L'affaire Syriza révèle, tant pour la Grèce elle-même que pour la France et les autres pays occidentaux, qu'il est désormais impossible de faire une politique de gauche – je veux dire : sociale (1) – même si une majorité d'électeurs la plébiscite. Avec une série de précédents, cela était déjà apparu avec force lors de l'approbation en 2007 par le parlement français du fameux Traité de Lisbonne, clone du Traité de Rome pourtant refusé en 2005 par 54,67 % de l'électorat français (2) : la démocratie telle que nous l'avons – brièvement – connue semble avoir vécu.
En parlant de la Grèce : avant d'être monothéistes et « judéo-chrétiennes » – juxtaposition très à la mode qui, tout de même, passe sous silence un millénaire de persécutions du « peuple déicide » – nos racines européennes communes sont d'abord polythéistes et gréco-romaines. Peut-être faudrait-il s'en souvenir au moment où les inventeurs de la démocratie, de la philosophie, des sciences et du théâtre modernes risquent de prendre la porte de l'Union. Or, le travail sur le symbole et la reconnaissance d'une histoire, d'une culture européenne ne sont pas davantage à l'ordre du jour qu'une politique sociale commune, seule façon plausible d'empêcher à terme l'implosion de l'Europe.
L'attitude vis-à-vis de la Grèce est tout simplement obscène : les quelques sociaux-démocrates au pouvoir en Europe, comme M. François « Mon-Ennemi-C'est-La-Finance » Hollande ou le camarade Sigmar « Merkelito » Gabriel, gardent un silence coupable tandis que les banques mettent la pression, après avoir conduit l'économie mondiale au bord du précipice, appauvri les populations et favorisé une fraude – lisez : « optimisation » - fiscale de grande envergure. – Quant aux « gauchistes » de service, passant leur vie à faire du bruit avec la bouche et à refuser des alliances qui sont pourtant la seule planche de salut dans ce qui nous reste de parlementarisme, ils écrivent dans un accès d'euphorie quasi maniaque : « La victoire de Syriza est un événement historique. L’ère de la toute-puissance arrogante des néo-libéraux en Europe commence sa fin. Une occasion extraordinaire se présente pour refonder l’Europe, c’est-à-dire une occasion d’abolir les traités qui en ont fait ce monstre libéral monétariste. A partir de notre victoire en Grèce on peut imaginer un effet domino. Ce serait comparable à celui qui a touché l’Amérique latine. Là bas c’est ce qui s’est passé après qu’un premier pays se soit débarrassé de son gouvernement du PS ou de la droite, ou des deux en coalition, qui obéissaient au doigt et à l’œil du FMI. En effet, les mêmes le font ici avec la Troïka et madame Merkel ! La vague commencée là-bas vient d’arriver en Europe en passant par le sud de celle-ci qui en est le plus proche culturellement. » [ici]
Ce qui est terrible ici, c'est cette foi aveugle dans la magie du verbe, cette autosuggestion de nature animiste qui consiste à croire qu'il suffit de dire, d'énoncer les choses pour les produire, les faire exister réellement : on le constate également à l'autre bout de la rampe, où l'on n'a toujours pas intégré que le monde a radicalement changé depuis les révolutions communistes et fascistes, les 60 millions de morts de la Seconde guerre mondiale, la fin du colonialisme et de la guerre froide, depuis l'avènement de la globalisation virtuelle et de la société de l'information planétaire. Ainsi, il ne suffit pas d'évoquer de façon incantatoire les points de repère perdus – par exemple : « travail, famille, patrie » – pour les ressusciter : en effet, le retour au plein emploi n'est plus qu'une belle illusion et la notion même de travail est à repenser complètement ; de même, la famille bourgeoise ou petite-bourgeoise est à l'agonie depuis un bon moment et plus de la moitié de nos enfants évoluent dans le cadre d'une « famille recomposée » ou « monoparentale », comme on dit si bien aujourd'hui ; enfin, la patrie – lisez : la « nation », cette invention récente et particulièrement meurtrière, palliant à la mort du roi de droit divin – est à son tour devenue un fantôme dans le système actuel de la finance internationale, de l'économie apatride, qui interdit tout repli sur soi, toute autogestion, toute solution alternative, comme en témoigne la Grèce de Syriza.
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