mercredi 16 février 2011

[Note] Un mot sur les élections françaises

En considérant l'accélération de l'Histoire, qui a bouleversé en si peu de temps la Tunisie et l'Égypte,  notre échéance présidentielle de 2012 peut paraître bien lointaine. Et, comparées à la résonance mondiale du "Printemps arabe", ces élections certainement importantes pour les citoyens français revêtent un caractère éminemment provincial et totalement anecdotique à l'échelle globale qui est, bon gré mal gré, la nôtre. Mais surtout, si ces nations délivrées des régimes autocratiques réclament la démocratie et un scrutin "libre et équitable" (équitable remplacé par transparent dans la bouche de M. Fillon), quelle est notre propre pratique en la matière ? Libres, elles le sont certainement, ces élections, puisque tout citoyen français âgé d'au moins 18 ans au jour du scrutin, inscrit sur les listes électorales et jouissant de ses droits civiques, est admis à voter dans l'anonymat de l'isoloir. De même, tout électeur français âgé d'au moins 23 ans, réunissant 500 parrainages d'élus, peut se porter candidat à la présidence de la République. Mais ces élections sont-elles équitables ? - Il y a d'abord le rôle joué par les médias et les instituts de sondage, qui ont un grand impact sur l'opinion publique. Nous en avons discuté ailleurs et nous continuerons de le faire : si ce blog a une raison d'être, c'est d'en démonter au possible certains mécanismes - notamment l'anticipation virtuelle des élections et le formatage de l'opinion publique, par exemple avec la mise en exergue des faits divers - qui confinent parfois à la démagogie. - Il y a ensuite le mode de scrutin : majoritaire à deux tours, il ne permet en principe que l'expression des deux grands courants politiques, la "droite" et la "gauche" parlementaires (republicans et democrats aux USA). Mais, contrairement aux États-Unis où un Barack Obama peut surgir pour ainsi dire du néant, les candidats français sont comme vient encore de le dire M. Bayrou des "vieux loups" de la politique ("il faut des années pour construire un homme politique capable d'exercer des fonctions de cet ordre"). 

François Mitterrand s'est présenté en 1965 (44,80%) et en 1974 (49,19%), pour être finalement élu en 1981 (51,76%) et réélu en 1988 (54,02%). Il aura été présent pendant plus d'un demi-siècle sur la scène politique française, d'abord comme secrétaire d'État (dès 1944), puis comme ministre (dès 1950) et enfin comme président de la République (1981-1995). - La carrière de son grand contradicteur Jacques Chirac est similaire : secrétaire d'État dès 1968, ministre dès 1971, puis Premier ministre (1974-76 ; 1986-88). Le maire de Paris (1977-1995) s'est également présenté deux fois à la présidence de la République, en 1981 (18% au premier tour) puis en 1988 (45,98%), avant d'y être élu en 1995 (52,64%) et réélu en 2002 (82,21%) ! Ce sont tout de même presque quarante ans passés sur les plus hautes marches politiques, dont douze à l'Élysée. - L'ascension du président actuel a certes été plus rapide, mais on ne peut pas dire qu'il ait "surgi de nulle part" puisqu'il a été ministre dès 1993 et qu'il était encore ministre de l'Intérieur jusqu'au 26 mars 2007, avant d'être élu président le 6 mai de la même année (53,06%). - Difficile de parler, dans ce cas précis, d'équité : en effet, c'est le ministère de l'Intérieur qui est non seulement chargé d'organiser les élections, mais qui dispose également d'un grand nombre de renseignements sur les candidats, les intentions de vote des citoyens et les divers courants politiques. Dès lors, un homme qui dirige ce ministère jusqu'au 26 mars a tous les atouts en main pour concourir à une élection dont le premier tour a lieu moins d'un mois plus tard (21 avril).


Cependant, s'il est une date fatidique pour la démocratie en France, c'est bien le 21 avril 2002 où M. Le Pen (16,86%) bat le socialiste Lionel Jospin (16,18%) et accède au second tour, permettant alors au président Chirac d'être réélu avec un score digne d'une dictature ! Or, celui-ci n'en tient aucun compte. "Président de tous les Français", ou en tout cas des 82,21% qui lui ont donné leur suffrage, il aurait pu (et dû) nommer un gouvernement de coalition avec un certain nombre de portefeuilles socialistes.

Deux facteurs auront favorisé une telle constellation explosive en avril 2002 : d'une part le nombre élevé de candidats (16) et de l'autre un taux d'abstention record au premier tour (28,40%).

Cela nous amène à un autre problème important dans cette affaire : on peut penser ce que l'on veut des 16,86% réunis par M. Le Pen en 2002 et a fortiori des 18,57% qui ont voté pour François Bayrou en 2007. Mais il se trouve que le FN n'a eu aucun député aux législatives de 2002 et que le MoDem de M. Bayrou a dû se contenter de 3 représentants (sur 577) en 2007. Autant dire que l'Assemblée nationale est loin de refléter la réalité des courants politiques français. Car si M. Jospin a perdu en 2002, c'est aussi parce que 20% des voix environ se sont portées sur d'autres candidats de gauche, qui n'ont pas non plus fait leur entrée à l'Assemblée, même si trois d'entre eux (MM. Chevènement, Mamère et Mme Laguiller) ont dépassé la barre des 5% : dans d'autres pays comme l'Allemagne, un tel score permet d'accéder au parlement.

Cette particularité du système électoral français explique certainement en partie l'abstentionnisme d'une partie de l'électorat qui ne s'estime pas représenté. D'autres facteurs s'y ajoutent : l'absence de visages nouveaux, des courants politiques quelque peu sclérosés, la perte de crédit de la classe politicienne, le rabâchage médiatique et ses tentatives d'influencer l'opinion publique ainsi que l'anticipation virtuelle des élections par les instituts de sondage. - Nous aurons l'occasion d'y revenir...

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