samedi 31 mars 2012

L'effet Flamby

En recherchant le surnom dont est affublé le candidat socialiste, je suis tombé sur une entrée de Wikipédia intitulée Effet Flamby :
L’effet Flamby est un phénomène internet qui se manifeste par l’augmentation considérable de la diffusion d’information ou de documents faisant l’objet d’une tentative de retrait ou de censure contenu dans un site mondialement connu notamment par la création de sites miroirs.
Il semble que l'origine du sobriquet serait plutôt à chercher du côté d'Arnaud Montebourg (PS) qui, en 2003, aurait déclaré : "Hollande, c'est Flamby". - Avec son sens de la formule déplacée, cet avocat de métier, qui vient encore d'associer ce matin Jean-Luc Mélenchon et Georges Marchais, après avoir marié la semaine dernière Angela Merkel et Bismarck, aime visiblement - cas de le dire - mettre les pieds dans le plat. A propos de Ségolène Royal qui, pendant la campagne 2007 partageait encore la vie de François Hollande, il avait affirmé : "Son seul défaut est son compagnon". On connait la suite.

Le problème avec ce genre de sorties, c'est qu'elles restent, à l'image des sobriquets qui sont réputés tenaces. Et la réduction extrême qui les caractérise efface, comme un effet pervers, tout le reste. A cela s'ajoute la réception, que l'émissaire du message est loin de pouvoir contrôler. Car la guignolisation de la vie politique, quelles que soient d'ailleurs ses intentions, a pour effet de dépolitiser les débats et donc de favoriser le status quo. C'est là le véritable "effet Flanby".

vendredi 30 mars 2012

[Billet] Bravitude et méprisance

Ce qu'il ne faut pas entendre. Et ce matin, dans l'émission de l'étrange Pascale Clark sur France-Inter, un intervenant eut la merveilleuse idée d'adapter Brassens : "Quand je pense à Hollande, je b..." - Pour une raison obscure, il n'a pas prononcé le mot. Et je ne me souviens pas si, en pensant à Sarkozy, il bande aussi.

En ce qui concerne le président sortant, tout le monde parle de sa remontée spectaculaire depuis son entrée en campagne. Où ça ? - Mais dans les sondages, bien sûr. Si ces chiffres cyclothymiques bougent tout le temps, ils reflètent moins les intentions de vote des citoyens que le ballet médiatique des personnalités politiques qui, pour la joie des petits et grands éditorialistes, ne cessent de s'agiter. Lambada pour le citoyen lambda.

Devant cette véritable frénésie, consécutive à la grande dépression du quinquennat 2007-2012, où l'on peut toutefois noter deux, trois accès maniaques, l'électeur français ne doit plus vraiment savoir où il habite. - Mais si, mais si : nous sommes bien en France !

Et, au milieu de ces poses et postures fébriles, d'autres chiffres tombent, que l'on prend soin d'exposer en pourcentages : baisse du déficit public (5,2% pour 2011), mais hausse de la dette publique qui s'élève à 85,8% du PIB pour 2011 (contre 82,3% pour 2010). Car l'énoncé de la somme dont il s'agit est un peu plus impressionnant - ou consternant - puisqu'il faudrait rembourser plus de 1.700 milliards (1.700.000.000.000) d'euros. - A qui, au fait ?

Une invasion de zéros. Une vague d'immigration d'une tout autre nature. Il en faudra, de la bravitude, pour y faire face. Car il y en a tout de même pour 26.000 € par habitant (pour 65.350.181 personnes au 1er janvier 2012). Faut-il en parler ? Ça risque de lasser ? - OK.

mercredi 28 mars 2012

Sondage au quotidien - 28 mars 2012

Sur le site d'Europe 1 - via IFOP - Fiducial - Paris Match -, on peut avoir sa dose quotidienne de sondage. Merci pour les addicts, qui viennent inhaler la tendance du jour comme on va chercher ses clopes chez le buraliste. Hey Marboro Man : Fumer tue !
Spécial Dédicace - Signé Furax

lundi 26 mars 2012

Sarkozy - Hollande : "Dialogue off"

Relevé hier sur le site du Parisien, cet échange par procuration entre les deux "principaux candidats" fait craindre le pire pour un éventuel "débat du second tour" entre les deux hommes. Éric Hacquemand écrit :
L'affrontement entre Nicolas Sarkozy et François Hollande monte dans les tours. En marge d'une rencontre organisée ce dimanche matin avec des élus corses à Bastia (Haute-Corse), le candidat socialiste à la présidentielle a estimé que Nicolas Sarkozy était « un chicaneur de cour de récré ». « Lui, c'est un chicaneur de cour de récré, confie Hollande. Tu me cherches, tu me trouves. Or il faut éviter la cour de récré. » Une façon de ne pas rester sur la défensive alors que le président sortant multiplie les critiques et railleries.

Dans des confidences faites à un journaliste du Monde et parues ce week-end, Nicolas Sarkozy a ainsi qualifié le socialiste de « nul ». «
Je vais gagner et je vais même te dire pourquoi, estime en « off » Sarkozy. Il n'est pas bon et ça commence à se voir. Hollande est nul ! Il est nul, tu comprends ? Royal, on peut dire ce qu'on veut, mais elle avait du charisme. Bien sûr tu gardes ça pour toi... ».
Une nouvelle étape dans la personnalisation du débat politique qui, dans ce petit "dialogue à distance", régresse à son niveau le plus infantile, confondant la cour de l’Élysée avec une cour de récré.

samedi 24 mars 2012

Note sur la personnalisation de la vie politique française

J'ai écrit voici quelques jours :
Si les élections des 22 avril et 6 mai 2012 concourent à désigner au suffrage direct le président de la République Française avec l'énorme pouvoir personnel qui est le sien depuis 1958, la "personnalité" ou la "personne" des deux candidats qualifiés pour le second tour joue nécessairement un rôle clef dans le choix final des électeurs, bien davantage qu'au premier tour où les citoyens, s'ils ne sacrifient pas au "vote utile" [ou au "vote sanction"], privilégient en principe leurs différentes options politiques, économiques et sociales. [20 mars 2012 - Suspension]
 Quelques jours plus tôt, j'avais déjà abordé le problème dans une perspective européenne :
Avec la personnalisation, on assiste à un nombrilisme formidable qui existe évidemment dans tous les autres pays européens : Sommes-nous, ou ne sommes-nous pas en Europe ? Si oui, il s'agit ici d'une élection régionale qui devrait être traitée comme telle, y compris par les sondeurs. [...] Et si tant est que l'Europe doive montrer l'exemple en matière d'écologie, la personnalisation de la candidature d’Éva Joly, la focalisation sur son appartenance nationale (franco-norvégienne), le score qu'invariablement les panels des sondeurs lui attribuent, tout cela n'a plus rien à voir avec la préoccupation réelle des citoyens. Pour preuve, le score étonnant (en France, non en Allemagne par exemple) des écologistes - 16,28% ! - aux Européennes de 2009.  [16 mars 2012 : Match des sondages : Pat !]
Puis j'ai pris l'exemple du système politique outre-Rhin :
La particularité de la démocratie allemande - qui après la faillite de la République de Weimar (1918-33) et la catastrophe national-socialiste se dit "exemplaire", en particulier depuis la chute du Mur et la Réunification (1989-90) - est la priorité donnée au parlement et aux courants politiques [...]. Ainsi, toute personnalisation à outrance, tout "culte de la personnalité" sont voués à l'échec, du moins ose-t-on l'espérer.  [18 mars 2012 - Gauck Président]

vendredi 23 mars 2012

Débriefing

 NB. - Cet article conclut celui d'hier : Dénouement (22 mars 2012)

"Une atmosphère chaude pour un début de printemps", rappelle le météorologue de Radio France. Finis les directs hypnotiques, place à la réflexion. Que s'est-il donc passé ?

J'imagine une pile de vieux journaux où sont consignés tous ces événements qui ont fait la Une à travers le temps. Plus personne ne les lit. A la campagne, on s'en sert pour allumer le feu. Le poissonnier les utilise pour envelopper sa marchandise. 

A peine ses "feux" éteints, "l'actualité" est frappée d'une prodigieuse obsolescence. Cela ne tient pas seulement à la lassitude que l'on peut éprouver après un matraquage dans les règles de l'art, mais aussi - pardon ! - à toutes les conneries que l'on peut entendre dans "le feu de l'action". Ainsi, les commentateurs - experts, journalistes, politiciens - ont intérêt à ce que le public oublie rapidement les plus consternants de leurs propos.

Je pense à une affaire qui a récemment bouleversé l'Allemagne. Entre 2000 et 2006, un commando de trois personnes - deux hommes et une femme nés entre 1973 et 1977 - ont abattu neuf commerçants, huit Turcs et un Grec, en utilisant toujours la même arme (Česká CZ 83, calibre 7,65 mm Browning). Les victimes de cette série d'assassinats étaient un fleuriste, un tailleur, deux marchands de légumes, deux restaurateurs rapides (kébabs), les tenanciers d'un Internet-café, d'une boutique de clefs-minute et d'un kiosque. Il fallait attendre novembre 2011 - soit plus de cinq ans après la dernière exécution - pour que le suicide des deux hommes et l'arrestation de la femme lève le voile sur le mystère de ces meurtres en série : il s'agissait d'une "cellule national-socialiste" ("Nationalsozialistischer Untergrund") basée à Iéna puis à Zwickau, deux villes de Thuringe en Allemagne centrale (ex-RDA).

Dans le contexte de la tuerie de Toulouse et Montauban, plusieurs raisons me poussent à mentionner cette affaire, dont les détails et l'énorme résonance médiatique n'ont pas vraiment franchi le Rhin. La première tient à la formidable méprise des enquêteurs et des médias allemands. Un temps, on affubla ces assassinats "mystérieux" du nom affligeant de "Meurtres au Kébab" ("Döner-Morde"), en spéculant qu'il s'agissait de règlements de comptes entre commerçants ou d'exécutions mafieuses liées à des problèmes de territoire. C'est ce qui aura permis aux trois assassins d'opérer en toute impunité, puis de disparaître pendant cinq ans sans être inquiétés le moins du monde.

A Toulouse, c'est l'exact contraire : l'amok, la "tuerie en masse" d'un homme isolé a été transformée en opération terroriste, et d'ailleurs la "revendication" par certains "inspecteurs des travaux finis" ne s'est pas faite attendre. Le vrai problème - et le point commun entre deux affaires aussi différentes - réside dans un formidable mélange des genres qui ne peut que déboussoler les enquêteurs. Car la question se pose en effet : S'agit-il de "crimes de droit commun" ou d'"attentats terroristes" réclamant des investigations d'une toute autre nature ?

jeudi 22 mars 2012

Dénouement

NB. - Cette note prolonge celle d'hier : Épilogues écarlates (21 mars 2012)

ÉLÉMENTS

Sur son fil d'actualité [ici, à 11:09], La Dépêche du Midi annonce le décès de l'homme qui se terre dans son appartement depuis hier, 3 heures du matin, cerné par "250 policiers". Un peu plus tard, l'affirmation est remplacée par un conditionnel plus prudent : "Selon une source policière, le RAID aurait retrouvé Mehra mort"

Sur France-Info [11:25] on entend un "échange (de tirs) très violent", des voix, une suite de détonations, et le commentaire ininterrompu de la journaliste qui se trouve à "quelques dizaines de mètres" de l'immeuble.

Sur son fil, La Dépêche le répète :  Des sources policières indiquent que le suspect serait mort [11:34]. Deux minutes plus tard, le journal précise : Mehra aurait cherché à se faire tuer par les hom[m]es du RAID [11:36]. Puis c'est officiel : L'Elysée confirme la mort de Mohamed Merah...  [11:42] Le circonstances sont précisées : Selon Béatrice Blondeau, journaliste de LCI, Mohamed Merah est mort à l'extérieur de son appartement, une kalachnikov à la main [11:48] Et on passe aux chiffres : 300 cartouches tirées pendant l'assaut [11:52].

A midi pile, Claude Guéant apparaît sur le lieux pour le débriefing devant les micros des journalistes en faction. Le ministre de l'Intérieur parle d'une "extrême violence", l'homme s'étant terré dans la salle de bains dont il était brusquement sorti en tirant des "rafales", lorsque le RAID inspectait son appartement, pour ensuite "sauter par la fenêtre, une arme à la main, en continuant à tirer" : il a été "retrouvé mort au sol".


mercredi 21 mars 2012

Epilogues écarlates

NB. Cette note conclut les articles Faits divers (19 mars 2012) et Suspension (20 mars 2012)

Ce matin, le candidat Sarkozy - soudain redevenu président - en appelle - visiblement ému - à "l'unité de la Nation" sans - bien sûr - que son omniprésence médiatique ne soit décomptée de son temps de parole. Je le disais déjà : un coup de maître !

Dans la foulée, les commentaires des journalistes de France 24 sont édifiants : on rappelle son goût immodéré pour les affaires de ce genre, déjà évoquées ici, comme la prise d'otages de Neuilly (1993) ou la "tuerie de Nanterre" (2002) et les médiatisations ad nauseam qui forcément les accompagnent.

Pendant ce temps, un pauvre type, devenu par je ne sais quels mécanismes un monstre, se terre dans son logement toulousain cerné par les "forces spéciales" avec la promesse de se rendre dans l'après-midi, vu que, pour lui, les carottes sont définitivement cuites : après avoir exécuté froidement des soldats et des enfants, "l'homme au scooter" s'est mis à blesser des policiers pour retarder son arrestation.

On est donc passé au mode "en direct", particulièrement affectionné des médias : caméras sur les lieux, images vides d'une rue quelconque, envoyés spéciaux, paroles creuses, défilé d'experts et de commentateurs, "séquences émotion", spéculations et prises de position. En effet : ad nauseam !

Hier déjà, à l'aéroport de Roissy, lors du départ des cercueils en direction de Jérusalem, Nicolas Sarkozy laissait paraître une grande émotion : on aurait dit qu'il retenait ses larmes. Feints ou réels, il y a un problème avec ces états d'âme qui résonnent jusque dans la scansion du discours, un problème de mesure.

Dans cette période électorale, le maître-mot - avec la fameuse "union nationale" - est l'instrumentalisation des événements, quelle que soit d'ailleurs leur nature. Or, celui-ci est de taille. La simple consigne "présidentielle" de ne pas l'instrumentaliser est déjà une instrumentalisation. Je m'explique : "instrumentaliser" un événement revient à l'utiliser pour promouvoir une perspective partisane. La perspective de Nicolas Sarkozy est celle d'un président de la République qui entend le rester. Quoi de mieux qu'un événement comme celui-ci pour faire valoir cette perspective dans un simulacre d'"union nationale" ?

mardi 20 mars 2012

[Billet] Suspension

NB : Ce billet d'humeur fait suite à l'article "Faits divers" (19 mars 2012)

page Facebook de Nicolas Sarkozy ce 20 mars 2012

La campagne est donc suspendue jusqu'aux funérailles des militaires et des victimes civiles, prévues demain, 21 mars, en France et en Israël, une décision prise plus ou moins d'autorité par le candidat Nicolas Sarkozy - qui reprend les rênes de président pour l'occasion - et suivie sans moufter par tous les prétendants. Tous ?

Ce matin sur France-Inter, le sondeur Brice Teinturier (IFOP) concède que les faits divers, comme ceux qui se sont produits et ont été médiatisés à outrance jusqu'à la veille du scrutin de 2002, peuvent exercer une influence sur les "intentions de vote". Une petite précision cependant : en 2002, il ne s'agissait plus d'intentions mais bien de votes réels qui ont qualifié Jean-Marie Le Pen, champion de l'insécurité, pour le second tour de la Présidentielle avec le résultat de plomber le processus démocratique.

M. Teinturier précise également quelque chose dont on pouvait se douter mais qui, venant d'un expert comme lui, tenu à la neutralité, devrait donner à penser : des événements comme l'assassinat des militaires et des enfants entre le 11 et le 19 mars 2012 ont pour effet de maintenir le status quo, ou en termes politiques : de conforter le "pouvoir sortant".

lundi 19 mars 2012

Faits divers

Après l'assassinat d'un militaire à Toulouse, le 11 mars 2012, et de deux autres à Montauban quatre jours plus tard 45 km plus au Nord, une attaque contre une école juive a été perpétrée à Toulouse, dans le quartier de Jolimont, ce lundi matin 19 mars. Le quotidien régional La Dépêche précise [ici] : "Il y aurait au moins trois morts, un professeur de religion et ses deux enfants. Le tueur serait muni de deux armes, dont une de même calibre que celle utilisée pour les parachutistes de Montauban." - Selon des témoins, il s'agirait à nouveau d'un "homme à scooter". La Dépêche : "Le tueur aurait fui sur un scooter noir. Ce qui pourrait suggérer qu'il y ait un lien avec l'auteur des deux fusillades contre les militaires à Toulouse et Montauban. Un important dispositif de recherche a été mis en place pour retrouver le tireur. Plusieurs hélicoptères quadrillent la région nord et est de Toulouse."

En période électorale, le problème avec ce type de "faits divers" - une appellation qui ne veut aucunement minimiser leur gravité - c'est la sur-réaction des politiques et le malaxage de l'opinion publique par les médias. Je cite un passage de mon Carnet de campagne 2007 :
...en 2002, (...) c’était une sordide série de faits divers, montés en épingle par tous les médias français peu avant le scrutin, qui remit à la Une le “problème de l’insécurité”, le cheval de bataille de Jean-Marie Le Pen, présent contre toute attente au second tour avec pour effet de mettre hors course Lionel Jospin, le principal rival du Président Chirac, qui aurait peut-être triomphé cette année-là.
Il s'agissait de trois "faits divers" qui se sont produits entre le 8 mars et le 18 avril 2002, soit trois jours avant le premier tour de la présidentielle. Je les présente dans ma note sur l'instrumentalisation politique des faits divers. La médiatisation à outrance de cette série d'agressions (en particulier de l'affaire "Papy Voise" à la veille du scrutin) montre l'influence néfaste que peuvent exercer des événements ponctuels, sans véritable lien avec le débat politique de fond et rabâchés en boucle, sur le choix final des électeurs. Si l'on pouvait démontrer que la catastrophe de 2002 a été le fruit de la campagne médiatique portant sur ces trois faits divers, il faudrait conclure que la démocratie peut être mise à mal par ce genre de procédés. Pour mémoire voici les résultats des présidentielles de 2002 :

dimanche 18 mars 2012

Gauck Président

Non, ce n'est pas un appel au vote pour un candidat surprise à la présidentielle française. Joachim Gauck vient d'être nommé Président de RFA, après avoir été élu par l'Assemblée fédérale (Bundesversammlung) avec 991 voix sur 1228. "Fonction honorifique" que celle de Président d'Allemagne, comme on s'empresse de le dire en France, mais tout de même chef de l’État (Staatsoberhaupt), comme on le précise "outre-Rhin". Soutenu par une "coalition" entre chrétiens-démocrates (CDU/CSU), libéraux (FDP), sociaux-démocrates (SPD) et écologistes (Die Grünen).

126 délégués auront préféré Beate Klarsfeld, appuyée par le parti de gauche (PDS/Linkspartei) et trois seulement ont voté pour Olaf Rose, un historien révisionniste, candidat de l'extrême-droite (NPD), comme le précise l'hebdomadaire Der Spiegel [deutsch]

Bien sûr, la mise en concurrence du chasseur de stasis Gauck et de la chasseresse de nazis Klarsfeld a fait couler de l'encre, la Gauck-Behörde ayant collecté et rendu publics tous les dossiers de la police politique (Staatssicherheit) de RDA, disponibles, sauvés ou reconstitués après 1989 ; quant à Beate, alors épouse de Serge et mère d'Arno Klarsfeld, sa gifle de 1968, assénée en public - devant le parlement siégeant alors à Bonn - au chancelier Kurt Georg Kiesinger, qui avait été un "membre actif" du parti hitlérien (NSDAP) depuis les débuts en 1933 jusqu'à la chute en 1945, reste un élément constitutif de la jeune RFA.

La particularité de la démocratie allemande - qui après la faillite de la République de Weimar (1918-33) et la catastrophe national-socialiste se dit "exemplaire", en particulier depuis la chute du Mur et la Réunification (1989-90) - est la priorité donnée au parlement et aux courants politiques, qui à l'occasion peuvent s'allier pour prendre des décisions consensuelles comme celle-ci. Ainsi, toute personnalisation à outrance, tout "culte de la personnalité" sont voués à l'échec, du moins ose-t-on l'espérer. De plus, il s'agit, pour les politiciens qui accèdent aux affaires, de faire preuve - eux aussi - d'exemplarité, de ne pas "tricher". C'est ce qu'a appris à ses dépens l'ancien ministre de la Défense Karl-Theodor zu Guttenberg (CSU), poussé à la démission le 1er mars 2011, parce que son doctorat était en partie le fruit de plagiats et que le scandale prenait de plus en plus d'ampleur, avec des débats interminables dans tous les médias sur le "ministre tricheur", ce "mauvais exemple pour nos enfants", et même la création du site GuttenPlag, qui détectait de plus en plus d'emprunts non signalées dans ce travail de thèse. Ainsi, Angela Merkel ne pouvait plus maintenir en fonctions ce jeune loup de la politique qu'une grande popularité eût appelé aux plus hautes responsabilités, si le scandale n'avait mis un frein à ses ambitions.

Puis ce fut au tour de Christian Wulf (CDU) de prendre la porte du château Bellevue (Berlin), le 17 février 2012, où il avait résidé comme "magistrat suprême" de RFA pendant 18 mois. Pour une affaire idiote de financement de sa villa personnelle qui éclata en décembre 2011. Mais, comme son camarade Guttenberg, le Président n'entendait pas démissionner pour de telles "broutilles". Alors de nouveaux détails, d'autres petites affaires datant de sa présidence de Basse-Saxe (l'une des 16 régions fédérales d'Allemagne) s'accumulèrent jusqu'à ce que sa position à la tête de l’État ne fût plus tenable.

Pour élargir le débat : certaines affaires qui ont pu "passer" - être dissimulées, désamorcées, étouffées - en France auraient certainement conduit à la démission des plus hauts fonctionnaires, chef d’État compris, chez "nos amis allemands".

Table rase à droite et au centre

Après le forfait des ministres centristes sous la présidence Sarkozy,  Jean-Louis Borloo et Hervé Morin ("Nouveau Centre"), l'ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, Dominique de Villepin ("République Solidaire"), mais aussi Corinne Lepage ("Cap21"), ancienne ministre de l'Environnement du gouvernement Juppé (1995-97) n'ont pas réuni les 500 signatures d'élus permettant de concourir à l'élection présidentielle.

Les électrices et les électeurs de droite et du centre n'auront donc, s'ils ne veulent pas sacrifier à la chimère souverainiste et populiste, le choix qu'entre deux candidats : le Président Sarkozy, qui brigue un second mandat, et le centriste François Bayrou ("MoDem"), qui avait tout de même réuni 18,5% des suffrages en 2007.

Sans vouloir me complaire dans de lourdes insinuations : le "président candidat" a dû batailler ferme pour obtenir cette tabula rasa. Parmi les éliminés, l'un ou l'autre aurait pu glaner de précieuses voix dans ce qu'il faut bien appeler le "camp sortant", puisque ses représentants exercent le pouvoir depuis maintenant dix ans, depuis la catastrophe de 2002.

Dès lors, François Bayrou n'est plus une véritable menace pour le "président sortant", qui peut diriger toute sa vindicte contre le "candidat socialiste" : c'est ce qu'il vient de faire ce 17 mars, comme le montre cette sélection AFP du discours de Chassieu (Lyon, Rhône).

samedi 17 mars 2012

Algérie : Mouloud Feraoun in memoriam (1913-1962)

Mouloud Feraoun écrit dans son Journal :

" N'ai-je pas écrit tout ceci au jour le jour, selon mon état d'âme, mon humeur, selon les circonstances, l'atmosphère créée par l'événement et le retentissement qu'il a pu avoir dans mon cœur ? Et pourquoi ai-je ainsi écrit au fur et à mesure si ce n'est pour témoigner, pour clamer à la face du monde la souffrance et le malheur qui ont rôdé autour de moi ? Certes, j'ai été bien maladroit, bien téméraire, le jour où j'ai décidé d'écrire, mais autour de moi, qui eût voulu le faire à ma place et aurais-je pu rester aveugle et sourd pour me taire et ne pas risquer d'étouffer à force de rentrer mon désespoir et ma colère ? Et maintenant que c'est fait, que tout est là, consigné, bon ou mauvais, vrai ou faux, juste ou injuste, maintenant que nous entrevoyons la fin du cauchemar, faudra-t-il garder tout ceci pour moi ? Après ce qui s'est écrit sur la guerre d'Algérie, bon ou mauvais, vrai ou faux, juste ou injuste, il convient qu'à cela s'ajoute mon journal, comme une pièce supplémentaire à un dossier déjà si lourd. Je sais combien il est difficile d'être juste, je sais que la grandeur d'âme consiste à accepter l'injustice pour éviter soi-même d'être injuste, je connais enfin les vertus héroïques du silence. Bonnes gens, j'aurais pu mourir depuis bientôt dix ans, dix fois j'ai pu détourner la menace, me mettre à l'abri pour continuer de regarder ceux qui meurent. Ceux qui ont souffert, ceux qui sont morts pourraient dire des choses et des choses. J'ai voulu timidement en dire un peu à leur place. Et ce que j'en dis, c'est de tout cœur, avec ce que je peux avoir de discernement et de conscience. "  

Dans la préface au Journal 1955-62 de son ami Mouloud Feraoun (Seuil 1962), Emmanuel Roblès écrit :
Dans la matinée du 15 mars 1962, à El Biar, sur les hauteurs d’Alger, Mouloud Feraoun participait en sa qualité d’inspecteur des centres sociaux à une séance de travail dans l’un des baraquements du domaine où l’on avait installé la direction de ce service. Peu après 11 heures, des hommes armés pénétrèrent dans la salle, ordonnèrent aux assistants de se placer, bras levés, le long des murs. La fouille achevée, ils appelèrent sept noms. L’une des personnes désignées était absente. Parmi les six autres figurait Feraoun. D’un ton plein d’aisance, le chef des assassins assura qu’il ne leur fera aucun mal, qu’il s’agissait simplement d’enregistrer une déclaration au magnétophone. On crut à une “émission pirate” de l’OAS. En file indienne, les six victimes furent conduites jusqu’à l’angle de deux bâtiments où attendaient d’autres individus en armes. Ceux-ci leur retirèrent leurs papiers d’identité. Ensuite, ce fut le massacre. La poitrine broyée par une rafale de fusil-mitrailleur, Feraoun tomba le dernier, son corps bascula par-dessus celui de son ami Ould Aoudia.”




Datée du 16 mars 2012, voici une petite enquête du quotidien algérien El Watan sur la réception du romancier kabyle Mouloud Feraoun dans l'Algérie contemporaine.

Mouloud Feraoun : Intellectuel blacklisté
Quatre jours de plus et Mouloud Feraoun aurait connu l’Algérie indépendante. Il a été assassiné le 15 mars 1962 par l’OAS à Ben Aknoun. Depuis hier et jusqu’à demain, un colloque international est organisé à Alger pour revisiter son œuvre. Son fils et d’autres intellectuels ont décidé de créer la Fondation Feraoun en avril prochain.
***
Qui est Mouloud Feraoun ? C’est un poète… «Non, c’est le nom d’un collège où est scolarisé mon cousin à Tizi Ouzou !» Au collège Wahiba Kebaïli, El Kahina ou au lycée Baba Aroudj d’Alger-Centre, rares sont les élèves qui connaissent l’intellectuel engagé, ses écrits, son enseignement. La littérature algérienne d’expression française, ce n’est pas leur point fort. «Je pense que Feraoun n’a pas été estimé à sa juste valeur dans nos écoles. Il aurait fallu s’arrêter sur son œuvre», explique Kamilia Oukil, maître assistante à l’Ecole normale supérieure de Bouzaréah. A l’exception du palier moyen où elle évoque vaguement Feraoun, l’école ignore totalement cette figure tant enseignée pendant les années du colonialisme.
«Même chose à l’université, enchaîne Fadila Oulebsir, maître assistante à l’université d’Alger II. Si nous connaissons Feraoun aujourd’hui, c’est parce que nous l’avons hérité de nos parents. L’école ne nous a pas inculqué les valeurs de Feraoun. Elle ne nous a pas transmis sa culture. Elle ne lui a pas réservé la place qu’il mérite. Il a été – consciemment ou inconsciemment – mis à l’écart sans qu’il soit interdit de l’enseigner.» Pour les jeunes, Mouloud Feraoun se résume à Fouroulou ou au Fils du pauvre. «Je sais seulement qu’il a écrit La terre et le… pauvre et qu’il est né en Kabylie», répond Sihem, étudiante en première année de littérature française à Bouzaréah.

Une fresque

«C’est regrettable, poursuit Mme Oulebsir. Car lire son œuvre, c’est découvrir une fresque, un tableau d’une Algérie que cette génération n’a pas connue. Lire Feraoun c’est, entre autres, s’imprégner de la culture, du mode de vie et de l’idéologie de ce peuple à un moment de son histoire. Plus concrètement et sur le plan pédagogique, Feraoun est un initiateur à la lecture de par ses travaux sur la lecture élémentaire.» Nawal Krim, maître de conférences à l’université d’Alger II, généralise le problème : «Feraoun n’est pas le seul à être absent des programmes scolaires ! On voit bien que nos écrivains ne sont pas médiatisés, qu’on ne prend pas la peine de leur consacrer des journées, des débats ou des rubriques dans les journaux.» Conséquence logique de cette absence : les recherches et les thèses universitaires sont rares.
«Nous ne trouvons pas de travaux sur Feraoun ou sur son œuvre et cela revient aussi au choix des directeurs de recherche et des étudiants», constate Fadila Oulebsir. Nawal Krim nuance : au département de français du moins, «il y a plusieurs travaux sur cet auteur. Je sais que nous avons des enseignants chercheurs qui ne demandent qu’à travailler et à participer à des journées internationales, surtout quand il s’agit de nos auteurs». Pour elle, la présence écrasante des Français qui interviennent au colloque d’Alger pour le cinquantenaire de la disparition de Feraoun n’est pas fortuite. «Je ne trouve pas normal que l’université d’Alger ne soit pas au courant ! s’énerve-t-elle. Nous avons des intellectuels, mais ils ne sont pas sollicités.»
Nassima Oulebsir

Le journal signale également que la pièce Le contraire de l’amour, une adaptaion scénique du Journal 1955-62 de M. Feraoun par Dominique Durcel, sera présentée le dimanche 22 avril 2012 à Tizi Ouzou, le lundi 23/04 à Alger, le mercredi 25/04 à Oran et le vendredi 27/04 à Annaba.

Pour le quotidien algérien La Liberté, Sara Kharfi donne un compte rendu du colloque international de trois jours sur Mouloud Feraoun qui se tient actuellement à la Bibliothèque nationale d’El-Hamma (Alger) sous le titre Mouloud Feraoun : intellectuel-martyr et ses compagnons.

 Bibliographie sommaire (source Wikipédia)
  • La terre et le sang, Paris, Seuil, 1953, 256 p.
  • Jours de Kabylie, Alger, Baconnier, 1954, 141 p.
  • Les chemins qui montent, Paris, Seuil, 1957, 222p.
  • Les poèmes de Si Mohand, Paris, Les éditions de Minuit, 1960, 111p.
  • Journal 1955-1962, Paris, Seuil, 1962, 349 p.
  • Lettres à ses amis, Paris, Seuil, 1969, 205p.
  • L'anniversaire, Paris, Seuil, 1972, 143p.
  • La cité des roses, Alger, Yamcom, 2007, 172p.
Et voici la brève biographie que l'on trouve sur le site de l'encyclopédie interactive (à compléter & actualiser) :
Mouloud Feraoun est un écrivain algérien d'expression française né le 8 mars 1913 à Tizi Hibel en haute Kabylie et assassiné à Alger le 15 mars 1962.

Élève de l'école normale d'Instituteurs de Bouzaréah (Alger), il enseigne durant plusieurs années comme instituteur, directeur d'école et de cours complémentaire, avant d'être nommé inspecteur des centres sociaux. Feraoun commence à écrire en 1934 son premier roman,
Le Fils du pauvre. L'ouvrage, salué par la critique obtient le Grand prix de la ville d'Alger. L'écrivain est abattu le 15 mars 1962 à Alger, à quatre jours seulement du cessez-le-feu, par un commando de l'OAS (l'assassinat de Château-Royal).

Né le 8 mars 1913 dans le village de Tizi Hibel (ancienne commune mixte de Fort-National), son nom est Aït-Chabane, Feraoun étant le nom attribué par l'état-civil français. Il fréquente l'école de Tizi Hibel à partir de l'âge de 7 ans.

En 1928, il est boursier à l'école primaire supérieure de Tizi-Ouzou. En 1932, il est reçu au concours d'entrée de l'école normale de Bouzaréah Alger (actuelle École normale supérieure de lettres et sciences humaines). Il y fait la connaissance d'Emmanuel Roblès. En 1935, il est nommé instituteur à Tizi-Hibel où il épouse sa cousine Dehbia dont il aura 7 enfants. En 1946, il est muté à Taourirt Aden. En 1952, il est nommé directeur du cours élémentaire de Fort-National. En 1957, nommé directeur de l'école Nador de Clos-Salembier, il quitte la Kabylie pour les hauteurs d'Alger.

En 1951, il est en correspondance avec Albert Camus, le 15 juillet, il termine
La Terre et le Sang, récompensé en 1953 par le Prix du roman populiste.

En 1960, il est inspecteur des centres sociaux (créés sur l'initiative de Germaine Tillion) à Château-Royal près de Ben-Aknoun. Avec cinq de ses collègues, dont l'inspecteur d'académie Max Marchand, c'est là qu'il est assassiné par l'OAS le 15 mars 1962 à quatre jours du cessez-le-feu.

Mouloud Feraoun a commencé son premier roman autobiographique
Le fils du pauvre en 1939 ; il n'est publié qu'en 1950 à compte d'auteur, puis en 1954 par Le Seuil, expurgé des soixante-dix pages relatives à l'école normale de Bouzaréah.

Les éditions du Seuil publient, en 1957,
Les chemins qui montent, la traduction des Poèmes de Si Mohand étant éditée par les Éditions de Minuit en 1960. Son Journal, rédigé de 1955 à 1962 est remis au Seuil en février 1962 et ne sera publié qu'après sa mort.

Voici enfin le témoignage de son fils Rachid datant de mars 2010 [et trouvé ici]

« Mon père a passé toute sa vie dans le milieu de l’éducation et occupé successivement le poste de maître d’école, de directeur et d’inspecteur. Son véritable métier était éducateur pas écrivain. L’écriture venait en second plan chez mon père, bien après l’enseignement », confie Rachid, fils de l’auteur de plusieurs ouvrages, [et] notamment Le fils du pauvre, roman dans lequel il met en exergue son amour pour l’instruction. « Pour lui, sa voie était toute tracée. Sa vie devait se passer à former les enfants. C’était plus qu’un choix. Une passion », relève son fils, qui rappelle le parcours d’enseignant de son père qui a débuté sa carrière en 1936 en qualité d’instituteur à l’école d’Aït Abdelmoumen, un village ne disposant à l’époque que d’une unique classe où tous les niveaux étaient regroupés. A ses élèves il disait : « Il faut étudier pour mieux servir l’Algérie ». Mouloud Feraoun sera muté ensuite à Taourirt Moussa où il enseigna quelques années, puis ouvrit à Fort National, actuellement Larbaâ Nath Irathen, le premier cours complémentaire où il eut comme élèves des adolescents à qui il disait : « Il faut aller le plus loin possible dans les études pour pouvoir mieux servir l’Algérie ».

« En ces temps-là, il y avait la misère et il fallait convaincre les parents d’envoyer leurs enfants à l’école. Lors de la cueillette des olives, les élèves étaient obligés de s’absenter et mon père fermait les yeux, comprenant la détresse dans laquelle vivaient les enfants et leurs familles », explique le fils de Mouloud Feraoun, ajoutant que son père, persécuté et menacé par le chef de la garnison de l’armée coloniale, a été obligé de quitter le village pour Alger où il occupera le poste de directeur à l’ex-école Nador (actuelle école Fatma-Ghazel) d’El Madania. « Là, comme dans ses précédents postes, il s’occupait de ses élèves, même en dehors des heures de cours. Après cinq heures, il donnait des cours de rattrapage gracieusement aux élèves. Il ramenait également à l’école un imam érudit qui leur enseignait l’arabe et l’éducation religieuse », dit-il. « Les enfants faisaient partie de sa vie. Il considérait ses élèves comme ses propres enfants », relève Rachid Feraoun, qui rappelle, par ailleurs, son travail de pédagogue-auteur de «
L’Ami fidèle », une série de livres scolaires parus entre 1958 et 1961 et dans lesquels « il a sélectionné des textes recueillis à travers le monde mais proches de notre culture ».

Il était très respecté par les élèves et estimé par leurs parents. Les anciens élèves de Mouloud Feraoun ont gardé un « excellent souvenir » de cet « enseignant modèle » et directeur à l’écoute des enfants auxquels il consacrait tout son temps, comme en témoigne Rachid Tarefet, qui a fréquenté l’école Nador en 1958. « Il était très respecté par les élèves qui le considéraient comme un père », a indiqué ce sexagénaire, mettant en exergue l’estime dont jouissait Mouloud Feraoun également auprès des parents. « Quand notre directeur nous faisait classe à la place de l’instituteur français absent et nous surprenait à dessiner l’emblème national, son visage s’illuminait », se souvient avec émotion cet ancien élève de Mouloud Feraoun dont la mémoire est restée vivante à travers notamment les registres d’appel paraphés d’une écriture artistique et conservés précieusement par l’actuel directeur d’école.

Rachid Feraoun devant l'image de son père Mouloud et la couverture du roman La Cité des Roses, publié à titre posthume et rédigé en parallèle au Journal 1955-62. Cette image est accompagnée d'une interview du fils de M. Feraoun (2007) que l'on peut lire ici.


vendredi 16 mars 2012

Match des sondages : Pat !



Chapeau BFM : Réalisé [et publié le 14 mars 2012] par CSA pour BFMTV, RMC, 20 Minutes et CSC, la Course 2012 mesure l'évolution des intentions de vote pour le premier et le second tour de l'élection présidentielle.

Après les résultats contraires ou contradictoires des instituts de sondage IFOP et TNS-SOFRES, CSA met tout le monde d'accord : les deux "principaux candidats" seraient à égalité au premier tour, à 28% des voix chacun.

Le discrédit que des estimations aux antipodes pouvaient jeter sur le principe même des enquêtes statistiques sur les opinions politiques en période électorale, mais que personne ne prend vraiment la peine d'analyser, fait ici place au ridicule, qui pourrait prêter à sourire si l'enjeu n'était pas aussi grave.

En effet, des données finalement assez aléatoires - et donc plus ou moins fictives - sont mises sur le même plan que les faits et gestes, discours et débats, bilans et projets, problèmes réels et solutions proposées qui doivent - ou devraient - marquer, déterminer cette campagne électorale et le fameux - et apparemment toujours très redouté - "verdict des urnes". Car la décision finale appartient - faut-il le rappeler ? oui, dans ce contexte, il faut le rappeler - aux électeurs - réels - et à eux seuls. Or, les enquêtes d'opinion, assénés par "vagues" successives comme le précise encore le commentateur de BFM, influencent non seulement la décision des électeurs, par exemple pour le fameux "vote utile" au premier tour, mais alimentent le discours des différents acteurs de la scène politique, en commençant par celui des "éditorialistes", au détriment de la substance même d'une élection comme celle-ci où il s'agit avant tout de décider si nous voulons continuer dans la voie libérale poursuivie par le "président candidat" - préféré à l’ambiguïté d'un "président sortant", voire du "candidat sortant" - ou bien de nous engager dans une social-démocratie réelle, non seulement en France mais en Europe et notamment en Allemagne où, comme on aime à le répéter ici, l'élection intervient dès la rentrée 2013.


C'est ce qui permet de pointer trois points essentiels qui confinent à la manipulation de l'opinion publique :
  1. Les enquêtes d'opinion interrogent sur des "personnalités" et non sur des options politiques (libéralisme, social-démocratie etc.) : ils contribuent donc à personnaliser davantage une élection qui, depuis 1958, est déjà bien assez - ou même un peu trop - "personnelle".
  2. Avec la personnalisation, on assiste à un nombrilisme formidable qui existe évidemment dans tous les autres pays européens : Sommes-nous, ou ne sommes-nous pas en Europe ? Si oui, il s'agit ici d'une élection régionale qui devrait être traitée comme telle, y compris par les sondeurs. Une remarque : l'adhésion à l'Europe ne signifie nullement le renoncement, par exemple, à la fameuse "exception culturelle française", ou au système éducatif propre à la France etc. Cela signifie que nous devrions commencer à travailler à la constitution d'une Europe politique. Le premier pas serait de considérer ces élections comme une partie, certes importante, d'un mouvement d'ensemble qui déboucherait sur un choix final : une Europe libérale ou social-démocrate. Et si tant est que l'Europe doive montrer l'exemple en matière d'écologie, la personnalisation de la candidature d’Éva Joly, la focalisation sur son appartenance nationale (franco-norvégienne), le score qu'invariablement les panels des sondeurs lui attribuent, tout cela n'a plus rien à voir avec la préoccupation réelle des citoyens. Pour preuve, le score étonnant (en France, non en Allemagne par exemple) des écologistes - 16,28% ! - aux Européennes de 2009 [ici, où l'on trouvera également le récapitulatif des sondages].
  3. Enfin, il faut bien le répéter : les chiffres sont aléatoires puisqu'en quelques jours nous avons eu droit aux estimations suivantes (dans l'ordre) FH : 27 - 30 - 28  vs. NS : 28,5 - 26 - 28, ce qui en soi n'a pas une importance capitale. Le problème, ce sont les commentaires, les changements de stratégie, et l'influence rétroactive exercée sur l'opinion publique et le vote effectif des citoyens.

mercredi 14 mars 2012

Quelques mots sur la Syrie (un an après)

Carte de Syrie trouvée ici

Après les soulèvements populaires en Tunisie, Égypte et Libye, ce blog n'a suivi que les débuts de la révolte syrienne. Plusieurs raisons à cela, mais avant tout un certain "désenchantement" consécutif à ce qu'on se plaisait à appeler le "Printemps Arabe" avec notamment l'arrivée au pouvoir de mouvements religieux ; or, une démocratie véritable n'est possible qu'avec la séparation radicale des autorités théologique et politique, autrement dit : sur une base rigoureusement laïque.

Les pays de tradition musulmane n'ont pas (encore) fait ce pas qui implique que la foi religieuse, s'il convient bien sûr de la respecter, est une affaire personnelle et non une "chose publique". Ainsi, la Constitution d'un pays démocratique ne doit en principe comporter aucune mention d'ordre religieux, si ce n'est pour garantir l'égalité entre les différentes confessions qui peuvent exister dans le pays. Or, tel n'est (ou ne sera) pas le cas dans une Tunisie gouvernée par Ennahda ou dans une Égypte aux mains des Frères Musulmans. Avec les monarchies du Golfe et bien sûr l'Iran, la Libye, le Yémen, l'Irak, l'Afghanistan prennent également ce chemin que l'on peut qualifier de "théologico-politique", une voie pourtant inconciliable avec la libre expression des citoyens, la laïcisation de l'instruction, des mœurs et des pratiques sociales, sans lesquelles la vie démocratique est impossible.

Répétons ici encore que la Démocratie n'est pas la propriété privée de la culture occidentale. Elle est certainement perfectible et adaptable aux modes de vie orientaux. Mais la séparation entre l’Église et l’État, imposée par la Révolution de 1789, reste, avec des élections libres, équitables et transparentes, son principal fondement.

Terribles alternatives : FLN ou FIS, Talibans ou OTAN, Ben Ali ou Ennahda, Moubarak ou Frères Musulmans, Kadhafi ou guerre civile, Bachar al-Assad ou ...

Oui, Bachar al-Assad ou quoi ? - Comme Kadhafi, il n'hésite pas à massacrer son peuple. Son père Hafez lui avait montré le chemin à Hama en février 1982 où la répression d'un soulèvement sunnite avait fait entre 7000 et 35000 morts dans l'indifférence générale. Trente ans plus tard, le fils est devenu, lui aussi, un massacreur qui s'acharne depuis exactement un an, puisque la date du 15 mars 2011 marque le début du soulèvement syrien. 

En guise de rattrapage, voici la chronologie pour 2011 fournie par l'encyclopédie Wikipédia :
 Le 25 avril 2011, les 4e et 5e divisions mécanisées, commandées respectivement par Maher Al-Assad et Muhammad Saleh Al-Rifai, et le 132e bataillon, attaquent la ville rebelle de Deraa. Des sources encore insuffisantes pour avoir des certitudes font état de mutineries individuelles, voire d’unités entières, qui occasionneraient un arrêt de la progression de l’armée dans la ville. Pour rendre la défense de la ville plus difficile, l’eau, l’électricité et les communications téléphoniques ont été coupées. L’ampleur de la répression provoque la démission de plus de 230 membres du parti au pouvoir. De la même façon, les communications par téléphone satellite sont coupées.

Le 29 avril 2011, les forces de sécurité ouvrent le feu vendredi sur des milliers de personnes marchant sur la ville de Deraa, foyer de la contestation situé près de la frontière jordanienne. Des manifestations ont lieu dans tout le pays2. Au moins 48 civils sont tués lors des manifestations.

Six personnes périssent samedi 30 avril 2011 dans le pilonnage de l'armée et les tirs de francs-tireurs à Deraa, foyer de la contestation contre le régime en Syrie, où l'eau, la nourriture et les médicaments manquent depuis l'intervention des troupes lundi. Le même jour, près d'une centaine de personnes se rassemblent devant les locaux de la chaîne satellitaire qatarie Al-Jazira, accusée de "mensonges" et d'"exagération" dans sa couverture du mouvement anti-régime débuté mi-mars. Les forces syriennes arrêtent deux personnalités de l'opposition, Hassan Abdel Azim et Omar Kachach.

Le 1er mai 2011, de nouvelles manifestations ont lieu à Deraa, Kameshli, Douma, Lattaquié.

Le soir du 4 mai 2011, 161 véhicules blindés commencent le siège de deux villes du centre du pays, Al-Rastan et Talbisseh. À Alep et Damas, des sit-in ont lieu dans les universités.

Le 5 mai 2011, l’armée se retire de Deraa. Le 6 mai, comme chaque vendredi, des manifestations ont lieu un peu partout en Syrie pour demander la fin du régime de Bachar al-Assad. Comme chaque vendredi, les forces de l'ordre ouvrent le feu sur les contestataires. Selon les militants des droits de l'Homme, il y aurait ainsi eu au moins 26 morts, la plupart à Homs, dans le centre du pays.

Riad Seif, l'un des leaders de l'opposition, est arrêté.

Le 7 mai 2011, six manifestantes tuées près de Banias.

Le 9 mai 2011, les manifestations continuent, des coups de tirs se multiplient, et les communications téléphoniques sont coupées. Selon Human Rights Watch, les bilans en morts, en blessés comme en arrestations sont invérifiables39. L’ONG Insan indique un bilan de 632 morts et 8000 arrestations entre le 15 mars et le 6 mai, mais en indiquant que les identités de 5000 personnes arrêtées n’ont pas encore pu être vérifiées.

Le 11 mai 2011, 21 personnes sont tuées dont deux soldats, un enfant et une infirmière.

Le 13 mai 2011, comme tous les vendredis, des manifestations pacifiques se déroulent dans tout le pays, notamment à Deraa, Homs, Hama, Bou Kamal, Lattaquié, Kameshli, Amouda et Alep. Au moins deux manifestants sont tués à Homs.

Le 14 mai 2011, au moins quatre personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées à Tall Kalakh, près de Homs, par des tirs des forces de l'ordre.

Le 20 mai 2011, des milliers de personnes manifestent. Ils répondent à l'appel de l'opposition pour la liberté et l'unité nationale. Damas, la capitale, et Alep, la deuxième ville pays, jusque-là globalement épargnées par les défilés, sont cette fois concernées.les forces de sécurité ont tiré à de nombreux endroits, notamment Homs, Sanamein ou Maaret al Noumane. Il y aurait au total au moins 44 morts.

Le 12 juin 2011, l'armée syrienne pénètre dans Jisr al Choughour pour « déloger les groupes armés » après avoir pilonné et tiré à la mitraillette au hasard sur les habitants depuis des hélicoptères.

Le 21 juin 2011, la coordination nationale des comités locaux de jeunes révolutionnaires publie son programme politique, Vision des comités locaux de coordination pour l'avenir politique de la Syrie, qui formule l'avenir de la Syrie sous forme de démocratie parlementaire. Cette réunion est suivie le 27 juin d'une réunion entre intellectuels de l'opposition dans un hôtel à Damas, alors que 400 étudiants d'Alep étaient jugés pour sabotage et insulte au président.

Le 15 juillet 2011, des centaines de milliers de Syriens manifestaient vendredi, notamment dans les villes de Deir Ezzor (350 000 personnes), Hama (150 000) et Damas (7 000), pour demander la libération des détenus et la chute du régime, plusieurs civils ont été tués à Damas et à Idleb, dans le nord-ouest du pays, par les forces de sécurité.

Le 17 juillet 2011, des affrontements entre partisans du régime et opposants à Homs (centre) ont fait au moins 30 morts au cours des dernières 24 heures.

Le 19 juillet 2011, treize civils ont été tués par des tirs de l'armée syrienne à Homs.

Le 31 juillet, 140 personnes sont tuées par l'armée.

Une escalade de la répression est constatée après la déclaration début août du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Fondé fin août et lancé les 1er et 2 octobre 2011 à Istanbul, en Turquie, le CNS (Conseil national syrien) a pour but de pour coordonner les opposants et mener des opérations contre le régime de Bachar el-Assad. Son analogue libyen, le CNT, est le premier à le reconnaitre comme unique représentant du peuple syrien. La France lui apporte son soutien le 10 octobre66.

Après une relative accalmie, des protestations reprennent le vendredi 14 octobre 2011, avec notamment des manifestations de soutien aux soldats ralliés à la contestation, et douze personnes sont tuées par les forces de l'ordre loyalistes.
 Voici encore quelques éléments pour le début de l'année 2012, toujours sur Wikipédia :
Les combats reprennent le mercredi 25 janvier 2012, selon l'opposition, l'armée syrienne a lancé une vaste offensive contre Hama, dans le centre du pays, un chrétien a été tué et on dénombre de nombreux blessés.

Le vendredi 3 février 2012 est la journée la plus meurtrière depuis le début de la révolte ; des massacres ont lieu à Homs où l'armée tire au char et au mortier sur les populations civiles. L'OSDH compte 260 morts dont de nombreuses femmes et enfants mais aussi des manifestants qui dénonçaient le Massacre de Hama qui avait eu lieu 30 ans plus tôt. L'ONG Human Rights Watch dénonce des cas de tortures sur enfants par l'armée alors que l'ONU est toujours paralysée par le véto de la Russie et de la Chine qui soutiennent le régime syrien.

Le jeudi 9 février 2012, plus de soixante civils ont été tués par les forces du régime du président Bachar al-Assad, la plupart dans la ville de Homs, 57 civils ont été tués dans de violents bombardements sur Homs, dont 35 dans le quartier de Baba Amr, et onze (…) dans le pilonnage de leurs maisons dans le quartier d’Inchaat.

Le 10 février 2012, après le veto russe et chinois à une résolution du conseil de sécurité de l’ONU contre le régime de Bachar el-Assad, l’opposition syrienne baptise sa journée de mobilisation au Liban « vendredi de la Russie qui tue nos enfants ».

Le mardi 14 février 2012, on découvre d'après l’Observatoire Syrien des Droits de l'Homme que l’armée tire deux roquettes par minute sur Homs dans le quartier meurtri de Baba Amr. 
[...]

Le mercredi 15 février 2012, à Homs, un oléoduc alimentant une raffinerie située à la périphérie du quartier de Baba Amr est détruit après avoir été bombardé par deux avions militaires, Damas affirme qu'il s'agit d'un acte de sabotage perpétré par des "groupes terroristes". La ville de Hama est prise d'assaut par les forces du régime syrien et plusieurs quartiers de la ville sont bombardés
.
Le 28 février 2012 le bilan de la répression en Syrie a été réévalué à plus de 7.500 morts civils. Lynn Pascoe, secrétaire général adjoint de l’Onu chargé des affaires politiques annonce que « des informations crédibles font état d’un bilan désormais souvent supérieur à cent civils tués par jour, dont de nombreuses femmes et des enfants ».
Le 1er mars 2012, après avoir conquis le quartier rebelle de Baba Amr, à Homs, le pouvoir syrien continue son offensive contre les insurgés. D'autres villes de Syrie comme Deraaet Rastane sont maintenant la cible des bombardements de l'armée, de nombreux réfugiés fuient vers le Liban.

Le 4 mars 2012, des sources de l'ASL à Deraa affirment que les chars des forces du régime tirent des obus antiaériens sur les quartiers résidentiels et que des tireurs d'élite de l'armée syrienne ouvrent le feu sur tout ce qui bouge. Le quartier de Baba Amr qui connaît une grave crise humanitaire est toujours isolé et sans secours, malgré un convoi de sept camions chargés d'une aide d'urgence du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui attend depuis plus de trois jours l'autorisation du régime apporter son aide. Israël a proposé au CICR d'envoyer une aide humanitaire à la population, déclarant ne pas vouloir rester sans réagir quand des atrocités sont commises dans un pays voisin.

Indépendance algérienne - cinquante ans déjà (1962-2012)

A l'occasion de ce cinquantenaire, les chaînes de radio et de télévision françaises, mais aussi la chaîne franco-allemande ARTE, présentent un certain nombre de documents très inégaux. La diffusion de l'excellente production italo-algérienne La Bataille d'Alger (1965, Lion d'Or à Venise en 1966) le 12 mars sur ARTE était précédée, la veille, d'un documentaire plutôt consternant intitulé La Déchirure, coécrit par l'historien Benjamin Stora, connu comme "spécialiste" de l'Algérie. - Une remarque sur la forme : à quoi cela sert-il présenter les images d'archives dans une version colorisée ? Est-ce pour mieux faire ressortir le sang sur la série impressionnante de cadavres montrés dans ce film ? Pour mieux distinguer le treillis des soldats français ? - Le cynisme de ces questions tient au caractère unilatéral de la perspective proposée : à aucun moment, le point de vue de ceux que l'on appelait naguère les "Indigènes" ou les "Musulmans" n'a été évoqué. Et si la perspective française en elle-même est complexe (Pieds Noirs, Gaullistes, Insoumis, OAS etc.), celle des Algériens ne l'est pas moins et ne se résume aucunement à l'idéologie du FLN. Je suppose pourtant que notre spécialiste a lu le Journal 1955-1962 de Mouloud Feraoun (Paris, Seuil, 1962). Le texte écrit au jour le jour par cet instituteur kabyle assassiné voici exactement 50 ans, le 15 mars 1962, sur son lieu de travail, à Château-Royal près d'Alger, par un commando de l'OAS, documente la complexité d'une perspective elle-même traversée par une "déchirure", comme d'ailleurs celle d'Albert Camus, avec qui il était en correspondance, né également en 1913 dans ce beau pays malmené. Tout cela - le plus important - a été pour ainsi dire passé sous silence dans ce documentaire qui ne fait que proposer une "chronologie" des "événements" entre 1954 et 1962, prétendument neutre et pourtant très orientée, voire "nombriliste". On peut ajouter que là où il n'y a pas d'images (d'archives), le silence règne en maître absolu : c'est ainsi que ce genre d'exercice audio-visuel arrive invariablement à taire l'essentiel.

Le 13 mars, ARTE donne la parole au peintre et cinéaste Jean-Pierre Meurice, né en 1938, qui arrive en 1960 à Alger en qualité de "bidasse" comme il le dit lui-même. Dans son film Algérie, notre histoire (2011), le nombrilisme fait place à une subjectivité radicale qui, si elle approfondit un peu la complexité des perspectives françaises, ignore tout aussi radicalement les différents points de vue algériens : le possessif du titre "notre histoire" ne le cache d'ailleurs pas. Meurice se limite aux années 1960-62, parle de ce qu'il a vu,revient sur les lieux, montre et commente, interviewe certains acteurs du drame comme son ami Philippe Durand-Ruel  (rencontré après la guerre), un officier gaulliste qui rallia pourtant les putschistes en 1961, et l'on retrouve Benjamin Stora, qui apparaît ici comme simple témoin : un gamin de la communauté juive de Constantine qui parle d'événements comme l'assassinat du musicien Cheikh Raymond, un jour de marché, de son enterrement, du départ en 1962, emmitouflés dans des manteaux en plein été car on supposait qu'en France, il faisait froid. En soi, ce projet, enrichi par des images d'archives et de la seule interview connue du général putschiste Challe, tournée en 1971 par Meurice lui-même, n'est pas inintéressant, notamment parce qu'il prend le contre-pied des productions qui se veulent objectives et neutres alors que leur caractère tendancieux et orienté n'est souvent que trop évident ; mais une fois encore, à la manière d'une compulsion de répétition de l'attitude colonialiste, le peuple algérien, ses désirs parfois contradictoires, ses multiples perspectives, ethnies, conditions sociales sont ignorées. Passées sous silence comme si ce peuple - et sa réalité, sa condition - n'avaient jamais compté, - existé.

Voici toutefois une autre perspective : celle de Sartre en 1961.

mardi 13 mars 2012

Algérie, une autre perspective : Sartre 1961

Voici un texte de Jean-Paul Sartre [conclusion de la préface aux Damnés de la Terre de Frantz Fanon, Paris Maspéro, 1961] qui montre en ce Cinquantenaire que d'autres perspectives - certes très minoritaires - pouvaient exister dans la France ("métropole") de l'époque, une réalité plutôt occultée dans les différents "exercices commémoratifs" des médias français :

Vous savez bien que nous sommes des exploiteurs. Vous savez bien que nous avons pris l'or et les métaux puis le pétrole des « continents neufs » et que nous les avons ramenés dans les vieilles métropoles. Non sans d'excellents résultats : des palais, des cathédrales, des capitales industrielles; et puis quand la crise menaçait, les marchés coloniaux étaient là pour l'amortir ou la détourner. L'Europe, gavée de richesses, accorda de jure l'humanité à tous ses habitants: un homme, chez nous, ça veut dire un complice puisque nous avons tous profité de l'exploitation coloniale. Ce continent gras et blême finit par donner dans ce que Fanon nomme justement le « narcissisme ». Cocteau s'agaçait de Paris « cette ville qui parle tout le temps d'elle-même ». Et l'Europe, que fait-elle d'autre ? Et ce monstre sureuropéen, l'Amérique du Nord ? Quel bavardage: liberté, égalité, fraternité, amour, honneur, patrie, que sais-je ? Cela ne nous empêchait pas de tenir en même temps des discours racistes, sale nègre, sale juif, sale raton. De bons esprits, libéraux et tendres - des néo-colonialistes, en somme - se prétendaient choqués par cette inconséquence; erreur ou mauvaise foi: rien de plus conséquent, chez nous, qu'un humanisme raciste puisque l'Européen n'a pu se faire homme qu'en fabriquant des esclaves et des monstres. Tant qu'il y eut un indigénat, cette imposture ne fut pas démasquée; on trouvait dans le genre humain une abstraite postulation d'universalité qui servait à couvrir des pratiques plus réalistes : il y avait, de l'autre côté des mers, une race de sous-hommes qui, grâce à nous, dans mille ans peut-être, accéderait à notre état. Bref on confondait le genre avec l'élite. Aujourd'hui l'indigène révèle sa vérité ; du coup, notre club si fermé révèle sa faiblesse: ce n'était ni plus ni moins qu'une minorité. Il y a pis: puisque les autres se font hommes contre nous, il apparaît que nous sommes les ennemis du genre humain; l'élite révèle sa vraie nature: un gang. Nos chères valeurs perdent leurs ailes; à les regarder de près, on n'en trouvera pas une qui ne soit tachée de sang. S'il vous faut un exemple, rappelez-vous ces grands mots: que c'est généreux, la France. Généreux, nous ? Et Sétif ? Et ces huit années de guerre féroce qui ont coûté la vie à plus d'un million d'Algériens ? Et la gégène. Mais comprenez bien qu'on ne nous reproche pas d'avoir trahi je ne sais quelle mission: pour la bonne raison que nous n'en avions aucune. C'est la générosité même qui est en cause ; ce beau mot chantant n'a qu'un sens : statut octroyé. Pour les hommes d'en face, neufs et délivrés, personne n'a le pouvoir ni le privilège de rien donner à personne. Chacun a tous les droits. Sur tous ; et notre espèce, lorsqu'un jour elle se sera faite , ne se définira pas comme la somme des habitants du globe mais comme l'unité infinie de leurs réciprocités. Je m'arrête ; vous finirez le travail sans peine ; il suffit de regarder en face, pour la première et pour la dernière fois, nos aristocratiques vertus : elles crèvent ; comment survivraient-elles à l'aristocratie de sous-hommes qui les a engendrées. Il y a quelques années, un commentateur bourgeois - et colonialiste - pour défendre l'Occident n'a trouvé que ceci : « Nous ne sommes pas des anges. Mais nous, du moins, nous avons des remords ». Quel aveu ! Autrefois notre continent avait d'autres flotteurs : le Parthénon, Chartres, les Droits de l'Homme, la svastika. On sait à présent ce qu'ils valent: et l'on ne prétend plus nous sauver du naufrage que par le sentiment très chrétien de notre culpabilité. C'est la fin, comme vous voyez : l'Europe fait eau de toute part. Que s'est-il donc passé ? Ceci, tout simplement, que nous étions les sujets de l'histoire et que nous en sommes à présent les objets. Le rapport des forces s'est renversé, la décolonisation est en cours; tout ce que nos mercenaires peuvent tenter c'est d'en retarder l'achèvement.

Encore faut-il que les vieilles « Métropoles » y mettent le paquet, qu'elles engagent dans une bataille d'avance perdue toutes leurs forces. Cette vieille brutalité coloniale qui a fait la gloire douteuse des Bugeaud, nous la retrouvons, à la fin de l'aventure, décuplée, insuffisante. On envoie le contingent en Algérie, il s'y maintient depuis sept ans sans résultat. La violence a changé de sens; victorieux nous l'exercions sans qu'elle parût nous altérer : elle décomposait les autres et nous, les hommes, notre humanisme restait intact; unis par le profit, les métropolitains baptisaient fraternité, amour, la communauté de leurs crimes; aujourd'hui la même, partout bloquée, revient sur nous à travers nos soldats, s'intériorise et nous possède. L'involution commence : le colonisé se recompose et nous, ultras et libéraux, colons et «métropolitains» nous nous décomposons. Déjà la rage et la peur sont nues : elles se montrent à découvert dans les « ratonnades » d'Alger. Où sont les sauvages, à présent ? Où est la barbarie ? Rien ne manque pas même le tam-tam : les klaxons rythment « Algérie Française » pendant que les Européens font brûler vifs des Musulmans. Il n'y a pas si longtemps, Fanon le rappelle, des psychiatres en Congrès s'affligeaient de la criminalité indigène : ces gens-là s'entretuent, disaient-ils, cela n'est pas normal; le cortex de l'Algérien doit être sous-développé. En Afrique centrale d'autres ont établi que « l'Africain utilise très peu ses lobes frontaux ». Ces savants auraient intérêt aujourd'hui à poursuivre leur enquête en Europe et particulièrement chez les Français. Car nous aussi, depuis quelques années, nous devons être atteints de paresse frontale : les Patriotes assassinent un peu leurs compatriotes ; en cas d'absence, ils font sauter leur concierge et leur maison. Ce n'est qu'un début : la guerre civile est prévue pour l'automne ou pour le prochain printemps. Nos lobes pourtant semblent en parfait état : ne serait-ce pas plutôt que, faute de pouvoir écraser l'indigène, la violence revient sur soi, s'accumule au fond de nous et cherche une issue ? L'union du peuple algérien produit la désunion du peuple français : sur tout le territoire de l'ex-métropole, les tribus dansent et se préparent au combat. La terreur a quitté l'Afrique pour s'installer ici : car il y a des furieux tout bonnement, qui veulent nous faire payer de notre sang la honte d'avoir été battus par l'indigène et puis il y a les autres, tous les autres, aussi coupables - après Bizerte, après les lynchages de septembre, qui donc est descendu dans la rue pour dire : assez ? - mais plus rassis : les libéraux, les durs de durs de la Gauche molle. En eux aussi la fièvre monte. Et la hargne. Mais quelle frousse ! Ils se masquent leur rage par des mythes, par des rites compliqués ; pour retarder le règlement de compte final et l'heure de la vérité, ils ont mis à notre tête un Grand Sorcier dont l'office est de nous maintenir à tout prix dans l'obscurité. Rien n'y fait; proclamée par les uns, refoulée par les autres, la violence tourne en rond : un jour elle explose à Metz, le lendemain à Bordeaux ; elle a passé par ici, elle passera par là, c'est le jeu du furet. A notre tour, pas à pas, nous faisons le chemin qui mène à l'indigénat. Mais pour devenir indigènes tout à fait, il faudrait que notre sol fût occupé par les anciens colonisés et que nous crevions de faim. Ce ne sera pas : non, c'est le colonialisme déchu qui nous possède, c'est lui qui nous chevauchera bientôt, gâteux et superbe ; le voilà, notre zar, notre loa. Et vous vous persuaderez en lisant le dernier chapitre de Fanon, qu'il vaut mieux être un indigène au pire moment de la misère qu'un ci-devant colon. Il n'est pas bon qu'un fonctionnaire de la police soit obligé de torturer dix heures par jour : à ce train-là, ses nerfs vont craquer à moins qu'on n'interdise aux bourreaux, dans leur pro pre intérêt, de faire des heures supplémentaires. Quand on veut protéger par la rigueur des lois le moral de la Nation et de l'Armée, il n'est pas bon que celle-ci démoralise systématiquement celle-là. Ni qu'un pays de tradition républicaine confie, par centaines de milliers, ses jeunes gens à des officiers putschistes. Il n'est pas bon, mes compatriotes, vous qui connaissez tous les crimes commis en notre nom, il n'est vraiment pas bon que vous n'en souffliez mot à personne pas même à votre âme par crainte d'avoir à vous juger. Au début vous ignoriez, je veux le croire, ensuite vous avez douté à présent vous savez mais vous vous taisez toujours. Huit ans de silence, ça dégrade. Et vainement : aujourd'hui, l'aveuglant soleil de la torture est au zénith, il éclaire tout le pays; sous cette lumière, il n'y a plus un rire qui sonne juste, plus un visage qui ne se farde pour masquer la colère ou la peur, plus un acte qui ne trahisse nos dégoûts et nos complicités. Il suffit aujourd'hui que deux Français se rencontrent pour qu'il y ait un cadavre entre eux. Et quand je dis : un... La France, autrefois, c'était un nom de pays ; prenons garde que ce ne soit, en 1961, le nom d'une névrose.

Guérirons-nous ? Oui. La violence, comme la lance d'Achille, peut cicatriser les blessures qu'elle a faites. Aujourd'hui, nous sommes enchaînés, humiliés, malades de peur : au plus bas. Heureusement cela ne suffit pas encore à l'aristocratie colonialiste : elle ne peut accomplir sa mission retardatrice en Algérie qu'elle n'ait achevé d'abord de coloniser les Français. Nous reculons chaque jour devant la bagarre mais soyez sûrs que nous ne l'éviterons pas : ils en ont besoin, les tueurs; ils vont nous voler dans les plumes et taper dans le tas. Ainsi finira le temps des sorciers et des fétiches : il faudra vous battre ou pourrir dans les camps. C'est le dernier moment de la dialectique : vous condamnez cette guerre mais n'osez pas encore vous déclarer solidaires des combattants algériens ; n'ayez crainte, comptez sur les colons et sur les mercenaires : ils vous feront sauter le pas. Peut-être, alors, le dos au mur, débriderez vous enfin cette violence nouvelle que suscitent en vous de vieux forfaits recuits. Mais ceci, comme on dit, est une autre histoire. Celle de l'homme. Le temps s'approche, j'en suis sûr, où nous nous joindrons à ceux qui la font.

Jean Paul Sartre, septembre 1961, le texte intégral de cette préface aux Damnés de la Terre se trouve sur le site algeria-watch où l'on trouvera également des extraits du livre de Fanon et un fil d'actualité très fourni sur l'Algérie.

Resondage

En plein remue-méninges médiatique sur le sondage IFOP, qui prédit que le "président candidat" devancerait le challenger au premier tour des présidentielles [ici], tombe un sondage TNS-SOFRES commandé par I-Télé qui affirme le contraire [] :
on constate une stabilité des intentions de vote en faveur de François Hollande, qui recueille 30% des intentions de vote (le même score que fin février), et un tassement des intentions de vote en faveur de Nicolas Sarkozy : 26%, en baisse de deux points par rapport à fin février
[...]
le second tour retrouve lui aussi une configuration observée fin janvier, toujours très favorable à François Hollande : il recueille 58% des intentions de vote (+1 point par rapport à fin février) contre 42% pour Nicolas Sarkozy (-1 point). 

Ces résultats contradictoires devraient jeter le discrédit sur les sondages et ceux qui les prennent pour argent comptant : médiatiques, éditorialistes, rédacteurs, analystes, commentateurs. Mais que l'on se rassure : ce "petit couac" sera aussi vite oublié que les enquêtes d'opinion qui, pendant des mois, voire des années, prédisaient que Dominique Strauss-Kahn serait le prochain président de la République.

Le choc des sondages (et le poids des mots)

Paris-Match l'affirme haut et fort dans le chapeau qui présente le dernier sondage que le magazine a commandé à l'IFOP [ici] :
Coup de tonnerre dans la campagne : selon notre sondage Ifop Fiducial pour Europe 1 - Paris Match - Public Sénat, pour la première fois depuis dans notre vague de sondages, Nicolas Sarkozy (28,5, +1,5) passe devant François Hollande (27, –1,5). Au second tour, le candidat socialiste (54,5, –2) s'effrite également mais bat toujours nettement le président sortant (45,5, +2).
Tout est dans la formule : l'expression "notre vague de sondages" marque bien une sorte de déferlement récurrent de la démocratie virtuelle sur une campagne électorale bien réelle par ailleurs. Si dans cette vague, N. Sarkozy passe devant F. Hollande, le rédacteur aurait peut-être pu préciser : "au premier tour", car il ne s'agit pas ici d'une affaire de personnes ou d'un concours de beauté, mais d'options politiques : l'électeur français est appelé à choisir le système dans lequel il vivra ces cinq prochaines années. Or c'est bien au second tour, puis avec les Législatives que cela se décide : libéralisme ou social-démocratie. Mais c'est surtout l'emploi de l'indicatif à la fin du paragraphe qui "choque" : une fois encore, on confond ici l'avis bien virtuel d'un millier de personnes "sondés" au téléphone, et "redressés" ensuite, avec le dépôt de millions de bulletins de vote dans les urnes pour l'instant encore bien réelles d'un grand pays démocratique.

Que dire enfin de la formule d'introduction, destinée bien sûr à focaliser l'attention  : Coup de tonnerre dans la campagne ! On peut imaginer n'importe quoi dans ce décor gothique de la campagne française, mais le problème reste toujours le même : comment est-ce possible de faire passer le résultat ponctuel et plutôt aléatoire d'un sondage pour un événement réel et prétendument décisif pour la suite ?


En faisant l'économie d'une réponse à cette nouvelle tentative de manipulation de l'opinion publique, voici donc le tableau proposé par le magazine spécialisé dans les "grands de ce monde" :

DATES >4-6 jan*11-13 jan**29-30 jan***9-12 fév 23-27 fév11-12 mars
CANDIDAT(E)S%%%%%%
Nathalie Arthaud (LO)0,50,50,50,50,5
Philippe Poutou (NPA)0,50,50,50,5
JL Mélenchon (FDG)67,57,58,58,510
JP Chevènement (MRC) 0,50,5NTNTNT
François Hollande (PS)2828313028,527
Eva Joly (EELV)333332,5
F. Bayrou (MoDem)1212,511,512,512,513
Corinne Lepage (Cap21)0,50,50,50,50,5
Dominique de Villepin (RS)2,521211
Hervé Morin (NC)10,50,5NTNT
Frédéric Nihous (NCPT)NTNT
Nicolas Sarkozy (UMP)262424,5252728,5
Christine Boutin (PDC)0,5-NTNT
N. Dupont-Aignan (DLR)0,510,50,511
Marine Le Pen (FN)19201917,51716
[Les principales options politiques en caractères gras, les sigles des partis rajoutés]

Et voici encore les détails techniques sur les sondages de janvier, fournis par l'hebdomadaire :

* Etude Ifop pour le JDD réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 4 au 6 janvier 2012 auprès d’un échantillon de 1163 personnes inscrites sur les listes électorales, extrait d’un échantillon de 1216 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
** Etude Ifop-Fiducial pour Europe 1, Paris Match et Public Sénat réalisée par questionnaire auto-administré en ligne et par téléphone du 12 au 14 janvier 2012 auprès d’un échantillon de 1550 personnes inscrites sur les listes électorales, extrait d’un échantillon de 1976 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
*** Etude Ifop/Fiducial/Paris Match/Europe1/Public Sénat réalisée sur un échantillon de 1387 personnes représentatif  de la population française âgée de 18 ans et plus et inscrites sur les listes électorales, extrait d’un échantillon national représentatif de 1 655 personnes. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de famille), après stratification par régions et catégories d’agglomération. Les interviews ont eu lieu par questionnaire auto-administré en ligne (CWI - Computer Assisted Web Interviewing) et par téléphone du 29 janvier à partir de 21h30 au 30 janvier 2011. 


La mention NT (non testé) correspond aux retraits de candidature annoncés par Jean-Pierre Chevènement (MRC), Hervé Morin (NC), Frédéric Nihous (NCPT) et Christine Boutin (PCD), les trois derniers ayant préféré soutenir Nicolas Sarkozy.

[Ajout] Un peu plus tard dans la journée, un nouveau sondage affirme le contraire de celui-ci, ce qui tend à prouver que l'on peut manipuler l'opinion publique avec des données complètement aléatoires.

samedi 10 mars 2012

Apolitisation

Henri Maler du site Acrimed (critique des médias) relève cette incroyable prestation d'un de ceux que j'appellerais bien volontiers nos "abrutisseurs". Ici, ce serait plutôt une abrutisseuse puisqu'il s'agit de la journaliste faussement impertinente Ariane Massenet. - L'article de Maler commence ainsi :
Le 8 mars 2012, « Le Grand Journal » de Canal Plus, toujours à l’affût d’une idée « originale », avait choisi d’inviter (pour symboliser la place seconde réservée aux femmes ?), deux porte-paroles de candidats masculin à l’élection présidentielle : Nathalie Kosciusko-Morizet (porte-parole de Nicolas Sarkozy) et Najat Vallaud-Belkacem (porte-parole de François Hollande). Si les premières minutes de l’émission furent, superficiellement, consacrées à des questions sur la condition des femmes, il devait revenir à Ariane Massenet de pulvériser toute tentation féministe, en réduisant ses interlocutrices en observatrices de la « féminité » de leurs champions. La féminité selon Ariane Massenet se résume aux poncifs les plus niais sur l’éternel féminin.
Le problème n'est pas seulement le détournement - le prétexte - de la Journée de la Femme pour poser des questions sur les deux principaux candidats - hommes - de cette élection présidentielle que les deux femmes sont venues représenter sur le plateau de cette émission d'"info-divertissement" (infotainment, comme disent les Américains) ;  ce qui est plus grave, c'est le remplissage du temps d'antenne de ces femmes politiques - et du temps d'écoute des électeurs - avec une stupidité monstrueuse. Voici un échantillon des questions posées par Mme Massenet et relevées par Henri Maler:
- Ariane Massenet : « Oui, alors journée de la femme oblige. Moi j’aimerais connaître la part de féminité, s’il y en a une, de chacun de vos candidats respectifs. D’abord une question basique : est-ce qu’ils sont galants ? […]
- Ariane Massenet : « Chose très pratique, euh, ils vont chez le coiffeur régulièrement ? » Les deux porte-paroles ont l’air interloquées :
- Nathalie Kosciusko-Morizet : « Bah écoutez, moi je ne m’en occupe pas enfin ce n’est pas ma partie du tout ».
- Najat Vallaud-Belkacem : « Voilà, c’est ça, c’est pas compris dans la fiche de poste de porte-parole.
  […]
- Ariane Massenet : « Très bien. Est-ce que... alors je crois que Nicolas Sarkozy boit du Coca Light... euh du Coca Zero, pardon [...] et Hollande du Coca Light... »  […]
- Ariane Massenet : « Une dernière question sur le poids. [Rires sur le plateau] Est-ce qu’ils font attention à leur poids ? On a dit que François Hollande avait repris un peu de poids. »
- Nathalie Kosciusko-Morizet : « Non mais nous avons aussi un cerveau ! Je veux dire, je parle pour nous deux, là [Najat Vallaud-Belkacem hoche la tête en signe d’approbation], nous pouvons parler aussi du contenu des propositions de nos candidats, pas seulement de leur famille, de leur coupe de vêtement, enfin...

- Michel Denisot : « C’était tout. Le Zapping. »
Étonnant, non ? - Rageant, surtout : nous sommes dans une situation désastreuse, tant au niveau mondial (pauvreté planétaire, destruction de la nature, globalisation ultralibérale) qu'au niveau européen et national ("crise de la dette", abolition de l’État social, absence d'une Europe politique) et voilà qu'une "journaliste" - qui n'est ici qu'un exemple du nombre impressionnant d'abrutisseurs officiant sur toutes les chaînes du monde - vient remplir le temps d'antenne dévolu en principe à l'évocation de ce genre de sujets "graves" avec ses tentatives de ridiculisation, de guignolisation, de personnalisation de la vie politique. Et nous pourrons lire, avec les chiffres des abstentions aux prochaines élections, le succès de cette entreprise de dépolitisation dont Mme Massenet n'est qu'un rouage inconscient.

Mais à qui profite donc le crime ? - Car il ne s'agit pas seulement de "détendre" les "cerveaux" des téléspectateurs afin d'obtenir du "cerveau humain disponible" pour les écrans publicitaires, comme l'avait si bien formulé Patrick Le Lay, le chef de TF1 en 2004 ; cette opération d'abrutissement a également d'autres effets : ces "esprits émoussés" n'analysent, ne critiquent plus rien ; à force de personnalisation, de "peoplization" (célébrités du show business et du sport, de la vie économique et politique), le "téléspectateur" y perd sa propre personnalité, et toutes ces vies réussies ("success stories") raturent la sienne ; devant ces existences toutes virtuelles, la vie réelle perd de sa saveur, de son sens : elle ne vaut plus la peine que l'on s'y intéresse, que l'on y travaille. Nos "cerveaux détendus", préparés par M. Le Lay et al., sont des cerveaux dépressifs, des cerveaux d'automates qui "somnambulent" dans les rayons des supermarchés pour effectuer l'un des seuls actes que l'on attend encore de nous  : l'acte d'achat. - Mais le crime profite surtout à l'entreprise planétaire de maintien du status quo : après la barbarie déshumanisée du fascisme, l'échec humain, politique et idéologique du "communisme", on nous fait croire qu'il n'y aurait plus qu'un seul système possible : celui dans lequel nous subsistons tant bien que mal. Et, dans leur tâche quotidienne d' "apolitisation", les abrutisseurs contribuent à fabriquer cette acceptation-là, cette résignation à une existence terne que l'on tente de faire oublier avec la pacotille appelée les "nouveaux moyens de communication" qui, en vérité, interdisent progressivement tout contact réel, toute vie sociale. - Puis, avec l'acte d'achat et bien sûr l'acte de travail, que nous effectuons dans des conditions toujours plus précaires, nos cerveaux "préparés" par les abrutisseurs doivent également "faire leur devoir de citoyen" : plébisciter notre propre misère !

PS. - En 1996, le sociologue Pierre Bourdieu avait livré une analyse pertinente du médium télévision que l'on peut retrouver sur philochat.