Le score de 17,9% pour Marine Le Pen (FN) à la Présidentielle 2012 a été aussitôt qualifié d'historique par la grande majorité des commentateurs. Un petit calcul s'impose. Voici les chiffres :
Selon le Conseil Constitutionnel (25 avril 2012), 46.028.542 électrices et électeurs français ont été appelés aux urnes ce 22 avril 2012. 9.444.143 d'entre eux ne s'y sont pas rendus, 36.584.399 ont voté et 35.883.209 se sont exprimés pour l'un(e) des dix candidat(e)s. Le Front National de Marine Le Pen a réuni 6.421.426 voix, soit 17,9% des suffrages exprimés (non blancs ou nuls) ou encore quelque 14% sur la totalité des inscrits.
L'autre événement présumé "historique" était l'accession du père fondateur du FN, Jean-Marie Le Pen, au second tour de la Présidentielle 2002. Voyons à nouveau les chiffres :
Voici dix ans exactement, le corps électoral français comptait 41.194.689 personnes. 11.698.956 d'entre eux ont boudé les urnes, 29.495.733 seulement sont allés voter et 28.498.471 ont choisi l'un(e) des 16 candidat(e)s en lice. Le Front National de Jean-Marie Le Pen a réuni 4.804.713 voix au premier tour soit 16,68% des suffrages exprimés. Au second tour, il a totalisé 5.525.032 votes, soit 17,79% sur 31.062.988 suffrages exprimés (2.564.517 de plus qu'au premier tour) : il n'aura donc pris que 720.319 voix supplémentaires qui correspondent en gros aux 667.026 suffrages accordés au dissident frontiste Bruno Mégret au premier tour. Ainsi, sur les quelque 2 millions et demi de nouveaux suffrages exprimés au second tour de 2002, pratiquement personne n'a voté pour le Front National, ce qui autorise la conclusion que le parti d'extrême-droite n'a aucune réserve de voix parmi les abstentionnistes et que son score peut donc être calculé sur le nombre des inscrits : Au premier tour de 2002, Jean-Marie Le Pen réunissait quelque 11,7% des inscrits et au second environ 13,4%, un chiffre qui s'approche des 14% de sa fille le 22 avril 2012.
Pas grand-chose d'historique donc : un(e) inscrit(e) sur sept vote FN et 86% du corps électoral français ne le votent pas. - Dès lors, pourquoi tout ce remue-ménage médiatico-politique autour des quelque 6 millions et demi de votants favorables à Marine Le Pen sur 46 millions d'inscrit(e)s ?
En revanche, ce qui est "historique" pour avoir durablement marqué la Démocratie française, c'est le sabordage du suffrage universel en 2002 où un homme a pu, avec à peine 12% des électrices et électeurs inscrits sur les listes, effacer en un clin d’œil 12.218.585 voix pour les candidat(e)s de gauche, soit quelque 30% des inscrits. A titre de comparaison, les candidat(e)s de droite hors Le Pen et Mégret totalisaient 10.808.717 suffrages au premier tour de la Présidentielle 2002, soit un peu plus de 26% du corps électoral français, les deux candidats d'extrême-droite réunissant 13,3%, les abstentions, blancs et nuls se montant à plus de 30% des inscrits en ce dimanche funeste du 21 avril 2002.
Or les Français auront retenu la leçon : Marine Le Pen n'est pas au second tour de cette Présidentielle. C'est en cela, et en cela seulement, qu'elle appartient déjà à l'histoire : à la petite histoire de la campagne 2012.
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Le 22 avril 2012, quelque 10 millions d'électeurs et d'électrices (10.145.333) ne se sont prononcés pour aucun des candidats en lice au premier tour, la plupart n'ayant même pas pris la peine de se rendre dans un bureau de vote. Cela fait tout-de-même 22% du corps électoral. Si la conclusion donnée ci-dessus correspond aux faits, à savoir que l'extrême-droite n'a pas de réserve de voix parmi les abstentionnistes, pour qui ces citoyens voteraient-ils donc au second tour ? Sans doute, l'électorat de l'extrême-gauche s'est-il également très bien mobilisé au premier tour, ce qui permet de douter d'une grande réserve de voix au second.
Essayons de comprendre un peu mieux avec les chiffres de la Présidentielle 2007 où 44.472.834 citoyen(ne)s étaient inscrit(e)s sur les listes électorales. Au premier tour, 37.254.242 personnes sont allées voter et 36.719.396 d'entre elles ont accordé leur suffrage à l'un(e) des 12 candidat(e)s en lice. Les deux finalistes ont recueilli respectivement 11.448.663 voix (soit 31,18% à Nicolas Sarkozy) et 9.500.112 voix (soit 25,87% à Ségolène Royal). Sur la totalité des inscrit(e)s, le premier est à 25,75% et la seconde à 21,36% des voix possibles, ce qui fait moins de la moitié de l'électorat pour les deux finalistes réunis. Il est assez étonnant de constater que la participation fut à peu près égale pour les deux tours de cette Présidentielle 2007 : 83,77 % au premier et 83,97 % au second. Ce qui change, c'est le pourcentage des votes blancs ou nuls : 1,44 %, puis 4,20 % des votants. En conséquence, il y a eu environ 1 million de suffrages exprimés en moins au second tour, où 35.773.578 électrices et électeurs ont opté soit pour Nicolas Sarkozy (18.983.138 ou 53,06%) soit pour Ségolène Royal (16.790.440 ou 46,94 %). Sur l'ensemble du corps électoral, le Président de la République Française a été élu avec 42,68% des voix. En comparaison, la candidate social-démocrate a réuni 37,76% des suffrages. Restent tout-de-même quelque 19,5% d'abstentions et de votes blancs ou nuls. C'est beaucoup si l'on considère que l'écart entre les deux finalistes est de moins de 5% dans ce calcul sur l'ensemble des inscrits.
La stabilité de la participation sur les deux tours de 2007 ne doit pas induire en erreur : ce ne sont peut-être pas les mêmes qui se sont abstenus au premier et au second round. On peut imaginer que certains extrémistes ont boudé le deuxième tour et que certains abstentionnistes du premier se sont rués sur les bureaux de vote pour l'affrontement décisif. Au sortir de la phase éliminatoire, la gauche avait réuni 13.337.032 bulletins contre 16.522.245 à la droite, extrêmes compris. Restaient les surprenants 6.820.119 de voix aux centristes, traditionnellement alliés à la droite parlementaire. Et les 7.793.438 personnes qui ne s'étaient pas exprimées. Au second tour ce nombre allait monter à 8.699.256 où Ségolène Royal réunissait tout de même 3.453.408 voix de plus que celles de l'ensemble de la gauche au premier tour. En sachant que plus de la moitié des centristes auront voté Sarkozy, la gauche social-démocrate devrait avoir eu une certaine réserve de voix parmi les abstentionnistes, en tout cas supérieure à celle de la droite libérale.
Reprenons pour conclure les chiffres de 2012 où ~22% de l'électorat soit 10.145.333 inscrits n'ont voté pour aucun(e) des dix concurrent(e)s alors que 24.129.801 personnes ont choisi un(e) candidat(e) parlementaire (Sarkozy, Bayrou, Hollande, Joly) et que 11.753.408 ont opté pour les autres lignes politiques (Le Pen, Mélenchon, Poutou, Arthaud). Sur l'ensemble des inscrits, cela fait respectivement ~52,5% pour les parlementaires et ~25,5% pour les extrêmes. A ces 47,5% de l'électorat français (22+25,5), qui ne semblent pas vraiment enthousiasmés par les voies politiques des deux finalistes, il faut encore ajouter les 3.275.122 suffrages, soit ~7% des inscrits, qui se sont portés sur "Nini" Bayrou pour obtenir le chiffre impressionnant de 54,5% soit un peu plus de 25 millions d'inscrits sur les quelque 46 millions de personnes que compte le corps électoral français, qui n'ont apparemment aucune affection particulière pour MM. Sarkozy et Hollande.
Bien sûr, il faut nuancer tout ça : parmi les quelque 9,5 millions de personnes qui ne sont pas allées voter le 22 avril 2012, un certain nombre se réserve sans doute pour le second tour, mais on ne peut pas dire que ces citoyens soient extrêmement motivés par le suffrage universel ou l'idée du devoir civique. D'autre part, l'extrême-gauche a déjà fait son choix - fût-il par défaut - pour le candidat social-démocrate, et l'on peut également supposer qu'un nombre raisonnable de nationalistes et de centristes se prononceront pour le candidat de la droite libérale le 6 mai 2012.
Contrairement aux chiffres virtuels inlassablement rabâchés par les instituts de sondage, ces calculs basés sur l'expression réelle de l'électorat font apparaître une grande incertitude, puisqu'une majorité des citoyens en âge de voter témoigne d'un désintérêt pour la politique, d'une indécision fondamentale ou encore d'une attirance pour le vote extrême. Or, au sein de l'Europe politique qu'il s'agit enfin de construire, seules deux voies sont possibles : celle qui, soutenue par la finance internationale et les agences de notation, consiste à supprimer autant que faire se peut l’État social - c'est-à-dire les avantages sociaux conquis après plus d'un siècle de luttes acharnées : droit du travail, éducation et formation, soins et retraites pour tous, assurance chômage et minima sociaux, services publics etc. - et celle qui consiste à préserver ces acquis au nom de la justice sociale.
Si les luttes syndicales et les mouvements citoyens restent indispensables, aucun vote extrême ne peut aider à la construction d'une Europe sociale avec un salaire minimum, des taxes et impôts harmonisés, des soins, une assurance chômage et des minima sociaux pour tous, un droit du travail équitable etc. En revanche, l'indécision et le désintérêt pour la politique n'ont pour effet que le maintien du statu quo, autrement dit : une Europe ultralibérale en proie à la spéculation de la finance internationale et à la "dégradation" promise par les agences de notation.
[chiffres de 2012 via le Conseil Constitutionnel, ceux de 2002 et 2007 sur Wikipédia]
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