avec Friedrich Ebert, le premier président de la république de Weimar et, avec Willy Brandt, l'un des chanceliers les plus charismatiques de l'après-guerre - était réduit au rang de second couteau. Et comme si ce n'était pas suffisant, Martin Schulz commet sa plus grande erreur en déclarant qu'il choisit l'opposition et qu'il n'est pas question de former une nouvelle grande coalition sous la direction de la chancelière sortante. La suite est connue...

Andrea Nahles (*1970), photo : FAZ


[en cours]

5 commentaires:

  1. Salut SK,

    Après vous avoir lu attentivement, j'en arrive à une conclusion majeure : il n'existe pas (encore), ou du moins les puissants lobbies de l'argent ne l'ont pas inventé, un Macron, un spécimen du "en même temps" qui pourrait donner une illusion d'alternative à cette fameuse Groko, dont on peut imaginer qu'elle ne fera qu'amplifier ce mouvement de rejet faisant monter les extrêmes et surtout l'AfD. Il faut dire que le système électoral allemand, sans doute plus démocratique que le nôtre, mais avec les inconvénients qui vont avec la démocratie à mesure qu'elle est davantage développée, puisqu'une vraie démocratie ne serait qu'une vaste cacophonie d'où émergerait sans aucun doute une dictature du plus fort, et cela à la satisfaction de tellement de gens qui préfèrent finalement l'ordre au bordel si celui-ci s'éternise, il faut dire donc que ce système électoral ne favorise pas ce processus de prise de pouvoir par des groupes d'intérêts puissants qui ont dû se contenter d'une fausse alternative entre CDU et SPD jusqu'à ce ces deux partis en soient réduits à gouverner ensemble puisque la vraie alternative, ou même peut-être alternatives, se situe ailleurs.
    Pour ma part, je distingue 3 lignes de clivages, évidemment très liées entre elles même si ceux qui "montent au front" en privilégient certaines et peuvent se livrer à certains compromis. Il y a la mondialisation ou le libéralisme de plus en plus sauvage vs interventionnisme de l'Etat pour tempérer, réguler, protéger, l'immigration ou plus largement la perte d'identité nationale vs identitarisme, nationalisme,…, et plus largement l'Europe qui se trouve au centre de tout ça mais que je cite à part parce que le phénomène politique soulève le problème de la démocratie, l'Europe se posant en effet comme mouvement irrémédiable, inévitable, irremplaçable (d'où cette hargne à l'égard des Britanniques dont il ne faut surtout pas qu'ils réussissent leur sortie et démontrent qu'hors de l'Europe on peut s'en sortit très bien) ; et s'il n'y a plus d'alternative possible, il n'y a plus de politique, donc plus de démocratie.
    Et tout cela touche les pays européens, avec certes des nuances dues à leurs histoires propres, à leurs cultures particulières, en fait à leurs identités. Même si on se rend compte finalement qu'il y a des tendances fortes qui transcendent les Etats européens. Mais j'y reviendrai plus tard peut-être plus en détail. Mais ce qui se passe en Allemagne est symptomatique de cela. Et comme c'est amplifié par le système électoral, c'en est que plus intéressant à suivre.
    Vlad

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    1. Bonjour Vlad, et merci de passer avec vos remarques toujours intéressantes ; un peu pris actuellement, je vais d'abord continuer ma note car des choses continuent de se passer dans ce jeu de chaises musicales anté-gouvernemental (je viens d'acheter le Spiegel, déjà obsolète en ce qui concerne les remarques sur Schulz, son désistement n'étant pas encore connu au moment du bouclage) - ensuite je viendrai certainement commenter ici. - Bon dimanche

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    2. Bonjour SK et Vlad. Dans la mesure où la Grande Coalition a la même implantation politique que le Macronisme (ou réciproquement), il n'y a pas d'espace politique pour un Macron allemand. En France, Emmanuel Macron a fait semblant d'être "ailleurs", alors qu'il est simultanément au centre gauche et au centre droit, il représente en quelque sorte la "coalition du oui" de 2005 (grands média inclus qui n'avaient jamais soutenu à ce point un candidat), les oppositions sur sa droite et sur sa gauche ne s’additionneront pas dans les urnes. Wauquiez s'embourbe, Marine s'éclipse et Mélenchon s'effrite, le paysage politique Français (jusqu'ici atypique avec sa droite sociale et sa gauche socialiste canal historique) parait avoir durablement rejoint le standard politique européen. Il pourra exister une variante "un peu plus à gauche" (avec ce qui reste du PS) ou un peu plus à droite (avec les "constructifs"), mais l'attache centrale eurolibérale semble durable, il lui faudra juste veiller à ce que ses oppositions de droite et de gauche soient d'ampleur comparable pour s'entre-neutraliser -comme du bon vieux temps de la quatrième république, du reste le mode de scrutin sera réformé pour s'en rapprocher-. Aujourd'hui absolument tous les partis (hormis les trotskistes) se réclament du gaullisme, mais il n'y a absolument plus de courant politique gaulliste significatif.

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    3. Salut Nolats,

      c'est le système parlementaire allemand qui empêche l'émergence ou la "création" d'un Macron. Le chancelier est l'émanation d'un parti et il faut que le parti l'emporte pour qu'il existe. Sa prestation ensuite peut aider le parti à emporter les élections suivantes. C'est donc une impossibilité technique qu'il existe un Macron en Allemagne.
      C'est pour cela qu'en France le système de la 5ème tel que voulu par de Gaulle a étonnamment bien fonctionné pour nous fournir un produit frelaté, ou un produit Canada dry. Il fallait que l'homme soit élu pour fédérer ces deux-centres dont vous parlez, quelque chose qui correspondait à une réalité politique mais ne pouvait émerger à cause des partis devenus pures structures administratives, donc pompes à fric dépourvus de cohérence idéologique, partagés entre des clivages identiques gauche et à droite. Macron ce n'est pas du neuf, c'est un réajustement qui amènera sans doute à terme à une recomposition avec un vraie opposition quand les "vieux partis" auront compris le phénomène. Je pense d'ailleurs que Wauquiez l'a très bien compris en redessinant une droite ressemblant à celle qui existait avant Maastricht. Et je ne crois pas qu'il s'embourbe si vous pensez "aux fuites" dans la presse qui me semblent délibérées. Ou alors c'est qu'il est d'une naïveté qui devrait l'interdire de toute responsabilité politique.
      Vlad

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    4. Bonjour Vlad. Vous décrivez en effet la différence de système, en France c'est le président qui fait la majorité, en Allemagne c'est le parti dominant qui détermine le chancelier.
      Le rejet du parti au pouvoir conduit habituellement en France aux alternances, et c'est en fait un couac qui a fait "louper le coche" aux Républicains, Juppé le favori des sondages a été évincé à la primaire (par les courants plus "durs") et Fillon le candidat surprise s'est pris les pieds dans le tapis en faisant prévaloir sa probité par rapport à ses concurrents, pas besoin de complot les rumeurs existaient dans son parti et la presse s'en est emparée (non pas au profit du PS en l'occurrence).
      Macron était à l'affut, je ne sais pas s'il croyait en ses chances pour 2017 ou s'il pensait faire un tour de chauffe en visant 2022, il a bénéficié de concours de circonstances imprévisibles (couac à droite, renoncement de Hollande, désignation d'un candidat terne par le PS, challengé par Mélanchon), et d'une bienveillance médiatique appuyée (la "main invisible du marché" peut être ;-)
      Le problème de Wauquiez est qu'il s'est mis à dos bien du monde dans son propre camp, même avant les "dérapages", il se positionne peut-être à l'emplacement du RPR de la fin des années 70, mais le paysage politique et les circonstances ont changé, le FN et ses satellites (NDA s'est aussi satellisé) a pris la clientèle souverainiste, il peut en regratter la moitié mais en perdant l'aile libérale (rappelons qu'en 86 Chirac s'était reaganisé pour s'adapter au courant du moment). Comme Macron mène une politique sociale de droite, un futur retour de balancier électoral en cas de crise sociale ne parait pas devoir profiter à la droite. Il faudrait une crise européenne majeure ou une grave détérioration en matière de sécurité pour conduire à une alliance des droites autoritaires -notons que Philippot se considère comme potentiel rassembleur souverainiste trans-courants, ce qui était la position de NDA naguère-.
      Rien n'est impossible, mais mon pronostic reste néanmoins une certaine durabilité de l'ancrage centriste libéral, européen, atlantiste et mondialiste. Je crains de mettre une enveloppe vide dans l'urne au second tour de diverses élections au résultat connu d'avance, ce dont l'idée même me hérissait naguère.

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