A l'occasion de ce cinquantenaire, les chaînes de radio et de télévision françaises, mais aussi la chaîne franco-allemande ARTE, présentent un certain nombre de documents très inégaux. La diffusion de l'excellente production italo-algérienne La Bataille d'Alger (1965, Lion d'Or à Venise en 1966) le 12 mars sur ARTE était précédée, la veille, d'un documentaire plutôt consternant intitulé La Déchirure, coécrit par l'historien Benjamin Stora, connu comme "spécialiste" de l'Algérie. - Une remarque sur la forme : à quoi cela sert-il présenter les images d'archives dans une version colorisée ? Est-ce pour mieux faire ressortir le sang sur la série impressionnante de cadavres montrés dans ce film ? Pour mieux distinguer le treillis des soldats français ? - Le cynisme de ces questions tient au caractère unilatéral de la perspective proposée : à aucun moment, le point de vue de ceux que l'on appelait naguère les "Indigènes" ou les "Musulmans" n'a été évoqué. Et si la perspective française en elle-même est complexe (Pieds Noirs, Gaullistes, Insoumis, OAS etc.), celle des Algériens ne l'est pas moins et ne se résume aucunement à l'idéologie du FLN. Je suppose pourtant que notre spécialiste a lu le Journal 1955-1962 de Mouloud Feraoun (Paris, Seuil, 1962). Le texte écrit au jour le jour par cet instituteur kabyle assassiné voici exactement 50 ans, le 15 mars 1962, sur son lieu de travail, à Château-Royal près d'Alger, par un commando de l'OAS, documente la complexité d'une perspective elle-même traversée par une "déchirure", comme d'ailleurs celle d'Albert Camus, avec qui il était en correspondance, né également en 1913 dans ce beau pays malmené. Tout cela - le plus important - a été pour ainsi dire passé sous silence dans ce documentaire qui ne fait que proposer une "chronologie" des "événements" entre 1954 et 1962, prétendument neutre et pourtant très orientée, voire "nombriliste". On peut ajouter que là où il n'y a pas d'images (d'archives), le silence règne en maître absolu : c'est ainsi que ce genre d'exercice audio-visuel arrive invariablement à taire l'essentiel.
Le 13 mars, ARTE donne la parole au peintre et cinéaste Jean-Pierre Meurice, né en 1938, qui arrive en 1960 à Alger en qualité de "bidasse" comme il le dit lui-même. Dans son film Algérie, notre histoire (2011), le nombrilisme fait place à une subjectivité radicale qui, si elle approfondit un peu la complexité des perspectives françaises, ignore tout aussi radicalement les différents points de vue algériens : le possessif du titre "notre histoire" ne le cache d'ailleurs pas. Meurice se limite aux années 1960-62, parle de ce qu'il a vu,revient sur les lieux, montre et commente, interviewe certains acteurs du drame comme son ami Philippe Durand-Ruel (rencontré après la guerre), un officier gaulliste qui rallia pourtant les putschistes en 1961, et l'on retrouve Benjamin Stora, qui apparaît ici comme simple témoin : un gamin de la communauté juive de Constantine qui parle d'événements comme l'assassinat du musicien Cheikh Raymond, un jour de marché, de son enterrement, du départ en 1962, emmitouflés dans des manteaux en plein été car on supposait qu'en France, il faisait froid. En soi, ce projet, enrichi par des images d'archives et de la seule interview connue du général putschiste Challe, tournée en 1971 par Meurice lui-même, n'est pas inintéressant, notamment parce qu'il prend le contre-pied des productions qui se veulent objectives et neutres alors que leur caractère tendancieux et orienté n'est souvent que trop évident ; mais une fois encore, à la manière d'une compulsion de répétition de l'attitude colonialiste, le peuple algérien, ses désirs parfois contradictoires, ses multiples perspectives, ethnies, conditions sociales sont ignorées. Passées sous silence comme si ce peuple - et sa réalité, sa condition - n'avaient jamais compté, - existé.
Voici toutefois une autre perspective : celle de Sartre en 1961.
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