lundi 10 juin 2013

Reality Show

Depuis quelque temps, je croise les billets d'humeur d'un certain Harald Martenstein, chroniqueur de son état dans le très berlinois Tagesspiegel. Jusqu'à présent, rien de bien extraordinaire, "le minimum syndical", comme on dit...






Mais dans l'édition du dimanche (3 juin 2013), je lis une sorte d'apologie pour la télé privée, particulièrement horrifiante en Allemagne, assortie de quelques manchettes à la télé publique, plutôt bonne au contraire, et je me dis (comme d'ailleurs le chapeau de l'article) : Il est devenu fou, Martenstein ?


Il chante les louanges d'un concept allemand de téléréalité qui fait des audiences record (jusqu'à 2 millions de scotchés) en fin d'après-midi (17h-19h), bien évidemment entrecoupé d'une myriade d'invites à la consommation, qui est particulièrement outrancière dans ce pays : "Mieten, kaufen, wohnen" (littéralement : "Louer, acheter, habiter"). - Cette émission, qui scotche donc également l'homme de lettres Harald Martenstein, met aux prises des agents immobiliers et des clients, locataires ou acheteurs potentiels, autour d'un bien immobilier, appartement ou villa. Or, quand on connait le marché délirant de l'immobilier, ce genre de boniments peut paraître surréaliste. D'ailleurs, l'auteur concède que les situations ne sont pas très "réalistes" : c'est en effet l'agent qui est aux petits soins avec le client, alors que dans la vraie vie une cinquantaine de candidats se bousculent sur le pas de porte pendant les visites, ce qui rappelle étrangement le marché de l'emploi.




Alors, cher Harald Martenstein, à quand une émission "Stütze, Stelle, Kohle" (Chomdû, boulot, pognon) où l'on verrait de gentils patrons et conseillers aux petits soins avec les chômeurs ? Je suis sûr que vous aimerez...

Plus sérieusement : ce n'est pas très malin pour un chroniqueur qui lutte apparemment contre la stupidité ambiante de défendre les concepts de téléréalité dans un pays littéralement submergé par ce genre de programmes tout en lançant, débat actuel sur la redevance oblige, des piques à une télé publique qui, notamment avec ses programmes régionaux, ou un grand nombre d'émissions de débats et d'information, ainsi que d'innombrables stations radio, sans oublier des projets comme Arte ou 3Sat, permet d'élever quelque peu le niveau, quand la "téléréalité" vulgarise à fond la caisse, comme si son projet consistait avant tout à ramollir les cervelles.

  • Ce qui frappe notamment dans ces programmes, c'est la manière toujours plus raffinée dont les participants sont pris pour des idiots, même si c'est à peine un peu moins flagrant dans "Mieten, kaufen, wohnen", ou dans le très culinaire "Un dîner presque parfait" (Das perfekte Dinner) tandis que, de l'autre côté de l'écran, un grand nombre de téléspectateurs se nourrissent chez le discounter.


  • En Allemagne comme en France et partout ailleurs, les émissions phare de ce genre mettent en outre les candidats dans une situation paradoxale : ils doivent s'entendre et s'éliminer à la fois ! Cette situation illustre de façon exemplaire le Double Bind, où les chercheurs de Palo Alto ont repéré une cause potentielle de certaines psychoses.


  • Mais surtout : le trait général de ces programmes est leur caractère d'expérimentation humaine. Dans Loft Story (Big Brother), les candidats étaient enfermés dans une sorte de laboratoire, filmés et surveillés nuit et jour, en constante représentation, parés d'une soudaine et éphémère célébrité. Ensuite, on a appliqué ce concept de "célébrisation" à un genre déjà existant : le "télé crochet". Ainsi, les concepteurs se sont vus capables de produire des "stars" à tire-larigot, des "stars kleenex", prêts à être jetés lorsqu'ils ne remplissent plus leur rôle de pompes à fric !


Devant ces considérations, et bien d'autres, on ne peut défendre les formats de téléréalité. Sous un aucun prétexte. Car contrairement à ce qu'avance Harald Martenstein, ils ne participent pas du réalisme social (Sozialrealismus, mot récurrent dans son papier), mais font au contraire un travail de "formatage" de notre "réalité sociale" - et de la société contemporaine - dont nul, pas même les expérimentateurs eux-mêmes, ne peut prédire l'évolution finale...

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