[Nota Bene : Je ne connais pas Muhammad. Son profil au Guardian indique seulement que ce nom est le pseudonyme d'un blogueur à Tripoli. - C'est son texte qui m'a paru authentique. Au point d'avoir envie de le traduire pour le partager avec vous. Le lien sur la version anglaise se trouve au bas de la page. - Cordialement, SK. - بشكل ودي]
Muhammad min Libya
La Libye est unie dans la révolution populaire – s'il vous plaît, n'intervenez pas (*)
Nous approuvons une zone d'exclusion aérienne, mais le sang des morts libyens sera versé pour rien
si l'Occident dénature notre soulèvement avec une intervention ratée
"Embrasse ma mère pour moi, et dis-lui que son fils est mort en héros", a dit mon ami Ahmed, 26 ans, à la première personne qui s'est précipitée vers lui lorsqu'il a été abattu dans une rue de Tripoli.
Deux jours plus tard, mon ami est mort à l'hôpital. Comme ça.
Ce beau jeune homme, grand, drôle, plein d'esprit, n'est plus. Il ne répondra plus à mes coups de fil. Son compte Facebook restera figé pour toujours.
Une heure avant qu'on ne lui tire dessus, j'ai appelé Ahmed. Il avait l'air en pleine forme. Il m'a dit qu'il se trouvait place Verte, au cœur de Tripoli, et que nous étions libres. Puis les mauvaises liaisons téléphoniques ont fait que je n'ai pas pu le joindre pendant deux jours.
Ensuite, j'ai appelé le meilleur ami d'Ahmed qui m'a rapporté la terrible nouvelle. Ils étaient en train de l'enterrer. Alors je me suis précipité au cimetière, et j'y suis arrivé à la fin des funérailles. J'ai rencontré quelques-uns de nos amis. Ils ont désigné un endroit par terre en me disant que le corps d'Ahmed se trouvait là. On s'est embrassés et on a pleuré de tous nos cœurs.
C'est ce genre d'histoires que vous entendez à Tripoli, ces jours-ci. Des centaines, des milliers peut-être. Des histoires que vous auriez du mal à imaginer dans la vie de tous les jours.
Comme quand vous entendez qu'un bébé de six mois a été assassiné, vous espérez de tout cœur que les déclarations de Saif al-Islam Kadhafi soient vraies, qu'il y a très peu de violence par ici, qu'Al-Jazeera a inventé toute cette histoire. Vous espérez que l'enfant est en train de dormir paisiblement dans les bras de sa mère, en ce moment-même. Comme quand vous entendez qu'une personne de Tajura, qui avait une balle dans la tête pendant deux jours avant de mourir, laisse une épouse en deuil et un enfant. Vous priez Dieu pour que ce père puisse être en train de jouer avec son enfant. Mais les photos, les vidéos vous montrent la vérité crue. Les hurlements n'ont pas besoin de traduction. Des êtres chers fauchés par la mort : tous les Hommes comprennent ce cri.
Voilà la vie à Tripoli depuis quelque temps déjà. Voilà pourquoi la ville est surnommée la "Cité des Fantômes" par ses habitants, désespérés à la vue des protestataires fuyant les gaz lacrymogènes. La ville est à l'arrêt, la grande majorité des boutiques sont fermées, comme les écoles et les universités. Quelques rares magasins, qui vendent les produits de base, restent ouverts, quelques heures par jour seulement.
Mais malgré ce tableau sinistre de Tripoli, les gens ont de grands espoirs et la conviction que nous assistons aux dernières heures du régime Kadhafi. Cet homme ne gouverne plus la Libye ; ce n'est plus qu'un homme avec un fusil braqué sur le peuple.
Ses deux discours, et celui de son fils auparavant, n'étaient que menaces – et ils se sont retournés contre eux, pour le bien de la révolution libyenne. De l'Est à l'Ouest de la Libye, les tribus sont sorties pour affirmer l'unité nationale.
À l'étranger, son bilan n'est pas meilleur. Kadhafi voulait faire peur au monde occidental avec la menace présumée d'un émirat islamique. La communauté internationale lui a répondu en lui barrant la route de l'exil, en gelant ses avoirs et en portant les crimes de son régime devant la Cour internationale de Justice, avec une unanimité sans précédent, ou presque.
Tous les Libyens, même les minorités pro-Kadhafi, sont convaincus que ce n'est qu'une question de temps avant que la Libye ne retrouve sa liberté. Mais une question terrifiante demeure : Combien de martyrs devront tomber avant la chute de Kadhafi ? Combien d'âmes prendra-t-il avant que cette calamité ne cesse ?
Mais la fin heureuse, que nous entrevoyons, est troublée par une crainte que partagent tous les Libyens : celle d'une possible intervention militaire des puissances occidentales pour mettre fin à la crise.
Comprenez-moi bien. Comme tous les Libyens, je suis persuadé qu'une zone d'exclusion aérienne serait une bonne chose pour infliger un coup fatal au régime à bien des niveaux ; elle couperait la route aux convois de mercenaires, recrutés en Afrique, empêcherait Kadhafi de se livrer au trafic d'argent et d'autres biens, et le plus important : elle empêcherait le régime de bombarder des arsenaux qui, comme l'affirment beaucoup de témoins, recèlent des armes chimiques ; cela entraînerait une catastrophe inimaginable, sans oublier que les avions de Kadhafi pourraient eux-mêmes transporter de telles armes.
Il n'empêche que quelque chose semble avoir réuni les Libyens de tous horizons ; toute intervention militaire terrestre, par quelque puissance étrangère que ce soit, donnerait lieu - comme Mustafa Abud Al Jeleil, l'ex-ministre de la Justice et chef du gouvernement intérimaire d'opposition, l'a dit – à des combats beaucoup plus acharnés que ceux qui ont été provoqués par les mercenaires.
Je ne suis pas non plus pour l'option de frappes aériennes limitées à des cibles spécifiques. C'est une révolution pleinement populaire, dont l'essence est le sang du peuple libyen, qui a combattu seul lorsque les pays occidentaux ont ignoré sa révolution naissante, craignant pour leurs intérêts en Libye. C'est pourquoi j'aimerais que la révolution soit accomplie par ceux qui l'ont commencée : le peuple libyen.
Alors que les appels pour une intervention étrangère se multiplient, je voudrais envoyer un message aux dirigeants occidentaux : Obama, Cameron, Sarkozy. C'est une opportunité sans commune mesure qui vous est tombée du ciel, l'occasion d'améliorer votre image aux yeux des Arabes et des musulmans. Ne la gâchez pas. Jusqu'à présent, tous vos programmes visant à rapprocher l'Occident et l'Orient ont échoué, et certains n'ont fait qu'empirer les choses. Ne commencez donc pas une action que vous ne pourriez terminer, ne transformez pas la pureté d'une révolution populaire en une calamité qui frapperait tout le monde. Ne gâchez pas le sang que mon ami Ahmed a versé pour moi.
Vivons simplement en voisins sur la même planète. Qui sait, un jour peut-être, le voisin que je suis se tiendra sur le pas de votre porte et vous serrera la main avec un sourire.
Deux jours plus tard, mon ami est mort à l'hôpital. Comme ça.
Ce beau jeune homme, grand, drôle, plein d'esprit, n'est plus. Il ne répondra plus à mes coups de fil. Son compte Facebook restera figé pour toujours.
Une heure avant qu'on ne lui tire dessus, j'ai appelé Ahmed. Il avait l'air en pleine forme. Il m'a dit qu'il se trouvait place Verte, au cœur de Tripoli, et que nous étions libres. Puis les mauvaises liaisons téléphoniques ont fait que je n'ai pas pu le joindre pendant deux jours.
Ensuite, j'ai appelé le meilleur ami d'Ahmed qui m'a rapporté la terrible nouvelle. Ils étaient en train de l'enterrer. Alors je me suis précipité au cimetière, et j'y suis arrivé à la fin des funérailles. J'ai rencontré quelques-uns de nos amis. Ils ont désigné un endroit par terre en me disant que le corps d'Ahmed se trouvait là. On s'est embrassés et on a pleuré de tous nos cœurs.
C'est ce genre d'histoires que vous entendez à Tripoli, ces jours-ci. Des centaines, des milliers peut-être. Des histoires que vous auriez du mal à imaginer dans la vie de tous les jours.
Comme quand vous entendez qu'un bébé de six mois a été assassiné, vous espérez de tout cœur que les déclarations de Saif al-Islam Kadhafi soient vraies, qu'il y a très peu de violence par ici, qu'Al-Jazeera a inventé toute cette histoire. Vous espérez que l'enfant est en train de dormir paisiblement dans les bras de sa mère, en ce moment-même. Comme quand vous entendez qu'une personne de Tajura, qui avait une balle dans la tête pendant deux jours avant de mourir, laisse une épouse en deuil et un enfant. Vous priez Dieu pour que ce père puisse être en train de jouer avec son enfant. Mais les photos, les vidéos vous montrent la vérité crue. Les hurlements n'ont pas besoin de traduction. Des êtres chers fauchés par la mort : tous les Hommes comprennent ce cri.
Voilà la vie à Tripoli depuis quelque temps déjà. Voilà pourquoi la ville est surnommée la "Cité des Fantômes" par ses habitants, désespérés à la vue des protestataires fuyant les gaz lacrymogènes. La ville est à l'arrêt, la grande majorité des boutiques sont fermées, comme les écoles et les universités. Quelques rares magasins, qui vendent les produits de base, restent ouverts, quelques heures par jour seulement.
Mais malgré ce tableau sinistre de Tripoli, les gens ont de grands espoirs et la conviction que nous assistons aux dernières heures du régime Kadhafi. Cet homme ne gouverne plus la Libye ; ce n'est plus qu'un homme avec un fusil braqué sur le peuple.
Ses deux discours, et celui de son fils auparavant, n'étaient que menaces – et ils se sont retournés contre eux, pour le bien de la révolution libyenne. De l'Est à l'Ouest de la Libye, les tribus sont sorties pour affirmer l'unité nationale.
À l'étranger, son bilan n'est pas meilleur. Kadhafi voulait faire peur au monde occidental avec la menace présumée d'un émirat islamique. La communauté internationale lui a répondu en lui barrant la route de l'exil, en gelant ses avoirs et en portant les crimes de son régime devant la Cour internationale de Justice, avec une unanimité sans précédent, ou presque.
Tous les Libyens, même les minorités pro-Kadhafi, sont convaincus que ce n'est qu'une question de temps avant que la Libye ne retrouve sa liberté. Mais une question terrifiante demeure : Combien de martyrs devront tomber avant la chute de Kadhafi ? Combien d'âmes prendra-t-il avant que cette calamité ne cesse ?
Mais la fin heureuse, que nous entrevoyons, est troublée par une crainte que partagent tous les Libyens : celle d'une possible intervention militaire des puissances occidentales pour mettre fin à la crise.
Comprenez-moi bien. Comme tous les Libyens, je suis persuadé qu'une zone d'exclusion aérienne serait une bonne chose pour infliger un coup fatal au régime à bien des niveaux ; elle couperait la route aux convois de mercenaires, recrutés en Afrique, empêcherait Kadhafi de se livrer au trafic d'argent et d'autres biens, et le plus important : elle empêcherait le régime de bombarder des arsenaux qui, comme l'affirment beaucoup de témoins, recèlent des armes chimiques ; cela entraînerait une catastrophe inimaginable, sans oublier que les avions de Kadhafi pourraient eux-mêmes transporter de telles armes.
Il n'empêche que quelque chose semble avoir réuni les Libyens de tous horizons ; toute intervention militaire terrestre, par quelque puissance étrangère que ce soit, donnerait lieu - comme Mustafa Abud Al Jeleil, l'ex-ministre de la Justice et chef du gouvernement intérimaire d'opposition, l'a dit – à des combats beaucoup plus acharnés que ceux qui ont été provoqués par les mercenaires.
Je ne suis pas non plus pour l'option de frappes aériennes limitées à des cibles spécifiques. C'est une révolution pleinement populaire, dont l'essence est le sang du peuple libyen, qui a combattu seul lorsque les pays occidentaux ont ignoré sa révolution naissante, craignant pour leurs intérêts en Libye. C'est pourquoi j'aimerais que la révolution soit accomplie par ceux qui l'ont commencée : le peuple libyen.
Alors que les appels pour une intervention étrangère se multiplient, je voudrais envoyer un message aux dirigeants occidentaux : Obama, Cameron, Sarkozy. C'est une opportunité sans commune mesure qui vous est tombée du ciel, l'occasion d'améliorer votre image aux yeux des Arabes et des musulmans. Ne la gâchez pas. Jusqu'à présent, tous vos programmes visant à rapprocher l'Occident et l'Orient ont échoué, et certains n'ont fait qu'empirer les choses. Ne commencez donc pas une action que vous ne pourriez terminer, ne transformez pas la pureté d'une révolution populaire en une calamité qui frapperait tout le monde. Ne gâchez pas le sang que mon ami Ahmed a versé pour moi.
Vivons simplement en voisins sur la même planète. Qui sait, un jour peut-être, le voisin que je suis se tiendra sur le pas de votre porte et vous serrera la main avec un sourire.
~ Traduit de l'anglais par SK. ~
(photo : al jazeera)
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