mardi 8 février 2011

[Égypte 2011] ÉPISODE 6

Le point sur l'Égypte



Un montage pour le moins dramatique des événements récents en Égypte (images difficiles)

 Samedi 5 février 2011

Contrairement à ce que j'ai pu penser en début de matinée, les grands journaux continuent de publier des fils d'actualité sur la situation égyptienne. Voici ceux que j'ai pris l'habitude de suivre : le live blog d'Al Jazeera, celui du Guardian et le newsticker du Spiegel.

La presse internationale continue également de titrer sur l'Égypte. - Le Monde : La pression internationale sur le pouvoir égyptien s'accentue - The Guardian : Les protestations réclament le départ de Moubarak - Der Spiegel : El Baradei mise sur des négociations avec l'armée - The New York Times : Les responsables égyptiens cherchent à se débarrasser de Moubarak en douceur - El Pais : Hillary Clinton signale le risque d'une "tempête parfaite" dans le monde arabe ...

L'information de la matinée concerne l'explosion d'un gazoduc dans le Nord du Sinaï (près d'El-Arish). [09:30](*) Selon la TV d'État citée par Al Jazeera : "Des saboteurs ont profité de la situation sécuritaire pour faire sauter le gazoduc".- On continue de spéculer sur les auteurs de l'attentat. - Selon Reuters, il s'agit du conduit desservant la Jordanie, et non de celui qui approvisionne Israël, comme on l'avait cru auparavant.

Peu de nouvelles filtrent dans l'après-midi. En principe, le couvre-feu ne commence qu'à 19:00 pour durer jusqu'à 06:00 demain matin. Al Jazeera signale quelques milliers de manifestants à la mosquée Qa'I'd Ibrahim, au centre d'Alexandrie, tandis que l'armée semble vouloir inciter les protestataires toujours réunis place Tharir au Caire de rentrer chez eux. Quelques heurts à 500 mètres de là. La situation au Musée National est décrite comme ceci par un correspondant de la chaîne qatarie : "Une altercation à la principale barricade protestataire au Musée Égyptien. Des soldats se rassemblent près de la barricade, et quelques protestataires sautent [...] De plus, il y a maintenant une colonne de soldats sur le square lui-même, séparant l'intérieur [du bâtiment] des protestataires sur la barricade du musée." [13:00] - Jour pluvieux au Caire ...



Quelques observations

Demain dimanche, la semaine de travail recommence en Égypte. Vu le peu d'informations relayées par les médias occidentaux, qui se focalisent sur les réactions internationales, les tractations secrètes avec le gouvernement égyptien et les attaques sur les journalistes dans le pays, je  crains qu'une certaine forme de black-out ne menace après la surexposition médiatique dont le soulèvement égyptien a fait l'objet la semaine dernière. Les gens - les "consommateurs" des médias - risquent de "se lasser" ! Comme je l'ai déjà remarqué, on veut du "spectaculaire", du "sensationnel". Et nous - consommateurs occidentaux - avons été "servis". En Tunisie d'abord, en Égypte ensuite. Maintenant, nous - comme les Tunisiens et les Égyptiens - retournons à nos soucis quotidiens : c'est le réel de la réalité, qui n'a rien de spectaculaire, rien de sensationnel. - La pauvreté est également présente dans les pays occidentaux. De plus en plus. Le black-out frappe également notre misère, comme la pauvreté vient de passer quasiment inaperçue en Égypte. Bien sûr, nous avons soulevé des problèmes économiques : le canal de Suez, les pipelines, le tourisme ! Et nous aimons à dire que le soulèvement égyptien n'a rien d'une émeute de la misère, qu'elle a de plus nobles aspirations : la liberté et la démocratie ! C'est sans doute vrai : les gens aspirent à la dignité, ils en ont assez de se faire arrêter, taper dessus, torturer, bâillonner. Ils en ont assez de la peur. Et il en faut, du courage, pour surmonter la peur qu'inspirent les régimes autoritaires comme ceux de Moubarak ou de Ben Ali, avec leurs forces de sécurité et leurs cachots. Trente ans de black-out sur les souffrances de ces peuples, tandis que nous - touristes occidentaux - goûtions aux charmes de l'île de Djerba et des Pyramides. À présent, nos feux de l'actualité sont braqués sur les formidables mobilisations populaires après une si longue période de dictature et de silence. - Mais pour combien de temps encore ?

Décidément l'Histoire est imprévisible : personne n'a vu venir ces révolutions, comme personne n'a prédit la percée du Rideau de Fer le soir du 9 novembre 1989 à Berlin. Les commentateurs appellent d'ailleurs les événements présents le "moment de chute du Mur" du monde arabe. - Les révolutions aussi ont quelque chose d'imprévisible : nul ne saurait en prévoir, à coup sûr, l'issue. - La révolution d'Octobre a sombré dans le système dictatorial de Staline. La Révolution Française s'est terminée par l'avènement de Napoléon,  l'Empire, puis la Restauration et une nouvelle infusion impériale. Avec deux brefs soubresauts de la République en 1830 et 48. Seules, la défaite contre la Prusse (1871) et la révolte de la Commune de Paris ont pu avoir raison de la "réaction", 82 ans plus tard ! 82 ans ! L'âge d'un homme.

L'issue de ce que certains appellent la "crise" dans le monde arabe ne se fera surement pas attendre aussi longtemps. L'incertitude concerne davantage le système politique que ces soulèvements populaires vont engendrer. On parle de la menace islamiste. L'islamisme s'est manifesté dans le vide produit par les dictatures avec le musèlement de l'opinion et la persécution des opposants, qui ont appauvri la vie publique à l'extrême. L'islamisme propose une vie publique respectueuse des règles coraniques qui, observées à la lettre, sanctionnent la répression de tout "déviationnisme" [les fameux "mécréants" ou "infidèles"]. Mais, aujourd'hui, Tunisiens et Égyptiens ont reconquis l'espace public. Et l'exemple de la Turquie montre bien que l'idée démocratique est tout à fait réalisable en terre d'Islam. La tentation d'un État religieux, néanmoins, existe. - L'autre issue fatale est le retour de l'autocratie laïque. Une victoire de la "réaction", aussi provisoire soit-elle. Où la démocratie ne serait que de façade, et où  une certaine diversité de l'opinion publique serait tolérée pour la forme, comme en Algérie par exemple.

En effet, on ne saurait prédire avec certitude l'évolution de la situation présente. Y aura-t-il un embrasement général de la région ? Les peuples algériens et marocains vont-ils bouger ? Ceux de Libye, de Jordanie, de Syrie ? - Oui, l'Histoire est imprévisible. - Mais il faut dire et répéter que la démocratie n'est pas la propriété privée des pays d'Occident. Car elle a pour principe la promotion et le respect des droits universels dont chaque être humain devrait pouvoir bénéficier sur cette terre. Et elle permet aux citoyens d'exprimer librement leur pensée, d'être des "libres-penseurs". Tout citoyen d'un pays démocratique a certes le droit de manifester sa foi religieuse, mais il n'en a pas l'obligation. Il y a certes une religion majoritaire, mais elle ne doit pas envahir l'espace public ni régenter la politique, la justice et l'éducation. Ces principes démocratiques, et quelques autres comme des élections libres et équitables, sont universels. Ils n'ont pas besoin d'être "adaptés". Nés à Athènes voici 2500 ans, ils ont été progressivement mis en forme par les divers mouvements révolutionnaires autour de l'an 1800. Et ils sont maintenant libres de droits : Creative Commons !

Voici d'autres points de vue sur la situation avec l'interview parallèle de Tariq Ramadan et Slavoj Žižek diffusée hier matin, 4-02-11, par Al Jazeera, que j'ai déjà évoquée.  - Les deux intellectuels s'expriment en anglais.


 Quelques nouvelles

 Ce soir, Al Jazeera montre à nouveau son plan fixe de la place Tahrir au Caire. Malgré le couvre-feu et la nuit, on aperçoit un certain nombre de manifestants et de banderoles. - Au téléphone, un correspondant d'Alexandrie parle d'une dizaine de milliers de protestataires réunis en ville. Il rappelle que la journée d'hier a probablement vu la plus grande manifestation de l'histoire d'Alexandrie, avec la présence d'un million de personnes ou plus dans les rues.

Peu d'informations également à 22:00 (*). Les membres du comité exécutif du PND, le parti du régime, ont démissionné, dont Gamal Moubarak, le fils du président, ce qui est considéré comme une avancée par les observateurs. - Place Tahrir, on veut organiser une nouvelle journée de protestation demain, appelée "Jour des Martyrs". Les coptes ont quant à eux annoncé que leur messe dominicale aurait lieu sur cette même place de la Libération. - La grande inconnue reste l'attitude du président en exercice depuis trente ans qui, s'il déclare éprouver de la lassitude dans l'exercice de ses fonctions, cherche toujours une sortie honorable que le peuple semble vouloir lui refuser.

 Dimanche 6 février 2011

 Place Tahrir, ce dimanche matin (image : al jazeera)

La nouvelle de la matinée annoncée sur Al Jazeera concerne les Frères Musulmans qui ont finalement accepté de rencontrer le vice-président Omar Suleiman dans le cadre des concertations prévues avec les partis d'opposition. L'autre information importante, c'est la réouverture des banques officiellement fixée à 10:00 (*) ce matin. - Voici les liens sur les fils d'actualité du jour : [Al Jazeera] [Guardian] [Spiegel]

Les titres de la  presse internationale se ressemblent. Der Spiegel : Le Frères Musulmans veulent négocier avec le régime - The Guardian : Le pouvoir de Moubarak s'estompe à mesure que les États-Unis soutiennent son remplaçant [le VP Suleiman] - El Pais : Les Frères Musulmans se joignent aux concertations pour la transition en Égypte - Le Monde : Les Frères musulmans acceptent de négocier avec le pouvoir ...

A midi, Al Jazeera rapporte des files d'attente aux guichets des banques, qui ouvrent pendant trois heures et demie aujourd'hui, après une semaine de fermeture. - Les coptes ont rejoint les manifestants place Tahrir : des prières en mémoire des victimes des violences seront conduites en alternance par les musulmans et les chrétiens en ce "Jour des Martyrs".

Toujours aussi peu d'informations ce soir, comparées à l'avalanche de ces derniers jours. Al Jazeera montre par intermittence son plan fixe habituel de la place centrale du Caire, où l'on aperçoit encore "des milliers de personnes" avec des banderoles. Selon la chaîne qatarie, des centaines de milliers de manifestants auraient défilé aujourd'hui dans la capitale, mais de grands rassemblements auraient également eu lieu dans d'autres villes comme Suez, Alexandrie et Muhalla. - Selon une déclaration à CNN du Premier ministre, Ahmed Shafiq, le président Moubarak resterait en place "jusqu'à fin septembre" [2011]. Et, selon l'AFP, le vice-président Omar Suleiman a rejeté des appels à prendre les fonctions de chef d'État. Ce dernier a également rencontré les partis d'opposition aujourd'hui. Comme l'écrit le Guardian, certaines concessions auraient été faites, dont la "libéralisation" des médias et la libération de prisonniers politiques. Le bureau du vice-président annonce que la transition du pouvoir se fera "dans le cadre constitutionnel". Cette rencontre a cependant été critiquée par deux leaders oppositionnels, Ayman Nour du mouvement El-Ghad ("Demain") et Mohamed El Baradei, qui déclare : "Le processus est opaque. À ce stade, personne ne sait qui parle avec qui. C'est géré par le vice-président Suleiman. Tout est géré par les militaires, et cela fait partie du problème. Je n'ai pas été invité à prendre part à ces négociations ou ce dialogue, mais j'ai suivi ce qui se passe. Si vous voulez vraiment bâtir la confiance, il faut inclure le reste du peuple égyptien - les civils." - Dans une interview accordée ce dimanche à  CNN, M. El Baradei parle en outre d'une période de transition d'un an avec un "gouvernement transitionnel d'unité nationale", qui serait nécessaire pour garantir des élections équitables et libres. Permettre au régime actuel de superviser des élections au cours des prochains mois, cela conduirait à une "fausse démocratie". La transition vers la démocratie ne serait pas possible avec les "instruments du régime dictatorial" (la constitution et le parlement actuels) (in Spiegel). 

 Lundi 7 février 2011

Fils d'actualité  [Al Jazeera] [Guardian]

image : al jazeera


Quatorzième jour de protestations en Égypte. Le gouvernement annonce 11 morts depuis le début du soulèvement, le 25 janvier, les organisations internationales en comptent plus de 300 ! - Un autre chiffre concerne la fortune des Moubarak, qui s'élèverait à 70 milliards de dollars, amassés au cours de trente ans de "règne". C'est donc moins un sentiment patriotique qu'un calcul économique qui semble animer le président dans sa recherche d'une "sortie honorable", étant donnée la confiscation des avoirs de son collègue tunisien Ben Ali. - Dans le même registre, il est question de la mainmise sur l'économie égyptienne opérée par les hommes du parti au pouvoir (PND), dont certains membres dirigeants - aujourd'hui démissionnaires - sont également des chefs d'entreprise influents qui auraient constitué des cartels. Et le quotidien égyptien Al-Masry al-Youm (listé dans la colonne de droite) mentionne cinq autres milliardaires du régime : Ahmed Ezz, l'ex-secrétaire du PND, et les ex-ministres Ahmed al-Maghraby (Logement), Zuhair Garrana (Tourisme), Rashid Mohamed Rashid (Commerce et Industrie), Habib al-Adly (Intérieur). Le journal ne mentionne pas la fortune personnelle de Gamal Moubarak, également démissionnaire du PND.

Pour la plupart des mouvements d'opposition, dont les Frères Musulmans (à en croire une déclaration de ce matin), le départ du président Moubarak reste la condition sine qua non pour toute négociation avec le pouvoir. - Pendant ce temps, l'armée cherche à restreindre l'espace des manifestants qui campent toujours sur la place Tahrir, tandis que les affaires reprennent au Caire avec l'ouverture des banques et des commerces : business as usual !

Les protestataires savent bien que si les choses en restent là, ils n'auront pas obtenu grand-chose. Le régime n'a pas fondamentalement changé et les "forces de l'ordre", auteurs de terribles exactions, dont les commandants n'ont été ni limogés ni même appelés à rendre des comptes pour leurs agissements face à la population, restent l'un des piliers du pouvoir en place.  Par ailleurs, le travail des journalistes étrangers devient de plus en plus difficile dans les circonstances actuelles, le flux d'informations en provenance d'Égypte commence à tarir, et le public occidental va finir par se désintéresser de la situation, à mesure que la propagande et la désinformation augmentent, comme on peut le craindre. Dès lors, un redoutable black-out médiatique menace à nouveau de frapper le pays, à l'ombre duquel le régime pourrait faire un retour en force. Les leaders politiques internationaux, pour solidaires qu'ils soient avec le soulèvement du peuple égyptien, n'ont aucun pouvoir d'interposition ou d'intervention. Seule, la rue peut désormais empêcher le rétablissement de l'État policier.

Cet après-midi, le Guardian intègre cette petite balade à travers le campement de la place Tahrir :


 [17:30] Comme le montrent les images d'Al Jazeera, la place centrale du Caire se remplit quelque peu, à 1h30 du couvre-feu, alors que l'armée réduit peu à peu le périmètre des manifestants. - Le régime égyptien cherche de toute évidence un retour à la normale, la reprise des affaires et le retour du tourisme. - Il a promis des investigations sur les violences de mercredi et jeudi derniers, dont les images commencent à apparaître et pourraient impliquer certains militaires, selon l'envoyé spécial d'Al Jazeera au Caire, qui rapporte aussi un sentiment d'espoir dans la ville, partagé par le président Obama dans sa déclaration d'hier (sur Fox) : "L'Égypte ne redeviendra pas ce qu'elle était".

[18:00] Le Guardian rapporte que le site des Frères Musulmans met un lien sur les câbles égyptiens de la diplomatie américaine publiés par WikiLeaks. L'une des dépêches dit : "Le danger principal, aux yeux de Soliman [Omar Suleiman], était l'exploitation que fait le groupe [des Frères Musulmans] de la religion pour  influencer et mobiliser le public. Soliman appelle 'malheureux' le récent succès des FM aux élections du parlement, ajoutant qu'à son avis, même si le groupe était techniquement illégal, les lois égyptiennes existantes ne suffisaient pas à tenir les FM en échec." - Le quotidien britannique publie également un message de Reuters, qui rapporte un message aux Égyptiens du leader du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah (traduction littérale de la version anglaise) : " Votre mouvement va entièrement changer la face de notre région dans l'intérêt de son propre peuple. - Vous traversez la bataille de la dignité arabe, rétablissant la dignité du peuple arabe." [Your movement will entirely change the face of our region for the interest of its own people  - You are going through the battle of Arab dignity, restoring the dignity of Arab people]

[18:30] Le Guardian publie quelques conseils de l'économiste égyptien Inji Amr, permettant à la population de mieux gérer la situation pendant les émeutes :
Ne paniquez pas. La panique, c'est mauvais... Votre argent ne va nulle part, vous n'avez pas besoin de tout retirer. Assurons-nous qu'il y ait suffisamment de liquidités pour garantir la marche normale des opérations d'affaires.
• N'achetez des dollars que s'ils sont essentiels à vos opérations d'affaires.... Un taux d'échange stable sera reçu très positivement par l'arène globale et permettra un rétablissement plus rapide quand les choses seront réglées.
• Soutenez les petits. Les fruits et légumes, par exemple, sont très périssables : quand vous les achetez, achetez chez le petit revendeur avec la carriole en bois au coin de la rue, plutôt que dans les hypermarchés du monde.
• Optez pour le local... Quelques-uns des acteurs non-égyptiens du marché se sont temporairement délocalisés, d'autres ont retiré leurs fonds et affaires pour de bon. Cela a créé une opportunité sur le marché (Je sais que c'est une façon de voir incroyablement verre-à-moitié-plein).
• Soyez efficient sur le plan de l'essence. Limitez l'utilisation de votre engin à moteur, de votre parc de voitures, marchez ou faites du vélo.
• Passez vos vacances en Égypte. Le secteur du tourisme a été touché pour un moment, mais ce n'est absolument pas une raison pour ne pas apprendre à mieux connaître votre pays.
[19:30] Un certain nombre de personnes arrêtées ont été libérées : Daniel Williams (Human Rights Watch, détenu pendant 36 heures), Wael Ghonim (employé de Google et activiste politique sur Internet, captif depuis le 28 janvier, @ghonim), Ayman Mohyeldin (Al Jazeera, détenu pendant 9 heures). Ce dernier rapporte la présence de trois autres journalistes, dont un reporter du New York Times (immédiatement relâché parce qu'il n'a pas d' "ascendance égyptienne"), et il parle de brutalités de la part des militaires, confirmées également par Daniel Williams.

Le site de Radio-Canada résume les annonces de la journée : "Les membres du nouveau gouvernement dirigé par l'ex-ministre de l'Aviation, Ahmed Chafik, se réunissaient tous pour la première fois lundi [en présence du président Moubarak]. D'entrée de jeu, le gouvernement a annoncé une augmentation de 15 % du salaire des fonctionnaires et de leurs prestations de retraite. - À cela s'ajoute un fonds d'indemnisation de 800 millions de dollars pour les Égyptiens qui ont été victimes de vol et de vandalisme lors des émeutes qui ont secoué les grandes villes du pays. - La bourse du Caire, où les transactions sont interrompues depuis le 27 janvier dernier, devrait quant à elle rouvrir ses portes le 13 février."

 Mardi 8 février 2011

Fils d'actualité [Al Jazeera] [Guardian


Quinzième jour de protestations. Tôt ce matin, le correspondant d'Al Jazeera au Caire évoque les images d'une violence extrême, qui témoignent de la brutalité des affrontements de mercredi et jeudi derniers. Contrairement aux annonces officielles, le nombre des victimes pourrait être très élevé. On remarque notamment des marqueurs au laser qui précèdent les tirs des snipers.

Sur son live blog, la chaîne qatarie nous apprend ceci : "Le Hamas suit l'ascension des Frères musulmans. - Un changement de régime chez le voisin égyptien pourrait entraîner un essor considérable du mouvement du Hamas qui régente Gaza depuis quatre ans. À l'origine, le Hamas est issu de la Confrérie musulmane et les deux groupes ont toujours des liens très étroits."

Voici quelques extraits d'un historique du Point (6-02-11) intitulé L'ombre des Frères musulmans :
Les Ikwanes - les Frères, en arabe - n'ont pas légalement le droit de participer à la vie politique, puisque la Constitution égyptienne interdit les partis religieux. Aussi des membres de la confrérie font-ils campagne sous l'étiquette d'"indépendants". Leur slogan, "l'islam est la solution", leur tient lieu de programme. Tout a commencé en 1928, quand un instituteur, Hassan el-Bana, s'est insurgé contre la vie jugée frivole, contraire aux préceptes de l'islam, menée par la grande bourgeoisie du Caire et d'Alexandrie. Le mouvement qu'il organise prône un retour à la stricte observance des préceptes du Coran. Dans les années 1940, la confrérie compte déjà deux millions d'adeptes et commence à inquiéter l'État. D'autant plus que Hassan el-Bana demande l'application de la charia (le droit coranique) et veut que la confrérie soit associée à la vie politique. [...]
Les Frères musulmans ne reculent pas devant la violence et vont assassiner deux Premiers ministres, Ahmed Maher Pacha (en 1945) et Nokrachi Pacha (en 1948). Devenus un réel danger pour l'Égypte, les Ikwanes sont pourchassés et la police secrète élimine Hassan el-Bana, le 12 février 1949. - L'absence de transparence dans l'organisation du mouvement lui permet de survivre. En 1952, Gamal Abdel Nasser et Anouar el-Sadate prennent des contacts discrets avec les Frères musulmans et obtiennent leur appui pour détrôner le roi Farouk. Nasser ne leur en sera pas reconnaissant et, en 1954, les Frères tentent de l'assassiner à Alexandrie. La riposte du raïs est implacable. Onze dirigeants sont condamnés à mort et des milliers de militants sont emprisonnés. Virement de bord en 1970. En Égypte, comme ailleurs dans le monde arabe, le pouvoir flirte avec les Frères musulmans pour lutter contre les communistes. Mais le 6 octobre 1981, Sadate est assassiné par un soldat membre de la Jihad Islamiya, un groupuscule qui ne pardonne pas au raïs d'avoir signé la paix avec Israël. - Sous Moubarak, pendant une quinzaine d'années, les Frères et l'État ont des relations en dents de scie. En 1997, la confrérie renonce solennellement à la violence. Elle va jouer un rôle restreint au Parlement jusqu'aux élections de 2005, qui voient les "indépendants" emporter le cinquième des sièges. Mais en novembre 2010, la fraude massive aux législatives leur a concédé un seul député.
Le Spiegel publie un article sur la possible venue de Hosni Moubarak en Allemagne pour effectuer de nouveaux soins médicaux après ceux de l'an passé. De plus, les responsables politiques évoquent l'éventualité d'accueillir - au moins temporairement - le président égyptien sur le sol allemand si celui-ci se décidait pour l'exil. Il faudrait, dit-on, lui "faire signe discrètement" qu'une telle possibilité existe. Voilà qui est fait, même si la proposition n'a plus rien de "discret". - Il faut ajouter que les militants des droits de l'Homme menacent de déposer plainte contre Hosni Moubarak dès son arrivée en République Fédérale.

Le live blog du Guardian rappelle que Human Rights Watch évalue le nombre des tués à 297 au moins depuis le 28 janvier : 232 morts au Caire, 52 en Alexandrie et 13 à Suez. Ce chiffre se base sur des recherches effectuées dans cinq hôpitaux de la capitale, deux en Alexandrie et un à Suez. Mais il pourrait être bien plus élevé car l'organisation n'a pris en compte que les décès qu'elle a pu vérifier par elle-même. De plus les responsables des hôpitaux pourrait avoir eu pour consigne de revoir à la baisse le nombre total des victimes.

Tandis que la place Tahrir se transforme en "permanence révolutionnaire", une nouvelle mobilisation importante est prévue après les prières de midi...

[12:00](*)  Reuters rapporte une déclaration d'Omar Suleiman sur la TV d'État, après un briefing avec Hosni Moubarak sur le dialogue national : "Le président a salué le consensus national, confirmant que nous empruntons le bon chemin pour sortir de la crise actuelle [...] Une feuille de route claire a été établie avec un  calendrier fixe pour réaliser le transfert pacifique et organisé du pouvoir". - AP ajoute : "Moubarak a également ordonné une enquête sur les affrontements de la semaine dernière entre les protestataires et les supporters du président".(in Guardian) - Dans la journée, Omar Suleiman a encore annoncé que le président Moubarak avait signé un décret permettant d'amender la Constitution (Al Jazeera).

[13:00] Al Jazeera écrit : "Aujourd'hui, les militaires interdisent l'accès à la place Tahrir aux reporters étrangers en Égypte qui n'ont pas d'accréditation locale. Le Comité pour la protection des Journalistes basé à New-York vient de publier un communiqué accusant l'armée de détenir des journalistes et de confisquer leur matériel. Depuis le 30 janvier, il y aurait eu au moins 140 attaques directes contre des journalistes essayant de couvrir le soulèvement égyptien."

[14:50] Al Jazeera montre des images de la place centrale du Caire : des "centaines de milliers" de protestataires y sont déjà réunis, beaucoup d'autres sont attendus... Dans la ville d'Alexandrie, des "milliers" de personnes se sont également rassemblées...

[16:30] La foule continue d'affluer vers la place Tahrir. Selon le correspondant d'Al Jazeera, les habitants de toute l'Égypte se sont joints aux protestations. Professeurs, étudiants et médecins y participent également.

[17:30] Une correspondante de la chaîne qatarie signale que quelques milliers de manifestants ont quitté la place centrale pour s'installer devant le parlement...

[20:00] Début du couvre-feu (reculé d'une heure) alors que la place Tahrir ne désemplit pas...

Depuis le début de l'après-midi, le fil d'actualité du Guardian n'est plus mis à jour, celui du Spiegel a été abandonné avant-hier.

Rien, pour l'heure, n'est joué. D'un côté le régime cherche, apparemment, à s'amender. Apparemment. De l'autre, la rue n'en démord pas : la population exige le départ du président Moubarak, qui fait tout pour conserver le pouvoir et son immense fortune (entre 40 et 70 milliards de dollars pour l'ensemble du clan, selon Le Monde). À ce propos, un comité d'avocats égyptiens va lancer une investigation sur la provenance de cet argent, arguant que le président pourrait s'être servi dans les caisses de l'État. - Une nouvelle "mobilisation générale" du peuple égyptien est prévue pour vendredi prochain (11-02-11), le début du week-end dans le monde arabe. D'ici là, les gens vont tenter d'assurer l'ordinaire, comme nous tous...


image : al jazeera


~ Le point sur l'Égypte - Fin de l'épisode ~


(*) Heure du Caire [+1]

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